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What’s in a name?
Longtemps compris en marge de la sphère juridique, le nom, cet élément permettant de distinguer un individu, a avant tout une fonction déictique.
En effet, que ce soit au sein d’une communauté ou aux yeux du droit, le nom permet de différencier un individu de ses pairs. Il le fait sans dire en quoi cet individu est différent. Par son nom propre, une personne est tout bonnement différente, singulière. Le nom distingue, sans plus. Il permet d’interpeller un individu, de le représenter. C’est sous son nom qu’une personne sera traduite en justice.
Le nom est donc un terme de référence. Et, selon certains, rien n’attache nécessairement un nom à un individu. Rappelez-vous ce que murmure Juliette à Roméo pour le rassurer : une rose sous tout autre nom ne perdrait pas de sa noblesse. Pourtant, toute la pièce du grand dramaturge tourne autour de l’importance et de la force symbolique des noms. Être un Capulet ne veut pas seulement dire ne pas être un Montaigu, mais maudire les Montaigu.
Le nom n’est donc pas qu’un simple mot; c’est ce mot que nous sommes. Réglementer le nom permet donc de réglementer notre identité, notre rapport juridique à notre identité.
Nom et identité
Le nom est un message qui indique tant aux tiers qu’à nous-mêmes qui nous sommes, qui nous devons être. D’un nom, on déduit une généalogie, un territoire, un sexe, une religion. D’un nom, on déduit une fonction, un ordre social. Le nom est rarement insignifiant. Il produit au contraire des effets extraordinaires : il garantit le passé, nomme le présent, promet un avenir. Le nom porte le souvenir d’un mort, l’espoir d’une cause. Il supporte une réputation, une clientèle. Au nom correspondent une âme, un état, un commerce. Être, c’est être nommé. Or, le nom n’est acquis que si les règles sont respectées. Ces règles, on les retrouve dans l’usage ou dans la loi.
L’usage et la loi
Toute société nomme ses membres. C’est pourquoi le nom est un objet d’étude prisé des anthropologues, qui voient dans l’acte de nommer, dans les règles d’attribution et de dévolution, dans l’usage du nom, mais également dans les croyances entourant le rapport entre nom et individu, les marques d’une culture particulière.
Le rapport qu’entretient le droit au nom dépend de la fonction sociale qu’il lui impute : le nom est compris soit comme une simple question de fait, soit comme un instrument d’ordre civil.
La common law réglemente très peu le nom. L’autorité publique ne lui accorde que peu de place, si ce n’est à titre statistique. Bien qu’il faille socialement porter un nom, rien n’oblige, sinon l’usage et la tradition, à une forme particulière ou encore à un port particulier. Le nom est une institution coutumière et dépend d’abord de la volonté de celui qui nomme, puis de celui qui porte le nom. Le nom n’a rien d’inhérent ou de permanent. Il peut changer à la guise de son détenteur. Seule la fraude balise son usage. Le nom est simplement un moyen de décrire un fait.
Au contraire, dans la tradition civiliste, le nom est compris comme un facteur d’ordre. L’autorité publique gère la fonction sociale, juridique et, par conséquent, symbolique du nom, en délimitant de manière ferme la forme et le choix des noms de même que leurs règles d’attribution et de dévolution et leurs règles d’usage. Le nom garantit stabilité et prévisibilité : l’état civil. Le nom assure une référence singulière et indispensable et, par le fait même, immuable : toute personne est tenue d’exercer ses droits civils et politiques sous le nom qui lui a été attribué sur son acte de naissance.
L’identification
L’état civil est une institution héritée des autorités religieuses, qui ont rapidement désiré répertorier dans les registres paroissiaux les individus ayant reçu le baptême. À partir du XVIe siècle, l’Église catholique romaine a non seulement imposé l’enregistrement des baptêmes, des mariages et des sépultures, mais également, suite au Concile de Trente (1563), imposé que les prénoms donnés aux enfants baptisés comportent au moins celui d’un saint catholique. Cette règle fut établie en réaction à certaines coutumes protestantes qui voulaient que l’on nomme ses enfants à l’image de personnages de l’Ancien Testament, lesquelles n’avaient rien à voir avec le christianisme.
