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L’acide formique : l’herbicide du diable ?
Une vieille légende veut que les jardins du diable de la forêt tropicale amazonienne, qui ne sont composés quasiment que d’une espèce d’arbres, Duroia hirsuta, soient cultivés par un esprit malin de la forêt. Des études plus rationnelles avaient au contraire conclu que cette monoculture était le résultat d’une allélopathie, autrement dit d’une inhibition locale de la croissance d’une plante par une autre plante. Il semble que ni l’une ni l’autre de ces affirmations ne soit le reflet de la réalité. En effet, une équipe californienne vient de démontrer que l’adepte de la « pensée unique » est en réalité une habitante de ces lieux maléfiques, la fourmi Myrmelachista schumanni [1]. Cette dernière affectionne tout particulièrement le creux des souches de D. hirsuta pour y construire son nid. La meilleure stratégie a donc consisté à donner l’exclusivité à cet arbre en détruisant toute autre espèce. Cette fourmi est en effet capable de sélectivement reconnaître les autres espèces, d’en mordre les feuilles afin d’y introduire son abdomen et d’y déverser un poison mortel : l’acide formique. Moins de 24 heures plus tard, la feuille blessée commence une inéluctable nécrose. Cette stratégie d’extermination systématique, connue chez l’homme, n’avait encore jamais été décrite chez la fourmi. Elle a en tout cas permis à M. schumanni d’établir sa colonie dans les jardins du diable et d’y régner en maître depuis environ 800 ans !
Pleure, si tu es un homme !
Le comportement social et reproductif des mammifères est, on le sait, modulé par les signaux chimiques que sont les phéromones. Ceux-ci sont médiés par l’organe voméronasal qui est situé à la base du septum nasal. Classiquement, on distingue deux classes de récepteurs de ces phéromones, V1R et V2R, qui sont exprimés dans les neurones sensoriels de l’organe voméronasal. Jusqu’à présent, on considérait que les urines constituaient le principal véhicule des phéromones. Une première surprise cependant vînt de l’observation qu’un contact physique avec la région faciale d’un animal modifiait la stimulation neuronale du système voméronasal du partenaire. Une équipe japonaise vient désormais de donner une explication moléculaire à ce comportement en mettant en évidence un petit peptide de 7 kDa sécrété exclusivement par les mâles dans… les glandes lacrymales [2]. Cette protéine, appelée ESP1 (exocrine gland-secreting peptide1) est codée par une nouvelle famille de gènes regroupés à proximité de la région du complexe majeur d’histocompatibilité. Le contact direct entre les larmes du mâle et la femelle permet le transfert de ce petit peptide à l’organe voméronasal de la femelle où elle stimule le récepteur V2R des neurones sensoriels pour déclencher une réponse électrique. Certes, l’organe voméronasal des humains est réduit à peau de chagrin. On pourrait néanmoins se demander si le charme discret opéré par un homme sachant pleurer ne trouve pas un écho lointain dans cette voie de signalisation abandonnée. Nous pourrions également modifier quelque peu l’éducation des petits garçons puisqu’on pourra désormais leur dire, sur cette base scientifique : « pleure, si tu es un homme » !
