Special SectionSection spéciale

Possession[Notice]

  • Yaëll Emerich

Professeure titulaire, Faculté de droit, Université McGill. La version originale de ce texte, initialement rédigée aux fins de présentation lors d’un séminaire de recherche à la Faculté de droit de l’Université McGill, a été acceptée et intégrée au McGill Companion to Law lors d’une réunion en décembre 2012. Ce texte constitue la trame initiale des principales idées développées dans le second chapitre (intitulé « A l’origine du titre : la possession et ses effets ») de Yaëll Emerich, Droit commun des biens : perspective transsystémique, Montréal, Yvon Blais, 2017 aux pp 55–101.

Citation: (2020) 66:1 McGill LJ 139

Référence : (2020) 66:1 RD McGill 139

La possession constitue à plus d’un titre l’une des énigmes des traditions juridiques contemporaines. Si le droit des personnes reconnaît la possession d’état en prenant en compte une apparence de droit et en attachant certains effets juridiques à ce comportement, c’est le droit des biens qui reste la terre d’accueil privilégiée de la possession. Décrite comme un miroir ou un reflet de la propriété, la notion de possession est fuyante. Sa justification même est problématique et les juristes se sont souvent interrogés sur les fondements de la prise en compte de la possession par le droit. La conceptualisation de la notion de possession et la force de ses effets connaissent inévitablement certaines variations dans les systèmes juridiques modernes. Pourtant, les traditions juridiques occidentales prennent toutes en compte une certaine apparence de droit sur un bien et protègent l’exercice d’un pouvoir sur un bien avec l’intention de s’en affirmer le maître ou d’en exclure les tiers. Quant à la nature juridique de la possession, l’une des questions ayant occupé les auteurs est de savoir s’il faut y voir un fait ou un droit, ce qui dépend en partie de la relation que la possession entretient avec la propriété. Les auteurs civilistes qui décrivent le droit des biens partent souvent du droit subjectif de propriété pour l’opposer au simple fait de possession. Ils mettent ainsi typiquement l’accent sur la possession comme fait ou pouvoir de fait sur un bien, par opposition au pouvoir de droit sur un bien conféré par la propriété. D’un point de vue historique, c’est la notion de possession plutôt que celle de propriété qui a longtemps dominé la common law anglaise. L’opposition entre possession et propriété est donc généralement moins forte dans cette tradition. C’est ainsi que Pollock a défini la possession comme une forme de titre, « a kind of title », valable devant n’importe quelle personne qui ne présente pas un meilleur titre. Quant à la propriété, elle a souvent été décrite comme le meilleur droit à la possession. L’évolution des traditions tend toutefois à les rapprocher en rendant leurs conceptions des notions de possession et de propriété plus semblables. C’est ainsi que la common law a de plus en plus tendance à différencier la possession de la propriété. Dans les années soixante, Salmond écrivait que contrairement à la propriété, qui consiste en un ensemble de droits, la possession peut se définir comme un ensemble de faits et de gestes. Quant à la tradition civiliste, plusieurs auteurs reconnaissent que ce n’est que progressivement que la possession se serait détachée de la propriété. Aujourd’hui encore, l’opposition entre propriété et possession est loin d’être totale en droit civil, ce qui est illustré par Carbonnier, qui décrit la possession comme étant « l’ombre de la propriété ». On peut en outre se demander si cette controverse sur la nature de la possession comme fait ou comme droit n’est pas largement vaine, puisque dans tous les cas c’est le droit qui décide de conférer une protection à un état de fait. Le débat entre les deux jurisconsultes allemands du XIXe siècle qu’étaient Savigny et Ihering a largement influencé la pensée civiliste en matière de possession. Cela est moins connu, mais la controverse a également eu un impact chez les penseurs de la common law, notamment à travers les écrits de Holmes et de Pollock. Ce débat, qui a opposé une conception subjective de la possession proposée par Savigny à une conception objective de la possession proposée par Ihering, s’est cristallisé dans son implication pratique autour de la question de la reconnaissance ou de la non-reconnaissance de la protection possessoire …

Parties annexes