Le concept de mère en droit peut paraître moins obscur que la plupart des notions juridiques courantes. Cependant, sa proximité avec le constat biologique et sa récurrence dans une gamme de champs du savoir (sociologie, philosophie, anthropologie, littérature, histoire, biologie, médecine, etc.) transforme la notion juridique en un locus particulièrement subversif. La notion de mère en droit est un construit juridique et politique. Nonobstant son omniprésence dans le Code civil du Québec — elle y apparaît 98 fois dans la version française et 102 fois dans la version anglaise —, la notion de mère n’y est ni définie, ni circonscrite. Dans les provinces canadiennes de common law, certaines lois en matière familiale se risquent à préciser la notion, sans grand succès. Les définitions demeurent vagues et renforcissent, plus souvent qu’autrement, l’idée selon laquelle celle qui a porté et donné naissance est nécessairement la mère en droit. Ce présupposé souffre de quelques exceptions, l’adoption étant la principale. Certains dictionnaires juridiques ont tenté de définir « mère ». Par exemple, la seconde édition du Dictionnaire de droit privé, parue en 1991, définissait « mère » d’une façon technique et prudente, loin de toute controverse : « [a]scendant féminin au premier degré ». Si la définition est abstraite, la citation des auteurs québécois Azard et Bisson qui l’accompagne est évocatrice : « La preuve de la maternité légitime porte nécessairement sur un double fait : d’abord, l’accouchement de la mère; ensuite, l’identité de l’intéressé avec l’enfant mis au monde par celle-là. » Bien qu’ancrée dans son époque (1971), cette citation renferme plusieurs présupposés sur la maternité et sur l’interaction entre le concept de mère en droit et de mère biologique : l’accouchement, la maternité légitime, et l’identité de l’intéressé (tiers autre que l’enfant). Si un enfant naît, cela suppose qu’une femme quelque part l’a porté et a accouché naturellement ou avec assistance médicale; il s’agit d’un constat biologique. Déterminer qui est la mère paraît donc assez simple. Pourtant des développements récents remettent cette réalité en question : il est aujourd’hui possible d’avoir plus d’une femme biologiquement impliquée dans la reproduction. Si la notion juridique a été et reste encore exclusivement associée à cette réalité, la multiplication des types de relation socialement productive entre les femmes et les enfants permet d’évaluer et de réfléchir sur ce critère naturel, prétendument primordial, dans l’établissement de la relation filiale mère-enfant. Le choix de se reproduire est un développement historique majeur et relativement récent (XXe siècle) : l’idée que les femmes puissent choisir de procréer — ou non — a permis à la femme et plus particulièrement à l’épouse de se sortir de sa fonction reproductrice. Le paradigme de la femme qui est mère a évolué vers celui de la mère qui est femme : la femme existe maintenant au-delà de la reproduction. La femme n’est plus seulement une mère potentielle. Elle peut, dorénavant, être positionnée en dehors de sa fonction maternelle. Cette réalité est, pour plusieurs, l’élément déclencheur du féminisme. La maternité légale, dissociée de la maternité biologique, n’a jamais été octroyée à qui le voulait. Si la reproduction et l’accouchement ont été des faits constants, la détermination de la maternité légale — lien filial produisant des effets juridiques et permettant de bénéficier d’avantages sociaux — représente un état méritoire. La règle juridique de base voulant que la mère soit celle qui expulse le foetus souffre de plusieurs exceptions. La biologie a une importance variable dans la détermination de la filiation juridique maternelle, mais elle a opéré, et opère toujours, comme mécanisme d’asservissement et d’exclusion. L’orientation sexuelle de la mère est un autre facteur d’exclusion …
Parties annexes
Bibliographie
- Adoption — 161, 2016 QCCA 16.
- Azard, Pierre et Alain-François Bisson, Droit civil québécois, t 1 : Notions fondamentales, famille, incapacités, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1971.
- Brierley, John EC et Paul-André Crépeau, dir, Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues, 2e éd, Cowansville, Yvon Blais, 1991, sub verbo « mère ».
- Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, dir, Dictionnaire de droit privé de la famille et lexiques bilingues, Cowansville, Yvon Blais, 1999.
- De Beauvoir, Simone, Le deuxième sexe, vol 1 : Les faits et les mythes, Paris, Gallimard, 1976.
- Foucault, Michel, Histoire de la sexualité, t 1 : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976.
- Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, LQ 1980, c 39.