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Liaisons «accrocheuses» et mécanique moléculaireThe concept of catch bonds for molecular interactions[Notice]

  • Anne Pierres,
  • Anne-Marie Benoliel et
  • Pierre Bongrand

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  • Anne Pierres
    Laboratoire d’Immunologie,
    Inserm U. 387, Cnrs FRE 2059,
    Université de la Méditerranée,
    Hôpital de Sainte-Marguerite,
    BP 29,
    13274 Marseille Cedex 09,
    France.

  • Anne-Marie Benoliel
    Laboratoire d’Immunologie,
    Inserm U. 387, Cnrs FRE 2059,
    Université de la Méditerranée,
    Hôpital de Sainte-Marguerite,
    BP 29,
    13274 Marseille Cedex 09,
    France.

  • Pierre Bongrand
    Laboratoire d’Immunologie,
    Inserm U. 387, Cnrs FRE 2059,
    Université de la Méditerranée,
    Hôpital de Sainte-Marguerite,
    BP 29,
    13274 Marseille Cedex 09,
    France.
    bongrand@marseille.inserm.fr

Dans un récent article [1], Cheng Zhu et al. décrivent pour la première fois la propriété des molécules de P-sélectine de former avec leur ligand des «liaisons accrocheuses» (catch bonds), c’est-à-dire des liaisons dont la durée de vie augmente lorsqu’elles sont soumises à des contraintes mécaniques. Ce travail démontre la réalité d’un concept imaginé par un théoricien, Micah Dembo, quinze ans auparavant [2]. Il marque aussi une étape supplémentaire dans un domaine de recherche qui s’est montré très actif au cours de la dernière décennie: l’observation directe des liaisons moléculaires individuelles [3]. Enfin, cette découverte constitue un progrès dans notre compréhension de l’inflammation, un phénomène de grande importance en médecine et en biologie et dont l’étude est à la base du travail entrepris par Cheng Zhu. Au cours de la réaction inflammatoire, les cellules endothéliales «agressées» peuvent «accrocher» les leucocytes qui circulent à une vitesse élevée (quelques mm/s). Cela réduit alors considérablement la vitesse de ces cellules (d’un facteur cinquante à cent) qui présentent un déplacement saccadé très caractéristique au contact de l’endothélium: le «roulement» (rolling). Cette interaction est suffisamment étroite et lente pour permettre à d’autres récepteurs leucocytaires de reconnaître leur ligand (par exemple une chimiokine) lorsque celui-ci est associé aux parois vasculaires. Il en résulte une activation des intégrines leucocytaires, qui contribue à l’immobilisation de ces cellules, qui pourront ensuite migrer vers les tissus périphériques. Le phénomène de roulement a été visualisé bien avant que l’on ne caractérise la nature des molécules d’adhésion capables de s’attacher en une fraction de milliseconde, et de résister aux forces hydrodynamiques de plusieurs centaines de piconewtons entraînant les leucocytes dans le courant sanguin. L’énigme a été résolue en 1991 grâce à des expériences réalisées in vivo par U.H. Von Adrian et al. [4] et in vitro par M.B.Lawrence et T.A. Springer [5]: les cellules endothéliales activées expriment des molécules de E- et P-sélectine qui interagissent avec un ligand leucocytaire tel que PSGL-1 (P selectin glycosylated ligand). Au cours du roulement, des liaisons se forment (à l’avant du leucocyte) et se rompent (à l’arrière) continuellement. Le processus de roulement est entièrement déterminé par les propriétés moléculaires des sélectines et de leurs ligands, puisqu’il a pu être reproduit avec des leucocytes tués avec des fixateurs [6] et même avec des particules entièrement artificielles [7]. Mais il subsistait un problème: ces molécules d’adhésion ne formaient pas de liaison persistant plus de quelques secondes, et pourtant, elles étaient capables de capter des cellules se déplaçant à grande vitesse et soumises à des forces hydrodynamiques élevées. Il était encore plus étonnant de constater que le roulement induit par les sélectines était d’autant plus «stable» que les forces hydrodynamiques étaient plus élevées. Comment expliquer ce comportement de molécules supposées produire des liaisons particulièrement so-lides? Une observation ultérieure [8] conduisait en fait à la conclusion paradoxale que le roulement induit par les sélectines était d’autant plus «stable» que les forces hydrodynamiques étaient plus élevées. M.B. Lawrence et T.A. Springer avaient immédiatement souligné l’importance des considérations cinétiques: les liaisons formées par les sélectines devaient se former et se rompre beaucoup plus rapidement que ne le font les associations de molécules d’adhésion «habituelles», en conditions statiques. La signification révolutionnaire de cette évolution conceptuelle a d’ailleurs aussitôt été soulignée par un immunologiste, Alan Williams, qui avait noté que le concept d’affinité paraissait jusqu’ici suffisant pour expliquer les fonctions des anticorps ou des molécules d’adhésion, sans nécessité de considérations cinétiques [9]. Il ne restait plus qu’à vérifier cette hypothèse. La compréhension du fonctionnement des récepteurs d’adhésion nécessitait donc de connaître leurs propriétés cinétiques et mécaniques. …

Parties annexes