Résumés
Résumé
Depuis l’avènement du multipartisme dans certains États africains, des crises plus ou moins violentes y agitent régulièrement la scène politique. Les désaccords entre les gouvernants et l’opposition créent un climat de tensions permanentes, débouchant quelquefois sur des confrontations armées d’une rare violence.
Les acteurs politiques africains recourent assez fréquemment à des accords et autres compromis pour sortir des crises nées de leurs désaccords. Ces arrangements politiques comportent souvent un contenu juridique destiné à pallier les insuffisances et les lacunes de la constitution, dont l’instrumentalisation par le pouvoir exécutif est l’une des causes du malaise des sociétés politiques africaines.
La relation entre la constitution et les conventions politiques en période de crise pose problème. Elle se révèle être une relation à la fois conflictuelle et pacifique, dont les manifestations dépendent des règles en présence. La grille de lecture de l’analyse constitutionnelle classique se trouve affectée par le caractère atypique de cette normativité constitutionnelle pénétrée par la politique. La pyramide des normes, en particulier, est bouleversée par ces accords politiques qui, dans certains cas, sont prioritaires par rapport à la constitution. Cette hétérodoxie normative, dans laquelle la norme constitutionnelle semble affaiblie, a néanmoins l’intérêt de favoriser parfois son enrichissement par la norme politique.
Abstract
Since the advent of multi-partyism in different African states, violent crises regularly shake up the political scene. The rulers and the opposition are generally in disagreement, which creates an atmosphere of permanent tension, sometimes leading to armed confrontations of extraordinary violence.
To overcome their disputes, African political actors frequently have recourse to agreements and other compromises to end crises born of their disagreements. More and more, these political arrangements have legal content intended to make up for the inadequacies and lacunae of the constitution, whose use by the executive for its own ends is one of the causes of unrest in African political societies.
This raises the problem of the relation between the constitution and political agreements in times of crisis. Based on an analysis of various situations, we observe a relationship that is at once conflictual and peaceful, depending on the rules in place. This atypical penetration of constitutional normativity by politics affects the interpretive framework of traditional constitutional analysis. The pyramid of norms is also affected to the point where, in certain cases, political agreements take priority over the constitution. This normative heterodoxy, in which constitutional norms seem weakened, nevertheless has the benefit of sometimes being enriched by political norms.
Corps de l’article
Introduction
La prolifération ou la « valse des arrangements politiques »[1], au cours de ces dernières années[2] où le constitutionnalisme africain est reconsidéré[3], renouvelle la question de la place de tels arrangements politiques dans l’ordonnancement juridique des États africains et de la relation qu’ils entretiennent avec la constitution[4]. Cette recrudescence des compromis politiques[5] ne symbolise-t-elle pas un recul de l’État de droit constitutionnel[6] ?
Les travaux réalisés récemment sur le continent africain qui abordent cette question de la relation entre le droit et la politique ne s’intéressent à la nature et à la portée de cette relation que de manière accessoire. Les études connues qui tentent de traiter la question en profondeur sont assez rares et leur actualisation n’est pas inutile : d’où l’intérêt de cette contribution, qui se propose de revisiter la thématique essentielle, en Afrique notamment, d’une normativité juridique pénétrée ou rattrapée par la réalité factuelle et politique.
L’entreprise n’est pas sans écueil. Le sujet est en effet difficile en raison des contours flous de la notion d’accord politique, qui semblent rejaillir malencontreusement sur la signification du concept même de constitution[7], qu’il importera, malgré tout, de préciser.
Même si la notion d’accord politique est des plus incertaines[8], il est néanmoins possible et impératif de la définir. Le professeur Atangana Amougou en a esquissé une définition essentielle[9] : parlant plutôt d’accords de paix, et situant ainsi les accords politiques dans un contexte de protection ou de retour à la stabilité sociale suite à des secousses observées[10], l’auteur s’attache en effet à les présenter comme des conventions conclues entre les protagonistes d’une crise interne dans le but de la résorber. Leur élaboration résulte généralement d’un différend entre le pouvoir et l’opposition qui ne trouve pas de solution, générant un conflit interne propice à un blocage institutionnel. Ceci conduit l’auteur à observer que ces accords apparaissent presque toujours dans un contexte exceptionnel[11].
Quant au concept de constitution ou de loi fondamentale, sa signification est appréciée diversement par les auteurs. La tendance générale est de définir la constitution comme la norme qui fixe le statut de l’État et qui assure l’encadrement juridique de son pouvoir[12]. En développant davantage, la constitution se présente comme l’ensemble des règles qui, au sein de l’État, déterminent les modalités d’acquisition, de conservation, d’exercice et de transmission du pouvoir[13], ainsi que le régime des droits et libertés des personnes et des groupes[14].
Mais la notion elle-même est évolutive. Louis Favoreu remarque fort opportunément le passage, en France, de la constitution comprise comme une idée, assimilée au régime politique, à un droit constitutionnel davantage recentré sur l’adoption de règles obligatoires et juridiquement sanctionnées[15]. Le doyen Meledje constate par ailleurs son extensibilité sémantique, surtout en temps de crise, lorsque la notion de constitution incorpore à son contenu les arrangements politiques[16].
Les mutations du constitutionnalisme africain ont entraîné la redéfinition du concept de constitution. En tout état de cause, l’unanimité est faite autour de la reconnaissance de la constitution comme étant le fondement de l’État[17] ; son statut de norme ou de règle suprême dans l’ordonnancement juridique de celui-ci reste, en doctrine, une conception largement partagée[18], bien que toujours débattue[19].
Mais plus que cette conceptualisation, c’est surtout l’irruption des accords politiques sur la scène juridique et institutionnelle africaine qui ravive l’attention des constitutionnalistes. Certains auteurs se sont intéressés aux raisons de ce conventionnalisme évolutif[20]. On relève ainsi, parmi les explications généralement fournies, que la naissance des compromis politiques, engendrés à la suite d’une crise ou d’une situation conflictuelle, advient surtout dans un contexte de contestation des institutions et des règles constitutionnelles[21], jugées inopportunes ou discriminatoires. La faible crédibilité de la constitution[22] et de la justice constitutionnelle[23], vitrines d’une « démocratie émasculée »[24], expliquerait cette tendance à les ignorer dans les périodes de tensions. Au surplus, les arrangements politiques ont une nature et une valeur juridiques controversées. Certains auteurs adhèrent à l’idée que les compromis politiques sont des conventions constitutionnelles[25], ce que rejettent d’autres constitutionnalistes[26]. D’autres encore tentent de démontrer l’apparentement de ces compromis à la coutume constitutionnelle et à la théorie de la constitution matérielle[27]. La valeur normative de tels arrangements politiques est elle aussi débattue, leur supériorité à la constitution étant parfois constatée, parfois contestée[28].
La relation entre la constitution et les accords politiques, dans certains États africains en crise ou fraîchement sortis d’une période de conflits, est marquée par des expériences juridiques et institutionnelles exceptionnelles, voire parfois surréalistes, et engendre une série d’interrogations auxquelles nous tenterons de répondre. Se pose ainsi la question de la nature de cette relation et de ses incidences sur la hiérarchie des normes dans les États concernés[29]. La cohabitation entre les règles constitutionnelles et les conventions politiques a-t-elle une influence sur l’ordonnancement juridique ? Le positivisme classique est-il remis en cause par le constitutionnalisme africain ? Cette relecture du modèle constitutionnel occidental, fondée sur l’irruption de la normativité politique sur la scène juridique, permet-elle de conclure à l’originalité du droit africain ? Présente-t-elle des vertus ou plutôt des inconvénients pour la société politique et constitutionnelle subsaharienne ?
Alors que, dans certains pays de tradition démocratique, les accords politiques font partie intégrante de la vie institutionnelle normale, sur le continent africain, ces accords prospèrent généralement en période de crise ou de tensions politiques. Ce particularisme de l’Afrique affecte nécessairement la pyramide des normes et remet en cause l’orthodoxie juridique et certaines théories développées par les tenants du positivisme classique[30]. En examinant ainsi la situation normative et juridique des États africains en crise ou antérieurement confrontés à des conflits, on aboutit à des résultats contrastés révélant une relation conflictuelle entre la constitution et les compromis politiques (I), mais également la possibilité de leur cohabitation pacifique (II).
I. Une relation conflictuelle
La relation entre la constitution et les arrangements politiques est souvent caractérisée par des rapports conflictuels et contradictoires. Cette conflictualité conduit au renversement de la pyramide des normes (A), et favorise en outre la déstabilisation de l’ordre constitutionnel (B). On constate ainsi une déconstruction de la logique du positivisme classique[31].
A. Une conflictualité conduisant au renversement de la pyramide des normes
L’étude des systèmes africains permet de relever que, dans l’hypothèse d’un conflit de normes entre la constitution et les accords politiques, ces derniers prévalent sur la loi fondamentale, « comme par un renversement du sens de la roue », selon la riche expression du doyen Meledje[32]. On peut remarquer, en pareilles circonstances, la négation ou la remise en cause du primat de l’ordonnancement juridique sur l’ordonnancement politique. La constitution se trouve alors reléguée au second plan et les compromis politiques acquièrent une place prépondérante dans l’architecture normative de l’État. Certains auteurs parlent même, à cet égard, de renoncement à la constitution ou de mise en veilleuse des règles constitutionnelles[33].
On constate ainsi, dans les États concernés, le primat des normes politiques (1) et un déclassement des règles constitutionnelles (2).
1. Le primat des normes politiques
La prolifération des compromis politiques se situe dans un contexte général de résurgence des crises et des foyers de tensions en Afrique[34]. La violence du jeu politique africain constitue une réalité tangible, où la multiplication des accords symbolise, de manière très marquée, ce que certains auteurs appellent le recul du constitutionnalisme[35]. La prolifération des compromis politiques révèle en effet l’insuffisance des solutions constitutionnelles proposées pour les résoudre : on peut la considérer comme un phénomène de déconstitutionnalisation.
Ce recul du constitutionnalisme fait place à la suprématie des arrangements politiques, qui deviennent le véritable fondement de l’État, remplaçant ainsi la constitution dans le rôle qu’on lui prête traditionnellement. Dans ces conditions, on le voit bien et c’est ce que décrivait Dominique Rousseau : le texte constitutionnel n’a aucun impact sur la vie politique, c’est-à-dire sur le fait ou sur la pratique, qui prennent le pas sur le droit. Les accords politiques deviennent, par la même occasion, la véritable source de l’exercice du pouvoir d’État[36].
Quelques exemples permettront de mieux présenter la question. Pensons d’abord à la crise ivoirienne et à l’Accord de Linas-Marcoussis[37] du 24 janvier 2003, intervenu à la suite d’un coup d’État militaire infructueux perpétré le 19 septembre 2002 et finalement mué en rébellion armée, avec pour conséquence la coupure du territoire national en deux parties gouvernées au sud par le pouvoir légal et au nord par le bloc rebelle. Le professeur de Gaudusson remarque que les conditions d’éligibilité à la présidence de la République contenues dans cet accord diffèrent de celles que prévoit la Constitution de la République de Côte d’Ivoire[38]. L’Accord de Linas-Marcoussis, en ignorant l’article 35 du texte constitutionnel[39], se présente comme un accord contra constitutionem qui supplante ce dernier[40].
