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La trypanosomiase africaine (la maladie du sommeil), la trypanosomiase sud-américaine (la maladie de Chagas) et les leishmanioses (cutanées, mucocutanées et viscérales) sont des maladies humaines, dites négligées, causées par des protozoaires appartenant à la famille des trypanosomatides [1]. Ces parasites sont des eucaryotes unicellulaires flagellés dont le génome nucléaire est généralement diploïde. Ils affectent environ 25 millions d’individus, principalement dans des régions économiquement défavorisées (régions tropicales et subtropicales des continents africain et sud-américain). En l’absence de traitement, ces parasitoses sont souvent mortelles. Or, l’absence de vaccin et l’augmentation des cas de résistance aux rares médicaments disponibles nécessitent le développement de nouveaux moyens thérapeutiques dirigés contre ces parasitoses. Avec l’avènement de la génomique et de la post-génomique, la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques passe par le décryptage du génome complet de ces parasites. Cet objectif a récemment été atteint par le consortium « Tritryp » en séquençant et en analysant le génome des souches TREU927 de Trypanosoma brucei (maladie du sommeil) [2], CL Brener de Trypanosoma cruzi (maladie de Chagas) [3] et Friedlin de Leishmania major (Leishmaniose cutanée) [4]. Le consortium Tritryp est composé de quatre laboratoires de séquençage (the Institute for Genomic Research, Wellcome Trust Sanger Institute, Seattle Biomedical Research Institute et Center for Genomics and Bioinformatics) et d’une cinquantaine de laboratoires de la communauté scientifique internationale impliqués dans l’annotation et l’analyse de ces génomes.
Les problèmes de santé publique ne sont pas les seules raisons de l’intérêt porté par la communauté scientifique pour ces parasites. En effet, les trypanosomatides font partie des eucaryotes les plus anciens et qui sont les plus étudiés pour leurs nombreuses particularités métaboliques et structurales [5] parmi lesquelles : (1) les glycosomes ; (2) la présence d’une seule mitochondrie dont l’ADN représente 10 % de l’ADN cellulaire ; (3) la modification posttranscriptionnelle des ARN messagers mitochondriaux par ajout et délétion de résidus uridine (édition des ARN) ; (4) l’expression polycistronique des gènes nucléaires ; (5) la maturation des ARN prémessagers nucléaires par trans-épissage ; et (6) la variation antigénique de la protéine de surface de T. brucei. Par ailleurs, ces parasites utilisent différentes stratégies pour échapper aux défenses immunitaires de l’hôte, telles que, la variation antigénique (T. brucei), le développement de formes intracellulaires (T. cruzi et les leishmanies) et la manipulation du système immunitaire de l’hôte (T. cruzi). Il est également important de souligner que T. brucei est récemment devenu un modèle expérimental de choix, grâce au développement de l’ARN interférence comme outil de génétique inverse [6].
D'une meilleure compréhension de leur biologie…
La taille du génome haploïde de ces parasites varie entre 25 et ≈ 55 mégabases distribuées sur 11-36 chromosomes diploïdes qui contiennent de 8 100 à 12 000 gènes codant pour des protéines (Tableau I). L’organisation et l’expression des gènes sont sans conteste les particularités les plus surprenantes des trypanosomatides. Le génome de L. major, par exemple, est constitué de 133 blocs d’une dizaine à plusieurs centaines de gènes organisés sur le même brin, mais n’ayant pas de fonction commune comme dans le cas des opérons de procaryotes. Ces blocs, ou unités potentielles de transcription (jusqu’à 1 259 kb de long) sont transcrits sous forme d’ARN polycistroniques à partir des régions les précédant (1-14 kb) [4, 7]. Ces ARN prémessagers sont ensuite maturés en ARNm par ajout à leur extrémité 5’ d’une coiffe de 39 résidus, impliquant un mécanisme de trans-épissage. Le génome de ces trois espèces montre une conservation surprenante de l’ordre des gènes (synthénie), en particulier à l’intérieur des unités potentielles de transcription [8, 9]. En effet, les régions hautement synthéniques comprennent 94 % des 6 200 gènes conservés entre les trois espèces, représentent 68 et 75 % du génome de T. brucei et L. major et correspondent aux unités potentielles de transcription. Les contraintes liées au mode unique d’expression des gènes de trypanosomatides expliqueraient le haut niveau de synthénie observé au sein de cette famille de parasites, qui ont pourtant divergé avant l’apparition des mammifères, il y a 200 à 500 millions d’années [9].
