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Il est habituel de distinguer, de manière, il faut le dire, un peu dogmatique, l’immunité « innée » de l’immunité « adaptative ». L’immunité innée est une réponse immédiate qui survient chez tout individu en l’absence d’immunisation préalable; elle constitue la première barrière de défense vis-à-vis de divers agents pathogènes et assure un rôle de sentinelle vis-à-vis de l’apparition de tumeurs. Elle est en grande partie assurée par les anticorps préformés, encore appelés naturels, et par des cellules phagocytaires (monocytes, polynucléaires) et des lymphocytes NK (natural killer) qui ne possèdent pas de récepteurs spécifiques de l’antigène. En revanche, ces cellules expriment des récepteurs spécialisés de description récente, les récepteurs Toll ((→) m/s 2000, n° 12, p. 1439) ou TLR (Toll-like receptors) se liant à différents composés bactériens: des peptidoglycanes et des lipoprotéines bactériennes dans le cas de TLR2 ((→) m/s 2002, n° 10, p. 931), le lipopolysaccharide de bactéries à Gram négatif dans le cas de TLR4, la flagelline dans le cas de TLR5, et les motifs CpG non méthylés, caractéristiques de l’ADN bactérien dans le cas de TLR9 [1].
Contrairement à l’immunité innée, le développement d’une immunité adaptative vis-à-vis d’un (ou plusieurs) antigène(s) découle de la reconnaissance de celui (ceux)-ci par des lymphocytes B ou T, dotés de récepteurs spécialisés, interaction qui entraîne leur prolifération et leur différenciation en lymphocytes B et T effecteurs. Dans le cas des lymphocytes T, qui ne peuvent « voir » l’antigène que sous forme de peptides associés aux molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe I ou de classe II exprimées à la surface de cellules « présentatrices », l’étape de reconnaissance implique donc également ces cellules présentatrices et plus particulièrement les cellules dendritiques.
À l’évidence, des données de plus en plus nombreuses s’accumulent qui montrent que cette distinction entre immunité innée et immunité adaptative, qui a certes l’avantage de la simplicité, ne correspond pas à la réalité. Il existe en effet des « ponts » majeurs entre ces deux réponses immunes, dont on commence seulement à comprendre l’importance aussi bien dans la physiologie du système immunitaire que dans la physiopathologie de l’allergie ou des maladies auto-immunes.
C’est cette question qu’aborde le groupe de Marshak-Rothstein, et leurs résultats, publiés récemment dans la revue Nature Immunology, démontrent que la production d’auto-anticorps par les lymphocytes B auto-réactifs implique certains récepteurs Toll et en particulier TLR9 se liant à l’ADN bactérien [2]. Leur modèle utilise des lymphocytes B auto-réactifs, issus de souris transgéniques produisant des facteurs rhumatoïdes, c’est-à-dire des auto-anticorps reconnaissant la partie constante Fc des immunoglobulines (FcIg) normales, que l’on détecte en particulier au cours de la polyarthrite rhumatoïde. L’observation originale de ce travail est que la production de facteurs rhumatoïdes par ces lymphocytes B auto-réactifs est stimulée par des complexes immuns constitués d’ADN et d’anticorps anti-ADN comme ceux que l’on retrouve dans le sérum des patients atteints d’une autre maladie auto-immune, le lupus érythémateux disséminé. Les anticorps anti-ADN des complexes sont reconnus par les récepteurs pour l’antigène de la cellule B auto-réactive (ces récepteurs sont des immunoglobulines de surface exprimant la même spécificité, anti-FcIg, que les anticorps produits par la cellule), et transduisent un signal d’activation dont on sait néanmoins qu’il entraîne une activation incomplète du lymphocyte B, qui n’est en aucun cas suffisante pour induire la production d’auto-anticorps. Résultat surprenant: c’est l’ADN contenu dans les complexes qui, en stimulant TLR9, fournit le signal complémentaire (ou signal de co-stimulation) nécessaire à la différenciation de la cellule B en lymphocyte producteur d’anticorps.
Ces données sont importantes à plusieurs égards. En premier lieu, elles permettent peut-être d’expliquer pourquoi les auto-anticorps caractéristiques du lupus érythémateux disséminé sont pour la plupart dirigés contre des antigènes nucléaires contenant de l’ADN [3]. On peut en effet envisager que les lymphocytes B auto-réactifs des patients atteints de lupus érythémateux disséminé, à l’instar des cellules transgéniques décrites dans l’article de Leadbetter et al. [2], soient sensibles à la voie de co-stimulation via TLR9, ce qui amorce un cercle vicieux conduisant à la fois à une diversification des spécificités et à une production accrue d’auto-anticorps. En second lieu, ces données apportent la clé du mode d’action, jusque-là inconnu, de certains médicaments très efficaces dans le traitement du lupus érythémateux disséminé comme la chloroquine. En effet, il semblerait que ce produit bloque l’interaction entre TLR9 et l’ADN en interférant avec la maturation et l’acidification des endosomes, organites intracellulaires dans lesquels a lieu cette interaction.