Ailleurs, les compromis politiques remettent en cause la constitution et se présentent comme supérieurs à celle-ci par leurs exigences révisionnistes ou rénovatrices. L’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi[41] du 28 août 2000 revendiquait une nouvelle constitution, tout en imposant de nouvelles institutions qui contredisaient la constitution alors en vigueur[42].
Au Kenya, de façon similaire, l’accord de partage du pouvoir entre les deux principaux partis et leurs partisans, survenu en février 2008 après la crise postélectorale sanglante[43] ayant suivi le scrutin présidentiel de décembre 2007, recommandait aussi l’élaboration d’une nouvelle constitution, finalement adoptée en août 2010[44].
Le cas de Madagascar est également édifiant. Le professeur de Gaudusson rappelle à ce propos
[qu’]en 1991, les dirigeants malgaches [ont] fait preuve de beaucoup d’ingéniosité pour surmonter l’affrontement opposant, sur fond de manifestations et de violences, le chef de l’État, Didier Ratsiraka, refusant de démissionner, à ses adversaires, organisés au sein du « Comité des forces vives », décidés à occuper, séance tenante, les lieux du pouvoir. La construction juridique imaginée pour sortir de l’impasse est, pour les juristes, d’une surprenante originalité, tant dans la procédure que dans le fond : les deux parties, le gouvernement et l’opposition, ont conclu et signé, le 31 octobre 1991, une « convention » amendant la Constitution du 31 décembre 1975. Celle-ci est maintenue dans son principe, mais l’accord procède à une profonde réorganisation des pouvoirs publics. Certaines instances sont supprimées (Conseil suprême de la révolution, Assemblée nationale populaire) ; d’autres, essentiellement le chef de l’État, voient leurs prérogatives réduites. Enfin, de nouvelles institutions apparaissent. Il est créé une « Haute autorité pour la transition de la IIIe République », présidée par le leader de l’opposition, Albert Zafy. […] Cette construction a contribué à dénouer l’imbroglio malgache et à préparer le changement de régime qui sera acquis avec la Constitution du 18 septembre 1992[45].
Plus récemment, l’actualité politique et juridique malgache a révélé que la crise née du renversement de Marc Ravalomanana par Andry Rajoelina, président de la Haute autorité de la transition depuis le 17 mars 2009, suite à des manifestations populaires violentes, a été le germe d’un conventionnalisme politique dont certaines normes s’opposent à la Constitution de la République de Madagascar[46] du 11 décembre 2010, pourtant adoptée par voie référendaire le 17 novembre 2010. L’échec des accords de Maputo et d’Addis-Abeba a fait place à la signature, le 17 septembre 2011, d’un autre accord politique, appelé feuille de route pour la sortie de crise[47]. Certaines dispositions de la feuille de route s’avèrent en effet contraires à la Constitution malgache de la Quatrième République. Cet accord politique prévoit par exemple une Cour électorale spéciale, destinée à remplacer la Haute Cour constitutionnelle malgache consacrée par la Constitution malgache. Cette situation est d’autant plus délicate que, conformément au texte constitutionnel, tous les textes législatifs doivent, avant leur promulgation, être soumis au contrôle de constitutionnalité de la Haute Cour constitutionnelle, celle-là même que la feuille de route entend supprimer. Ce qu’il convient de retenir dans l’exemple de Madagascar, c’est moins les bouleversements institutionnels observés que le caractère prioritaire ou supraconstitutionnel des accords politiques signés par les parties en conflit. Ces accords supplantent la constitution et dictent l’organisation ou la structuration de la vie politique malgache.
On aboutit ainsi au couronnement des normes politiques et à la dévalorisation de la constitution, alors même que les accords renferment généralement des dispositions inconstitutionnelles[48]. Ceux-ci s’imposent à la loi fondamentale[49] en obligeant parfois les acteurs politiques à les respecter davantage que cette dernière[50]. Des sanctions sont même prévues en cas de violation des clauses de ces arrangements politiques[51].
Il existe tout de même un surprenant contraste, difficilement explicable en droit, entre certaines dispositions des accords qui reconnaissent la constitution et respectent la légalité constitutionnelle et d’autres qui exigent, au contraire, que les acteurs politiques s’en remettent aux conventions conclues en cas de conflit de normes. Ces accords laissent voir, finalement, leur visage de Janus, étant indécis et hésitants entre le rejet et la conservation du texte constitutionnel.
On peut s’interroger sur les fondements de la primauté des accords politiques. Sans s’étendre sur la question, on pourrait avancer la thèse de l’« internationalisation » de leur signature, sous les auspices d’une communauté internationale[52] qui donne en quelque sorte sa caution morale aux textes adoptés par les protagonistes et les différentes parties à la crise ou au conflit. L’élaboration des compromis politiques, généralement — mais pas toujours — placée sous la tutelle des Nations Unies ou des organisations internationales[53], expliquerait peut-être la suprématie, réelle ou supposée, des accords conclus.
Cette prédominance des arrangements politiques a pour conséquence la dénégation de la primauté constitutionnelle, telle que schématisée dans la théorie kelsénienne de la pyramide des normes, c’est-à-dire qu’elle entraîne un déclassement des règles constitutionnelles.
2. Le déclassement des règles constitutionnelles
La place prépondérante qu’occupe la normativité politique dans le nouveau constitutionnalisme africain remet au coeur du débat l’utilité de la constitution dans les États en crise. La sacro-sainte primauté constitutionnelle[54], telle que la présente la doctrine classique dans la schématisation de la hiérarchie des normes, se trouve ainsi désavouée. La vie politique africaine dans les États en crise donne au juriste le sentiment que la constitution est mise en veilleuse, au point où l’on peut se demander, comme le fait Pierre-François Gonidec, « [à] quoi servent encore les constitutions »[55] dans un contexte de marginalisation au profit des normes politiques. Selon Meledje, qui fait spécifiquement référence au contexte ivoirien, cela traduit « [l]e peu de considération accordée à la Constitution »[56].
On peut s’étonner de cette remise en cause de la suprématie de l’ordre constitutionnel par l’ordre politique dans les États africains en crise, surtout qu’à une époque encore récente, où le vent du multipartisme soufflait sur le continent africain[57], l’autorité et la prééminence de la constitution étaient reconnues dans l’ordonnancement juridique de la plupart de ces États[58]. On est davantage interloqué lorsque l’on remarque que la déconsidération qui affecte la constitution fait suite, illogiquement, à son adoption par voie référendaire — référendum au cours duquel on peut même observer l’adhésion d’une forte majorité au projet de texte constitutionnel[59]. Ce fut le cas de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000, adoptée à plus de quatre-vingt-six pour cent des suffrages exprimés, qui fut malgré tout éclipsée par la crise militaro-politique, débutée en septembre 2002, au profit de normes politiques considérées comme beaucoup plus justes[60]. La campagne référendaire avait pourtant été marquée par un consensus des partis politiques, toutes tendances confondues, autour du texte constitutionnel, appelant même ouvertement le corps électoral à un vote en faveur de celui-ci. Cette apparente incongruité peut peut-être s’expliquer à partir de l’examen du taux d’abstention de quarante-quatre pour cent[61], taux traduisant bien un malaise au sein de la société politique ivoirienne[62].
La succession des compromis depuis 2003 a permis, dans le contexte ivoirien, de canaliser les dissensions au sein de la classe politique, même si cela a entraîné une déstabilisation de l’ordre constitutionnel, comme c’est bien souvent le cas dans les États africains en crise. Une telle situation révèle selon nous une conflictualité normative dotée d’une force agissante.
B. Une conflictualité favorisant la déstabilisation de l’ordre constitutionnel
Le caractère anticonstitutionnel de certains accords ou de certaines de leurs dispositions, au demeurant généralement admis[63], relativise la portée des systèmes politiques institutionnalisés. Dans les États africains concernés par ce phénomène, on se rend bien compte, finalement, que la politique est moins « saisie par le droit »[64] que le droit par la politique. La relecture du constitutionnalisme africain établit une évidence soulignée par la doctrine : les compromis ou les arrangements permettent à la politique de créer le droit, si bien qu’il est possible d’affirmer que le droit est une politique qui a réussi[65].
Les conventions politiques, dont l’irruption dans l’ordre juridique semble inattendue[66], visent à réorganiser les institutions et les pouvoirs publics. La relation entre la constitution et les accords politiques se cristallise ainsi autour de l’idée de rupture de la cohérence et de l’unité de l’ordre constitutionnel dans son ensemble. Cette rupture est révélée par le bouleversement institutionnel occasionné et par la redéfinition des compétences prévues dans la constitution.
1. Le bouleversement institutionnel provoqué par les accords
Si les accords politiques présentent essentiellement la vertu de résoudre les crises, leur application conduit généralement à une remise en cause de la structure institutionnelle de certains États d’Afrique. La déstabilisation de l’ordre institutionnel se remarque ainsi dans la reconfiguration du système politique et dans les incidences que les compromis font peser sur le pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire.
Si le système politique reste généralement inchangé, si la nature du régime présidentiel classique, transfiguré en régime présidentialiste sur le continent africain[67], demeure en place par endroits, il semble néanmoins que les accords politiques permettent de parvenir à des modifications ou à des amendements.
Le pouvoir exécutif d’abord, dans sa nature, passe réellement du monocéphalisme en période normale au bicéphalisme en période de crise[68]. Dans certains régimes présidentialistes, caractérisés ordinairement par la personnalisation du pouvoir d’État[69], on remarque même une désacralisation de la fonction présidentielle, marquée par un réexamen du statut du président de la République[70]. L’importance de ce dernier se trouve parfois relativisée par la montée en puissance d’un premier ministre, éclipsé naguère et repositionné aujourd’hui, lorsque les accords politiques conduisent au partage du pouvoir, selon l’approche consociationnelle ou de « power sharing » développée par Arend Lijphart[71]. L’exemple ivoirien semble particulièrement caractéristique de ce point de vue. On peut relever en effet une certaine redistribution des cartes au sein du pouvoir exécutif, à l’occasion de la conclusion d’arrangements politiques dans le cadre de la résolution de la crise ivoirienne[72] : la formation du gouvernement, à la tête duquel le premier ministre n’est plus seulement un primus inter pares, prend une forme hétéroclite et consensuelle. Le chef de l’État n’est plus véritablement le chef du gouvernement ; il n’est plus en réalité, pour reprendre la formule consacrée par l’article 41 de la Constitution ivoirienne, le détenteur exclusif du pouvoir exécutif[73]. Les accords lui retirent sa compétence constitutionnelle de nommer et de démettre discrétionnairement le premier ministre[74], rendu inamovible par la solidification de son statut[75]. La fonction présidentielle, passée au crible des arrangements contractés, a paru un moment perdre de sa superbe et apparait ainsi, aux yeux de certains observateurs avertis, comme simplement honorifique[76].
