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La méiose est l’étape de la formation des gamètes qui permet le passage de l’état diploïde à l’état haploïde. Cette division par deux du contenu chromosomique résulte de deux divisions successives sans phase de réplication intermittente. Lors de la première division, dite réductionnelle, les chromosomes homologues (maternels et paternels) se séparent, alors que, lors de la seconde, les chromatides soeurs se séparent. La division réductionnelle requiert l’établissement de connexions entre chromosomes homologues, réalisées par les événements de recombinaison homologues réciproques, appelés crossing-over, et dont la représentation cytologique est le « chiasma » [1] (Figure 1). Ainsi, chez la majorité des eucaryotes, on observe au moins un crossing-over par chromosome, et l’absence de crossing-over (chez certains mutants par exemple) conduit à une altération de la ségrégation réductionnelle et à la stérilité. Outre leur rôle mécanique, ces événements de recombinaison méiotique contribuent à un brassage du génome très important qui résulte en la création de nouvelles combinaisons d’allèles à chaque génération. Chez les mammifères, les facteurs et les mécanismes qui contrôlent la fréquence et la distribution de ces événements sont encore mal connus. Chez la levure Saccharomyces cerevisiae, en revanche, plusieurs aspects du mécanisme de la recombinaison méiotique ont été analysés et plusieurs protéines clés ont été identifiées. Compte tenu de la conservation de ces protéines au cours de l’évolution, les données établies chez la levure servent de référence pour aborder ces questions dans d’autres organismes. Une des propriétés remarquables des crossing-over est leur distribution dans le génome: celle-ci n’est pas aléatoire et des domaines dits « chauds » ou « froids » peuvent être identifiés. Ces variations sont particulièrement bien illustrées par les cartes génétiques récemment publiées chez l’homme [2, 3]. À une résolution supérieure, des « points chauds » de crossing-over ont pu être identifiés dans des régions de quelques kilobases (kb) [4].

Figure 1

Crossing-over entre chromosomes homologues en méiose.

Crossing-over entre chromosomes homologues en méiose.

Chaque homologue est constitué à ce stade de deux chromatides soeurs dont la chromatine est organisée en boucles (représentées ici seulement sur un segment de chromosome). La base des boucles est organisée sur une structure protéique qui constitue l’axe des chromosomes. Les chromosomes homologues sont connectés par un crossing-over, puis seront séparés par l’action du système de ségrégation (microtubules en particulier) agissant au niveau des centromères et avec le relâchement de la cohésion entre chromatides soeurs.

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Afin d’aborder l’étude de telles régions, nous avons mis au point chez la souris une stratégie d’analyse moléculaire directe de la recombinaison dans les cellules germinales, similaire à celle utilisée par l’équipe d’A.J. Jeffreys chez l’homme [5]. En effet, jusqu’à présent, l’analyse des événements de recombinaison était réalisée par des méthodes génétiques impliquant des protocoles lourds de croisements utilisant un nombre élevé d’animaux. Notre objectif était ainsi d’aborder les questions suivantes [6]:

  1. Comment sont distribués les crossing-over dans un « point chaud »?

  2. Un « point chaud » peut-il correspondre à un site d’initiation tel que le définissent les données acquises chez la levure Saccharomyces cerevisiae?

  3. Peut-on déterminer le stade de formation des crossing-over au cours de la gamétogenèse?

Notre étude a porté sur un « point chaud » identifié par analyse génétique dans le génome de la souris. Cette région, localisée à côté du gène Lmp2 (désormais appelé Psmb9), présente une fréquence de crossing-over de 2 % dans un intervalle de 2 kb, soit 2000 fois plus que la fréquence moyenne du génome (0,5 cM/Mb). Ce « point chaud » n’est actif que dans certains hybrides (ici les hybrides R209 x B10), dont l’un des parents (R209) porte un segment chromosomique autour de Psmb9 dérivé de la sous-espèce Mus musculus molossinus [7]. La stratégie moléculaire consiste à utiliser des oligonucléotides spécifiques de chaque parent pour amplifier par PCR (polymerase chain reaction) de manière sélective les rares molécules recombinantes présentes dans une population de molécules parentales (Figure 2). Cette technique est extrêmement puissante puisqu’elle permet de détecter - mais aussi de quantifier et également de purifier - des événements de recombinaison indépendants, et ce, en principe, sur n’importe quel type cellulaire.

Mesure des fréquences des crossing-over

Le protocole d’amplification est effectué sur des pools multiples d’ADN génomique dilué de manière à ce qu’une proportion significative de pools ne contienne aucune molécule recombinante. L’analyse de la distribution des pools permet alors le calcul de la fréquence d’après la loi de Poisson. Sur l’ADN de sperme de souris hybrides R209 x B10, la fréquence que nous avons ainsi obtenue est de 1,1 ± 0,35 %, en accord avec les mesures génétiques [7]. Les fréquences des deux types de molécules recombinantes, R209-B10 et B10-R209 sont les mêmes (0,6 et 0,5 % respectivement), ce qui est attendu puisqu’il s’agit d’événements réciproques.

