Corps de l’article
Il y a maintenant dix ans, le groupe de V. Ambros décrivait lin-4, un gène de C. elegans ne codant pas pour une protéine mais pour un ARN d’environ 21-23 nucléotides (nt) dont l’invalidation affectait de façon très importante le développement du ver [1]. D’abord perçu comme « une bizarrerie » propre à C. elegans, des petits ARN apparentés à lin-4 sont maintenant décrits aussi bien chez A. thaliana (~ 20), D. melanogaster (~ 70), C. elegans (~ 100), M. musculus (~ 120), H. sapiens (~ 130). De façon remarquable, certains d’entre eux sont très conservés au cours de l’évolution, suggérant une fonction biologique importante. Les membres de cette nouvelle classe d’ARN n’ayant pas de fonction codante ont été collectivement appelés microARN ou miARN. Bien que notre connaissance de l’étendue de ce microcosme d’ARN soit encore balbutiante, on estime actuellement qu’il en existe au minimum 250 chez l’homme, un nombre correspondant à ~ 1 % de l’ensemble des gènes codant pour des protéines et identifiés à ce jour (pour revue, voir [2, 3]).
Les mécanismes moléculaires de la biosynthèse des miARN sont relativement bien compris. Apparemment, tous les miARN sont synthétisés sous forme d’ARN précurseurs de grande taille dont la maturation fait intervenir au moins deux protéines apparentées à l’ARNase III : Drosha et Dicer [4, 5] ((→) m/s 2004, n° 1, p. 26). Drosha intervient initialement dans le nucléoplasme, où elle convertit un transcrit primaire (ou pri-miARN) en une structure en épingle à cheveux irrégulière d’environ 70 nt (ou pré-miARN). Ce pré-miARN est par la suite pris en charge par Dicer qui façonne un intermédiaire de maturation transitoire, nommé miARN:miARN*, dont un seul des deux brins formera le microARN mature (généralement c’est le brin dont l’extrémité 5’ est la plus faiblement appariée) [6, 7]. D’autres facteurs participent vraisemblablement à la biosynthèse des miARN, notamment l’exportine 5 qui assure le transport nucléocytoplasmique du pré-miARN (Figure 1). La biosynthèse des miARN n’est donc pas sans rappeler celle des petits ARN interférents (ou siARN) impliqués dans les phénomènes d’ARN interférence (ou ARNi) qui, eux aussi, sont produits par Dicer à partir de longs ARN double-brins [8].
Les miARN, une fois libérés des pré-miARN, ou au cours de leur processus de maturation à partir du pré-miARN, interagissent avec des protéines spécifiques pour former un complexe ribonucléoprotéique stable nommé RISC-miRNP (RNA-induced silencing complex-micro-ribonucleoprotein). Au sein de ce complexe, le miARN, par un jeu d’appariement de bases, interagit avec des ARNm. Les modalités d’action de RISC-miRNP sont relativement mal comprises, mais semblent contrôlées par la qualité du duplex miARN:ARNm mis en jeu. Si cette complémentarité est parfaite, RISC-miRNP induit alors un clivage au milieu de l’hybride miARN:ARNm entraînant la dégradation rapide de l’ARNm. Ainsi, non seulement les miARN partagent la même voie de biosynthèse que les siARN mais, tout comme eux, ils peuvent aussi promouvoir l’ARN interférence. En revanche, si cette complémentarité est irrégulière (présence dans le duplex de nucléotides non appariés), on observe alors l’inhibition de la traduction de l’ARNm cible sans pour autant que sa stabilité soit affectée. De tels appariements imparfaits prennent place généralement dans la région 3’ non traduite des ARNm (ou 3’UTR) et les mécanismes moléculaires du blocage de la traduction restent à élucider (Figure 1).
Alors que leur nombre ne cesse de croître, la fonction biologique des miARN est très mal comprise. Chez les plantes, nombreux sont les miARN présentant des complémentarités parfaites avec des ARNm ; c’est notamment le cas de ceux codant pour des facteurs de transcription impliqués dans le développement [9]. En revanche, chez les métazoaires, la recherche des gènes que contrôlent les miARN reste plus problématique. À l’exception de miR-127 et miR-136, dont on soupçonne l’implication dans l’extinction de l’expression d’un gène soumis à l’empreinte génomique parentale [10] (Tableau I), aucun des miARN identifiés à ce jour ne présente de complémentarité parfaite avec des ARNm cellulaires. Il est donc probable que la majorité de ces miARN interviennent dans l’inhibition de la traduction plutôt que pour promouvoir l’ARNi, au contraire de ce qui se passe chez les plantes. C’est par exemple le cas pour lin-4 et let-7 qui inhibent la traduction des ARNm des gènes hétérochroniques[1] (lin-14, lin-28, lin-41 et lin-57), qui sont requis pour les transitions temporelles des stades larvaires au cours du développement du ver [11]. De même, la mise en place de l’asymétrie neuronale (droite-gauche) chez C. elegans fait aussi intervenir le miARN lsy dont la cible est l’ARNm cog [12]. Chez la drosophile, plusieurs miARN (miR-14, bantam, miR-2) contrôlent la prolifération et/ou la différenciation cellulaires en modulant notamment l’expression de gènes proapoptotiques comme hid(Tableau I) [13]. Chez les mammifères, bien que sa cible reste à identifier, miR-181 interviendrait lors du processus de différenciation hématopoïétique [14]. Il ne faut pas non plus écarter l’hypothèse d’un dérèglement de l’expression des miARN dans les processus d’oncogenèse, et certaines translocations chromosomiques associées à des leucémies affectent des locus géniques comportant les gènes miR-142, miR-15, miR-16, miR-155 (pour revue, voir [15, 16]).
