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C’est par celui des médias planétaires que le monde a appris la nouvelle: c’est lui, l’élu de l’année. Une nouvelle fois - mais quand on aime, on ne compte pas - il décroche, au travers de ses avatars hydriques et potassiques, la consécration suprême. Alfred Nobel ne l’aurait pas renié, lui dont les inventions, de la nitroglycérine à la dynamite, ont tant contribué à en creuser, à commencer par Suez et Panama. D’abord caniveau, puis conduite d’eau depuis César, son usage s’est propagé à la géographie, à l’architecture, à la botanique et à l’anatomie. L’accès à l’eau, la multiplication et le contrôle de ses voies de passage ont été de tout temps une préoccupation majeure des hommes. Il aura néanmoins fallu batailler ferme, jusqu’au milieu des années 1980, pour que l’existence même de ces canaux, voies d’eau à travers les membranes biologiques, cesse d’être farouchement contestée.
Dispositif central de la communication entre les mondes, il tire profit de l’asymétrie entre les milieux pour faire naître du signal. Le canal dissipe l’énergie pour véhiculer les messages. Il a la réactivité qui sied à l’information qu’il repère, trie et transmet. Comme la porte de Musset, un canal doit être ouvert ou fermé. Vian poussait le bouchon en ajoutant, taquin, à propos de ladite porte «... Ou démontée s’il est urgent qu’on en répare la serrure.» Ou qu’on en comprenne le mécanisme.
Comment font les globules rouges pour traverser sans dommage la région hypertonique de la médullaire rénale? Quelles sont les bases moléculaires de l’ouverture induite par un changement de potentiel? Quelles sont celles du dispositif de sélectivité ? Comment concilier haut débit - passage par chaque pore de plusieurs dizaines de millions de molécules par seconde - et marche des ions à la queue leu leu comme des chenilles processionnaires ? Autant de voiles que les lauréats ont contribué à lever.
En décembre 1991, Erwin Neher, l’un des deux Laënnec du canal récompensés pour leur invention du stéthoscope qui en permettait l’auscultation à l’échelle unitaire - le patch-clamp -, concluait son discours au banquet des Nobel par un constat mi-figue mi-raisin : «… Pour terminer, je voudrais revenir aux canaux et les comparer aux quarks. […] Ceux-ci ne se parlent pas. […] Il en va différemment pour les canaux. Eux parlent. En fait, la communication est l’essence même de leur existence. […]. Je puis vous l’assurer, Bert Sakmann et moi-même avons, tous les deux, écouté des canaux pendant près de vingt ans. Nous les avons entendu s’ouvrir et se fermer, nous percevions leur mélodie, nous entendions leurs voix de plus en plus clairement, mais nous ne les avons cependant jamais entendu dire quelque chose de spirituel.»
Et si c’était de leur choeur que naissait l’esprit.