Dans certains pays, la violence politique pousse à l’institutionnalisation d’une primature ou, à un degré plus élevé, d’une vice-présidence, par la conclusion d’un accord entre l’opposition et le parti au pouvoir. Morgan Tsvangirai au Zimbabwe et Raila Odinga au Kenya ont pu ainsi devenir premiers ministres dans leur pays respectif. D’autres États optent quant à eux pour l’instauration d’une vice-présidence de la république, pour solder la crise politique[77]. Quoi qu’il en soit, toutes ces formules de partage du pouvoir exécutif entre les protagonistes cassent ou déconstruisent la logique du présidentialisme négro-africain, de manière à relativiser sa portée. Mais cette instrumentalisation politique des règles constitutionnelles semble créer un conflit permanent entre légalité et légitimité, comme on a pu le constater dans la crise ivoirienne ou malgache[78].
Ensuite, le parlement dans les États africains en crise, sans qu’il soit besoin de s’étendre, est parfois, voire souvent, soumis aux accords politiques, beaucoup plus qu’aux dispositions constitutionnelles. Il est même arrivé que le pouvoir législatif fasse l’objet d’une confiscation ou subisse des atteintes sous la forme d’injonctions, contenues dans les clauses conventionnelles, alors même que la règle du mandat impératif est anticonstitutionnelle[79]. Quant au juge constitutionnel, qu’une partie de la doctrine incluant Dominique Rousseau juge responsable de tous les maux[80], il est quelquefois ignoré ou écarté du jeu politique et de la vie juridique.
D’autres institutions, au sens de principes établis constitutionnellement, sont également évacuées ou renversées par certains accords politiques. On a pu ainsi observer, au Burundi, une rotation du pouvoir d’État sans élections, entre Pierre Buyoya et Domitien Ndayizeye, suite à l’Accord d’Arusha pour le Burundi, obtenu difficilement par le médiateur Nelson Mandela. En effet, après avoir exercé la fonction présidentielle pendant dix-huit mois, M. Buyoya a cédé pacifiquement le pouvoir en avril 2003 à M. Ndayizeye, et ce en dehors de tout scrutin. Autorisé à occuper la fonction jusqu’au 1er novembre 2004, date prévue pour la tenue d’élections générales, M. Ndayizeye a vu son mandat se prolonger jusqu’en août 2005, au moment où le nouveau président, Pierre Nkurunziza, fut élu au Burundi.
On peut donc remarquer une remise en cause générale de l’ordre constitutionnel par les compromis politiques. Les compétences constitutionnalisées s’en trouvent naturellement redéfinies, à l’aune de la pratique du pouvoir d’État, par les protagonistes de la crise.
2. La redéfinition des compétences prévues dans la constitution
Les conventions de sortie de crise, dans la majorité des situations observées, ont pour finalité un partage du pouvoir d’État entre les parties à la convention et leurs partis politiques. On constate à ce sujet une remise en question des compétences constitutionnalisées et une redistribution de ces dernières[81], modifiant par la même occasion le texte constitutionnel qui leur servait de fondement. Ce que Guy Braibant appelle l’avenir de l’État[82] ne se fonderait plus ainsi sur la constitution, contrairement à la thèse du doyen Wodié qui remarquait, en 1990, dans l’effervescence de l’institutionnalisation du pluralisme dans les États africains, que la loi fondamentale sert de support à la vie politique[83]. Depuis ce temps l’eau a coulé sous les ponts ; les crises à répétition en Afrique subsaharienne remirent en cause, au moins quelquefois, certaines théories constitutionnalistes.
Dans ce renouveau du constitutionnalisme africain, surtout dans les États en crise, la question du partage du pouvoir exécutif est généralement débattue et cristallise les intérêts défendus par les différents acteurs politiques, conduisant parfois à des situations surréalistes et à des pratiques anticonstitutionnelles[84]. Dans la plupart des exemples cités à ce propos, on observe un présidentialisme désormais contesté, dont les répercussions et le retentissement se révèlent modérés à bien des égards. Les attributions du président de la république — chef de l’État — et du premier ministre — chef du gouvernement — s’en trouvent naturellement redistribuées au profit de ce dernier. Ce fut le cas en République démocratique du Congo, où contrairement aux habitudes institutionnelles consacrées, la présidence du conseil des ministres relevait de la compétence du premier ministre par principe et exceptionnellement du président de la république[85]. Mais c’est surtout dans la crise ivoirienne que « le renversement du sens de la roue »[86] politico-institutionnelle est juridiquement surprenant. Les accords de Marcoussis et de Ouagadagou, pour citer deux exemples, sont très marquants dans ce qu’on peut considérer, à bien des égards, comme un conventionnalisme rédhibitoire[87]. En effet, le renforcement du statut du premier ministre dans les conventions politiques empêche dorénavant la domination du champ politique par le président de la république, pourtant porté en triomphe par la constitution.
L’Accord de Linas-Marcoussis ampute par exemple le chef de l’État de ses attributions militaires. Il n’est plus le chef suprême des armées et il ne fait plus de nominations militaires, ce qui contredit les articles 46 et 47 de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000. Dans le même temps, les attributions du chef du gouvernement sont accrues[88], ce qui autorise à remarquer que ce dernier exerce désormais un pouvoir et non plus simplement une fonction. Sans pouvoir propre au départ, le premier ministre ivoirien, à la faveur des compromis politiques successifs, a été doté de compétences exclusives ou concurrentielles.
La portée de cette « évolution vertigineuse »[89] paraît bouleversante : le premier ministre, naguère simple exécutant, est devenu un décideur. Et ses rapports avec le chef de l’État passent ainsi du duo au duel, de la collaboration à la compétition, ouvrant la voie à une insoumission du chef du gouvernement au président. Le bicéphalisme de façade au sein de l’exécutif, souvent dénoncé dans les régimes présidentiels africains, acquiert par la même occasion une certaine réalité. Il s’ensuit parfois des tensions et des dissensions qui affaiblissent le pouvoir et le poussent à l’immobilisme. La résistance du président Laurent Gbagbo à la plupart des conventions politiques tendant à le déposséder de ses compétences constitutionnelles, au profit des premiers ministres qui se sont succédé depuis janvier 2003[90], symbolise toute la conflictualité entre les normes politiques et les règles juridiques. Toutefois, la relation entre compromis et norme constitutionnelle n’est pas exclusivement conflictuelle. Dans certaines hypothèses, qu’il importe d’examiner, on remarque même une cohabitation pacifique.
II. Une cohabitation pacifique
Le rapport entre accords politiques et norme constitutionnelle se réalise parfois pacifiquement. On relève dans ces situations, selon la configuration des compromis obtenus, une résurgence de l’hégémonie constitutionnelle (A), ainsi que l’enrichissement de la constitution par les conventions politiques (B).
A. Une cohabitation marquée par la résurgence de l’hégémonie constitutionnelle
Malgré tout ce dont nous venons de discuter, il faut noter que souvent, la suprématie que détient la constitution dans l’ordonnancement juridique des États africains semble préservée en période de crise, notamment en raison de l’évanescence des accords politiques (1) et de l’application conditionnée des normes conventionnelles (2).
1. L’évanescence des accords politiques[91]
On a pu parler, dans le contexte des États africains en crise, de valse ou de succession des conventions politiques, pour souligner leur caractère épisodique, provisoire et éphémère. Un auteur rappelle utilement que ces compromis ou ces arrangements sont des actes transitoires[92], dont la vie et la survie dépendent de la volonté des acteurs du jeu politique, ainsi que de l’évolution même de la crise. Si les textes constitutionnels ne sont pas des « tentes dressées pour le sommeil »[93], comme l’a dit Royer-Collard, ils peuvent être destinés à disparaître ou à subir des mutations. Les accords politiques non plus ne sauraient prétendre à la pérennité ou à l’éternité. Leur existence est passagère et on comprend que la fin de la crise annonce généralement leur inapplicabilité pour l’avenir. Ainsi, lorsque le transitoire fait place à la norme, la légalité constitutionnelle reprend le dessus. Sa suprématie redevient un principe et non une exception. On pourrait expliquer ce phénomène par le besoin, exprimé en Afrique, de faire reposer nécessairement la légitimité politique sur la légalité constitutionnelle.
La caducité des accords sonne la renaissance de la constitution : la réalisation des objectifs poursuivis par ces derniers justifierait alors qu’ils soient mis sous le boisseau et que la loi fondamentale refasse surface. Ce retour en grâce de la légalité constitutionnelle fait suite, bien souvent, à une autorité improbable des conventions de sortie de crise. La doctrine s’accorde à reconnaître, sur cette question d’ailleurs, que certains compromis ont une force juridique incertaine, faute d’être assortis d’une sanction juridictionnelle[94], ce qui n’est pas le cas de la constitution.
En effet, il n’existe pas de juridiction compétente pour sanctionner les violations des accords de paix. Cela semble d’ailleurs relever de la simple logique dans la mesure où ce sont des accords politiques et non des accords juridiques en tant que tels[95].
Il semble que cette survivance de la supériorité des textes constitutionnels entre dans l’ordre normal des choses ; d’autant plus que les accords politiques ressemblent beaucoup à des actes de consécration ou de légitimation des auteurs de pratiques anticonstitutionnelles, quand on considère que la constitution condamne l’accession au pouvoir par des moyens antidémocratiques.
Le repositionnement de la norme constitutionnelle au sommet de la pyramide des normes replace en même temps les acteurs constitutionnels dans leur position originelle. Pour citer un seul exemple, on retiendra que dans l’exercice du pouvoir exécutif, le président de la République reprend sa place de chef de l’État et du gouvernement. Il redevient statutairement le « moteur de la machine politique »[96], « le pivot des constitutions africaines »[97]. Et la persistance de « la prééminence présidentielle »[98] s’affirme de plus belle. Au demeurant, même si les compromis politiques ne disparaissent pas de l’ordonnancement juridique des États africains en crise, leur application conditionnée relativise la portée qu’ils peuvent avoir.
2. L’application conditionnée des normes conventionnelles
Dans certains États africains en crise, la suprématie de la norme constitutionnelle est révélée et exposée par une exigence tendant, pour les parties, à revendiquer l’amendement de la constitution préalablement à l’application des accords politiques. La convention signée dans la crise zimbabwéenne en septembre 2008 n’a été ainsi mise en oeuvre qu’à partir d’une modification de la loi fondamentale qui prévoyait la création d’un poste de premier ministre que M. Morgan Tsvangirai, opposant au président Mugabe, a occupé à partir du 11 février 2009.
C’est donc surtout par leur intégration au bloc de constitutionnalité que les accords politiques signalent leur infériorité au texte constitutionnel. Un auteur a pu parler, fort pertinemment, d’une « revanche du droit sur le politique »[99] et, partant, du constitutionnalisme sur le conventionnalisme. L’incorporation des normes conventionnelles au texte juridique replace la constitution dans son statut de loi suprême de l’État, et souligne au passage cette tendance à lui reconnaître, en Afrique, une vocation programmatique, pédagogique ou symbolique[100].