Identifier le répertoire complet des ARNm cibles des miARN représente un réel défi - à la fois expérimental et conceptuel - car les appariements imparfaits mis en jeu lors du blocage de la traduction sont difficiles à caractériser, et même si certains ARNm cibles ont été récemment prédits par des approches in silico [17-19], il convient maintenant de développer des approches biochimiques et génétiques pour valider formellement ces interactions. De plus, un même miARN peut intervenir sur des ARNm différents ; l’inverse est également vrai, une même région 3’UTR peut se lier à plusieurs miARN différents. Appréhender cette combinatoire d’interactions ARN:ARN et les réseaux de régulation sous-jacents ajoute un autre niveau de complexité qu’il faudra décrypter pour apprécier pleinement la fonction biologique de cette nouvelle famille d’ARN non codants. Des phénomènes épigénétiques de « mise en veille » de gènes faisant intervenir des mécanismes apparentés à l’ARNi ont été récemment décrits, notamment chez les plantes et S. pombe [20, 21]. L’intervention de miARN dans de tels processus chez les vertébrés reste une question ouverte qu’il conviendra aussi d’éclaircir. En conclusion, la découverte des miARN - et plus généralement celle de la machinerie de l’ARNi - a révolutionné notre vision du contrôle de l’expression des gènes et nous rappelle, s’il en était encore besoin, que l’étude du monde fascinant des ARN non codants ne fait que commencer…
Parties annexes
Note
-
[1]
Les hétérochronies se définissent comme les changements qui affectent les périodes et les durées des stades de développement.
Références
- 1. Lee RC, Feinbaum RL, Ambros V. The C. elegans heterochronic gene lin-4 encodes small RNAs with antisense complementarity to lin-14. Cell 1993 ; 75 : 843-54.
- 2. Lai EC. microRNAs : runts of the genome assert themselves. Curr Biol 2003 ; 13 : R925-36.
- 3. Bartel DP. MicroRNAs : genomics, biogenesis, mechanism, and function. Cell 2004 ; 116 : 281-97.
- 4. Hutvagner G, McLachlan J, Pasquinelli AE, et al. A cellular function for the RNA-interference enzyme Dicer in the maturation of the let-7 small temporal RNA. Science 2001 ; 293 : 834-8.
- 5. Lee Y, Ahn C, Han J, et al. The nuclear RNase III Drosha initiates microRNA processing. Nature 2003 ; 425 : 415-9.
- 6. Schwarz DS, Hutvagner G, Du T, et al. Asymmetry in the assembly of the RNAi enzyme complex. Cell 2003 ; 115 : 199-208.
- 7. Khvorova A, Reynolds A, Jayasena SD. Functional siRNAs and miRNAs exhibit strand bias. Cell 2003 ; 115 : 209-16.
- 8. Brondani V, Kolb F, Billy E. ARN interférence dans les cellules de mammifères. Med Sci (Paris) 2002 ; 18 : 665-7.
- 9. Rhoades MW, Reinhart BJ, Lim LP, et al. Prediction of plant microRNA targets. Cell 2002 ; 110 : 513-20.
- 10. Seitz H, Youngson N, Lin SP, et al. Imprinted microRNA genes transcribed antisense to a reciprocally imprinted retrotransposon-like gene. Nat Genet 2003 ; 34 : 261-2.
- 11. Banerjee D, Slack F. Control of developmental timing by small temporal RNAs : a paradigm for RNA-mediated regulation of gene expression. Bioessays 2002 ; 24 : 119-29.
- 12. Johnston RJ, Hobert O. A microRNA controlling left/right neuronal asymmetry in Caenorhabditis elegans. Nature 2003 ; 426 : 845-9.
- 13. Brennecke J, Hipfner DR, Stark A, et al. Bantam encodes a developmentally regulated microRNA that controls cell proliferation and regulates the proapoptotic gene hid in Drosophila. Cell 2003 ; 113 : 25-36.
- 14. Chen CZ, Li L, Lodish HF, Bartel DP. MicroRNAs modulate hematopoietic lineage differentiation. Science 2004 ; 303 : 83-6.
- 15. McManus MT. MicroRNAs and cancer. Semin Cancer Biol 2003 ; 13 : 253-8.
- 16. Calin GA, Sevignani C, Dumitru CD, et al. Human microRNA genes are frequently located at fragile sites and genomic regions in cancers. Proc Natl Acad Sci USA 2004 ; 101 : 2999-3004.
- 17. Lewis BP, Shih IH, Jones-Rhoades MW, et al. Prediction of mammalian microRNA targets. Cell 2003 ; 115 : 787-98.
- 18. Enright AJ, John B, Gaul U, et al. MicroRNA targets in Drosophila. Genome Biol 2003 ; 5 : R1.
- 19. Stark A, Brennecke J, Russell RB, et al. Identification of Drosophila microRNA targets. PLoS Biol 2003 ; 1 : E60.
- 20. Grewal SI, Moazed D. Heterochromatin and epigenetic control of gene expression. Science 2003 ; 301 : 798-802.
- 21. Aufsatz W, Mette MF, van der Winden J, et al. RNA-directed DNA methylation in Arabidopsis. Proc Natl Acad Sci USA 2002 ; 99 (suppl 4) : 16499-506.