McGill Law Journal
Revue de droit de McGill
Volume 63, numéro 2, december 2017
Sommaire (6 articles)
Articles
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Law Enforcement Access to Encrypted Data: Legislative Responses and the Charter
Steven Penney et Dylan Gibbs
p. 201–245
RésuméEN :
In our digital age, encryption represents both a tremendous social benefit and a significant threat to public safety. While it provides the confidence and trust essential for digital communications and transactions, wrongdoers can also use it to shield incriminating evidence from law enforcement, potentially in perpetuity. There are two main legal reforms that have been proposed to address this conundrum: requiring encryption providers to give police “exceptional access” to decrypted data, and empowering police to compel individuals decrypt their own data.
This article evaluates each of these alternatives in the context of policy and constitutional law. We conclude that exceptional access, though very likely constitutional, creates too great a risk of data insecurity to justify its benefits to law enforcement and public safety. Compelled decryption, in contrast, would provide at least a partial solution without unduly compromising data security. And while it would inevitably attract constitutional scrutiny, it could be readily designed to comply with the Charter. By requiring warrants to compel users to decrypt and giving evidentiary immunity to the act of decryption, our proposal would prevent inquisitorial fishing expeditions yet allow the decrypted information itself to be used for investigative and prosecutorial purposes.
FR :
À l’ère du numérique, la cryptographie représente à la fois un avantage social considérable et une menace importante à la sécurité publique. Bien que cet outil assure la confiance essentielle à l’intégrité des communications et transactions numériques, des malfaiteurs peuvent également s’en servir pour dissimuler des preuves incriminantes des forces de l’ordre. Deux réformes juridiques ont été principalement proposées pour remédier à cette problématique: obliger les fournisseurs de systèmes cryptographiques à offrir à la police un « accès exceptionnel » aux données décryptées et à leur donner le pouvoir d’obliger les particuliers à décrypter leurs propres données.
Cet article évalue ces deux options dans le contexte de politiques publiques et du droit constitutionnel. Nous concluons que l’option de l’accès exceptionnel, bien que très probablement constitutionnelle, génère un risque d’insécurité trop important pour en justifier les avantages qu’il peut offrir aux forces de l’ordre et à la sécurité publique. Le déchiffrement forcé, en revanche, proposerait au moins une solution partielle à la problématique, sans compromettre indûment la sécurité des données visées. Et bien que cela attirerait inévitablement un examen constitutionnel, cela pourrait être facilement conçu pour se conformer à la Charte. En exigeant des mandats pour obliger les utilisateurs à décrypter leurs données et en donnant l’immunité en matière de preuve à l’acte de décryptage, notre proposition empêcherait les expéditions de pêche inquisitoriales tout en permettant l’utilisation des informations déchiffrées à des fins d’enquête et de poursuite.
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Origines et évolution du droit québécois de l’absence : de l’existence incertaine aux présomptions de vie et de mort
Étienne Cloutier
p. 247–281
RésuméFR :
Le présent article passe en revue les premières manifestations de l’institution de l’absence en droit romain et dans l’ancien droit français, pour ensuite retracer les origines — historiques et conceptuelles — du droit québécois de l’absence, et de détailler son évolution, du Code civil du Bas-Canada jusqu’au Code civil du Québec.
Il cherche aussi à mettre en relief l’influence qu’a eue sur l’état actuel du droit québécois le traitement dans les systèmes de droit continental — napoléonien et germanique — de cette question.
De plus, il entend démontrer que c’est non seulement dans l’optique de s’arrimer au développement technologique de l’époque, mais également devant le constat de l’impraticabilité de l’idée, propre au modèle napoléonien, du maintien de l’incertitude quant à la vie ou la mort de l’absent, que le législateur québécois l’a abandonnée au profit de celle, issue du droit germanique, selon laquelle sa vie est présumée jusqu’à ce qu’une preuve contraire soit suffisante.
Il se questionne, ultimement, sur les développements à venir en matière d’absence en droit québécois.
EN :
This article begins with a review of the first manifestations of the civilian institution of absence in Roman law and the French Napoleonic Code. It then retraces the historical and conceptual origins of Quebec’s law of absence detailing its evolution from the Civil Code of Lower-Canada to the Civil Code of Quebec.
The article also seeks to highlight the influence that the treatment of this question in Continental Legal systems—Napoleonic and Germanic—might have had on the current state of Quebec law.
It intends, furthermore, to demonstrate that in keeping with the technological developments of the time, and for reasons of impracticability, the Quebec legislature has abandoned the Napoleonic model’s idea of maintaining uncertainty as to the life or death of the absentee. Rather, the Quebec legislature has chosen to favour the idea derived from Germanic law whereby the absentee’s life shall be presumed until sufficient proof to the contrary is provided.
The article concludes with an overview of the developments to come in the field of absence law in Quebec.
