Dans la nature, le comportement des animaux est dicté en partie par la recherche d’aliments susceptibles d’apporter les nutriments essentiels au fonctionnement de leur organisme. Cette sélection de la nourriture est particulièrement remarquable chez les omnivores, qui ont la capacité d’utiliser des sources diverses pour maintenir un statut nutritionnel équilibré. Outre des facteurs culturels et d’apprentissage, des facteurs innés interviennent également dans la sélection de la nourriture. Par exemple, lorsqu’ils sont soumis à un régime alimentaire unique dépourvu d’un acide aminé indispensable (non synthétisé par l’organisme dans des conditions physiologiques normales), les omnivores sont capables de détecter cette carence et de développer une aversion alimentaire qui consiste à rejeter ce régime considéré comme nocif. Au cours de l’évolution, la capacité de refuser un aliment déséquilibré en acides aminés procure un avantage sélectif à l’animal en lui permettant de privilégier une nourriture équilibrée et mieux adaptée à ses besoins. Cette composante innée implique des mécanismes de détection des déséquilibres alimentaires en acides aminés permettant de déclencher la réponse comportementale. Des travaux anciens ont impliqué le cerveau, et plus particulièrement une zone appelée cortex piriforme antérieur (APC), dans la mise en place de l’aversion vis-à-vis de régimes déséquilibrés en acides aminés [1, 2]. Cette zone serait capable de détecter la forte diminution de la concentration sanguine en acides aminés consécutive à la consommation d’un tel régime. Jusqu’à récemment, le mécanisme moléculaire impliqué dans ce processus n’était pas connu. Des travaux récents ont identifié la protéine kinase GCN2 comme le senseur du déficit en acides aminés [3, 4]. Par rapport aux autres macro-nutriments, les acides aminés présentent deux caractéristiques qui rendent leur homéostasie particulièrement dépendante des apports nutritionnels. D’une part, neuf des vingt acides aminés utilisés pour la synthèse protéique sont indispensables, c’est-à-dire que, dans des conditions physiologiques normales, l’organisme d’un adulte en bonne santé n’est pas capable de les synthétiser. D’autre part, il n’existe pas de système spécialisé pour le stockage des acides aminés (équivalent de celui du glycogène dans le foie ou des triglycérides du tissu adipeux). De ce fait, l’ingestion régulière d’un apport protéique équilibré en acides aminés est indispensable. Dans le cas d’une insuffisance d’apport nutritionnel pour un ou plusieurs acide(s) aminé(s) indispensable(s), des mécanismes adaptatifs physiologiques seront mis en route. Ils vont impliquer la modification de l’expression de gènes spécifiques. Plusieurs voies de signalisation permettant aux organismes de détecter des variations de concentration en acides aminés ont d’abord été décrites chez la levure. Par la suite, des voies homologues ont été retrouvées chez les mammifères. Nos laboratoires ont été particulièrement impliqués dans l’identification de la voie de signalisation passant par la protéine kinase GCN2 et le facteur de transcription ATF4 [5-7]. L’activité enzymatique de GCN2 est inductible par une carence en acides aminés indispensables. En effet, GCN2 possède un domaine homologue de l’histidyl-ARNt synthétase lui permettant de se lier aux ARN de transfert non chargés [8]. Il résulte de cette liaison un changement conformationnel permissif pour l’activité kinase. Le seul substrat de GCN2 connu à l’heure actuelle est la sous-unité α du facteur d’initiation de la traduction eIF2. La phosphorylation de eIF2α va avoir pour conséquence une inhibition de la formation du complexe d’initiation de la traduction entraînant une forte inhibition de la synthèse protéique. En parallèle, grâce à une structure particulière de sa région 5’ non-traduite, la traduction du messager du facteur de transcription ATF4 est augmentée [9, 10]. ATF4 peut alors induire la transcription de gènes cibles possédant dans leur promoteur des éléments de réponse aux acides aminés (amino acid response element, AARE). Nous avons émis l’hypothèse selon laquelle la protéine kinase GCN2 pourrait …
Parties annexes
Références
- 1. Leung PM, Rogers QR. Importance of prepyriform cortex in food-intake response of rats to amino acids. Am J Physiol 1971 ; 221 : 929-35.
- 2. Gietzen, DW. Neural mechanisms in the responses to amino acid deficiency. J Nutr 1993 ; 123 : 610-25.
- 3. Maurin AC, Jousse C, Averous J, et al. The GCN2 kinase biases feeding behavior to maintain amino acid homeostasis in omnivores. Cell Metab 2005 ; 1 : 273-7.
- 4. Hao S, Sharp JW, Ross-Inta CM, et al. Uncharged tRNA and sensing of amino acid deficiency in mammalian piriform cortex. Science 2005 ; 307 : 1776-8.
- 5. Averous J, Bruhat A, Jousse C, et al. Induction of CHOP expression by amino acid limitation requires both ATF4 expression and ATF2 phosphorylation.J Biol Chem 2004 ; 279 : 5288-97.
- 6. Bruhat A, Jousse C, Carraro V, et al. Amino acids control mammalian gene transcription: activating transcription factor 2 is essential for the amino acid responsiveness of the CHOP promoter. Mol Cell Biol 2000 ; 20 : 7192-204.
- 7. Harding HP, Novoa I, Zhang Y, et al. Regulated translation initiation controls stress-induced gene expression in mammalian cells. Mol Cell 2000 ; 6 : 1099-108.
- 8. Dong J, Qiu H, Garcia-Barrio M, et al. Uncharged tRNA activates GCN2 by displacing the protein kinase moiety from a bipartite tRNA-binding domain. Mol Cell 2000 ; 6 : 269-79.
- 9. Lu PD, Harding HP, Ron D. Translation reinitiation at alternative open reading frames regulates gene expression in an integrated stress response. J Cell Biol 2004 ; 167 : 27-33.
- 10. Vattem KM, Wek RC. Reinitiation involving upstream ORFs regulates ATF4 mRNA translation in mammalian cells. Proc Natl Acad Sci USA 2004 ; 101 : 11269-74.