Pour dépister le cancer de la prostate, mieux vaut rechercher les anticorps que les antigènes
La mesure de la concentration dans le plasma de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) est la méthode la plus utilisée pour dépister le cancer de la prostate. Cette méthode a une bonne spécificité, mais une mauvaise sensibilité avec près de 80 % de faux positifs, ce qui conduit à des biopsies prostatiques injustifiées. On sait maintenant que les malades produisent des anticorps contre les antigènes tumoraux ; d’où l’idée exploitée par Wang et al. [3] de rechercher si la présence de tels anticorps dans le plasma des malades atteints de cancer de la prostate ne pourrait pas être un nouveau marqueur biologique de la maladie. La première étape a été d’isoler les ARNm de cancers de la prostate chez 6 malades dont la tumeur était toujours au stade local. Des fragments de l’ADNc obtenu ont été insérés dans le bactériophage T7. Ces constructions ont été transfectées dans des bactéries et les clones obtenus cultivés. Les peptides codés par l’ADNc tumoral ont été disposés à la surface du bactériophage par fusion avec une protéine de la capside. Le complexe ainsi créé a servi d’appât pour capturer les anticorps circulants. Un premier échantillon de malades fut utilisé pour valider et perfectionner la méthode. Vingt-deux clones de bactériophages porteurs de peptides furent sélectionnés comme les meilleurs pour séparer sujets normaux et atteints de cancer de la prostate ; 119 malades et 138 témoins furent ensuite examinés. La méthode montra 88,2 % (0,78-0,95) de spécificité (% de sujets à réponse négative qui sont indemnes) et 81,2 % (0,70-0,90) de sensibilité (% de malades à réponse positive qui sont atteints). Afin de comparer les performances du dosage de PSA et de la détection d’anticorps, les aires sous la courbe du taux de vrais positifs contre celui de faux positifs à différents seuils de discrimination furent mesurées. Chez des malades ayant un PSA entre 4 et 10 ng/ml (zone intermédiaire où il est difficile de trancher), les aires sous la courbe étaient de 0,93 pour la détection d’anticorps et 0,56 pour le dosage de PSA, montrant le meilleur pouvoir discriminant de la première technique. Cette supériorité de la détection des anticorps se maintient si on abaisse le seuil de positivité du PSA à 2,5 ng/ml (0,94 et 0,50 pour chacune des techniques, respectivement). Afin de savoir quels étaient les peptides reconnus par les anticorps, les 22 clones de bactériophage-peptide furent séquencés. Quatre d’entre eux correspondent à des peptides dérivés de protéines connues comme intervenant dans la transcription ou la traduction. Ces protéines réagirent plus facilement avec les sérums de malades atteints de cancer de la prostate qu’avec ceux de témoins. De plus, une méta-analyse des données de la littérature confirma que leur production était modifiée dans les cancers de la prostate. Ce travail suggère que la détection dans le sérum d’anticorps contre des peptides dérivés de protéines tumorales pourrait devenir un test de dépistage du cancer de la prostate. Mais il reste à le prouver dans des cohortes incluant un plus grand nombre de sujets. Il faudra aussi vérifier si la technique discrimine bien les cancers des autres affections de la prostate.
Il faut du nerf pour cicatriser un coeur !
À la suite d’un infarctus du myocarde, le tissu contractile est remplacé par de la fibrose et les cellules contractiles sont irrémédiablement perdues. Jusqu’à tout récemment, on ne s’entendait guère sur l’origine des « néo-cardiomyocytes » réparateurs et contractiles qui pourraient être dérivés soit de cellules souches résidentes, soit de la circulation en provenance de la moelle osseuse (pour revue, voir [4]). La cicatrisation et la présence de la fibrose constituent cependant un processus nécessaire au maintien de la géométrie des cavités cardiaques et de leur résistance à la pression. La coordination des événements qui conduisent à une cicatrisation adéquate demeure nébuleuse. Deux études du groupe d’Angelino Calderone de l’Université de Montréal (Québec, Canada) apportent cependant de nouveaux éléments d’éclaircissement [5, 6]. La première étude démontre la présence de cellules souches neuronales et de fibres nerveuses dans la cicatrice après un infarctus du myocarde expérimental chez le rat. La seconde suggère que ces cellules souches neuronales sont d’origine cardiaque et ne proviennent pas de la circulation. La présence de cellules pluripotentes dans le myocarde avait été mise en évidence par le groupe d’Anversa en 2003 [7], mais on leur a surtout attribué un rôle régénérateur du myocarde contractile sans que ce processus ne soit pourtant étayé par des améliorations fonctionnelles. La démonstration faite par le groupe de A. Calderone - démonstration selon laquelle des cellules souches se différencient en neurones dans la cicatrice - permet d’émettre l’hypothèse selon laquelle ces neurones sont responsables de la structuration de la cicatrice. En effet, même si la cicatrice est considérée inerte aujourd’hui encore, compte tenu de l’importance vitale de son rôle, il semble peu vraisemblable que sa formation ne soit pas coordonnée. La constitution d’un réseau neuronal pourrait amorcer la structuration d’une cicatrisation homogène et résistante. Dans ce contexte, des études plus approfondies seront nécessaires pour comprendre le rôle précis de ces cellules neuronales. Un défaut d’expression de ces cellules est-il en cause dans la rupture précoce d’une cicatrice à la suite d’un infarctus du myocarde ? Intégrer les cellules souches neuronales résidentes dans le paradigme de la recherche sur les processus de remodelage du myocarde devient donc essentiel.
