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Le domaine des sciences du vivant a connu, ces dernières décennies, un essor considérable et rassemble aujourd’hui des enjeux scientifiques, sociaux et économiques de première importance. Assumant ses missions d’acquisition de connaissances, d’innovation et d’anticipation des besoins de la société, le CNRS se doit de disposer d’une politique scientifique forte en sciences du vivant, dans un contexte de compétitivité mondiale de plus en plus marqué. Il revient aux biologistes d’éclairer ce domaine, reconnu comme priorité stratégique de l’Établissement, et de proposer une définition de politique de recherche en tenant compte de la nécessité de renforcer la cohésion avec l’ensemble des autres disciplines scientifiques.
Information et connaissance : l’explosion des capacités d’exploration du vivant, à la fois en profondeur (détection à l’échelle moléculaire) et en nombre (analyses à haut débit de l’expression génique ou du profil protéique), loin de résoudre la question de l’organisation du vivant, en a fait apparaître l’extraordinaire complexité intrinsèque. Les puissantes méthodes analytiques d’extraction de l’information doivent désormais être combinées à des approches intégratives pour représenter (et même modéliser) la complexité des systèmes, depuis les niveaux élémentaires d’interactions au sein des voies métaboliques cellulaires jusqu’aux architectures les plus sophistiquées (comme les écosystèmes). Notre démarche de l’information à la connaissance, dont l’interdisciplinarité est devenue une composante centrale (mathématiques, physique, chimie, informatique y jouent un rôle majeur), ne peut plus se satisfaire de la réduction analytique (l’orientation « objet »), mais doit avoir l’ambition de la synthèse (l’orientation « question »). Le moment est venu d’élaborer les théories de l’origine, de l’organisation et de l’évolution du vivant qui sont les racines, la sève et les fleurs de l’arbre de la connaissance. La recherche fondamentale est, plus que jamais, essentielle car elle est en mesure, aujourd’hui, de créer cette inestimable valeur à partager qu’est la compréhension des natures de notre relation au monde.
Cette recherche, si elle est soutenue, est féconde, et nous savons que l’arbre de la connaissance produit de nombreux fruits de l’innovation. Plus de cent brevets à réel potentiel pharmacologique sont, ainsi, déposés chaque année par les organismes publics français de recherche.
L’analyse approfondie des processus de valorisation nous a livré plusieurs enseignements : les voies de la valorisation sont et doivent rester diverses (partenariat industriel direct, création d’entreprise…) ; la confusion des métiers et des compétences n’est pas recommandable : le chercheur du secteur public est très bien armé pour assurer les bases larges de la connaissance et les premiers éléments d’innovation protégeable et, réciproquement, la recherche en entreprise est davantage spécialisée et excelle dans la validation de concept ; l’immense besoin mondial en thérapies innovantes ne pourra être satisfait que par une interrelation synergique entre les mondes académiques et industriels.
Le développement médical et la valorisation des nouveaux paradigmes pharmacologiques (modulation raisonnée des voies métaboliques, résolution des résistances aux médicaments antibiotiques et anticancéreux…) sont de formidables enjeux, à la fois socio-économiques et scientifiques, puisque le candidat-médicament est également un outil extraordinaire d’exploration du vivant.
Notre responsabilité managériale est donc double : présenter une vision des enjeux fondamentaux et de la conduite de la recherche publique qui puisse être partagée avec la communauté scientifique, mettre sur pied des modèles économiques complémentaires pour mieux assurer le continuum des étapes de détection et de maturation des fruits de l’innovation entre recherche publique, jeunes entreprises et industries pharmaceutiques partenaires.