Résumés
Résumé
De l’oeil de drosophile au muscle de souris, l’histoire des gènes Six est intimement liée à celle des gènes Pax, Eya et Dach. Le premier membre de la famille, cloné chez la drosophile, a été baptisé sine oculis en raison de son rôle dans le développement oculaire, au cours duquel il agit en synergie avec les gènes eyeless (famille Pax), eyes absent (famille Eya) et dachshund (famille Dach). Des résultats récents semblent indiquer que les mécanismes décrits chez la drosophile ont été conservés au cours de l’évolution, pour la différenciation de l’oeil de vertébré, comme pour d’autres types de différenciation : Six1, notamment, semble être un acteur majeur de la myogenèse et participe au développement d’organes tels que les reins, le thymus ou l’oreille interne. Ces différentes fonctions sont à corréler avec la présence de partenaires Pax, Eya et Dach spécifiques dans les nombreux territoires d’expression du gène ; elles soulignent également l’importance de ces combinaisons de facteurs pendant l’organogenèse.
Summary
It has become clear that during evolution, efficient molecular mechanisms are used over and over again to achieve various patterning tasks. The Six gene story illustrates a new aspect of the molecular conservation during embryogenesis. Members of the Six gene family have been identified on the basis of sequence homology with Drosophilasine oculis gene, which acts within a network of genes including eyeless (Pax family), eyes absent (Eya family) and dachshund (Dach family) to trigger compound eye organogenesis. Some aspects of the regulatory complex operating in Drosophila appear to be conserved during vertebrate eye patterning, but also for other differentiation processes. In this regard, Six1 is required nonetheless during myogenesis, but also for kidney, thymus, inner ear, nose, lacrimal and salivary gland organogenesis. These phenotypes are reminiscent of those previously described for Eya and Pax mutants, suggesting a functional link between these factors during mammalian organogenesis.
Corps de l’article
Au cours de l’évolution des espèces animales, des mécanismes moléculaires complexes sont apparus. Les plus efficaces ont été conservés au cours des générations, et souvent réutilisés pour accomplir de nouvelles fonctions. C’est le cas d’un certain nombre de voies de signalisation moléculaires (Wnt, Shh, BMP) et de mécanismes de régulation transcriptionnelle (Hox, Pax) impliqués au cours du développement embryonnaire. L’histoire des homéoprotéines Six et de leurs partenaires illustre un nouvel aspect de cette conservation moléculaire.
Les gènes Six (sine oculis homeobox) codent pour des facteurs de transcription ayant en commun deux domaines protéiques conservés : un homéodomaine divergent et un domaine Six, tous deux impliqués dans la reconnaissance de séquences spécifiques d’ADN. Le domaine Six participe également à des interactions protéiques avec les cofacteurs Eya (co-activateur) ou Groucho (corépresseur). Ces gènes ont été identifiés chez tous les organismes animaux où ils ont été recherchés, de la planaire à l’homme. On les trouve organisés en clusters (Figure 1, en bas à droite), et leurs homologies de séquence ont permis de distinguer trois sous-familles chez la drosophile comme chez les mammifères (respectivement 3 et 6 gènes) [1]. La conservation de ces gènes suggère qu’ils participent à des mécanismes essentiels à la survie des organismes.
En outre, des résultats récents indiquent qu’un dérèglement du gène Six1 est associé à certains types de cancers métastatiques (cancer du sein, tumeur de Wilms et rhabdomyosarcome) [2-4]. Ce gène pourrait donc non seulement contrôler la prolifération cellulaire, mais aussi participer à l’acquisition des propriétés invasives des cellules cancéreuses. Les caractéristiques des cellules métastatiques étant remarquablement similaires à celles des cellules embryonnaires, il est probable que l’exploitation des données obtenues au cours du développement devrait permettre de mieux comprendre les mécanismes contrôlant l’engagement des cellules dans un processus cancéreux ou métastatique.