Snail, un nouveau facteur prédictif de récidive du cancer du sein
Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme. Bien que l’incidence de ces cancers augmente dans les pays industrialisés, la mortalité a cependant baissé depuis plus de 10 ans grâce à des contrôles plus systématiques conduisant à une détection plus précoce, et à l’amélioration des traitements chirurgicaux et médicamenteux. Cependant, des récidives locales, régionales ou distantes peuvent survenir après le traitement initial et sont la cause principale de la mortalité due au cancer du sein. Ces récidives apparaissent 10 à 20 ans après la chirurgie, et indiquent la présence de cellules dormantes déjà disséminées au moment du traitement. Les mécanismes permettant à des cellules tumorales d’échapper au traitement, de survivre, et de se réactiver au bout d’un délai plus ou moins long, sont mal connus. Les facteurs pronostiques actuels de récidive sont la taille de la tumeur et l’envahissement des ganglions lymphatiques. Par ailleurs, des marqueurs moléculaires tels que l’expression de HER2/neu, l’amplification de c-myc, ou l’expression des récepteurs des oestrogènes sont des marqueurs prédictifs de la réponse aux traitements. Cependant, il n’a été montré de rôle causal dans la récidive pour aucun de ces facteurs. Dans un article récent, Moody et al. suggèrent que le répresseur de transcription Snail pourrait jouer un tel rôle dans un modèle murin [8]. Cette démonstration rigoureuse est fondée sur l’utilisation de souris transgéniques chez lesquelles l’expression de HER2/neu est conditionnelle et induit des tumeurs mammaires. Quand l’inducteur (doxycycline) est supprimé, la grande majorité des tumeurs régressent, mais après une période de latence plus ou moins longue (moyenne : 117 jours), des récidives apparaissent sans nouvelle induction. Les auteurs ont montré successivement qu’il s’agissait réellement de récidives et non de tumeurs denovo, que ces récidives étaient indépendantes de l’expression de HER2/neu, qu’il existait une transition morphologique épithélium/mésenchyme, et que le facteur de transcription Snail, déjà connu par ailleurs pour son rôle dans la transition épithélium/mésenchyme, était surexprimé. L’ajout d’un vecteur rétroviral exprimant Snail dans des fragments de tumeurs primaires inductibles HER2/neu, et greffées sur des souris nude, accélère la transition épithélium/mésenchyme et l’apparition de récidives après retrait de l’inducteur et régression des tumeurs. Les auteurs ont ensuite examiné l’expression de Snail dans 4 études (publiées par d’autres groupes) sur le transcriptome, sur des séries de cancers du sein. Ils ont observé que la surexpression de Snail prédisait une diminution de la survie sans récidive, cette prédiction étant indépendante des autres facteurs pronostiques connus jusqu’à présent, et non spécifique d’un sous-type particulier de cancer du sein. Toutes ces observations restent à confirmer sur des séries plus importantes examinées dans ce but. Si cela est le cas, on pourrait envisager Snail comme une nouvelle cible de thérapie anticancéreuse.