Au Burundi par exemple, l’accord de partage du pouvoir d’août 2004[101], dans lequel était posé le principe de la prise en compte des groupes ethniques et des partis politiques minoritaires dans la gestion du pouvoir d’État, n’a été applicable que lorsque les dispositions afférentes à cette question se sont trouvées incorporées à la nouvelle Constitution de la République du Burundi adoptée le 28 février 2005 par voie référendaire[102].
Les difficultés d’application des compromis méconnaissant manifestement la constitution obligent à la modifier, pour intégrer ces compromis au bloc de constitutionnalité. Il en résulte que les arrangements politiques, à contenu juridique, n’ont de valeur en fin de compte que si des dispositions constitutionnelles sont prises pour qu’il en soit ainsi. On a pu observer, dans ce contexte, la permanence des principes constitutionnels et considérer dans le même temps la constitution comme un point de repère pour les conventions de sortie de crise. Le principe de la constitutionnalité des lois et des accords internationaux semble repris et appliqué aux accords politiques.
Par ailleurs, on peut remarquer que les accords politiques ne sont pas signés ex nihilo ; leur élaboration se réfère à des dispositions constitutionnelles particulières qui se trouvent contestées[103] ou difficilement applicables dans le contexte de la crise[104]. De sorte que ces accords s’inspirent parfois de la constitution en place. Malgré tout, il reste que le texte constitutionnel est enrichi par les conventions politiques, à travers ce processus de reconquête de prépondérance au sommet de la hiérarchie des normes. Ce qui souligne le caractère utilitaire de la cohabitation des normes en présence.
B. Une cohabitation débouchant sur l’enrichissement de la constitution par les conventions politiques
Cet enrichissement de la norme constitutionnelle par les règles conventionnelles exprime finalement le rôle positif que peuvent jouer les normes politiques lorsqu’elles sont placées dans le marbre du droit constitutionnel (1), c’est-à-dire lorsqu’elles sont intégrées dans le dispositif constitutionnel de l’État. Par ailleurs, le recours alterné à la constitution et aux accords politiques dénote, s’il était encore besoin de le souligner, une certaine souplesse du constitutionnalisme africain (2), spécifiquement dans les États en crise.
1. Le rôle positif des règles politiques placées dans le marbre du droit constitutionnel
En dehors des hypothèses de syncrétisme constitutionnel, consistant dans l’association entre la constitution et les accords politiques pour féconder la loi fondamentale[105], ou de l’amendement de celle-ci pour l’adapter à ces compromis[106], ce qui bien évidemment la déclasse par rapport aux normes politiques, le texte constitutionnel retrouve fréquemment sa position dominante dans les États africains en crise. D’autant plus qu’il se trouve enrichi par une normativité politique, mise à son service, qui lui semble assujettie dans la pyramide des normes.
La doctrine souligne remarquablement le caractère lacunaire des constitutions africaines[107]. Les lacunes des textes et le vide constitutionnel engendré pourraient d’ailleurs expliquer largement ce que certains auteurs qualifient de crise du constitutionnalisme africain. On découvre ainsi matière à conflits potentiels, derrière l’imprécision de certaines normes constitutionnelles. D’autant plus qu’on observe, en Afrique comme ailleurs, que la vie politique se détache ou diffère bien souvent des principes posés dans la constitution. Cet écart entre les règles constitutionnelles et la vie politique reposerait sur une raison simple :
[L]a constitution […] ne tranche véritablement que des principes et du problème, assez théorique et abstrait, de la source du pouvoir mais se borne en ce qui concerne son exercice à tracer des perspectives d’avenir et à indiquer ce qui doit être. La pratique politique, au contraire, est décisive en ce qui concerne l’exercice du pouvoir et l’observation montre que la réalité ne correspond pas toujours, ni même souvent, à l’optimisme des schémas constitutionnels[108].
Le professeur Capitant fait le même constat en soulignant, dans une formulation élégante, que
[l’]on reconnaît l’étrange faiblesse des textes en matière constitutionnelle, la force d’évasion de la vie politique hors des formules où l’on a tenté de l’enserrer, le divorce presque constant qui en résulte entre l’apparence juridique et la réalité politique[109].
Les insuffisances et les vicissitudes qui affectent la constitution dans les États africains en crise justifient alors le recours aux conventions politiques, dont il faut néanmoins se garder d’exagérer la portée[110]. Malgré tout et à y regarder de plus près, la contribution des accords et des compromis politiques à la construction d’un droit constitutionnel consensuel tourné vers des considérations démocratiques et pluralistes ne semble pas indéniable. Un auteur rapporte à cet égard qu’en Afrique du Sud, une convention politique[111] renfermant trente-quatre principes constitutionnels fonda la base d’une constitution intérimaire[112] et d’une constitution finale[113]. L’exemple a été suivi par la République démocratique du Congo, dans le prolongement du dialogue intercongolais, dont l’aboutissement donna lieu à la conclusion d’un Accord global et inclusif sur la transition en République démocratique du Congo[114], signé à Pretoria, aux fins de juguler le conflit armé et accessoirement politique qui minait ce pays[115].
Partant de ces considérations, on peut remarquer que les accords politiques apparaissent comme des correctifs aux défaillances des textes constitutionnels. Ils permettent ainsi de gommer ou de revenir sur certaines aberrations constitutionnelles[116]. Dans ce sens, la constitution paraît avantageusement améliorée. En éclairant la constitution, les conventions de sortie de crise comblent par la même occasion tout ce qui s’apparente à un vide constitutionnel et permettent de résoudre les imbroglios juridiques que le constituant ou le juge n’est pas parvenu à dissiper. Certains auteurs considèrent même, dans certains cas, les accords politiques comme la manifestation d’un exercice, certes imparfait, mais tout de même indéniable du pouvoir constituant dérivé[117].
Au total, les conventions de sortie de crise renforcent le droit constitutionnel, dans les États où il est question de situer le rôle qu’elles jouent. La rigidité de la loi fondamentale, classiquement admise, est relativement infléchie pour s’adapter au contexte de la crise et de la légalité particulière qu’elle nécessite. La juxtaposition des accords politiques et de la constitution permet en définitive de remarquer la souplesse du constitutionnalisme africain, imputable à l’utilisation sélective des normes.
2. La souplesse du constitutionnalisme imputable à l’utilisation sélective des normes
Le constitutionnalisme désigne, selon Maurice Kamto, « le phénomène constitutionnel en mouvement dans un environnement socio-politique donné »[118]. Sa caractérisation par la doctrine permet de souligner, lato sensu, qu’il transcende le texte de la constitution pour englober la pratique et la jurisprudence constitutionnelles, de même que les pratiques politiques[119]. De ce point de vue, la loi fondamentale et les conventions de sortie de crise, si on reste dans le contexte africain, semblent refléter le contenu ou la signification donné au concept. Le constitutionnalisme africain, selon la vision juridique ou politique qui le féconde théoriquement, a le don de faire à la fois la pluie et le beau temps : autant il est célébré, autant il est critiqué à l’aide de formules diverses, quand il ne pousse pas simplement à s’interroger[120].
Certains auteurs ont pu ainsi parler de regain ou de renouveau du constitutionnalisme africain[121], dans une conception restrictive du terme. D’autres, au contraire, n’ont pas caché leur déception face à un constitutionnalisme en net déclin, qui recule devant la recrudescence de la violence politique dans les États africains, laissant alors émerger un conventionnalisme en plein essor[122]. On a même dénoncé les faiblesses congénitales de ce constitutionnalisme[123], qualifié par ailleurs de rédhibitoire[124]. La perversion dont il est l’objet[125], son ineffectivité réelle ou supposée[126] et la crise qui l’affecte[127] font de ce phénomène constitutionnel, selon le mot du professeur Kamto[128], une institution purement symbolique[129], détestée quelquefois pour son caractère formel et irrationnel[130].
En tout état de cause, il n’est guère nécessaire de s’attarder sur ces considérations dans le cadre de cette étude, dont l’objet est bien de montrer, à ce stade de l’analyse, à quel point le constitutionnalisme africain est souple lorsqu’il recourt à la fois au texte constitutionnel et aux conventions politiques, dans les États où il faut résorber une crise.
En effet, plutôt que de voir dans le regain du conventionnalisme un déclin du constitutionnalisme africain, il faudrait considérer ce phénomène comme une avancée positive du droit constitutionnel appliqué sur le continent. Mieux, on aboutit, dans le jeu politique, surtout dans les États en conflit ou en crise, à l’application d’un droit constitutionnel consensuel, révélé par la mise en oeuvre sélective de la constitution et des accords politiques. Le recours alternatif ou simultané à la loi fondamentale et aux conventions de sortie de crise a l’avantage de soustraire le constitutionnalisme africain, dans un sens large, au rigorisme de certaines règles et au formalisme des procédures ; même s’il a l’inconvénient d’ouvrir la voie à une possible désacralisation de la règle constitutionnelle et de sa suprématie normative.
Le professeur Ouraga Obou mettait en garde contre les risques d’une telle analyse qui donne la possibilité « à ceux qui ne peuvent user ni du glaive ni du suffrage universel pour accéder au pouvoir, [de s’essayer] à l’usage immodéré des arcanes de la science juridique pour se soustraire à la légalité »[131]. Mais il s’agit moins d’accorder une prime à la dévalorisation du rôle de la norme fondamentale, encore moins à la déformation de sa nature, que d’envisager ici sa flexibilité, à des fins de démocratie et de stabilité politique, surtout dans les États africains ouverts au pluralisme. Dans cette perspective, on observe que l’utilisation séquencée ou alternée des normes constitutionnelles et conventionnelles[132], pour gérer les affaires de l’État, permet de donner une certaine souplesse au constitutionnalisme africain en période de crise.
Conclusion
Au terme de cette étude, un constat s’impose : la nature de la relation entre la constitution et les accords politiques est atypique ou hétérodoxe dans le contexte africain. Elle défie la logique des mécanismes du positivisme classique[133]. La hiérarchie des normes, classiquement admise, n’est pas respectée bien souvent, reléguant parfois la constitution au second plan face à des accords politiques dont la suprématie dans l’ordonnancement juridique de l’État concerné peut être remarquée.
La cohabitation entre les règles constitutionnelles et les conventions politiques a une influence incontestable sur l’ordonnancement juridique en modifiant la structuration de celui-ci. Cette cohabitation conflictuelle ou pacifique pose le problème entier de la norme prépondérante dans l’hypothèse d’une contrariété des dispositions en présence. L’originalité du constitutionnalisme africain, parfois abusivement considéré comme un simple décalque du constitutionnalisme occidental ou européen, réside dans sa capacité à faire prévaloir les règles politiques sur les règles constitutionnelles lorsqu’il s’agit de résoudre une crise ou un conflit. La logique de l’orthodoxie juridique aurait consisté plutôt à régler la crise dans le cadre de la normativité constitutionnelle. Certes, des solutions constitutionnelles aux crises politiques africaines existent[134]. Mais, lorsque la constitution manipulée ou instrumentalisée est indigne de la confiance de certains acteurs politiques et qu’elle est contestée par l’opposition, que faire face à la crise persistante ? Si certaines constitutions africaines résolvent les conflits politiques, d’autres ne manquent pas assurément d’en créer. Ces dernières, faute de légitimité et face aux griefs qui les affectent, ne sont pas alors aptes à résorber le contentieux né entre les différents protagonistes. L’Afrique a su innover, même si cela peut choquer, en cherchant dans les compromis politiques — à contenu juridique — des réponses aux problèmes contemporains qui lui sont posés.
