Notre expérience quotidienne montre qu’il est impossible de désenchevêtrer une pelote de ficelle sans faire de noeuds. Le noyau cellulaire est lui-même une fantastique pelote de chromosomes. Chacun de nos chromosomes mesure quelques centimètres de long et se trouve enchevêtré dans un noyau de quelques millièmes de centimètres. Cependant, lors de la division cellulaire, les 46 chromosomes de chaque cellule-mère arrivent à se séparer sans former de noeuds pour être distribués à part égale dans chacune des cellules-filles. Le mécanisme de ce petit miracle n’est que partiellement compris. On sait que des enzymes - les topo-isomérases - sont essentielles pour désenchevêtrer l’ADN chromosomique, mais le scénario précis de leur action n’est toujours pas bien connu. L’implication des topo-isomérases dans les processus de réplication, de transcription et de recombinaison, où la topologie de l’ADN joue également un rôle significatif, souligne combien il est important de comprendre le mécanisme d’action de cette famille d’enzymes [1]. Leur inhibition conduisant à la mort cellulaire, ces enzymes sont la cible de médicaments anti-cancéreux et anti-bactériens [2]. Il existe deux sortes de topo-isomérases, baptisées Topo I et Topo II selon qu’elles coupent transitoirement un seul ou les deux brins de l’ADN respectivement. Ainsi, les Topo I, dont il est question dans cet article, agissent en modifiant le nombre d’enlacements des brins à l’intérieur d’une double hélice d’ADN, cependant que les Topo II catalysent le passage d’un segment d’ADN double-brin à travers un autre. Différents modèles ont été proposés pour le fonctionnement de la Topo I (Figure 1). Dans le premier, l’enzyme, après avoir clivé un premier brin d’ADN, maintient solidement les deux extrémités de la brèche et fait passer l’autre brin à travers cette brèche avant de la refermer (Figure 1A). Ce mécanisme, proposé pour la famille des topo-isomérases IA, permet de réduire la contrainte de torsion exercée sur l’ADN de un tour à chaque cycle enzymatique [3, 4]. Dans le second modèle, après avoir clivé le premier brin d’ADN, l’enzyme reste liée fortement à l’extrémité 3’ ainsi produite, cependant que l’autre extrémité de la brèche est libre d’effectuer un nombre indéfini de rotations autour de l’autre brin de l’ADN (Figure 1B). Ce mécanisme, proposé pour la famille des topo-isomérases IB, réduit la contrainte de torsion de plusieurs tours par cycle enzymatique [5]. Néanmoins, il n’y a pas, jusqu’à présent, de preuve formelle en faveur de l’un ou l’autre de ces modèles pour ces deux familles de topo-isomérases. Une approche de ce problème a été tentée par des mesures de cinétique enzymatique classiques dans lesquelles un grand nombre de molécules d’enzymes et d’ADN interagissent. Ces mesures ne donnent accès qu’à des valeurs moyennes et ne permettent pas de trancher entre les deux modèles. Le développement de stratégies utilisant des molécules uniques - démarche que nous avons utilisée pour déterminer le mécanisme des topo-isomérases IA [6] - permet d’une façon générale d’examiner les détails d’interactions biologiques difficiles à appréhender autrement. Ces outils permettent de mesurer très précisément en temps réel l’interaction entre une seule molécule d’enzyme et une molécule unique d’ADN. En ce qui concerne les topo-isomérases I, plusieurs questions se posent: combien de tours la Topo I relâche-t-elle par cycle? Comment ces enzymes sont-elles activées? De quelle manière la vitesse de « désenroulement » dépend-elle de la force de traction exercée sur l’ADN? Quelle est l’étape limitante du cycle enzymatique? Pour répondre à certaines de ces questions, nous avons récemment développé un système de micromanipulation et de mesure de force à l’échelle d’une molécule unique dont l’atout principal est la possibilité de contrôler précisément à la fois la force de traction exercée sur …
Parties annexes
Références
- 1. Champoux JJ. DNA topoisomerases: structure, function, and mechanism. Annu Rev Biochem 2001; 70: 369-413.
- 2. Pourquier P. De nouveaux rôles pour l’ADN topo-isomérase I. Med Sci 2002; 18: 975-81.
- 3. Brown PO, Cozzarelli NR. A sign inversion mechanism for enzymatic supercoiling of DNA. Science 1979; 206: 1081-3.
- 4. Brown PO, Cozzarelli NR. Catenation and knotting of duplex DNA by type I topoisomerases: a mechanistic parallel with type II topoisomerases. Proc Natl Acad Sci USA 1981; 78: 843-7.
- 5. Stewart L, Redinbo MR, Qiu X, Hol WG, Champoux JJ. A model for the mechanism of human topoisomerase I. Science 1998; 279: 1534-41.
- 6. Dekker NR, Rybenkov VV, Duguet M, et al. The mechanism of type IA topoisomerases. Proc Natl Acad Sci USA 2002; 99: 12126-31.
- 7. Strick T, Allemand JF, Bensimon D, Bensimon A, Croquette V. The elasticity of a single supercoiled DNA molecule. Science 1996; 271: 1835 -7.
- 8. Kirkegaard K, Wang JC. Bacterial DNA topoisomerase I can relax positively supercoiled DNA containing a single-stranded loop. J Mol Biol 1985; 185: 625-37.
- 9. Viard T, Lamour V, Duguet M, Bouthier de La Tour C. Hyperthermophilic topoisomerase I from Thermotoga maritima: a very efficient enzyme that functions independently of zinc-binding. J Biol Chem 2001; 276: 46495-503.
- 10. Li Z, Mondragon A, DiGate RJ. The mechanism of type IA topoisomerase-mediated DNA topological transformations. Mol Cell 2001; 7: 301-7.
- 11. Changela A, DiGate RJ, Mondragon A. Crystal structure of a complex of a type IA DNA topoisomerase with a single-stranded DNA molecule. Nature 2001; 411: 1077-81.