Des prions dans le sang d’un hamster
Les maladies à prion sont des maladies infectieuses non conventionnelles dont l’agent causal est le repliement défectueux d’une protéine, PrPSc, version modifiée de la protéine nomale PrC, entraînant la résistance à la digestion par les protéases. Bien que rares chez l’homme, elles font peur. Des encéphalites bovines spongiformes ont contaminé des troupeaux entiers et conduit à l’abattage de milliers d’animaux. Des contaminations humaines ont été à l’origine de formes atypiques de maladie de Creutzfeldt-Jakob d’évolution toujours fatale. La protéine PrPSc est le seul marqueur, son identification n’était possible que dans le cerveau et certains tissus lymphoïdes, après décès. Sa présence dans le sang est probable, on a décrit des cas de transmission possible par transfusion sanguine [9, 10]. Un diagnostic précoce, permettant peut-être un abord thérapeutique, était jusqu’à présent en échec en raison de la quantité infime de la protéine délétère. Une équipe de l’université du Texas (Galveston, TX, USA), vient de mettre en évidence PrPSc chez un hamster par un test sensible et spécifique [11]. Le principe de la technique employée avait été décrit par les mêmes auteurs [12]. Le concept théorique est comparable à celui de la PCR, il s’agît de l’amplification de la protéine résistante aux protéases (PMCA, protein misfolding cyclic amplification). Les auteurs avaient démontré qu’une quantité non détectable de PrSc pouvait induire la conversion de PrC en excès. La sonication de la protéine anormale ainsi formée permet de prévoir des cycles successifs, et donc une réaction continue dont l’amplification est exponentielle. La vérification du concept a été faite sur un hamster infecté en pratiquant des dilutions successives. Les auteurs ont montré que 140 cycles de PMCA se traduisent par une sensiblité x 6 600. L’efficacité de la méthode semblant alors décroître, les auteurs ont procédé à une seconde tournée de cycles pouvant aboutir à une sensibilité x 10 millions. Cela permettrait de détecter ~ 0,02 % de la dose supposée létale, soit approximativement 8 000 équivalent molécules. Des examens répétés ont démontré une sensibilité de l’ordre de 89 %, aucun faux positif, donc une spécificité de 100 %. Cette « première », réalisée sur l’animal de laboratoire, devra être vérifiée dans la maladie humaine. Permettra-t-elle un diagnostic avant que n’apparaissent les signes neurologiques dégénératifs ? Une approche thérapeutique sera-t-elle envisageable ?
CD160, l’unique récepteur NK murin de type immunoglobuline
Les lymphocytes NK (natural killer) sont des effecteurs cytotoxiques qui présentent la particularité de lyser une variété de cible cellulaire tumorale ou infectée par un virus sans qu’il y ait eu d’immunisation préalable, d’où l’appellation originelle de lymphocytes tueurs naturels. De plus, consécutivement à leur activation, ils produisent un grand nombre de cytokines, de chimiokines et de facteurs impliqués dans l’inflammation, ce qui les situe entre l’immunité spécifique et l’immunité innée. Ils se distinguent des lymphocytes T ou B car ils n’expriment pas de récepteurs spécifiques pour l’antigène, produits caractéristiques de ces lymphocytes, qui sont issus de réarrangements somatiques de segments de gènes au cours de l’ontogénie. Alors que seuls les BCR, à la surface des lymphocytes B, ou les TCR à la surface des lymphocytes T, sont capables d’induire l’activation lymphocytaire - qui est néanmoins régulée positivement ou négativement par des corécepteurs - l’activation des lymphocytes NK est sous le contrôle d’un grand nombre de récepteurs prodiguant une signalisation contradictoire après engagement avec leur ligand respectif. Le déclenchement de la fonction effectrice cytotoxique ou immunorégulatrice va alors dépendre du nombre des récepteurs activateurs recrutés (en situation pathologique) capables de surmonter la signalisation émanant des récepteurs inhibiteurs qui sont essentiellement spécifiques des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I. Depuis une dizaine d’années, l’ensemble des récepteurs des lymphocytes NK ont été décrits aussi bien structurellement que fonctionnellement. Il était acquis que les lymphocytes NK murins exprimaient uniquement des récepteurs de type lectinique Ly49 (activateurs et inhibiteurs) et NKG2D (uniquement activateurs) pour interagir avec les molécules du CMH de classe I et RAE-1 ou H-60, respectivement. Les lymphocytes NK humains exprimant, eux, des récepteurs activateurs et inhibiteurs qui appartiennent aussi bien à la famille de type immunoglobuline (killer-cell Ig-like receptors, KIR) qu’à la famille de type lectine C (killer-cell lectin-like receptors). CD160 est un récepteur activateur de type immunoglobuline décrit voilà plus d’une dizaine d’années à la surface des lymphocytes NK humains par une équipe française (Inserm U.93) [13]. Il présente une homologie avec le récepteur KIR2DL4 et une spécificité assez large pour les molécules du CMH de classe Ia et Ib, tout comme le récepteur ILT2 [14]. CD160 se distingue des autres récepteurs KIR, car il est issu d’un gène qui n’est pas localisé avec l’ensemble des gènes KIR sur le chromosome 19 ; il est ancré à la membrane par une liaison phosphatidyl inositol glycane et, surtout, il disparaît rapidement de la surface cellulaire après activation. Le CD160 murin vient d’être décrit à la surface des lymphocytes NK et NKT par un groupe de chercheurs canadiens et japonais [15]. Il semble se comporter structurellement et fonctionnellement comme le CD160 humain. Il s’agit donc de l’unique récepteur NK murin de type immunoglobuline. Cette découverte est essentielle car elle va permettre de produire rapidement des souris invalidées pour le gène CD160 et d’apprécier la fonction de ce récepteur par rapport à l’ensemble des récepteurs décrits qui régulent la fonctionnalité des lymphocytes NK.
