L’un des aspects les plus remarquables du comportement animal est la capacité de modifier ce comportement par l’apprentissage, une capacité qui atteint sa forme la plus élaborée dans l’espèce humaine. Pour moi, l’apprentissage et la mémoire ont été source d’une fascination toujours renouvelée, car ces processus mentaux concernent l’une des caractéristiques fondamentales de l’activité humaine: notre capacité à acquérir de nouvelles idées à partir de l’expérience et garder en nous grâce à la mémoire ces idées à travers le temps. De plus, contrairement à d’autres processus mentaux comme la pensée, le langage et la conscience, l’apprentissage parut, dès le début, être facilement accessible à l’analyse cellulaire et moléculaire. Et j’ai, pour cette raison, été curieux de savoir : quels sont les changements qui surviennent dans le cerveau lorsque nous apprenons? Et, une fois que nous avons appris quelque chose, comment cette information est-elle retenue dans le cerveau? J’ai essayé d’aborder ces questions à travers une approche réductionniste, une approche qui me permettrait d’étudier des formes élémentaires d’apprentissage et de mémoire à un niveau cellulaire et moléculaire - comme des activités moléculaires spécifiques localisées dans des cellules nerveuses identifiées ((→) m/s 2000, n° 11, p. 1296). Ce sont mes lectures sur la psychanalyse, alors que je débutais mes études à Harvard, qui furent à l’origine, en 1950, de mon intérêt pour l’étude de la mémoire. Plus tard, pendant mes études médicales, je commençai à trouver l’approche psychanalytique limitée parce qu’elle tendait à considérer le cerveau, cet organe qui engendre le comportement, comme une boîte noire. Au milieu des années 1950, alors que j’étais encore en faculté de médecine, j’ai commencé à me rendre compte que la boîte noire du cerveau serait ouverte de mon vivant et que le problème du stockage de la mémoire, jusque-là du domaine exclusif du psychologue et du psychanalyste, serait étudié avec les méthodes de la biologie moderne. En conséquence, mon intérêt pour la mémoire, initialement fondé sur une approche psychanalytique, devint de nature biologique. Pendant mon stage post-doctoral au NIH à Bethesda de 1957 à 1960, je m’employai à en apprendre plus sur la biologie du cerveau et commençai à m’intéresser aux changements des réseaux neuronaux induits par l’apprentissage. Mon but, en traduisant dans le langage empirique de la biologie des questions qui concernaient la psychologie de l’apprentissage, n’était pas de remplacer la logique de la psychologie ou de la psychanalyse par la logique de la biologie cellulaire et moléculaire mais d’essayer de réunir ces deux disciplines et de contribuer à l’élaboration d’une nouvelle synthèse entre la psychologie de la mémorisation et la biologie de la signalisation neuronale. J’espérais de plus que l’analyse biologique de la mémoire apporte de surcroît des informations nouvelles sur la signalisation neuronale. Et cela s’est, de fait, révélé exact. Pour mettre la puissance de la biologie moderne au service de l’étude de l’apprentissage, il semblait nécessaire d’entreprendre une approche très différente - une approche radicalement réductionniste. Il nous fallait étudier non pas les exemples les plus complexes de mémorisation, mais, au contraire, un exemple parmi les plus simples, et l’étudier chez des animaux qui soient les plus faciles à explorer d’un point de vue expérimental. Une telle approche réductionniste n’était guère nouvelle dans la biologie du XXe siècle. Que l’on pense seulement à l’utilisation de la drosophile en génétique, des bactéries et des bactériophages en biologie moléculaire et de l’axone géant de calmar dans l’étude de la conduction nerveuse. Cependant, quand il s’agissait d’étudier le comportement, de nombreux investigateurs étaient réticents à utiliser une stratégie réductionniste. Durant les années 1950 et 1960, de nombreux biologistes et la plupart …
La biologie moléculaire de la mémoire: un dialogue entre gènes et synapsesThe molecular biology of memory storage : a dialogue between genes and synapses[Notice]
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Eric R. Kandel
Howard Hughes Medical Institute,
Center for Neurobiology and Behavior,
College of Physicians and Surgeons of Columbia University,
New York State Psychiatric Institute,
1051 Riverside Drive, New York, NY 10032, États-Unis.
erk5@columbia.edu
Ce texte est une adaptation de la communication d’Eric R. Kandel à la fondation Nobel (décembre 2000).