Cartographie des crossing-over

Étant donné que dans l’intervalle amplifié (produit PCR P2/P3), les génomes B10 et R209 présentent plusieurs sites polymorphes, les positions des points de recombinaison peuvent être déterminées par séquençage. Cette analyse, effectuée sur 69 molécules recombinantes et illustrée sur la Figure 2, montre que l’intervalle de 210 pb compris entre les sites BsrFI et StyI présente la fréquence d’événements de recombinaison la plus élevée. Cette distribution suggère que la région BsrFI/StyI soit un site d’initiation de la recombinaison méiotique similaire aux sites décrits chez la levure S. cerevisiae.

Figure 2

Cartographie de sites de crossing-over.

Cartographie de sites de crossing-over.

A. Les molécules issues de crossing-over sont sélectivement amplifiées par deux PCR à l’aide d’oligonucléotides spécifiques d’allèles, P1/P4 puis P2/P3. La cartographie des sites polymorphes dans l’intervalle amplifié permet de déterminer la localisation du crossing-over. L’exemple d’une molécule R209-B10 issue d’un crossing-over entre les sites BsrFI et StyI est montrée ici. B. L’analyse de 69 crossing-over a permis de déterminer la fréquence de crossing-over normalisée par la taille et exprimée en centimorgan (cM)/mégabases (Mb), pour chaque intervalle.

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Implications

Chez la levure, les sites d’initiation de recombinaison méiotique sont des « points chauds » de crossing-over et d’événements de recombinaison non réciproques appelés conversions géniques [8]. Par une analyse moléculaire similaire à celle décrite ci-dessus pour l’étude des crossing-over, nous avons recherché et pu mettre en évidence des molécules compatibles avec la formation d’événements de conversion génique dans la région Psmb9. Ce résultat valide donc notre interprétation sur la présence d’un site d’initiation dans cette région. Ces approches moléculaires ont un autre intérêt, celui de pouvoir détecter les événements de recombinaison directement dans les cellules germinales. Nous avons pu ainsi démontrer que les crossing-over se forment au stade pachytène de la prophase de la première division de méiose chez le mâle. On voit, par conséquent, qu’il sera possible de développer une analyse fonctionnelle des événements de recombinaison méiotique chez la souris, en particulier en testant l’effet de mutations dans des gènes candidats, et cela même si la mutation analysée conduit à une phénotype stérile.

Ces résultats sont à mettre en parallèle avec ceux que A.J. Jeffreys et al. ont obtenu récemment chez l’homme [4] et qui illustrent la grande hétérogénéité de la distribution des événements de recombinaison. Ces données montrent que les crossing-over se produisent préférentiellement dans des petites régions très localisées (quelques kb) et sont espacés par de grands intervalles (plusieurs dizaines de kb) où les niveaux de recombinaison sont extrêmement faibles. Selon les régions, les fréquences de recombinaison peuvent aussi varier d’un facteur allant jusqu’à 1000. En outre, la présence de grandes régions froides pour la recombinaison conduit à engendrer une forte liaison génétique entre allèles et donc à des blocs d’haplotypes où la cartographie génétique de mutations peut être partiellement difficile. Il est intéressant de remarquer que les « points-chauds » sont tous situés dans des régions intergéniques ou dans des introns. Cette caractéristique rappelle celle des sites d’initiation chez la levure dont l’une des caractéristiques est qu’ils sont localisés dans des régions accessibles de la chromatine, presque toujours situées dans des région intergéniques, à proximité de promoteurs de transcription, sans qu’un motif de séquence soit clairement identifiable ((→) m/s 2001, n° 10, p. 1056 et 2002, n° 12, p. 1219) [9]. Cependant, les propriétés qui confèrent à ces régions une activité d’initiation, et donc sans doute une affinité pour un complexe protéique responsable de l’étape d’initiation, ne sont pas encore définies. Plusieurs niveaux de régulations semblent affecter l’activité des sites de recombinaison. Certains sont associés à des propriétés de certaines régions chromosomiques telles que les régions télomériques et centromériques, qui sont respectivement chaudes et froides pour la recombinaison chez l’homme. Il est également clair qu’une partie importante du contrôle des sites de recombinaison est réglée au niveau épigénétique comme le montrent par exemple les différences de fréquence de recombinaison entre la méiose mâle et la méiose femelle chez la souris et chez l’homme. L’analyse de ces différents paramètres pourra en particulier être développée et approfondie par l’étude des propriétés des sites de recombinaison préférentiels dans le génome.