Le mécanisme antipaludéen de l’artémisine est une alkylation de l’hème
Le paludisme… encore ! Oui car il s’agit d’un problème qu’on ne peut éluder. Plus d’un million de morts chaque année, et des centaines de millions de malades. Un retour en force de la maladie, sa diffusion par les transports aériens, une résistance de presque toutes les souches au traitement classique et peu onéreux par la chloroquine. L’artémisine, extraite d’une variété chinoise d’armoise, se présente comme un traitement efficace et qui ne développerait pas de résistance. Sa production naturelle est, cependant, tout à fait insuffisante en regard des besoins mondiaux, et plusieurs équipes dans le monde travaillent sur des molécules de synthèse qui en mimeraient les effets. Un résultat particulièrement intéressant vient d’être obtenu à Toulouse (France) par la collaboration des chimistes du CNRS et des parasitologues du CHU de Rangueil [16]. En traitant par cette molécule, et à des doses pharmacologiques, des souris infectées par le Plasmodium vinckei, les auteurs ont pu démontrer que le mode d’action de l’artémisine est une alkylation de l’hème. La formation de ce type d’adduit a été observée au laboratoire avec d’autres molécules de type trioxane. L’avancée est ici d’avoir démontré son existence in vivo. Les souris infectées ont été traitées soit par voie intrapéritonéale (ip), soit per os à des doses du même ordre que celui des doses curatives : 100 ou 200 mg/kg ip, 50 ou 100 mg/kg per os. La formation de l’adduit covalent a été vérifiée dans la rate des animaux 7 heures après le traitement, par HPLC (high performance liquid chromatography) et spectrographie de masse. Les dérivés glucuroconjugués de ces adduits ont été retrouvés dans les urines, leur identification confirmée par l’ajout aux échantillons d’une β-glucuronidase qui les fait disparaître. À titre de témoin, le même traitement a été appliqué à des souris non infectées, chez lesquelles, dans les mêmes conditions, aucun des adduits ni de leurs dérivés n’a pu être observé. L’ensemble de ces données confirme donc que les propriétés thérapeutiques de l’artémisine sont liées à sa capacité d’alkylation. Ce processus de destruction est différent du processus d’agrégation de l’hème qui est la base de l’action de la quinine. Les résultats ouvrent aussi la voie à des avancées pharmacologiques : d’autres molécules susceptibles d’alkyler l’hème de l’érythrocyte infecté pourraient s’avérer être de nouveaux outils thérapeutiques.