L’originalité des systèmes politico-juridiques africains réside également dans une ingénierie constitutionnelle inédite. L’Accord global et inclusif au Congo[135] avait prévu l’élaboration et l’adoption d’une constitution de transition, destinée à régler les conflits politiques qui agitaient ce pays et à instaurer par la suite un nouvel ordre constitutionnel. Cette Constitution de la transition, négociée et signée par les acteurs politiques en dehors de la volonté du peuple souverain, a été adoptée à Pretoria, en Afrique du Sud, le 6 mars 2003[136]. Elle est entrée en vigueur le 4 avril 2003. En dehors du principe qu’en cas de conflits de normes, la primauté de la norme politique sur la norme constitutionnelle a en effet été retenue par les animateurs de la scène politique congolaise, il faut remarquer l’incorporation de la Constitution de la transition à l’accord politique qui lui sert de fondement juridique. Ce type de constitution atypique, limitée dans le temps, reste conditionné par la convention politique qui lui est supérieure, ce qui renverse et heurte les théories classiques du positivisme juridique[137].
Au chapitre de l’originalité des systèmes juridiques africains émergent par ailleurs les traits d’affirmation d’un conventionnalisme rédhibitoire où il arrive parfois que certaines dispositions d’un accord politique contredisent d’autres dispositions de l’accord. Un tel cas s’est produit en République démocratique du Congo. Dans une décision singulière, la Cour suprême de justice, face à cette contradiction, avait posé le principe de la primauté de certaines dispositions d’un accord politique sur d’autres dispositions en cas de conflit de normes[138].
Au surplus, on retiendra de cette étude le caractère ambivalent des relations entre la constitution et les accords politiques dans les États africains en crise. On observe ainsi un paradoxe permanent entre les conflits de normes et la complémentarité normative occasionné par la coexistence des règles en présence. Dans ces circonstances, la suprématie de la normativité politique ou des textes constitutionnels dépend du jeu des acteurs, du moment et surtout de leurs intérêts. Dans la crise ivoirienne, pour citer un exemple, le président Laurent Gbagbo s’adossait sur la constitution pour légitimer ses décisions et ses prises de position dissidentes, tandis que son opposition politique et armée lui opposait la supériorité des normes internationales ou conventionnelles, à savoir les résolutions onusiennes et les accords de paix conclus par les parties belligérantes.
À partir de l’exemple ivoirien, la question du débat, fort éminent, entre partisans du monisme et du dualisme revient assurément sur le devant de la scène doctrinale[139]. Cette question, qui n’est pas juridiquement tranchée, peut être cependant résolue politiquement, même si, à ce niveau également, les choses peuvent fluctuer au gré des désidérata des acteurs politiques. Il s’agit de s’interroger sur les normes qui prévalent — ou qui ont vocation à prévaloir — en la matière. Cette étude n’a pas la prétention d’y répondre, mais de prolonger la réflexion à partir de ce questionnement.
Les vertus de la normativité politique se trouvent et s’épuisent par ailleurs dans la faculté qu’elle a de reconsidérer la rigidité affectant les constitutions écrites et de moduler l’application de leurs règles en fonction des circonstances du moment.
La prudence exige que l’on prenne néanmoins au sérieux le danger que représentent ces accords politiques qui déconstruisent l’ordre juridique existant et qui imposent un droit public de circonstances ou un nouveau droit constitutionnel, en marge de la norme officielle[140]. Cette remarque relativise leur apport et incite à ne pas s’intéresser qu’à la face visible — et idyllique — de cet « iceberg normatif spécial ».
Si, par ailleurs, on assiste de plus en plus à la conclusion de conventions politiques à contenu juridique en temps de crise, le droit doit permettre en période normale la formation d’accords juridiques à contenu politique. Passée la crise, il faut surtout revenir à une constitution consensuelle qui fédère les positions, même les plus tranchées, de la classe politique ; c’est-à-dire une loi fondamentale qui soit le résultat, ou l’aboutissement, d’un dosage réussi entre le politique et le juridique.
Il est évident, en effet, que les conventions de sortie de crise traduisent un malaise constitutionnel, reflétant l’urgence de l’adoption de nouvelles constitutions dans les États africains. Cette relecture de l’ordonnance-ment constitutionnel réalisé en Afrique doit-elle se laisser pénétrer par des influences étrangères, ou bien au contraire se construire de manière autarcique en s’appuyant sur les réalités et les exigences africaines ? À l’heure où l’on parle de convergence des modèles constitutionnels[141] et à une époque où l’internationalisation du constitutionnalisme africain est mise en évidence[142], la question mériterait certainement d’être revisitée.
Parties annexes
Notes
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[1]
Selon la formulation du doyen Djedjro Francisco Meledje, « Faire, défaire et refaire la Constitution en Côte d’Ivoire : un exemple d’instabilité chronique » dans Charles Fombad et Christina Murray, dir, Fostering Constitutionalism in Africa, Pretoria, Pretoria University Law Press, 2010, 309 à la p 331 [Meledje, « Instabilité chronique »]. Voir aussi Adama Kpodar, Rapport technique du colloque international de Lomé tenu les 16 et 17 juin 2010. L’Afrique et l’internationalisation du constitutionnalisme : actrice ou spectatrice ?, Lomé, Centre de droit public de l’Université de Lomé et Centre d’études et de recherche sur les droits africains et sur le développement institutionnel de l’Université Montesquieu-Bordeaux 4, 2010 à la p 9 [Kpodar, Afrique et internationalisation].
-
[2]
Leur dénombrement précis s’avère impossible, incertain et difficile à réaliser. Il serait ambitieux de vouloir réaliser un inventaire des accords politiques. Voir Jean-Louis Atangana Amougou, « Les accords de paix dans l’ordre juridique interne en Afrique » (2008) 3 Revue de la recherche juridique, Droit prospectif 1723 à la p 1743.
-
[3]
Ce réexamen du constitutionnalisme africain a été remis à l’ordre du jour à l’occasion du colloque international de Lomé, précédemment mentionné. Voir, pour une synthèse des travaux, Kpodar, Afrique et internationalisation, supra note 1.
-
[4]
Voir Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1723 et s.
-
[5]
Dans un souci de simplification, nous utiliserons de la même manière une variété de termes pour renvoyer à la même idée : accords politiques, accords de paix, arrangements, compromis et conventions politiques ou de sortie de crise. L’expression retenue importe peu à partir du moment où le problème est le même, à savoir celui de la relation entre ces accords et la constitution. Voir ibid à la p 1726.
-
[6]
Selon Raymond Carré de Malberg, cette expression a été inventée par les juristes allemands Mohl, Stahl et Gneist. Voir Léo Hamon, « L’État de droit et son essence » (1990) 4 Rev fr dr constl 699 à la p 699. L’idée de l’État de droit constitutionnel signifie que la construction d’un État de droit passe par le règne de la constitution. Voir Adama Kpodar, « Réflexions sur la justice constitutionnelle à travers le contrôle de constitutionnalité de la loi dans le nouveau constitutionnalisme : les cas du Bénin, du Mali, du Sénégal et du Togo » (2006) 16 Revue béninoise des sciences juridiques et administratives 104 à la p 108 [Kpodar, « Réflexions »].
-
[7]
Les arrangements politiques modifient la lecture de la constitution et compliquent la définition de cette notion, promise ainsi à des incertitudes. En période de crise, le concept de constitution condamne et conduit à une définition introuvable. Voir Meledje, « Instabilité chronique », supra note 1 aux pp 335 et s.
-
[8]
Voir Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1744-45.
-
[9]
Voir ibid aux pp 1724-25.
-
[10]
Il peut s’agir d’un antagonisme et de désaccords entre les acteurs politiques ou parfois, voire souvent, d’une confrontation armée. On relève en tout état de cause l’existence d’une crise, dont la résolution implique la recherche de la paix par une convention politique à contenu juridique ou nécessitant des arrangements constitutionnels. Le professeur Martin Bléou remarque ainsi que la crise est un baromètre indiquant les limites de la constitution. Voir Martin Bléou, « La révision de la Constitution ivoirienne » (2010) 41 Revue ivoirienne de droit 153 à la p 164 [Bléou, « Révision de la Constitution »].
-
[11]
Atangana Amougou, supra note 2 à la p 1725.
-
[12]
Voir Togba Zogbélémou, « Constitutionnalisme et droits de l’homme en Afrique noire francophone » (2010) 1 Revue juridique et politique des États francophones 98.
-
[13]
Voir Francis Hamon et Michel Troper, Droit constitutionnel, 28e éd, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2003 aux pp 44-48.
-
[14]
Voir Eloi Diarra, « L’histoire constitutionnelle du Mali » (2010) 2 Revue juridique et politique des États francophones 229.
-
[15]
Voir Louis Favoreu, « Le droit constitutionnel, droit de la Constitution et constitution du droit » (1990) 1 Rev fr dr constl 71.
-
[16]
Voir Djedjro Francisco Meledje, « Le gouvernement dans la Constitution de Côte d’Ivoire » (2010) 41 Revue ivoirienne de droit 167 à la p 171.
-
[17]
Voir Dominique Rousseau, « Question de Constitution » dans Jean-Claude Colliard et Yves Jegouzo, dir, Le Nouveau constitutionnalisme : Mélanges en l'honneur de Gérard Conac, Paris, Economica, 2001, 3 ; Maurice Ahanhanzo Glele, « La Constitution ou loi fondamentale » dans Pierre-François Gonidec et Maurice Ahanhanzo Glele, dir, Encyclopédie juridique de l’Afrique : L’État et le droit, t 1, Abidjan, Nouvelles éditions africaines, 1982, 21 aux pp 22, 47 [Glele, « Loi fondamentale »] ; Albert Bourgi, « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l’effectivité » (2002) 52 Rev fr dr constl 721 aux pp 725-26 ; Célestin Keutcha Tchapnga, « Droit constitutionnel et conflits politiques dans les États francophones d’Afrique noire » (2005) 3 Rev fr dr constl 451 à la p 485. Pour un point de vue sur l’effet des accords politiques sur la suprématie de la norme constitutionnelle, voir El Hadj Mbodj, « La constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique. L’exemple de la République démocratique du Congo » (2010) 2 Rev DP & SP 441 à la p 452.
-
[18]
Voir Rousseau, supra note 17 à la p 5 ; Glele, « Loi fondamentale », supra note 17 à la p 22 ; Koffi Ahadzi, « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : le cas des États d’Afrique noire francophone » (2002) 1 : 2 Afrique juridique et politique : La revue du CERDIP 35 aux pp 40 et s ; Atangana Amougou, supra note 2 à la p 1739 ; Mbodj, supra note 17.