Une question fondamentale qui reste posée concerne l’événement à l’origine - au cours des maladies auto-immunes dont il est question - de la production des complexes immuns à ADN capables d’amplifier la fonction des lymphocytes B auto-réactifs. En d’autres termes, quel est (sont) le(s) facteur(s) qui entraîne(nt) la rupture de tolérance vis-à-vis des antigènes du soi? Nombre d’hypothèses ont été proposées, dont une apoptose cellulaire anormalement élevée qui engendrerait la libération de matériel nucléaire [3].
Il sera également intéressant de mieux comprendre pourquoi TLR9, décrit jusque-là comme reconnaissant l’ADN bactérien et plus particulièrement les motifs CpG non méthylés, peut, dans certaines situations comme celle dont il est question ici, fixer l’ADN murin qui, lui, est en grande partie méthylé. Il est possible que la fixation implique exclusivement les quelques motifs CpG non méthylés, qui existent également dans l’ADN des vertébrés et dont le nombre serait, d’après certains auteurs, augmenté dans les cellules provenant de sujets présentant des maladies auto-immunes [4].
Les données discutées ci-dessus évoquent l’amplification de la réponse auto-immune par l’intermédiaire du récepteur TLR9. Mais il est intéressant de faire un rapprochement avec les situations inverses, dans lesquelles la stimulation de certains récepteurs Toll semble permettre, au contraire, de réprimer les réponses auto-immunes. C’est un fait bien établi, aussi bien sur des bases expérimentales chez l’animal qu’épidémiologiques chez l’homme, que certaines infections ont un rôle protecteur sur le développement des maladies du système immunitaire et notamment l’auto-immunité et l’allergie [5]. C’est sur cette observation que s’est forgée l’hypothèse dite de « l’hygiène » selon laquelle l’augmentation, au cours de ces dernières décennies, de l’incidence des maladies auto-immunes et allergiques dans les pays industrialisés est la conséquence de l’éradication de bon nombre d’agents infectieux [5]. Bien que les bases moléculaires de cette protection par les infections demeurent inconnues, elles pourraient, du moins en partie, impliquer les récepteurs Toll (exprimés non seulement par les cellules lymphocytaires mais aussi par les cellules dendritiques) qui, en fixant les produits bactériens, induisent la libération de certaines cytokines « immuno-régulatrices » qui, à leur tour, participent à l’inhibition des réponses pathogènes.
Pour illustrer la complexité du système, et revenir à l’article de Leadbetter et al. [2], on peut citer les travaux récents montrant que le traitement par CpG (c’est donc toujours TLR9 qui est en cause) inhibe la survenue du diabète insulino-dépendant auto-immun chez la souris NOD (non obese diabetic) [6].
Il faut donc bien admettre pour réconcilier ces observations, en apparence contradictoires, que les récepteurs caractéristiques de l’immunité innée et de l’immunité acquise s’organisent probablement en un réseau bien plus intriqué qu’on ne l’aurait initialement pensé. À l’évidence, il s’agit là de cibles particulièrement intéressantes pour le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques applicables aux pathologies de l’immunité et en particulier aux maladies auto-immunes.
Parties annexes
Références
- 1. Akira S, Takeda K, Kaisho T. Toll-like receptors: critical proteins linking innate and acquired immunity. Nat Immunol 2001; 2: 675-80.
- 2. Leadbetter EA, Rifkin IR, Hohlbaum AM, Beaudette BC, Shlomchik MJ, Marshak-Rothstein A. Chromatin-IgG complexes activate B cells by dual engagement of IgM and Toll-like receptors. Nat Immunol 2002; 416: 603-7.
- 3. Bach JF, Koutouzov S, Van Endert PM. Are there unique autoantigens triggering auto-immune diseases? Immunol Rev 1998; 164: 139-55.
- 4. Richardson B, Scheinbart L, Strahler J, Gross L, Hanash S, Johnson M. Evidence for impaired T cell DNA methylation in systemic lupus erythematosus and rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 1990; 33: 1665-73.
- 5. Bach JF. The relation between the decrease of infectious diseases and the increase of auto-immune and allergic diseases. N Engl J Med 2002; 347: 911-20.
- 6. Quintana FJ, Rotem A, Carmi P, Cohen IR. Vaccination with empty plasmid DNA or CpG oligonucleotide inhibits diabetes in nonobese diabetic mice: modulation of spontaneous 60-kDa heat shock protein auto-immunity. J Immunol 2000; 165: 6148-55.