Vol de nuit
Les papillons de nuit, bien plus nombreux que les papillons de jour, entreprennent de longs voyages. Quand les femelles sont disposées à copuler, elles produisent et libèrent par bouffées d’infimes quantités de phéromones dans l’atmosphère. Les mâles les détectent de loin et réussissent à les rejoindre grâce à des organes sensoriels situés dans leurs antennes, les sensilles. Mais depuis des décennies, les chercheurs se sont demandés comment s’effectuait la dégradation des phéromones afin de rendre les récepteurs olfactifs à nouveau aptes à percevoir l’effluve suivante, et suivre ainsi les femelles à la trace. Parmi les variétés de papillons de nuit, l’un d’eux Antheraea polyphemus (sans doute appelé ainsi en raison d’un ocelle ressemblant à un gros oeil unique) est appelé aussi ver à soie sauvage (wild silkmoth) car il présente quelques points communs avec le Bombyx du mûrier (Bombyx mori), le ver à soie d’élevage. Les études sur les phéromones des insectes in vivo et in vitro indiquent que des estérases, portées par les antennes des mâles, doivent être à l’origine de leur dégradation. Ces PDE (pheromone degrading enzyme) étaient jusqu’à présent peu connues. Après avoir extrait les protéines de 900 antennes de mâles A. polyphemus âgés de 2 jours, des chercheurs californiens viennent d’isoler l’enzyme spécifique de cette espèce qu’ils ont appelée ApoIPDE (polyphemus I pheromone degrading enzyme). Ils ont réussi à identifier le gène, à le cloner, et ils ont pu mesurer la cinétique de dégradation des phéromones [17]. ApoIPDE (ou estérase des sensilles) n’est décelée que chez les mâles, à partir du 13e jour du stade pupal, qui coïncide avec le début de coloration des antennes. Les dosages montrent un pic au 2e jour après l’éclosion des adultes. L’action de cette enzyme sur les phéromones est extrêmement rapide. Elle assure donc la libération presque instantanée des récepteurs, permettant ainsi aux mâles de trouver leur chemin ponctué par les bouffées de phéromones émises par les femelles et de parvenir à bon port pour perpétuer l’espèce.
Après les souris transgéniques, voici les souris transchromosomiques
De multiples tentatives pour obtenir un modèle animal de la trisomie 21 ont été réalisées. Les gènes portés par le chromosome 21 humain étant dispersés chez la souris sur trois chromosomes : 16, 10 et 17, seules des trisomies partielles ont été obtenues grâce à des chromosome de levure contenant un segment de chromosome 16 murin (avec plus d’une centaine de gènes orthologues) [18], ou par obtention de trisomies 16 partielles [19]. Une équipe anglaise vient d’obtenir un nouveau modèle : une souris transchromosomique chez laquelle le chromosome 21 humain a été introduit et maintenu de façon stable au cours des divisions cellulaires. La méthode choisie a été le transfert, dans des cellules ES, de chromosome par microcells [20]. Après vérification de la présence du chromosome 21 humain, les cellules sont injectées dans des blastocystes pour obtenir des souris chimériques dans la descendance desquelles les chercheurs ont pu sélectionner une lignée transchromosomique. L’expression des gènes portés par ce chromosome 21 humain a été vérifiée avec 205 sondes correspondant à 131 gènes dont les positions vont du bras court à l’extrémité du bras long. Les souris ont ensuite été examinées pour évaluer leur phénotype. Les résultats aux tests d’apprentissage et de mémorisation sont abaissés par rapport aux souris témoins. Le nombre des neurones cérébelleux est diminué. Certains embryons présentent des anomalies du septum atrio-ventriculaire, type de cardiopathie observée aussi chez les enfants trisomiques 21. Cette lignée murine, appelée Tc1, est une réussite car les autres souris transchromosomiques obtenues jusque-là n’avaient pu avoir de descendance. Certes, ce modèle murin n’offre pas la possibilité d’études exhaustives sur le retard mental, mais il permettra peut-être une analyse détaillée des troubles de développement de l’encéphale, en particulier de l’hippocampe. D’une façon plus générale, il montre que cette méthode peut servir à obtenir des souris tranchromosomiques servant de modèles à certaines aneuploïdies humaines.
Méfiez-vous des drosophiles !