Caractéristiques fonctionnelles des gènes Six de drosophile
Sine oculis
Le premier membre de la famille Six a été isolé chez la drosophile, et baptisé sine oculis (so) car l’absence de ce gène dans les disques imaginaux oculaires entraîne un développement anormal de l’oeil [5, 6]. So participe à l’organogenèse oculaire en collaboration avec les gènes eyeless (ey), eyes absent (eya) et dachshund (dac). Ces quatre gènes interviennent au cours de l’étape précoce de détermination oculaire et peuvent induire, de manière synergique, la formation d’un oeil ectopique lorsqu’ils sont surexprimés dans les disques imaginaux de l’antenne ou de la patte [7-9]. Non seulement des boucles de régulation positive relient génétiquement ces quatre gènes, mais leur synergie fonctionnelle semble reposer sur des interactions protéiques directes entre So et Eya, d’une part, et Eya et Dac, d’autre part [10].
Optix
Un deuxième gène, optix, a été cloné chez la drosophile par homologie de séquence avec le gène Six6/Optix2 de vertébré. Il est localisé sur le chromosome 2, à proximité du gène so [11]. Si les profils d’expression de ces deux gènes sont largement superposables dans le disque imaginal de l’oeil, leurs caractéristiques fonctionnelles semblent différentes : soit il existe une autre voie d’induction de la différenciation oculaire, parallèle à celle préalablement décrite impliquant ey, so, eya et dac, soit le gène optix agit en aval de cette boucle de régulation génétique.
D-Six4
Le troisième gène Six de drosophile, D-Six4, est exprimé au cours du développement dans les structures mésodermiques à l’origine des muscles striés squelettiques et de l’enveloppe somatique des gonades [12]. Des mutations ponctuelles de ce gène conduisent à une réduction de la taille des gonades et à des anomalies musculaires : tandis que certains muscles sont absents, d’autres sont présents mais ne s’attachent pas correctement à la cuticule. Enfin, la plupart des cellules musculaires apparaissent mononucléées, ce qui signifie que, chez la drosophile, la perte de fonction de D-Six4 est responsable d’un défaut de fusion des myoblastes en myotubes.
Fonctions des gènes Six chez les vertébrés
L’étude des profils d’expression des gènes Six au cours du développement embryonnaire chez les vertébrés a permis de proposer un certain nombre d’hypothèses concernant la fonction de ces gènes, hypothèses vérifiées ensuite par invalidation fonctionnelle ou surexpression du gène d’intérêt.
Six3/Six6
Les gènes du groupe Six3/Six6 (homologues de optix) sont exprimés très tôt au cours du développement embryonnaire, dans une région de la plaque neurale à l’origine du cerveau antérieur, des placodes optique et nasale. Plusieurs études réalisées chez des vertébrés inférieurs (zebra fish, medaka fish et xénope) ont montré que la surexpression des gènes Six3/Six6 peut induire un élargissement des yeux et du cerveau antérieur [13] et, dans certaines conditions, induire la formation de cristallin ou de rétine ectopique [14]. Dans ce dernier cas, la surexpression ectopique de Six3 induit l’expression de Pax6 là où se forme la rétine additionnelle.
Réciproquement, l’invalidation fonctionnelle de Six3 chez le medaka fish et chez la souris conduit à l’absence d’oeil et de cerveau antérieur, confirmant le rôle majeur joué par Six3 au cours de la différenciation de ces structures chez les vertébrés [15]. En absence de Six3, un certain nombre de facteurs (Wnt1, En2, Otx2, Pax3), normalement absents, sont exprimés dans le cerveau antérieur. Plus particulièrement, la protéine Six3 contrôlerait négativement l’expression de Wnt1 en se liant directement au niveau des séquences régulatrices de ce gène [15].
