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Loin d’être d’origine militaire, le nom de warfarin(e) provient du soutien décisif de la Wisconsin Alumni Research Foundation dans la mise au point d’un médicament pris quotidiennement par des millions de personnes dans le monde. Il s’agit cependant bien du même principe actif que celui contenu dans ce qui est communément appelé la « mort aux rats ». La warfarine est un dérivé de la coumarine qui, découverte fortuitement dans les années 1920, cible l’enzyme vitamine K époxyde réductase (VKOR). L’existence de la VKOR était établie depuis 1974, puisque c’est un élément crucial du cycle de la vitamine K (Figure 1), mais ni la protéine ni son gène n’avaient encore été identifiés. Plus qu’un cofacteur, la vitamine K est le cosubstrat d’une γ-glutamyl carboxylase qui, en la consommant, relâche son époxyde. La quantité de vitamine K apportée par l’alimentation étant limitée, il est impératif de recycler cet époxyde en vitamine K réduite, à nouveau disponible pour la γ-glutamyl carboxylase, et c’est cette réaction qu’accomplit la VKOR (Figure 1). La fonction de la γ-glutamyl carboxylase [1] est de transformer en acide γ-carboxy-glutamique les neuf à douze glutamates du domaine amino-terminal de cinq proenzymes (les facteurs VII, IX, X, la prothrombine, et la protéine C) et d’un cofacteur (la protéine S), qui, synthétisés par les hépatocytes, sont tous essentiels pour l’hémostase (Figure 2) [2, 3]. D’autres protéines, dont le rôle n’est pas toujours bien défini, subissent cette modification post-traductionnelle : la protéine Z également d’origine hépatique, l’ostéocalcine impliquée dans le métabolisme osseux, la protéine anti-apoptotique Gas6 exprimée par de nombreuses cellules, et deux protéines transmembranaires dites « riches en prolines » exprimées dans la moelle épinière et la thyroïde. La γ-glutamyl carboxylase reconnaît ses cibles grâce à une séquence particulière portée par le propeptide de toutes les protéines qui subissent cette modification post-traductionnelle et qui sont dites « vitamine K dépendantes ». En bloquant la VKOR, la Warfarine interrompt le cycle de la vitamine K, avec comme conséquence l’arrêt de la γ-carboxylation de ces protéines [4]. En l’absence de cette modification post-traductionnelle, les protéines continuent d’être synthétisées et sécrétées, mais elles ne sont pas pleinement fonctionnelles. Plus précisément, l’absence de γ-carboxylation fait perdre aux cinq proenzymes de la cascade de la coagulation leur capacité d’adhérer à la surface des plaquettes sanguines. Le mécanisme moléculaire de cette interaction repose sur la formation, par les acides γ-carboxy-glutamiques, de sites de liaison au calcium. Le domaine amino-terminal de ces proenzymes acquiert une conformation adéquate qui lui permet d’adhérer aux plaquettes. Sans arrimage aux plaquettes, la cascade de la coagulation est un petit ruisseau car l’activation des proenzymes en enzymes est très lente. En effet, l’arrimage des facteurs de la coagulation aux plaquettes concentre les activités enzymatiques, ce qui permet l’amplification phénoménale du signal moléculaire initial. Sans activation massive des proenzymes, la formation du caillot est trop lente pour colmater une brèche vasculaire. De fait, c’est d’hémorragie interne que les rongeurs meurent après avoir consommé de la mort aux rats. Toutefois, certains rongeurs résistent à la warfarine [5], et plusieurs cas de résistance ont été décrits chez l’homme [6] ; on peut y ajouter trois cas humains de déficience en VKOR. Sans entrer dans le détail, le gène codant pour la VKOR a été localisé dans une région du génome comprenant 190 séquences potentiellement codantes, et située sur le chromosome 16 chez l’homme, 1 chez le rat et 7 chez la