La drosophile est un des modèles animaux qu’affectionnent les généticiens et pour cause : ce diptère a été à l’origine des premières découvertes sur le génome et il continue à être utilisé dans de nombreuses études. Mais on vient de s’apercevoir qu’au moins 1/3 des mouches du vinaigre utilisées en laboratoire était parasité par une bactérie [21]. Celle-ci, Wolbachia, est transmise par les oeufs infectés et elle s’est munie de divers stratagèmes pour se perpétuer dans les lignées de drosophiles. Ainsi, alors que les femelles porteuses de la mutation sex-lethal sont stériles, les femelles mutées, mais en plus infectées par Wolbachia, continuent à produire une quantité d’oeufs normale. La bactérie infecte tous les tissus des larves, peut inverser le sexe des mâles, et agir sur la longévité. Au Bloomington Stock Center, qui abrite de nombreuses lignées de drosophiles, sur 609 lignées porteuses de mutation, plus de 200 d’entre elles sont infectées. On ignore si cette bactérie est capable de fausser les résultats de certaines études, mais, désormais, les chercheurs devront en tenir compte dans leurs analyses. Cette fâcheuse nouvelle comporte cependant un côté positif : les chercheurs vont travailler sur les souches infectées pour comprendre comment la bactérie est devenue symbionte et comparer les lignées infectées non traitées avec les lignées traitées pour définir le rôle du parasite.
La revanche de la drosophile mâle
Les femelles de nombreuses espèces sexuées sont pourvues de deux chromosomes X, alors que le mâle n’en possède qu’un. Pour obtenir l’égalisation de l’expression des gènes portés par l’X dans les deux sexes, des mécanismes compensateurs ont été mis en oeuvre. Chez les femelles de mammifères, il consiste en une inactivation au hasard dans les cellules d’un des deux X : un nivellement par le bas, en quelque sorte. Chez les drosophiles, au contraire, le mâle se surpasse puisqu’il surexprime la transcription des gènes portés par son X unique. Ce mécanisme compensateur des diptères, diamétralement opposé à celui des mammifères, restait jusqu’à présent mal connu. Mais une équipe d’Heidelberg vient de l’expliquer et d’identifier les agents moléculaires contribuant à son accomplissement [22]. Le complexe compensatoire ou DCC qui comporte cinq protéines (male specific lethal ou msl 1, 2 et 3, maleness ou mle, et male absent on the first ou mof ) se lie à plusieurs sites, puis s’étend le long de l’X pour le recouvrir entièrement. L’acétylation de l’histone H4 de la lysine 16 modifie la structure de la chromatine et permet l’accès aux promoteurs des gènes. Elle induit une hypertranscription de ceux-ci. Chez les femelles, une protéine de contrôle, SXL (sex lethal) régule en amont l’expression du gène msl-2 et empêche la formation de DCC. SXL est une protéine se liant à l’ARN qui intervient de manière très originale dans le mécanisme compensateur : son expression est dirigée par un promoteur précoce formant une boucle dans laquelle SXL opère l’épissage de son propre ARN pour produire une protéine fonctionnelle. Celle-ci se fixe sur l’ARN de msl-2 des deux côtés, c’est-à-dire sur un intron de la région 5’ non traduite (UTR) et ensuite sur la région 3’. Les chercheurs ont utilisé un système de traduction de l’ARNm hors cellule dérivé des embryons de drosophile qui récapitule les éléments essentiels de la traduction de l’ARNm des eucaryotes. Ils constatent que le complexe formé sur la région 3’ non traduite empêche le recrutement du complexe de préinitiation. Par ailleurs, les complexes 43S ayant échappé à ce blocage sont gênés dans leur lecture de l’ARN par la présence de SXL sur la région 5’ non traduite. Il s’agit donc d’un système de blocage unique, doublement sécurisé. Il subsiste encore quelques interrogations : comment SXL liée à UTR3’ bloque-t-elle le complexe à distance en 5’ ? Existe-t-il un co-répresseur bivalent qui agirait avec SXL sur les extrémités UTR ? La recherche de mécanismes de traduction analogues dans d’autres organismes pourra sans doute fournir des réponses.