L’invalidation fonctionnelle de Six6 chez la souris n’est pas létale comme celle de Six3, mais conduit néanmoins à une hypoplasie hypophysaire et à une hypoplasie rétinienne (due à l’absence de nerf et de chiasma optique) [16]. In vitro, il a été montré que Dach1 interagit fortement avec Six6 et joue le rôle d’un corépresseur transcriptionnel de Six6 en transfection transitoire. De plus, le complexe Six6/Dach1 contrôlerait directement l’expression du gène p27Kip1 (codant pour un inhibiteur des kinases dépendantes des cyclines). Les hypoplasies observées apparaissent ici corrélées à un défaut de prolifération des cellules précurseurs [16]. Il est à noter cependant que l’invalidation fonctionnelle de Dach1 n’entraîne pas de défauts de prolifération, ni d’hypoplasie hypophysaire chez la souris [17], bien que les nouveau-nés meurent à la naissance pour une raison encore indéterminée [18].
Six4/Six5
Chez les vertébrés supérieurs, les gènes Six4 et Six5 sont exprimés dans de nombreux territoires au cours du développement (Figure 1) [19, 20]. L’invalidation fonctionnelle de ces gènes n’entraîne pas de défauts majeurs, mis à part une cataracte développée par les souris dont le gène Six5 est déficient [20-22]. Il est probable que ces deux gènes, qui codent pour des protéines fortement homologues et sont exprimés dans les mêmes territoires au cours du développement, aient des fonctions redondantes. L’analyse des souris dont les gènes Six4 et Six5 ont été invalidés permettra de s’affranchir de cette éventuelle compensation fonctionnelle et de définir plus précisément leurs fonctions.
Six1/Six2
Contrairement à leurs homologues de drosophile ou de planaire, les gènes Six1 et Six2 de vertébrés ne sont pas exprimés dans les territoires oculaires au cours du développement et ne semblent pas particulièrement impliqués dans la différenciation de l’oeil [23-25]. En revanche, Six1 est exprimé dans d’autres structures sensorielles, tant au niveau de la tête (placodes nasale et otique, ganglions crâniaux), que dans le reste du corps (ganglions dorsaux, ligne latérale). Chez la souris, le profil d’expression de Six1 est tout à fait comparable à celui de Six4 et de Six5, mais n’est que partiellement superposable à celui de Six2(Figure 1). Ces profils d’expression suggèrent un redéploiement de l’expression des gènes Six1/Six2 au cours de l’évolution, et leur participation à de multiples événements de différenciation.
En effet, l’invalidation fonctionnelle du gène Six1 chez la souris a révélé le rôle majeur de ce gène au cours de multiples processus de différenciation. En particulier, Six1 apparaît comme un acteur clé de la différenciation myogénique [26]. Les souris Six1-/- meurent à la naissance d’insuffisance respiratoire due à l’absence de diaphragme et à des malformations des côtes. Les nouveau-nés présentent une hypoplasie musculaire qui touche tous les muscles du corps (mais pas les muscles de la tête) et qui atteint plus spécifiquement certains muscles distaux, en particulier au niveau des membres. L’analyse des marqueurs myogéniques exprimés chez ces souris a permis d’établir le rôle tardif de Six1 au cours de la myogenèse primaire (Figure 2). Six1 participe également à l’organogenèse rénale et thymique, à la morphogenèse du squelette craniofacial et thoracique, ainsi qu’à la différenciation de l’oreille interne, de la cavité nasale et des glandes lacrymales et parotides [27-30]. Comme la plupart de ces défauts sont comparables à ceux décrits chez les souris dont le gène Eya1 a été invalidé (Figure 3) [31, 32], il est probable que Six1 et Eya1 agissent en synergie pour induire le développement de ces organes selon un mécanisme similaire à celui mis en évidence chez la drosophile au cours de l’organogenèse oculaire. Plus généralement, différentes combinaisons de gènes Pax, Six, Eya et Dach pourraient participer à de nombreux processus de différenciation.
