Tous les organismes vivants croissent. Ils trouvent dans leur environnement des substances nutritives, les ingèrent, se développent et prolifèrent. Mais la qualité nutritive de l’environnement peut changer, obligeant les organismes à percevoir ces variations et à y répondre. Ainsi, les levures règlent leur croissance en fonction de la disponibilité en nutriments dans le milieu extracellulaire, via un module de signalisation remarquablement conservé faisant intervenir la protéine kinase TOR (target of rapamycin) [1]. La même kinase TOR est inhibée dans les cellules de mammifères cultivées in vitro lorsqu’elles sont transférées dans un milieu ne contenant pas d’acides aminés, et la synthèse protéique est immédiatement arrêtée [2]. Ces mécanismes de régulation intrinsèques à la cellule sont clairement établis, cependant leur utilisation dans le contexte physiologique de la croissance d’un organisme composé de millions de cellules est encore largement inconnue. Chez les métazoaires, des circuits de régulations humorales, contrôlés par des molécules circulantes comme l’insuline ou les IGF (insulin-like growth factors) permettent d’harmoniser le métabolisme et la croissance des différents organes en fonction des conditions nutritionnelles. Nos travaux récents chez la drosophile font le lien entre ces deux modes de régulation et démontrent que la voie TOR est à l’origine d’un contrôle humoral de la croissance par la nutrition. Chez la drosophile, comme chez la plupart des insectes holométaboles, la taille de l’adulte ne varie pas et est déterminée par une période de croissance spectaculaire qui prend place au cours des stades larvaires. De fait, le développement de la larve de drosophile constitue un excellent modèle d’étude de la croissance [3]. La voie de signalisation de l’unique récepteur de l’insuline (dInR) et de la phosphatidylinositol-3-kinase (PI3K) contrôle la croissance et le métabolisme des deux types tissulaires qui constituent la larve : les tissus «imaginaux» qui prolifèrent, et les tissus endoréplicatifs dont les cellules grossissent sans se diviser [4]. Pendant la métamorphose au stade pupal, la plupart des tissus endoréplicatifs sont «histolysés» au profit des tissus imaginaux qui sont réorganisés pour former les structures de l’adulte. Le corps gras est un tissu endoréplicatif de la larve particulièrement sensible aux variations nutritionnelles [5]. Ce tissu dispersé remplit des fonctions équivalentes à celles du foie des mammifères, comme le stockage des protéines, des glucides et des lipides, mais il a aussi des fonctions endocrines. Nos expériences démontrent que le corps gras agit comme un senseur qui orchestre la croissance des autres tissus en fonction des conditions nutritionnelles [6]. Au cours d’un crible génétique entrepris pour rechercher des facteurs modifiant la croissance, nous avons identifié et caractérisé slimfast, un gène qui code pour un transporteur d’acides aminés. L’utilisation de lignées transgéniques exprimant un ARN interférent (ARNi) de façon inductible nous a permis d’inactiver la fonction de ce transporteur spécifiquement dans les cellules du corps gras, provoquant dans ces cellules un état de carence en acides aminés. De façon spectaculaire, cette carence ciblée entraîne un défaut de croissance de l’ensemble de la larve: la morphologie du corps gras est altérée, et la taille des tissus endoréplicatifs (corps gras inclus) est réduite. La croissance des tissus mitotiques formant les structures adultes est moins affectée, cependant la réduction de taille des adultes qui émergent peut atteindre 50 % (Figure 1). Ces effets sont similaires à ceux que l’on observe lors de carences nutritionnelles fortes ou chez les mutants dTOR [7, 8], et démontrent que le corps gras larvaire est le siège d’un mécanisme senseur de la nutrition. Afin de comprendre comment le corps gras répond aux variations nutritionnelles, nous avons analysé la voie de signalisation TOR, conservée chez la drosophile. L’utilisation de formes dominante-négatives de …
Parties annexes
Références
- 1. Jacinto E, Hall MN. Tor signalling in bugs, brain and brawn. Nat Rev Mol Cell Biol 2003; 4 : 117-26.
- 2. Kimball SR, Jefferson LS. Regulation of translation initiation mammalian cells by amino acids. In: Sonenberg N, Mathews MB, eds. Translational control of gene expression. New York: Cold Spring Harbor Laboratory Press, 2000 : 561-79.
- 3. Garofalo RS. Genetic analysis of insulin signaling in Drosophila. Trends Endocrinol Metab 2002 ; 13 : 156-62.
- 4. Oldham S, Hafen E. Insulin/IGF and target of rapamycin signaling: a TOR de force in growth control. Trends Cell Biol 2003 ; 13 : 79-85.
- 5. Britton JS, Edgar BA. Environmental control of the cell cycle in Drosophila: nutrition activates mitotic and endoreplicative cells by distinct mechanisms. Development 1998 ; 125 : 2149-58.
- 6. Colombani J, Raisin S, Pantalacci S, Radimerski T, Montagne J, Léopold P. A nutrient sensor mechanism controls Drosophila growth. Cell 2003 ; 114 : 739-49.
- 7. Oldham S, Montagne J, Radimerski T, Thomas G, Hafen E. Genetic and biochemical characterization of dTOR, the Drosophila homolog of the target of rapamycin. Genes Dev 2000 ; 14 : 2689-94.
- 8. Zhang H, Stallock JP, Ng JC, Reinhard C, Neufeld TP. Regulation of cellular growth by the Drosophila target of rapamycin dTOR. Genes Dev 2000 ; 14 : 2712-24.
- 9. Brogiolo W, Stocker H, Ikeya T, Rintelen F, Fernandez R, Hafen E. An evolutionarily conserved function of the Drosophila insulin receptor and insulin-like peptides in growth control. Curr Biol 2001 ; 11 : 213-21.
- 10. Rulifson E J, Kim SK, Nusse R. Ablation of insulin-producing neurons in flies: growth and diabetic phenotypes. Science 2002 ; 296 : 1118-20.
- 11. Boisclair YR, Rhoads RP, Ueki I, Wang J, Ooi GT. The acid-labile subunit (ALS) of the 150 kDa IGF-binding protein complex: an important but forgotten component of the circulating IGF system. J Endocrinol 2001 ; 170 : 63-70.