-
[19]
On connaît la controverse interminable entre les internistes et les internationalistes, chacun prêchant pour la suprématie de sa chapelle et plaçant, au sommet de la pyramide, des normes de droit dont ils sont les promoteurs. Le cadre étroit de cette étude ne permet pas d’y revenir.
-
[20]
Le « conventionnalisme » est un néologisme créé sur le modèle du terme « constitutionnalisme ». Il est un dérivé du terme « convention » qui désigne, en droit, un accord de deux ou plusieurs volontés, en vue de produire des effets de droit quelconques. Mais la convention, dans cette étude, s’entendra surtout au sens constitutionnel du terme, c’est-à-dire au sens de « convention constitutionnelle ». Voir Atangana Amougou, supra note 2 à la p 1724.
-
[21]
Voir Djedjro Francisco Meledje, « Le système politique ivoirien dans la géopolitique ouest africaine » (2006) 3 Rev DP & SP 701 à la p 711 [Meledje, « Système politique ivoirien »] ; Adama Kpodar, « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l’accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 » (2005) 4 : 2 Revue de la recherche juridique, Droit prospectif 2503 à la p 2522 [Kpodar, « Politique et ordre juridique »] ; Tchapnga, supra note 17 à la p 478.
-
[22]
Révisé régulièrement dans certains États africains, souvent de manière fantaisiste, le texte constitutionnel est perçu comme un nid à contentieux, pour paraphraser Jean du Bois de Gaudusson, « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir » dans Roux et al, Renouveau du droit constitutionnel : Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 2007, 609 à la p 617 [Gaudusson, « Défense et illustration »].
-
[23]
Voir Kpodar, « Réflexions », supra note 6 ; Komla Dodzi Kokoroko, « L’apport de la jurisprudence constitutionnelle africaine à la consolidation des acquis démocratiques : Les cas du Bénin, du Mali, du Sénégal et du Togo » (2007) 18 Revue béninoise des sciences juridiques et administratives 85 ; Tchapnga, supra note 17 à la p 468.
-
[24]
Théodore Holo, « Démocratie revitalisée ou démocratie émasculée ? Les constitutions du renouveau démocratique dans les États de l’espace francophone africain : régimes juridiques et systèmes politiques » (2006) 16 Revue béninoise des sciences juridiques et administratives 17 à la p 17.
-
[25]
Voir Pierre Avril, « Les “conventions de la Constitution” » (1993) 14 Rev fr dr constl 327 ; Dominique Rousseau, supra note 17 à la p 13 ; Meledje, « Instabilité chronique », supra note 1 à la p 336.
-
[26]
Voir par ex Kpodar, « Politique et ordre juridique », supra note 21 aux pp 2514 et s.
-
[27]
Voir, sur ces subtilités théoriques, Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1734-40.
-
[28]
Voir, sur cette dichotomie doctrinale, Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1740 et s ; Kpodar, « Politique et ordre juridique », supra note 21 aux pp 2519 et s ; Agnéro Privat Mel, « La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien » (2008) 3 Rev fr dr constl 513 aux pp 544 et s.
-
[29]
Nous nous proposons de les énumérer au fur et à mesure des situations analysées.
-
[30]
Par positivisme classique, nous référons principalement à la théorie kelsénienne et plus précisément au normativisme qui place la constitution au sommet de la pyramide des normes.
-
[31]
Dans la doctrine de Hans Kelsen, une norme ne saurait appartenir à un ordre juridique donné qu’à la condition que sa création soit déterminée par une autre norme. Pour une étude approfondie, voir Hans Kelsen, Théorie pure du droit, traduit par Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962. L’intrusion ou l’irruption des accords politiques sur la scène normative africaine impose donc une relecture du modèle kelsénien, surtout lorsqu’ils sont non soumis et antithétiques à la constitution, considérée comme la norme fondamentale — et suprême — dans l’ordonnancement juridique classique.
-
[32]
Meledje, « Système politique ivoirien », supra note 21 à la p 703.
-
[33]
Kpodar, « Politique et ordre juridique », supra note 21 aux pp 2521-22.
-
[34]
À ce propos, Célestin Keutcha Tchapnga écrit :
L’actualité a donné, en moins de dix ans, une illustration saisissante de la dégénérescence des antagonismes politiques en antagonismes armés au Niger et au Burundi en 1996, au Congo-Brazzaville en 1997, en Côte d’Ivoire en 1999 et depuis 2002, en Centrafrique en 2003, incitant ainsi à s’interroger sur les rapports entre droit constitutionnel et conflits politiques en Afrique francophone
Tchapnga, supra note 17 à la p 451 -
[35]
Kpodar, « Politique et ordre juridique », supra note 21 à la p 2522.
-
[36]
Rousseau, supra note 17 à la p 13.
-
[37]
Doc off CS NU 2003, annexe, Doc NU S/2003/99 [Accord de Linas-Marcoussis].
-
[38]
2000, art 35 [Constitution ivoirienne] ; Jean du Bois de Gaudusson, « L’accord de Marcoussis, entre droit et politique » (2003) 2 Afrique contemporaine 41 aux pp 43 et s [Gaudusson, « L’accord de Marcoussis »].
-
[39]
Cette disposition exigeait du candidat à l’élection présidentielle qu’il fût né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine, son âge minimum étant fixé à quarante ans. Critiquée, jugée souvent injuste et discriminatoire, elle serait à l’origine de la crise ivoirienne qui a débuté le 19 septembre 2002.
-
[40]
Dans l’accord évoqué, le candidat doit avoir exclusivement la nationalité ivoirienne, mais — changement notable — l’obtention de la nationalité par l’un de ses deux parents suffit à la validation de sa candidature. Par ailleurs, l’âge minimum est abaissé à 35 ans.
L’Accord de Linas-Marcoussis, supra note 37, aura permis à M. Alassane Ouattara, dont la nationalité n’était pas établie clairement selon une décision de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême ivoirienne du 6 octobre 2000, de se présenter à la dernière élection présidentielle d’octobre et de novembre 2011. M. Konan Bédié, qui avait déjà atteint l’âge limite constitutionnel de 75 ans, a pu également se présenter sur la base des dispositions de cet accord.
-
[41]
Burundi, 28 août 2000 [Accord d’Arusha pour le Burundi].
-
[42]
Voir Jean-Pierre Chrétien, « Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha » (2000) 80 Politique africaine 136 à la p 149 :
Le texte [de l’accord d’Arusha] s’ordonne selon les travaux des cinq commissions : […] 2) Démocratie et bonne gouvernance : principes d’une nouvelle Constitution reconnaissant les trois entités ethniques (Bahutu, Batutsi, Batwa), Parlement subdivisé en une Assemblée nationale et un Sénat de deux délégués par province issus chacun de l’une des deux principales ethnies, exécutif dirigé par un président flanqué de deux vice-présidents d’ethnies et de partis différents, réforme de la justice, correction des déséquilibres au sein de la fonction publique, création d’un ombudsman, […] avec […] un exécutif chapeauté par un président et un vice-président [italiques dans l’original].
-
[43]
On dénombrerait plus de 1000 morts : Stéphanie Braquehais, « Kenya: les victimes des violences post-électorales attendent que justice soit faite », (18 janvier 2012) sur Reportage Afrique, Radio France International, Paris, en ligne : Radio France International <http://www.rfi.fr>.
-
[44]
Il semble significatif de relever que la nouvelle Constitution of Kenya, 2010, votée par référendum le 5 août et promulguée le 27 août 2010, supprime le poste de premier ministre contenu dans l’accord politique de février 2008 (The National Accord and Reconciliation Act 2008 (Kenya), no 4 de 2008). Malgré cette suppression, le premier ministre Raila Odinga reste à son poste jusqu’aux élections présidentielles de 2012, sur la base d’un compromis visiblement anticonstitutionnel, qui prédomine malgré tout.
-
[45]
Jean du Bois de Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles des conflits politiques » (1996) 180 Afrique contemporaine 250 aux pp 251-52 [Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles »].
-
[46]
11 décembre 2010, constituant l’annexe de la Loi constitutionnelle no 2007-001 du 27 avril 2007 (Madagascar) [Constitution malgache].
-
[47]
Pour un bref aperçu de ces différents accords, voir République française, « Présentation de Madagascar » (8 mars 2012), en ligne : Ministère des Affaires étrangères <http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/madagascar/presentation-de-madagascar>.
-
[48]
Voir par ex Meledje, « Système politique ivoirien », supra note 21 à la p 712.
-
[49]
Certaines constitutions sont ainsi contraintes de se conformer aux accords et de se mettre en harmonie avec ces derniers. On peut citer l’exemple du Burundi, de la République démocratique du Congo et de l’Union des Comores. Voir Gaudusson, « Défense et illustration », supra note 22 à la p 623.
-
[50]
Atangana Amougou, supra note 2 à la p 1741. L’auteur remarque une disposition confirmatoire : « [S]elon l’article 3 alinéa 2 de la Constitution rwandaise, “en cas de conflit entre les dispositions de la Constitution et celles de l’Accord de paix, ces dernières prévalent” » [italiques dans l’original].
-
[51]
Aux termes de la résolution 1721, par exemple, la violation de l’Accord de Linas-Marcoussis, supra note 37, donne lieu à des sanctions décidées au sein de la communauté internationale par le Conseil de sécurité des Nations unies : Doc off CS NU, 2006, 5561e séance, Doc NU S/RES/1721.
-
[52]
Sur cette thématique, voir Mélanges offerts à Charles Rousseau : La communauté internationale, Paris, A Pedone, 1974.
-
[53]
Pour les exemples ivoirien et congolais, voir Yédoh Sébastien Lath, Les évolutions des systèmes constitutionnels africains à l’ère de la démocratisation, thèse de doctorat en droit, Université d’Abidjan-Cocody, 2008 aux pp 127-28, nn 417-18 [non publiée].
-
[54]
Rousseau, supra note 17 aux pp 5 et s ; Glele, « Loi fondamentale », supra note 17 à la p 47.
-
[55]
P-F Gonidec, « À quoi servent les constitutions africaines ? Réflexion sur le constitutionnalisme africain » (1988) 4 Revue juridique et politique, indépendance et coopération 849.
-
[56]
Meledje, « Instabilité chronique », supra note 1 à la p 326.
-
[57]
On situe généralement ce moment au début des années 1990. Parmi les nombreuses contributions qui constatent l’ouverture des États africains au pluralisme politique et à la démocratie libérale à partir de 1990, voir Djedjro Francisco Meledje, « Fraudes électorales et constitutionnalisme en Afrique » dans Jean-Pierre Vettovaglia et al, dir, Prévention des crises et promotion de la paix : Démocratie et élections dans l’espace francophone, vol 2, Bruxelles, Bruylant, 2010, 785 ; Gaudusson, « Défense et illustration », supra note 22 ; Bourgi, supra note 17.
-
[58]
Voir Kpodar, « Politique et ordre juridique », supra note 21 à la p 2521.
-
[59]
Bléou, « Révision de la Constitution », supra note 10 à la p 162. Voir également Meledje, « Instabilité chronique », supra note 1 à la p 330.
