Un vent nouveau souffle sur l’oncologie médicale depuis que le concept de thérapie moléculaire ciblée (TMC) a été validé dans la leucémie myéloïde chronique (LMC). Ce modèle de développement thérapeutique a suivi une chronologie intéressante : mise en évidence d’une translocation spécifique de la maladie (chromosome philadelphie) puis d’une protéine hybride transformante pour la cellule (bcr-abl), identification de l’activité tyrosine kinase de cette protéine et synthèse d’un antagoniste (imatinib), efficace et bien toléré en préclinique, conduisant à des résultats spectaculaires dans les essais de phase III avec l’induction de rémissions complètes de longue durée chez les patients [1] ((→) m/s 2000, n° 5, p. 704). Malheureusement, rares sont les tumeurs solides de l’adulte dans lesquelles des anomalies aussi précoces et fondamentales que le chromosome philadelphie de la LMC sont identifiées. Le développement des TMC est, dans ce domaine, plus lent et moins significatif et leur efficacité souvent liée à un paramètre clé : la sélection des malades sensibles. Ainsi le trastuzumab (Herceptin®), un anticorps ayant obtenu l’AMM (autorisation de mise sur le marché) pour le traitement du cancer du sein métastatique, n’est efficace qu’en cas de surexpression par les cellules tumorales du récepteur qu’il cible, HER2. Le cancer bronchique dans sa forme non à petites cellules (CBNPC) est le cancer le plus meurtrier chez l’homme en France [2]. Le rôle de la chimiothérapie est majeur, dans la prise en charge des patients atteints de cancers avancés (soit 85 % des cas) comme dans le traitement adjuvant des patients opérés [3]. Cependant, les schémas actifs de chimiothérapie conventionnelle sont équivalents en terme d’efficacité, et c’est vers les TMC que se porte ici aussi l’espoir de franchir un palier thérapeutique important [4]. Le récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR ou HER1), surexprimé dans 40 à 80 % des CBNPC, a très tôt été considéré comme une cible thérapeutique d’intérêt et il a fait l’objet de développement de nombreuses molécules de type TMC [5]. Les avancées les plus sensibles concernent deux principales stratégies de blocage de l’EGFR : structurelle, par un anticorps (par exemple le cetuximab), ou fonctionnelle par un inhibiteur de son activité tyrosine kinase comme le gefitinib (Iressa®). Le gefitinib a cristallisé les espoirs et les doutes sur l’efficacité des TMC dans les tumeurs solides [6]. Initialement, deux grandes études de phase II ont montré que le gefitinib en monothérapie était efficace chez un nombre limité de patients prétraités (19 % pour l’étude japonaise, et 12 % dans la population caucasienne de la seconde étude) mais parfois de façon spectaculaire et ce, même en troisième ligne thérapeutique [7, 8]. Environ 30 % des patients présentent une stabilisation de leur maladie associée à une amélioration symptomatique. La faible proportion de patients sensibles au gefitinib explique en partie l’échec des études de phase III ; celles-ci n’ont pas montré de bénéfice en terme de survie à l’adjonction du gefitinib aux schémas de chimiothérapie conventionnelle validés pour les CBNPC avancés [9, 10]. Un profil clinique et pathologique des patients répondeurs au gefitinib a pu être établi (sexe féminin, absence de tabagisme, adénocarcinome). De façon surprenante, la surexpression de l’EGFR n’est pas un facteur prédictif de réponse au gefitinib, et aucune corrélation n’a pu être faite avec l’expression ou l’activation des relais intracellulaires d’EGFR. La définition d’un profil biologique de sensibilité passait peut-être par une étude qualitative et non pas quantitative de l’EGFR, comme le suggèrent deux études récentes [11, 12]. J.G. Paez et al. ont séquencé le récepteur EGFR dans 119 tumeurs pulmonaires primitives [12]. Ils ont mis en évidence 16 mutations hétérozygotes, toutes dans une région …
Parties annexes
Références
- 1. Druker BJ, Talpaz M, Resta DJ, et al. Efficacy and safety of a specific inhibitor of the Bcr-Abl tyrosine kinase in chronic myeloid leukemia. N Engl J Med 2001 ; 344 : 1031-7.
- 2. Hill C, Doyon F. Frequency of cancer in France : 2004 update. Bull Cancer 2004 ; 91 : 9-14.
- 3. IALT. Cisplatin-based adjuvant chemotherapy in patients with completely resected non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2004 ; 350 : 351-60.
- 4. Schiller JH, Harrington D, Belani CP, et al. Comparison of four chemotherapy regimens for advanced non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2002 ; 346 : 92-8.
- 5. Arteaga CL. ErbB-targeted therapeutic approaches in human cancer. Exp Cell Res 2003 ; 284 : 122-30.
- 6. Fayette J, Soria JC. Thérapies moléculaires ciblées : l’exemple de l’Iressa® (ZD1839). Med Sci (Paris) 2003 ; 19 : 1052-4.
- 7. Kris MG, Natale RB, Herbst RS, et al. Efficacy of gefitinib, an inhibitor of the epidermal growth factor receptor tyrosine kinase, in symptomatic patients with non-small cell lung cancer : a randomized trial. JAMA 2003 ; 290 : 2149-58.
- 8. Fukuoka M, Yano S, Giaccone G, et al. Multi-institutional randomized phase II trial of gefitinib for previously treated patients with advanced non-small-cell lung cancer. J Clin Oncol 2003 ; 21 : 2237-46.
- 9. Herbst RS, Giaccone G, Schiller JH, et al. Gefitinib in combination with paclitaxel and carboplatin in advanced non-small-cell lung cancer : a phase III trial-INTACT 2. J Clin Oncol 2004 ; 22 : 785-94.
- 10. Giaccone G, Herbst RS, Manegold C, et al. Gefitinib in combination with gemcitabine and cisplatin in advanced non-small-cell lung cancer : a phase III trial-INTACT 1. J Clin Oncol 2004 ; 22 : 777-84.
- 11. Lynch TJ, Bell DW, Sordella R, et al. Activating mutations in the epidermal growth factor receptor underlying responsiveness of non-small-cell lung cancer to gefitinib. N Engl J Med 2004 ; 350 : 2129-39.
- 12. Paez JG, Janne PA, Lee JC, et al. EGFR mutations in lung cancer : correlation with clinical response to gefitinib therapy. Science 2004 ; 304 : 1497-500.