Lors de la Révolution française, le droit s’est à son tour saisi du nom. Si d’abord l’état civil laïque a permis une liberté totale dans l’attribution et le port du nom, il s’est rapidement repris et a imposé comme prénoms « les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne ». Selon la Loi relative aux Prénoms et changements de Noms du 11 Germinal An XI (1 avril 1803, no 2614), les officiers publics ne pouvaient admettre aucun autre nom dans leurs actes. Cette loi est restée en vigueur jusqu’à tout récemment en France, bien que peu mise en oeuvre. Ce qu’il faut en retenir : le rôle actif des officiers publics dans l’attribution du nom et la soustraction de la dénomination à la simple volonté des parents.
Aujourd’hui, c’est surtout l’ordre public qui guide les restrictions pouvant être apportées à un prénom par les officiers de l’État. Si le nom ne suit pas la forme imposée par le droit commun, ou si les noms assignés ne sont pas dans l’intérêt de son détenteur, l’autorité publique interviendra.
La forme imposée varie selon les juridictions. Au Québec, suivant le Code civil du Québec, le nom découle de la filiation, les parents nommant leurs enfants. Ces derniers peuvent se voir octroyer plusieurs prénoms mais qu’un seul nom de famille, et celui-ci ne peut être composé que de deux éléments : les noms des parents. Le choix du nom (y compris l’ordre, lorsque plusieurs éléments sont combinés) est laissé à la volonté des parents et, fait étonnant dans ce régime si encadré, rien n’empêche que des frères et soeurs ne portent pas le même nom de famille. En France, en revanche, le Code civil impose un nom de famille identique pour la fratrie. Ce mode d’attribution légal est assez récent. La coutume de dévolution du nom de famille du père à ses enfants a longtemps été la norme, et ce n’est qu’en réponse à de grands changements sociaux et législatifs en faveur de l’égalité des sexes que cette formule légale a été mise en place.
Dans les pays de tradition anglo-saxonne, il n’y a pas de droit commun régissant le nom et sa forme. L’état civil enregistre le nom, il ne le définit pas. On retrouve certainement des réglementations spécifiques qui indiquent par exemple l’importance de la lignée, mais la liberté règne : on peut donner un nom hybride, en créer un nouveau, ou même assigner le nom d’une personne que l’on admire. Le nom n’a pas un lien obligatoire avec la filiation : le nom est un signe d’identification purement personnel. Cette liberté, il faut le noter, est très peu utilisée; la tradition en veut autrement, et le nom de famille du père ou de la mère est habituellement de mise.
Le nom d’usage et l’usage du nom
De cette liberté découle un effet important : en common law, le nom est le nom d’usage. Le nom inscrit dans les registres reste important, mais n’est pas déterminant. Une personne est citée en justice sous le nom sous lequel elle est habituellement connue. Le changement officiel de nom existe et se fait facilement (des lois ou règlements prévoient des formulaires et des frais administratifs), mais il n’est habituellement pas réellement nécessaire d’y avoir recours : l’inscription officielle a une charge plus symbolique que juridique. Rien n’implique que l’autorité publique s’en mêle.
Le nom ici n’a rien d’immuable, mais il faut en user avec précaution. Il existe en revanche un bémol à cette liberté nominale totale de la tradition de common law : la fraude et le comportement illégal.
En droit civil, tout se joue autrement. Une fois inscrit à l’acte, le nom est en principe immuable. Le nom, au service de l’État, sert de signature irrévocable de l’individu dans la sphère juridique et sociale. L’usage du nom n’est pas un fait, mais une obligation, un devoir.
L’individu est tenu de répondre du nom qui lui a été attribué, de se tenir visé sous ce nom, de le reconnaître comme le concernant, et ce, tout spécialement lorsqu’il s’agit d’actes juridiques. Le nom en droit civil est celui qui est inscrit à l’acte de naissance.
Ceci ne veut pas dire que le droit civil ne permet pas l’usage d’autres noms que celui qui a été attribué : les sobriquets, les pseudonymes ou simplement le désir de changement ne sont pas défendus. Mais évidemment, celui qui utilise un autre nom sera responsable de la confusion ou du préjudice qui pourrait en résulter. Par ailleurs, le nom d’usage, bien que légal, ne pourra jamais être transmis par filiation à moins qu’il n’y ait changement officiel de l’état civil.
Ce changement est possible. Cependant, pour des raisons d’ordre public, c’est l’autorité publique qui garde le contrôle sur cet acte. Il ne suffit pas de remplir un formulaire, il faut également remplir des critères particuliers. Au Québec, on parle de motifs sérieux, par exemple un nom difficile à prononcer ou encore un nom frappé de ridicule. Le temps, c’est-à-dire l’usage continu et maintenu d’un nom, peut également permettre le changement officiel. Mais si l’usage a des conséquences juridiques, il est tout de même dominé par le droit : la puissance publique a le dernier mot sur le nom.