… vers un espoir pour la lutte antiparasitaire
L’analyse comparative de ces trois génomes a permis de définir des particularités pour chacun de ces parasites. Ainsi, parmi les 1 617 domaines protéiques Pfam différents identifiés dans ces trois génomes, seulement 5 % sont uniques à une seule espèce, tel que le domaine sérine carboxypeptidase S28 (Pfam PF05577) uniquement retrouvé dans le génome de T. cruzi [9]. Ce domaine correspond probablement à l’activité sérine peptidase de T. cruzi à l’origine de la production des petits peptides interagissant avec les cellules de l’hôte et permettant à ce parasite intracellulaire de pénétrer dans les cellules [10]. Cette étude a également permis d’identifier des domaines particulièrement représentés dans une espèce, tel que le domaine de la glycoprotéine de surface responsable de la variation antigénique chez T. brucei, dont 806 copies (par génome haploïde) ont été retrouvées uniquement dans le génome de T. brucei [2]. Les domaines trans-sialidase, mucine, protéase gp63 et MASP sont particulièrement abondants dans le génome de T. cruzi, alors que, pour L. major, il s’agit du domaine amastine [9]. Chacun de ces domaines spécifiques d’espèces constitue une cible potentielle dans la lutte contre ces différentes parasitoses.
Il est évident que le séquençage, l’annotation et l’analyse comparative du génome de ces trois parasites responsables de maladies humaines dévastatrices va considérablement stimuler et accélérer la recherche de nouvelles cibles et, espérons-le, rapidement aboutir au développement de nouveaux moyens thérapeutiques.
Parties annexes
Références
- 1. Barrett MP, Burchmore RJ, Stich A, et al. The trypanosomiases. Lancet 2003 ; 362 : 1469-80.
- 2. Berriman M, Ghedin E, Hertz-Fowler C, et al. The genome of the African trypanosome Trypanosoma brucei. Science 2005 ; 309 : 416-22.
- 3. El-Sayed NM, Myler PJ, Bartholomeu DC, et al. The genome sequence of Trypanosoma cruzi, etiologic agent of Chagas disease. Science 2005 ; 309 : 409-15.
- 4. Ivens AC, Peacock CS, Worthey EA, et al. The genome of the kinetoplastid parasite, Leishmania major. Science 2005 ; 309 : 436-42.
- 5. Authié E, Bringaud F, Kakalara N, et al. Trypanosomiases humaines et animales ; maladie du sommeil et Nagana. Ann Inst Pasteur 1999 ; 10 : 27-50.
- 6. Motyka SA, Englund PT. RNA interference for analysis of gene function in trypanosomatids. Curr Opin Microbiol 2004 ; 7 : 362-8.
- 7. Martinez-Calvillo S, Yan S, Nguyen D, et al. Transcription of Leishmania major Friedlin chromosome 1 initiates in both directions within a single region. Mol Cell 2003 ; 11 : 1291-9.
- 8. Ghedin E, Bringaud F, Peterson J, et al. Gene synteny and evolution of genome architecture in trypanosomatids. Mol Biochem Parasitol 2004 ; 134 : 183-91.
- 9. El-Sayed NM, Myler PJ, Blandin G, et al. Comparative genomics of trypanosomatid parasitic protozoa. Science 2005 ; 309 : 404-9.
- 10. Caler EV, Vaena de Avalos S, Haynes PA, et al. Oligopeptidase B-dependent signaling mediates host cell invasion by Trypanosoma cruzi. EMBO J 1998 ; 17 : 4975-86.