Conservation et redéploiement des mécanismes moléculaires impliquant les gènes Pax, Six, Eya et Dach… au cours de la myogenèse
Les gènes Pax3, Six1, Eya2 et Dach2 sont co-exprimés dans les précurseurs myogéniques, au niveau des somites [33]. De plus, une synergie fonctionnelle entre les facteurs Six1 et Eya2, d’une part, et entre Eya2 et Dach2, d’autre part, a été rapportée pour l’induction de la différenciation myogénique chez le poulet [33]. En effet, dans un modèle de somites en culture primaire, la surexpression couplée de ces facteurs induit l’expression de marqueurs de différenciation myogénique tels que MyoD, myogénine et les chaînes lourdes de myosine (MyHC). Le promoteur du gène myogénine possède, en effet, un site MEF3 reconnu par les protéines Six et indispensable à son activité transcriptionnelle au cours du développement de la souris [34]. Par ailleurs, plusieurs combinaisons de facteurs Six et Eya sont capables de se lier au site MEF3 du promoteur myogénine et activent la transcription des gènes rapporteurs avec une efficacité variable [35, 36].
Dans l’hypothèse d’une conservation et d’un redéploiement des mécanismes moléculaires impliquant les facteurs Pax, Six, Eya et Dach, l’on s’attend à trouver des phénotypes comparables chez les mutants (Figure 3). De fait, les muscles les plus atteints des souris Six1-/- sont également ceux qui font défaut chez les mutants Splotch (mutants spontanés du gène Pax3) [26, 37]. Il semble donc que Six1 et Pax3 participent à la différenciation des mêmes masses musculaires distales. Néanmoins, Pax3 et Six1 ne contrôlent pas les mêmes étapes de cette voie de différenciation, Pax3 agissant en amont de Six1. En effet, chez les mutants Splotch, l’absence de muscles hypaxiaux résulte d’un défaut de migration précoce des précurseurs myogéniques [37]. Chez les mutants Six1, en revanche, la migration n’est pas affectée, mais l’étape ultérieure de différenciation des myoblastes est profondément altérée dans les territoires distaux [26].
… au cours d’autres événements d’organogenèse
Les mutations des gènes Pax2, Six1 et Eya1 conduisent à des défauts d’organogenèse rénale ainsi qu’à des défauts de différenciation de l’oreille interne. Ces phénotypes comparables suggèrent qu’une combinaison Six1-Eya1-Pax2 pourrait participer au développement du rein et de l’oreille (Figure 3) [27].
Des défauts de différenciation thymique et de développement du squelette craniofacial ont été décrits chez les mutants des gènes Pax1, Pax9, Six1 et Eya1, suggérant qu’une combinaison Pax1/9-Six1-Eya1 pourrait intervenir au cours du développement de ces structures [27].
Enfin, les mutations du gène Pax6 conduisent au phénotype Small eye, caractérisé par une réduction de la taille des yeux, mais également par des défauts de différenciation de la cavité nasale et des glandes lacrymales et parotides. Ainsi, la combinaison Pax6-Six1 pourrait participer à la différenciation de l’appareil olfactif et des glandes sécrétrices de la face. En revanche, la différenciation oculaire serait contrôlée par une combinaison Pax6-Six3/6 [15].
Conclusions
L’étude fonctionnelle des homéoprotéines Six a permis de mettre en évidence le rôle d’une nouvelle classe de facteurs de transcription à homéodomaine au cours du développement embryonnaire. Les mécanismes moléculaires impliquant les homéoprotéines Six et leurs partenaires Pax, Eya et Dach apparaissent conservés entre la drosophile et la souris, respectivement pour contrôler l’organogenèse oculaire et la différenciation musculaire. Compte tenu du rôle crucial de ces facteurs au cours de plusieurs événements d’organogenèse, il est vraisemblable que des combinaisons variables de facteurs Pax-Six-Eya-Dach contrôlent de multiples processus de différenciation. Néanmoins, ces corrélations fonctionnelles restent à confirmer par une approche cellulaire et moléculaire, car la plupart des cibles transcriptionnelles de ces facteurs n’ont pas encore été identifiées.
Parties annexes
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