souris. En ne tenant compte que des séquences qui codaient pour une protéine transmembranaire, catégorie dans laquelle on rangeait la VKOR présente dans le réticulum endoplasmique, le nombre de gènes candidats se réduisait à 13. Il était troublant de constater que la résistance à la Warfarine et la déficience en VKOR semblaient résulter d’anomalies dans des régions orthologues chez l’homme, le rat, et la souris. En faisant le pari a priori risqué que la résistance à la Warfarine résultait également d’une mutation de la VKOR, il devenait techniquement possible d’isoler son gène. Effectivement, deux études parues récemment dans Nature ont formellement identifié la VKOR, du moins son composant essentiel [7, 8]. Toutes deux sont directement issues des possibilités qu’offre aujourd’hui la génomique. La première, qui émane de laboratoires européens, a démasqué le gène codant pour la VKOR en comparant systématiquement les exons issus de phénotypes normaux, déficients, ou résistants à la warfarine, chez l’homme, le rat, et la souris [7]. Cette étude a également fourni la première explication moléculaire d’un mécanisme de résistance à la warfarine : la VKOR mutée est moins efficace que son homologue normal, et elle est relativement insensible à la Warfarine. La deuxième étude, en provenance des Etats-Unis, n’a pas tiré parti de l’analyse des patients, mais a utilisé la technique d’interférence par ARN pour spécifiquement et systématiquement éteindre l’expression de chacun des treize ARNm candidats dans des cellules (lignée A549 de carcinome du poumon) exprimant fortement la VKOR et sensibles à la Warfarine [8]. Les deux études arrivent à la même conclusion : la VKOR est une petite protéine transmembranaire de 163 acides aminés n’appartenant à aucune famille de protéines connue. Dans les deux articles, l’identification formelle de la VKOR a été faite en conférant à des cellules, par la transfection de l’ADNc codant pour la protéine candidate, la capacité de retransformer son époxyde en vitamine K. Que cette molécule soit seule en cause, ou fasse partie d’un complexe protéique plus important comme on le suspecte, n’est pas encore déterminé, mais quoiqu’il en soit, elle a un rôle déterminant. Cette découverte ouvre la voie à la caractérisation du mécanisme moléculaire de cette enzyme, mais aussi à la création de nouveaux antagonistes de la vitamine K, et à un crible moléculaire plus complet des mutations conduisant à une anomalie du fonctionnement du cycle de la vitamine K.
Parties annexes
Références
- 1. Wu SM, Cheung WF, Frazier D, Stafford DW. Cloning and expression of the cDNA for human gamma-glutamyl carboxylase. Science 1991 ; 254 : 1634-6.
- 2. Dahlback B. Blood coagulation. Lancet 2000 ; 355 : 1627-32.
- 3. Mann KG, Nesheim ME, Church WR, et al. Surface-dependent reactions of the vitamin K-dependent enzyme complexes. Blood 1990 ; 76 : 1-16.
- 4. Bell RG. Metabolism of vitamin K and prothrombin synthesis: anticoagulants and the vitamin K-epoxide cycle. Fed Proc 1978 ; 37 : 2599-604.
- 5. Kohn MH, Pelz HJ. A gene-anchored map position of the rat warfarin-resistance locus, Rw, and its orthologs in mice and humans. Blood 2000 ; 96 : 1996-8.
- 6. Fregin A, Rost S, Wolz W, et al. Homozygosity mapping of a second gene locus for hereditary combined deficiency of vitamin K-dependent clotting factors to the centromeric region of chromosome 16. Blood 2002 ; 100 : 3229-32.
- 7. Rost S, Fregin A, Ivaskevicius V, et al. Mutations in VKORC1 cause warfarin resistance and multiple coagulation factor deficiency type 2. Nature 2004 ; 427 : 537-41.
- 8. Li T, Chang CY, Jin DY,et al. Identification of the gene for vitamin K epoxide reductase. Nature 2004 ; 427 : 541-4.
- 9. Sadler JE. Medicine : K is for coagulation. Nature 2004 ; 427 : 493.