-
[60]
Les normes politiques sont considérées comme plus justes par les opposants au régime du président Laurent Gbagbo, qui ont pris les armes pour revendiquer un nouvel ordre constitutionnel, désirant en modifier des dispositions considérées comme étant discriminatoires.
-
[61]
Bléou, « Révision de la Constitution », supra note 10 à la p 163.
-
[62]
La classe politique ivoirienne était divisée sur la question des conditions d’éligibilité à la présidence de la République. La rédaction de l’article 35 devait déterminer si les candidats devaient être de père et de mère ivoiriens, ou s’ils devaient n’avoir qu’un seul ascendant ivoirien. « Le tango de la constituante de 2000 », pour paraphraser le doyen Meledje, a finalement opté pour le et en lieu et place du ou, souhaité par une partie de l’opinion publique et par quelques partis politiques ayant pourtant appelé à voter en faveur du projet de texte constitutionnel soumis à référendum. Le Rassemblement des républicains d’Alassane Dramane Ouattara, dont la nationalité ivoirienne était contestée par certains, faisait partie de ces partis opposés à la validation du et, donc à l’exclusion du ou, par les rédacteurs de la loi fondamentale. Pour des développements plus éloquents, voir Meledje, « Instabilité chronique », supra note 1 aux pp 328 et s.
Le caractère polémique de l’article 35 de la Constitution ivoirienne, supra note 38, a fait penser à certains, y compris à quelques constitutionnalistes, que celle-ci était discriminatoire et injuste, ce qui est tout à fait discutable, dans la mesure où le texte constitutionnel ne se résume pas à cette seule disposition.
-
[63]
Voir par ex Gaudusson, « L’accord de Marcoussis », supra note 38 aux pp 45 et s.
-
[64]
Voir Louis Favoreu, La politique saisie par le droit : Alternances, cohabitation et conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1988.
-
[65]
Voir Kpodar, « Politique et ordre juridique », supra note 21 à la p 2525.
-
[66]
On sait que dans la théorie de Kelsen, la création d’une norme doit être déterminée par une autre norme pour faire partie de l’ordre juridique, ce qui ne correspond pas à la nature des accords politiques, surtout lorsque leur rapport à la norme constitutionnelle est controversé. Voir notamment Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, suivi de La doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, traduit par Béatrice Laroche et Valérie Faure, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2010.
-
[67]
Sur le présidentialisme négro-africain, voir Jean Buchmann, L’Afrique noire indépendante, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1962 ; Jean Gicquel, « Le présidentialisme négro-africain : L’exemple camerounais » dans Mélanges offerts à Georges Burdeau : Le pouvoir, Paris, Libraire générale de droit et de jurisprudence, 1977, 701 ; Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme des États d’Afrique, Paris, Harmattan, 2008 [Fall, Pouvoir exécutif] ; Martin Bléou Djezou, Le président de la République ivoirienne, thèse de doctorat en droit, Université de Nice, 1984 [non publiée] [Bléou, République ivoirienne] ; Mbabiniou K Tchodie, Essai sur le présidentialisme en Afrique noire francophone : l’exemple togolais, thèse de doctorat en droit, Université de Caen, 1993 [non publiée] ; Pierre Danho Nandjui, La prééminence constitutionnelle du Président de la République en Côte d’Ivoire, Paris, Harmattan, 2004.
-
[68]
Voir Mel, supra note 28 à la p 531.
-
[69]
Sur le phénomène de la personnalisation du pouvoir en Afrique, voir Gérard Conac, « Portrait du chef de l’État » (1983) 25 Pouvoirs 121 aux p 121 et s ; Jean-François Médard, « La spécificité des pouvoirs africains » (1983) 25 Pouvoirs 5 à la p 20.
-
[70]
Albert Bourgi constate, en période normale, le principe de la prééminence présidentielle dans les États africains (Bourgi, supra note 17 à la p 729).
-
[71]
Arend Lijphart, Democracy in Plural Societies: A Comparative Exploration, New Haven, Yale University Press, 1977. Voir aussi Kenneth McRae, dir, Consociational Democracy : Political Accomodation in Segmented Societies, Toronto, McClelland and Stewart, 1974. Voir aussi le numéro spécial intitulé les « Les démocraties consociatives » (1997) 4 : 3 Revue internationale de politique comparée 531.
Sur les applications africaines, voir Jacques Djoli Eseng’Ekeli, Le constitutionnalisme africain entre la gestion des héritages et l’invention du futur : L’exemple congolais, thèse de doctorat en droit, Université de Paris 1, 2003 aux pp 384 et s [non publiée] ; Pierre Moukoko Mbonjo, « Pluralisme socio-politique et démocratie en Afrique : L’approche consociationnelle ou du Power-Sharing » (1993) 15 Afrique 2000 39 ; Roger J Southall, « Consociationalism in South Africa : the Buthelez Commission and Beyond » (1983) 21 : 1 Journal of Modern African Studies 77. Pour un lien avec la démocratie pluraliste en Afrique, voir Maurice Kamto, L'urgence de la pensée : Réflexions sur une précondition du développement en Afrique, Yaoundé, Mandara, 1993 aux pp 70-71.
-
[72]
Crise militaro-politique ivoirienne débutée le 19 septembre 2002 et achevée, selon les discours officiels, le 11 avril 2011 à la suite de violentes contestations post-électorales. Celles-ci se sont soldées par des affrontements armés entre les deux camps rivaux, celui du président Laurent Gbagbo et celui du président Alassane Dramane Ouattara, que la rébellion armée a soutenu dans cette confrontation. Mais cette crise semble perdurer sous une forme latente, parce que les populations ivoiriennes et la classe politique sont encore divisées.
-
[73]
Constitution ivoirienne, supra note 38, art 41.
-
[74]
Ibid.
-
[75]
Surtout à la suite de l’accord politique de Ouagadougou du 4 mars 2007, obtenu à la faveur d’un dialogue direct entre les principaux protagonistes de la crise ivoirienne débutée le 19 septembre 2002. Le chef de l’ex-rébellion, M. Guillaume Soro, nommé alors premier ministre par le président Laurent Gbagbo, exerça les fonctions de chef du gouvernement jusqu’aux élections de sortie de crise d’octobre et de novembre 2010.
-
[76]
Meledje, « Instabilité chronique », supra note 1 à la p 338.
-
[77]
Les exemples du Burundi et de la République démocratique du Congo peuvent être cités.
-
[78]
Cette tension est soulignée très justement par le professeur du Bois de Gaudusson, « Défense et illustration », supra note 22 à la p 624. Sur leur rapport, voir Ouraga Obou, « Légalité et légitimité » (2006) 37 Revue ivoirienne de droit 9.
-
[79]
Dans la crise ivoirienne née du coup d’État infructueux de septembre 2002, on a pu constater que le premier ministre devenait quelquefois législateur aux dépens des parlementaires eux-mêmes. Par ailleurs, à maintes reprises, le président Laurent Gbagbo a été obligé de demander aux députés issus de sa famille politique de procéder au vote de certaines lois ou à la modification de certaines dispositions législatives. Il en va ainsi du nouvel article 26 de la Loi n° 2004-412 du 14 août 2004 portant amendement de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine du foncier rural (Côte d’Ivoire), JO, 30 décembre 2004, afin de permettre aux étrangers de pouvoir transmettre à leurs héritiers leurs droits de propriété sur les terres rurales, pour respecter les prescriptions de l’Accord de Linas-Marcoussis, supra note 37.
-
[80]
Rousseau, supra note 17 à la p 21. L’opinion publique et les acteurs politiques accusent le juge constitutionnel de contribuer aux dérives suivantes : la fin du politique, l’étouffement du débat, le retour du théologico-politique, la régression démocratique, le gouvernement des juges et même la promotion des professeurs de droit.
-
[81]
Gaudusson, « L’accord de Marcoussis », supra note 38 aux pp 44 et s.
-
[82]
Guy Braibant, « L’avenir de l’État » dans Études en l’honneur de Georges Dupuis, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1997, 39.
-
[83]
Francis Wodié Vangah, « Régimes militaires et constitutionnalisme en Afrique » (1990) 100:803 Penant : Revue de droit des pays d’Afrique 195 à la p 197.
-
[84]
Nous avons choisi d’aborder cette partie à partir de l’exemple du pouvoir exécutif parce qu’il semble plus pertinent.
-
[85]
Selon les dispositions de l’article 6 de l’Accord politique pour la gestion consensuelle de la transition en République démocratique du Congo, République démocratique du Congo, 19 avril 2002, en ligne : Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs africains <http://www.grandslacs.net/doc/2558.pdf> [Accord sur la gestion au Congo].
-
[86]
Nous reprenons encore une fois l’expression de Meledje, « Système politique ivoirien », supra note 21 à la p 703.
-
[87]
Par un déplacement ou une relecture de la question traitée par Joseph Owona, « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire : étude de quelques “Constitutions Janus” » dans Mélanges offerts à P-F Gonidec. L’État moderne : Horizon 2000, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1985, 235.
-
[88]
Jean du Bois de Gaudusson rappelle que l’accord exige du président de la République qu’il délègue certaines de ses prérogatives au premier ministre et au gouvernement dirigé par ce dernier. L’exemple évoqué précédemment, sur les questions militaires, peut être cité à nouveau, car la responsabilité de la restructuration de l’armée, contrairement à ce que laissent entendre les dispositions constitutionnelles, se trouve confiée au gouvernement et retirée au chef de l’État (Gaudusson, « L’accord de Marcoussis », supra note 38 à la p 44).
-
[89]
Formule empruntée au doyen Meledje, « Instabilité chronique », supra note 1 à la p 338.
-
[90]
Seydou Elimane Diarra en janvier 2003, Charles Konan Banny en décembre 2005 et Guillaume Soro, en mars 2007.
-
[91]
Cette partie n’intègre pas l’examen des questions touchant à la possibilité pour certains acteurs d’ignorer les accords signés volontairement et de se référer exclusivement à la constitution dans l’exercice du pouvoir d’État, bien que cette constitution, à l’origine de certaines crises, soit déclassée ou mise entre parenthèses à la faveur des compromis ou des arrangements politiques. On aurait ainsi spéculé, malencontreusement d’ailleurs, sur la reconnaissance par ces acteurs de la supériorité constitutionnelle. Or, il n’est point utile de revenir sur ces tiraillements et sur ces conflits de normes, déjà examinés. De telles questions nous paraissaient par ailleurs un peu trop polémiques et leur traitement est souvent sujet à caution.
-
[92]
Atangana Amougou, supra note 2 à la p 1744.
-
[93]
Selon une formule restée célèbre depuis 1820, tel que cité dans F Guizot, Du gouvernement de la France depuis la Restauration, Paris, Ladvocat, 1821 à la p 77.
-
[94]
Voir Thierry Debard, Dictionnaire de droit constitutionnel, Paris, Ellipses, 2002 à la p 88.
-
[95]
Atangana Amougou, supra note 2 à la p 1736.
-
[96]
Voir Bléou, République ivoirienne, supra note 67 à la p 165.