Traduction locale de RhoA dans le cône de croissance neuronal
Les cônes de croissance neuronaux avancent à des distances considérables des corps cellulaires, guidés par des facteurs de guidage attractifs ou répulsifs. Ce processus permet l’établissement des connexions dans le système nerveux. La sémaphorine 3A est un facteur de guidage sécrété qui repousse les axones, les empêchant de se diriger vers des cibles inappropriées. La sémaphorine 3A entraîne des réarrangements du cytosquelette qui induisent le collapsus du cône de croissance via une voie de signalisation impliquant les GTPases Rho et Rac, la kinase LIM, la cofiline et l’actine. On sait que certains ARNm ont une localisation polarisée, notamment dans le neurone, et que cela permet une synthèse locale de protéines [23]. L’équipe de Samie Jaffrey (Université Cornell, New York, États-Unis) observe la présence d’ARNm codant pour la GTPase RhoA dans les cônes de croissance et les axones en cours de développement. La sémaphorine 3A active la synthèse locale de RhoA dans le cône de croissance. La région 3’ non traduite est impliquée dans cette localisation. Les auteurs éliminent RhoA par extinction de l’expression de l’ARN, mais restaurent l’expression de RhoA dans le corps cellulaire ou dans l’axone en exprimant respectivement un ARNm sans (ou avec) la région 3’ non traduite impliquée dans le ciblage. Le collapsus du cône de croissance induit par la sémaphorine n’est observé que dans les cônes de croissance exprimant l’ARNm de RhoA. Cet effet dépend de la synthèse protéique [24]. En conclusion, la localisation subcellulaire des ARNm montre, par cette approche très originale, une fonction de régulation importante de la signalisation neuronale.
Le stress du réticulum endoplasmique, nouvel acteur dans le diabète de type 2 ?
Le réticulum endoplasmique (RE) joue un rôle majeur dans la maturation et l’adressage des protéines [25]. Toutes les protéines sécrétées et les protéines membranaires transitent par le RE où elles sont correctement repliées, modifiées (glycosylation), assemblées avant d’être transportées vers l’appareil de Golgi et de rejoindre leur localisation définitive. Lorsque la capacité du RE à traiter les protéines est dépassée, par exemple en cas d’augmentation importante de la synthèse protéique ou d’un déficit énergétique, le RE met en place un processus physiologique appelé stress du RE ou UPR (unfolded protein response). La réponse UPR a pour but d’arrêter la synthèse protéique globale pour éviter l’arrivée d’autres protéines dans la lumière du RE, de synthétiser des protéines chaperons spécialisées dans l’aide au repliement, d’entraîner vers la dégradation les protéines mal repliées, enfin de déclencher l’apoptose de la cellule quand les processus précédents ont échoué. Wang et al. [26] montrent que lorsqu’une cellule β-pancréatique est stimulée par des concentrations élevées de glucose pendant quelques jours, la réponse UPR est activée, sans doute pour répondre à la demande accrue de biosynthèse d’insuline. Cette réponse UPR s’accompagne d’une augmentation de la forme nucléaire de SREBP-1c, un facteur de transcription impliqué dans la synthèse des acides gras [27]. Cela pourrait correspondre à la nécessité d’augmenter la surface du RE, formé comme toutes les membranes de lipides. Cependant, l’activation de SREBP-1c entraîne une accumulation généralisée de lipides dans la cellule β-pancréatique et ses conséquences délétères bien connues sur la sécrétion d'insuline (lipotoxicité). On pourrait alors imaginer l'évolution suivante chez des individus insulino-résistants mais non encore diabétiques : la cellule β-pancréatique augmenterait sa sécrétion d'insuline pour compenser l'insulino-résistance périphérique. Cette synthèse accrue et prolongée déclencherait une réponse de type UPR. Celle-ci pourrait, en activant le facteur de transcription SREBP-1c, induire non seulement une lipotoxicité, compromettant alors la sécrétion d'insuline, mais également une apoptose des cellules β conduisant à une réduction de leur nombre (phénomène observé chez les diabétiques de type 2) et au déclenchement d'un véritable diabète. Le diabète viendrait ainsi s'ajouter à la liste croissante de maladies impliquant le stress du RE [25].
Parties annexes
Références
- 1. Frederickson M, et al. Nature 2005 ; 437 : 495-6.
- 2. Kimoto H, et al. Nature 2005 ; 437 : 898-901.
- 3. Wang X, et al. N Engl J Med 2005 ; 353 : 1224-35.
- 4. Peschle C, Condorelli G. Ann NY Acad Sci 2005 ; 1047 : 376-85.
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