Selon Snoopy, les grandes idées ne nous viennent que sur le toit de notre niche... C’est aussi l’avis des cellules souches hématopoïétiques (CSH): sorties de leur contexte tissulaire in vivo, elles refusent souvent obstinément de se diviser et perdent leur potentiel à notre grand désespoir. L’alibi facile est d’attribuer cet échec à la difficulté qu’il y a à reconstituer in vitro la complexité de la «niche» tissulaire où évoluent ces cellules souches, intrication complexe, et probablement très fluctuante, de contacts cellulaires et de molécules sécrétées. C’est à Mike Dexter que revient le mérite d’avoir en 1977 établi in vitro une «niche hématopoïétique» constituée des cellules adhérentes (dites «stromales») issues du prélèvement de moelle osseuse [1]. Ces cellules associent myofibroblastes, cellules endothéliales, fibroblastes, leur matrice extracellulaire, et un halo de protéoglycanes et de glycosaminoglycanes auxquels s’adsorbent des cytokines et autres molécules régulatrices. Certains progéniteurs, proches par leur fonction des cellules souches (et appelés LTC-IC, long-term culture initiating cells), ont adopté ce «microenvironnement», dans lequel ils se «nichent», s’autorenouvellent et se différencient pendant plusieurs mois chez la souris, mais seulement 8-12 semaines chez l’homme, d’où le nom de cultures à long terme donné à ce système de culture [2]. Mais 20 ans après les travaux de M.Dexter, en dépit d’un nombre considérable de travaux, on ne connaît toujours pas précisément le mélange d’ingrédients qui fait de cet environnement le support indispensable à l’expression des propriétés des CSH. Des molécules comme Wnta, les ligands des récepteurs Notch, certains composants de la matrice extracellulaire, certaines cytokines transmembranaires (ligand de FLT-3, SCF [stem cell factor], FGF [fibroblast growth factor], thrombopoïétine), des molécules d’adhérence, ont été individuellement identifiées comme des régulateurs importants de ces LTC-IC ou des cellules souches identifiées in vivo, mais leur contribution respective, leur cinétique d’expression dans un réseau tridimensionnel extrêmement complexe et très fluctuant, sont inconnues. Certains, dont Pierre Charbord [3], se sont récemment attachés à définir le profil transcriptionnel de cellules stromales «compétentes» et à le comparer à celui de cellules stromales inefficaces, mais de même qu’aucun gène spécifique ne permet de définir une cellule souche, aucun gène spécifique - mais plutôt les modifications d’un groupe de gènes - ne permet de distinguer une bonne «niche» d’une mauvaise niche. Deux articles publiés récemment dans Nature [4, 5] attribuent aux cellules osseuses ostéoblastiques (rarement incluses dans les populations cultivées in vitro) un rôle primordial in vivo dans la régulation du nombre des CSH. Le grand intérêt de ces articles est que l’analyse du microenvironnement est faite in vivo, grâce à l’exploitation de modèles murins génétiques, et il s’y associe une étude histologique très détaillée des modifications identifiées. On sait depuis longtemps que la répartition des CSH ne se fait pas au hasard dans les os longs (voir Figure1): elles sont préférentiellement localisées au contact des lamelles osseuses en formation, issues des ostéoblastes, et qui après leur minéralisation formeront l’os compact [6] (Figure 1B, C). Les précurseurs plus matures migrent vers les vaisseaux de la cavité médullaire centrale dans lesquels ils sont relargués en fin de maturation [7, 8]. Les cellules souches dont il est question dans ces articles sont définies par leur phénotype, Lin-Sca1+c-kit+, par leur cycle cellulaire lent, comme l’atteste la rétention du BrdU, mais surtout par leur capacité de reconstituer à long terme l’hématopoïèse d’une souris irradiée létalement. Le nombre de CSH peut être défini avec précision dans des expériences de reconstitution effectuées avec des nombres décroissants de cellules (dilution limite). Les deux équipes ont utilisé la même stratégie: induction d’une variation du nombre d’ostéoblastes …
Parties annexes
Références
- 1. Dexter TM, Allen TD, Lajtha LG. Conditions controlling the proliferation of haemopoietic stem cells in vitro. J Cell Physiol 1977; 91: 335-44.
- 2. Coulombel L, Eaves AC, Eaves CJ. Enzymatic treatment of long-term human marrow cultures reveals the preferential location of primitive hemopoietic progenitors in the adherent layer. Blood 1983; 62: 291-7.
- 3. Hackney JA, Charbord P, Brunk BP, Stoeckert CJ, Lemischka IR, Moore KA. A molecular profile of a hematopoietic stem cell niche. Proc Natl Acad Sci USA 2002; 99: 13061-6.
- 4. Zhang J, Niu C, Ye L, et al. Identification of the haematopoietic stem cell niche and control of the niche size. Nature 2003; 425: 836-41.
- 5. Calvi LM, Adams GB, Weibrecht KW, et al. Osteoblastic cells regulate the haematopoietic stem cell niche. Nature 2003; 425: 841-6.
- 6. Ducy P. Contrôle génétique de la squelettogenèse. Med Sci (Paris) 2001; 17: 1242-51.
- 7. Nilsson SK, Johnston HM, Coverdale JA. Spatial localization of transplanted hemopoietic stem cells: inferences for the localization of stem cell niches. Blood 2001; 97: 2293-9.
- 8. Lord BI, Wright EG. Spatial organisation of CFU-S proliferation regulators in the mouse femur. Leuk Res 1984; 8: 1073-83.
- 9. Spradling A, Drummond-Barbosa D, Kai T. Stem cells find their niche. Nature 2001; 414: 98-104.
- 10. Maillard I, Adler SH, Pear WS.Notch and the immune system.Immunity 2003; 19: 781-91.
- 11. Tulina N, Matunis E.Control of stem cell self-renewal in Drosophila spermatogenesis by JAK-STAT signaling.Science 2001; 294: 2546-9.