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Le concept d’autonomie dans l’arrêt Carter c. Canada : Au-delà du libre-choix
Karine Millaire
p. 283–313
RésuméFR :
Quelle est la portée du droit à l’autonomie de la personne depuis l’arrêt Carter c. Canada ? L’arrêt a conclu que les dispositions du Code criminel qui prohibaient de façon absolue toute aide à mourir sont inconstitutionnelles en ce qu’elles portaient atteinte de façon injustifiée à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. La présente contribution analyse le concept d’autonomie qui sous-tend les motifs de la Cour.
Dans un premier temps, les trois modèles théoriques d’« autonomie » reconnus en contexte biomédical et leurs fondements philosophiques seront décrits, à savoir l’autonomie idéale objective, l’autonomie idéale subjective et l’autonomie « non idéale » subjective (autrement qualifiée de « libre-choix »).
Dans un deuxième temps, nous démontrerons que le concept d’autonomie développé dans Carter possède une véritable portée normative substantive correspondant aux principes philosophiques identifiés. La définition du droit à la vie excluant un « droit à la mort » correspond à une norme universelle compatible avec un modèle d’autonomie idéale objective. Lorsque l’autonomie est saisie sous le prisme de l’atteinte au droit à la liberté, c’est alors le modèle de l’autonomie idéale subjective qui est retenu par les juges, lequel vise à permettre à un individu de se gouverner selon l’ensemble de ses valeurs et de ses convictions quant à la conduite générale de sa vie.
En définitive, nous concluons que le concept d’autonomie tel que consacré par l’arrêt Carter revêt une dimension normative dont le respect en pratique pourra — voire devra — justifier des exigences juridiques comme éthiques allant au-delà du simple « libre-choix ».
EN :
What is the scope of the right to personal autonomy since Carter v. Canada? The case concluded that the provisions of the Criminal Code prohibiting assistance in dying are unconstitutional in that they unjustifiably infringe section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms. This article analyzes the concept of autonomy underpinning the Court’s reasons.
First, the three theoretical models of “autonomy” recognized in the biomedical context and their philosophical foundations will be described. These models are objective ideal autonomy, subjective ideal autonomy, and subjective “non-ideal” autonomy (also called the “free choice” model).
Second, we will demonstrate that the concept of autonomy developed in Carter carries a truly substantive normative scope corresponding to the philosophical principles identified above. The definition of the right to life as excluding a “right to die” corresponds to a universal norm compatible with a model of objective ideal autonomy. When autonomy is understood as an infringement to the right to freedom, the model of subjective ideal autonomy is that retained by judges. This model seeks to allow individuals to self-govern according to the values and convictions that guide the way they lead their life.
We conclude that respecting the normative dimension of the concept of autonomy laid down in Carter may justify—if not demand—legal and ethical requirements going beyond simple notions of “free choice”.
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Cabinet Immunity in Canada: The Legal Black Hole
Yan Campagnolo
p. 315–374
RésuméEN :
Fifteen years ago, in Babcock v. Canada (A.G.), the Supreme Court of Canada held that section 39 of the Canada Evidence Act, which deprives judges of the power to inspect and order the production of Cabinet confidences in litigation, did not offend the rule of law and the provisions of the Constitution. The aim of this article is to revisit this controversial ruling and challenge the Supreme Court’s reasoning. The first part seeks to demonstrate that the Supreme Court adopted a very thin conception of the rule of law in its jurisprudence, a conception which is of limited use as a normative framework to assess the legality of statutory provisions. To that end, the author turns to the thicker theory of law as justification which insists upon the requirements of fairness, transparency, and accountability. Pursuant to the theory of law as justification, an executive decision to exclude relevant evidence in litigation must comply with two requirements: it must be made following a fair decision-making process; and it must be subject to meaningful judicial review. The second part seeks to demonstrate that section 39 does not comply with these requirements. The decision-making process established by Parliament under section 39 is procedurally unfair, in violation of paragraph 2(e) of the Canadian Bill of Rights, because: the identity of the final decision-maker—a minister or the Clerk of the Privy Council—gives rise to a reasonable apprehension of bias; and the decision-maker is not required to properly justify his or her decision to exclude relevant evidence. In addition, section 39 infringes the core, or inherent, jurisdiction and powers of provincial superior courts, in violation of section 96 of the Constitution Act, 1867, as it unduly limits their authority to: control the admissibility of evidence in litigation; and review the legality of executive action. As a result of these flaws, the author argues that section 39 is an unlawful privative clause, a form of legal black hole, which offends the rule of law and the provisions of the Constitution.