Le droit du nom, le droit au nom, le droit sur le nom
Le nom, simple fait pour les uns, instrument d’ordre social et juridique pour les autres, n’échappe cependant pas complètement à l’usage et à la coutume. On remarque par exemple que dans les deux grandes traditions, le nom reste l’effet de la filiation. Dans la société occidentale, les parents sont sommés de nommer.
Ce pouvoir parental de nommer son enfant a été interprété comme un droit ou une liberté. Il s’agit, en droit civil, plutôt d’un devoir que les parents doivent exécuter selon des règles préétablies dans l’intérêt de l’enfant. Ce dernier, par contre, a un droit au respect de son nom, qu’il a l’obligation de porter.
Dans le droit américain, notamment, le devoir des parents de nommer leur enfant a été compris comme une extension de leur propre privacy right protégé par la constitution. Leur liberté de choisir le nom de leur enfant est donc totale et garantie. L’intérêt de l’enfant n’entre pas dans le cadre d’analyse de cette liberté : l’enfant pourra à son tour, au nom de son propre privacy right, user de sa liberté de changer de nom à sa guise. Le nom n’est pas protégé, il peut même être complètement abandonné. Le nom, je le répète, est un fait. C’est la liberté de choisir son propre nom ou celui de ses enfants qui est protégée.
Mais le nom est également un objet de volonté, un élément de commodité sociale à la disposition de chacun. Bien que les règles d’attribution et d’usage font que personne n’a de monopole sur un nom en common law — comment avoir un monopole sur un fait? —, il est clair qu’un nom peut acquérir un certain caractère pécuniaire et commercial et devenir l’objet d’un contrat ou d’une exclusivité. Il suffit de penser au nom d’un commerce, d’une marque ou encore d’une célébrité.
En droit civil, cette exclusivité a fait couler beaucoup d’encre puisque le nom, d’abord élément de l’état civil, a très vite été compris comme un droit de la personnalité.
En effet, le nom n’est pas un objet de droit ordinaire : indissociable de la personne, attribut inhérent de sa personnalité, il en est un des signes les plus tangibles. Le nom, comme la personnalité, est donc inaliénable, immuable, imprescriptible. Ce statut lui confère une protection accrue : une atteinte à un nom est comprise comme une atteinte à l’intégrité morale de son porteur, une atteinte à sa dignité.
Le nom a donc un caractère fondamental auquel on ne saurait renoncer. Ceci est renforcé par le fait que le nom intéresse l’autorité publique, qui le rend ainsi indisponible, et par le fait que le nom, bien qu’intimement lié à la personne qui le porte, transcende son titulaire, appartenant à la famille et à la communauté plutôt qu’à l’individu, qui n’en est que le support. Le nom porte la personne autant que la personne le porte.
Le nom est donc tout sauf un bien. Il est par nature extrapatrimonial.
Pourtant, du droit au nom découle non seulement la protection légale accordée à tout intérêt légitimement protégé (le respect du nom par soi-même et par les tiers), mais également l’aspect actif de ce droit (le droit d’user de ce droit, le droit d’agir en maître sur son nom dans les limites de la loi). Le titulaire du droit au nom a donc également un droit sur le nom, qu’il peut légalement exercer sans pour autant porter atteinte à sa personnalité ou renoncer illicitement à ses droits. De la même manière, il peut y avoir une atteinte au nom sans qu’il y ait une atteinte à la personne; le nom peut acquérir un caractère patrimonial et faire, comme c’est le cas pour l’image, l’objet d’un contrat.
Le nom peut ainsi se détacher de la personne et ne devenir qu’un message.
Le droit et le nom
En droit civil, le nom est partout : en droit des personnes, en droit des biens, en droit des obligations… Le nom n’a pas su trouver sa place dans cette architecture rigide et théorique. En common law, le nom n’est nulle part, le nom est en marge, jamais saisi directement par le droit qui laisse à d’autres sites de normativité — l’usage et la coutume — le soin de s’en charger.
Bien que les deux traditions semblent diamétralement opposées dans leur appréhension du nom, toutes deux s’accordent sur une chose : le nom a une charge symbolique que le droit ne pourra jamais capturer sans la dénaturer.