-
[97]
Cédric Milhat, « L’État constitutionnel en Afrique francophone : entre État de droit et “état de droit” » dans Développement durable : leçons et perspectives. Actes du colloque tenu à Ouagadougou du 1 au 4 juin 2004, Paris, Organisation internationale de la Francophonie, 2004, 61 à la p 63, en ligne : <www.francophonie-durable.org>.
-
[98]
Jean du Bois de Gaudusson, « Quel statut constitutionnel pour le chef d’État en Afrique ? » dans Colliard et Jegouzo, supra note 17, 329 à la p 333 [Gaudusson, « Quel statut constitutionnel ? »].
-
[99]
Atangana Amougou, supra note 2 à la p 1744.
-
[100]
Voir Jean du Bois de Gaudusson, « Synthèse et conclusion » dans Henry Roussillon, dir, Les nouvelles constitutions africaines : La transition démocratique, Toulouse, Presses de l’Institut d’études politiques de Toulouse, 1995, 189.
-
[101]
Accord de partage de pouvoir au Burundi, conclu le 6 août 2004 à Prétoria, ratifié le 18 août 2004.
-
[102]
Constitution de la République du Burundi, 2005 ; Gaudusson, « Défense et illustration », supra note 22 à la p 620, n 16.
-
[103]
Voir par ex les conditions d’éligibilité à la présidence de la République ivoirienne que renferme l’article 35 de la Constitution ivoirienne, supra note 38.
-
[104]
Voir par ex la question des élections au suffrage universel au Burundi avant la conclusion de l’Accord d’Arusha pour le Burundi, supra note 41.
-
[105]
Dans le contexte de la crise rwandaise, notons l’article 3 de l’Accord de paix d’Arusha entre le Gouvernement de la République Rwandaise et le Front Patriotique Rwandais, Journal officiel de la République rwandaise, signé le 4 août 1993, publié le 15 août 1993, vol 32, no 16, 1265 [Accord d’Arusha du 4 août 1993] : « Les deux parties acceptent que la Constitution du 10 juin 1991 et l’Accord de Paix d’Arusha constituent indissolublement la loi fondamentale qui régit le pays durant la période de transition […] ».
-
[106]
On peut citer les exemples du Rwanda et de la Sierra Leone. L’auteur Antagana Amougou, supra note 2 à la p 1739, rapporte en effet, dans le Protocole d’accord entre le gouvernement de la République Rwandaise et le Front Patriotique Rwandais sur le partage du pouvoir dans le cadre d’un gouvernement de transition à base élargie, 30 octobre 1992 et 9 janvier 1993, art 24(b), al 1, la création d’une commission juridique et constitutionnelle chargée « [d’]inventorier les adaptations à faire sur la législation nationale pour la rendre conforme aux dispositions pertinentes de l’Accord de Paix, spécialement à celles du Protocole d’Accord sur l’État de Droit » (ibid). Antagana Amougou souligne que la même logique a prévalu en Sierra Leone alors que le Peace Agreement Between the Government of Sierra Leone and the Revolutionary United Front of Sierra Leone, 7 juillet 1999, art 10 [Accord de Lomé], prévoyait explicitement la nécessité de réviser la Constitution :
In order to ensure that the Constitution of Sierra Leone represents the needs and aspirations of the people of Sierra Leone and that no constitutional or any other legal provision prevents the implementation of the present Agreement, the Government of Sierra Leone shall take the necessary steps to establish a Constitutional Review Committee to review the provisions of the present Constitution, and where deemed appropriate, recommend revisions and amendments […].
-
[107]
Voir Gaudusson, « Défense et illustration », supra note 22 aux pp 617 et s ; Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles », supra note 45 à la p 256 ; Bléou, « Révision de la Constitution », supra note 10 à la p 164 ; Tchapnga, supra note 17 aux pp 476-77.
-
[108]
Pierre Pactet, Institutions politiques : Droit constitutionnel, 20e éd, Paris, Armand Colin, 2001 à la p 66.
-
[109]
René Capitant, « La coutume constitutionnelle » (1979) Rev DP & SP 959 à la p 962.
-
[110]
Les accords ou les compromis sont eux-mêmes des textes imparfaits, nonobstant leur utilité que l’on tente de souligner ici.
-
[111]
Cet accord sud-africain a été réalisé dans le cadre d’un forum de négociations à partis multiples, qui a réuni 26 délégations de partis politiques, le 26 avril 1993. Voir Lath, supra note 53 à la p 127.
-
[112]
Constitution of the Republic of South Africa 1993, no 200 de 1993.
-
[113]
Constitution of the Republic of South Africa 1996, no 108 de 1996.
-
[114]
République démocratique du Congo, 17 décembre 2002, en ligne : Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs africains <http://www.grandslacs.net/doc/2826.pdf> [Accord global et inclusif au Congo].
-
[115]
Pour une analyse approfondie, voir Lath, supra note 53 aux pp 128 et s.
-
[116]
Voir à titre illustratif l’article 35 de la Constitution ivoirienne, supra note 38 (sur les conditions d’éligibilité à la présidence de la République), qui est donné comme étant à l’origine de la crise politico-militaire que la Côte d’Ivoire a connue à partir du 19 septembre 2002.
-
[117]
Voir Atangana Amougou, supra note 2 à la p 1736, où l’auteur cite Georges Burdeau, Traité de science politique : Le statut du pouvoir dans l’État, t 4, 2e éd, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1969 à la p 288, et les dispositions de quelques conventions de sortie de crise qui prévoyaient une procédure de révision de la constitution au Rwanda, en République démocratique du Congo et au Libéria.
-
[118]
Maurice Kamto, Pouvoir et droit en Afrique Noire : Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les États d’Afrique Noire francophone, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1987 à la p 43 [Kamto, Pouvoir et droit]. Cette définition n’a pas cependant le sens restrictif que lui donnent certains auteurs qui rattachent la notion uniquement à l’idée de constitutions écrites, destinées, en France comme en Europe à partir du dix-huitième siècle, à encadrer les modes de dévolution et d’exercice du pouvoir politique, et ainsi à limiter l’absolutisme, voire le despotisme, du monarque ou du souverain.
-
[119]
Fall, Pouvoir exécutif, supra note 67 aux pp 22-23.
-
[120]
Un auteur se demande ainsi si le nouveau constitutionnalisme africain résout véritablement les crises politiques : Atangana Amougou, supra note 2 à la p 1724.
-
[121]
Voir par ex Bourgi, supra note 17 à la p 747 ; Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles », supra note 45 à la p 255.
-
[122]
Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1724 et s.
-
[123]
Gaudusson, « Quel statut constitutionnel ? », supra note 98 à la p 330.
-
[124]
Voir Owona, supra note 87. Ce phénomène « commence quand certaines dispositions d’une loi fondamentale réduisent à néant d’autres dispositions explicitement ou implicitement » (ibid à la p 235).
-
[125]
Pierre-François Gonidec, Les systèmes politiques africains : Les nouvelles démocraties, 3e éd, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1997 aux pp 25 et s.
-
[126]
Jean du Bois de Gaudusson, « Trente ans d’institutions constitutionnelles et politiques : points de repère et interrogations » (1992) 4 Afrique contemporaine 50 à la p 56 ; Kamto, Pouvoir et droit, supra note 118 aux pp 439 et s.
-
[127]
Glele, « Loi fondamentale », supra note 17 aux pp 33-34 ; Dmitri Georges Lavroff, Les systèmes constitutionnels en Afrique noire : Les États francophones, Paris, A Pedone, 1976 aux pp 13 et s.
-
[128]
Voir Kamto, Pouvoir et droit en Afrique, supra note 118 à la p 43.
-
[129]
Gérard Conac, « L’évolution constitutionnelle des États francophones d’Afrique noire et de la République démocratique malgache » dans Gérard Conac, dir, Les institutions constitutionnelles des États d’Afrique francophone et de la République malgache, Paris, Economica, 1979, 1 à la p 24 ; Ibrahima Fall, « La signification du constitutionnalisme en Afrique noire » dans Jean-Louis Seurin, dir, Le constitutionnalisme aujourd’hui, Paris, Economica, 1984, 231 à la p 233.
-
[130]
Jean-Marie Breton, « La part du sacré dans les rapports du pouvoir et du droit : de la légitimation à la disqualification du pouvoir (réflexions à propos de l’ex-régime impérial centrafricain » (1986) 12 Dr et Cult 105.
-
[131]
Ouraga Obou, Requiem pour un code électoral, Presses des universités de Côte d’Ivoire, Abidjan, 2000 à la p 29.
-
[132]
Cette utilisation implique naturellement une application sélective des règles en présence pour stabiliser les institutions républicaines.
-
[133]
Nous référons principalement à la théorie kelsénienne et précisément au normativisme juridique qui place la constitution au sommet de la pyramide des normes.
-
[134]
Voir Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles », supra note 45 aux pp 250-56.
-
[135]
Supra note 114.
-
[136]
Constitution de la transition, Journal officiel de la République démocratique du Congo, 5 avril 2003, 44e année.
-
[137]
Voir les précisions supra note 133.
-
[138]
Voir la décision de la Cour suprême de justice congolaise, rendue le 24 février 2006, sur l’avenir politique du président de l’Assemblée nationale, M. Olivier Kamitatu, exclu du Mouvement de Libération du Congo, grâce auquel il avait accédé à cette fonction : Cour suprême de justice de la République démocratique du Congo, 24 février 2006, Olivier Kamitatu, R Const 28/TSR, tel que cité par Mbodj, supra note 17 aux pp 454-55.
-
[139]
Le débat porte sur la valeur respective des normes constitutionnelles et des normes internationales, ou celles adoptées sous les auspices de la communauté internationale, pour résoudre les crises politiques. Certains considèrent que la constitution doit prévaloir parce qu’elle n’est pas abrogée. D’autres au contraire soutiennent que le chef de l’État ou ses représentants, en signant des conventions politiques anticonstitutionnelles par certaines de leurs dispositions, reconnaissent par conséquent le déclassement de la norme constitutionnelle au profit de normes politiques adoptées sur la base du consensus. Cette controverse traduit, en arrière-plan, la polémique qui enfle dans l’opinion publique à ce sujet. En Côte d’Ivoire par exemple, le président Laurent Gbagbo et ses partisans estimaient que force devait rester à la constitution, réaffirmant ainsi sa prépondérance sur les normes internationales, ou celles marquées du sceau des instances internationales. En revanche, les adversaires du président Gbagbo récusaient cette position et considéraient plutôt les accords politiques comme prépondérants sur les normes internes ivoiriennes, par référence à l’intervention de la communauté internationale dans la procédure d’élaboration de ceux-ci. Mieux, les différentes résolutions onusiennes qui ont été prises dans le cadre de cette crise ont été davantage perçues comme des normes supraconstitutionnelles, c’est-à-dire comme des normes supérieures à la constitution.
-
[140]
Gaudusson, « L’accord de Marcoussis », supra note 38 à la p 49.
-
[141]
Voir notamment Sory Balde, La Convergence des modèles constitutionnels : Études de cas en Afrique subsaharienne, Paris, Publibook, 2011.
-
[142]
Gaudusson, « Défense et illustration », supra note 22 à la p 623.