FR :
Il y a quinze ans, dans Babcock c. Canada (Procureur général), la Cour suprême du Canada a conclu que l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, qui prive les juges du pouvoir d’examiner les renseignements confidentiels du Cabinet et d’en ordonner la production dans le cadre d’un litige, ne constituait pas une atteinte à la primauté du droit ni aux dispositions de la Constitution. Cet article a pour but de reconsidérer cette décision controversée et de contester le raisonnement de la Cour suprême. La première partie cherche à démontrer que la Cour suprême a adopté une conception très étroite de la primauté du droit dans sa jurisprudence, une conception ayant une portée fort limitée comme cadre normatif pour évaluer la légalité des dispositions législatives. Pour ce faire, l’auteur fait appel à la théorie plus large du droit comme justification, qui insiste sur les exigences de l’équité, de la transparence et de la responsabilité. Conformément à cette théorie, une décision de l’exécutif d’exclure des éléments de preuve pertinents dans le cadre d’un litige doit être conforme à deux critères: elle doit être prise selon un processus équitable; et elle doit être soumise à un contrôle judiciaire significatif. La deuxième partie cherche à démontrer que l’article 39 ne satisfait pas à ces critères. Le processus décisionnel établi par le Parlement à l’article 39 est inéquitable sur le plan procédural, violant ainsi le paragraphe 2e) de la Déclaration canadienne des droits, puisque l’identité de la personne qui prend la décision finale — un ministre ou le greffier du Conseil privé — soulève une crainte raisonnable de partialité. De plus, cette personne n’est pas tenue de motiver adéquatement sa décision d’exclure les éléments de preuve pertinents. Par ailleurs, l’article 39 porte atteinte à la compétence et aux pouvoirs inhérents des cours supérieures provinciales, violant ainsi l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, puisqu’il limite indûment leur capacité de contrôler: l’admissibilité de la preuve dans le cadre d’un litige; et la légalité des actions de l’exécutif. Pour ces motifs, l’auteur soutient que l’article 39 est une clause privative illicite, une forme de trou noir juridique qui enfreint tant la primauté du droit que la Constitution.
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Expanding the Parameters of Participatory Public Law: A Democratic Right to Public Participation and the State’s Duty of Public Consultation
Mary Liston
p. 375–416
RésuméEN :
This article examines the potential for an improved and expanded democratic relationship between the state and its legal subjects in public law. In Part I, I synthesize several of the compatible features of liberal, civic republican, and deliberative democratic theories in order to advance a new framework for public law in Canada that grounds a right to public participation, and the state’s public consultation duties. The framework illustrates how liberalism, civic republicanism and deliberative democracy possess mutually beneficial effects for public law. This type of democratically-informed common law juridical relationship has not yet been achieved—the topic of Part II—but, in Part III, I employ two typical Canadian public law cases to highlight the nature of current limitations as a springboard to suggest that expanded participation rights are both immanent and possible in Canada. In Part IV, I argue that along with the framework from Part I, jurisprudential pieces are already in place to expand the parameters of participatory public law. Drawing on insights from other jurisdictions, current limitations and anxieties about this expansion can be mitigated or overcome. I then briefly consider two criticisms concerning the effect that more robust public participation requirements may have on courts and governments. Drawing on the theoretical framework presented in Part I, I conclude that an individual right to public participation combined with a general duty of public consultation is an essential legal requirement in modern rights-respecting democracies, such as Canada’s, which aspire to be deliberative, fair, and participatory.
FR :
Cet article envisage la possibilité d’une relation démocratique plus riche et approfondie en droit public entre l’État et ses sujets juridiques. La première partie synthétise plusieurs éléments compatibles issus des théories du libéralisme, du républicanisme civique et de la démocratie délibérative dans le but de proposer une nouvelle structure pour le droit public canadien. Celle-ci établira un droit à la participation publique et les devoirs de consultation publique de l’État. Cette structure illustre à quel point le libéralisme, le républicanisme civique et la démocratie délibérative ont des effets mutuellement bénéfiques pour le droit public. La deuxième partie confirme que ce type de relation juridique démocratique de common law n’a pas encore été adéquatement développé. La troisième partie analyse deux arrêts en droit public canadien qui sont représentatifs de cette idée pour mettre en lumière la nature des obstacles à cette relation et suggérer que des droits participatifs plus étendus sont à la fois possibles et immanents au Canada. La quatrième partie argumente qu’aux côtés de la structure suggérée par la première partie, les éléments jurisprudentiels nécessaires à l’expansion du droit public participatif sont déjà présents. En s’appuyant sur les enseignements d’autres juridictions, les limites et les craintes liées à cette expansion peuvent être atténuées ou dépassées. L’on considère brièvement deux critiques concernant l’effet que des exigences de participation plus robustes pourraient avoir sur les tribunaux et les gouvernements. S’appuyant sur le cadre théorique présenté dans la première partie, l’article conclut que la combinaison d’un droit de participation individuel et d’un devoir général de consultation publique constitue une exigence juridique essentielle dans les démocraties modernes qui respectent les droits individuels, tel le Canada, et qui aspirent à être délibératives, justes et participatives.