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Dans Insécurité linguistique dans la francophonie, la sociolinguiste acadienne, Annette Boudreau, donne un aperçu de ce qu’est l’insécurité linguistique et des études principales ayant traité de ce sujet. Cette professeure émérite de l’Université de Moncton a publié de nombreux ouvrages portant sur ce phénomène particulier vécu en français au Nouveau-Brunswick (N.-B.), notamment Dire le silence : insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, paru en 2021.

L’objectif du livre est de faire un bilan de l’insécurité linguistique. Il s’agit d’un sentiment vécu chez plusieurs francophones qui se questionnent sur la légitimité de leur français. Boudreau remonte ainsi aux années 1960 afin d’établir la trajectoire conceptuelle de l’insécurité linguistique. Cet ouvrage de 76 pages est divisé en sept chapitres : 1) « Quelques notions utiles », 2) « L’insécurité linguistique : premiers travaux, définitions, manifestations », 3) « La francophonie : terreau de l’insécurité linguistique », 4) « La diglossie et l'insécurité linguistique », 5) « Les idéologies linguistiques et l’insécurité linguistique », 6) « Se dire francophone? C’est quoi un francophone? Et qui peut l’être » et 7) « L’insécurité linguistique au Canada ».

Tout d’abord, Boudreau définit ce qu’est l’insécurité linguistique : un malaise ou un sentiment de honte ressenti par une personne concernant son accent ou sa variété linguistique. Elle propose ici que l’insécurité linguistique découle soit de commentaires illégitimateurs sur sa façon de parler en français, soit du fait d’entendre des représentations linguistiques négatives à l’égard de son propre accent. Elle donne les exemples suivants : « il a un accent anglais » (p. 1) ou « ce n’est pas un vrai[1] francophone » (p. 1). Ensuite, afin d’outiller les spécialistes qui souhaitent analyser les traces d’insécurité linguistique chez des francophones, elle présente quelques concepts importants, dont « langue standard » et « langue légitime » ainsi que « glottophobie », tels que proposés par James Costa, Pierre Bourdieu et Philippe Blanchet. Cette sociolinguiste critique également l’usage du terme « langue » dans son unicité, celui-ci étant parfois employé sans tenir compte de toutes les variétés linguistiques du français.

Ensuite, Boudreau brosse un portrait des textes pionniers au sujet de l’insécurité linguistique. Elle présente la recherche du précurseur de ce concept savant d’origine anglophone, le sociolinguiste américain, William Labov, les textes de Pierre Bourdieu, sociologue français, de Michel Francard, sociolinguiste belge, ainsi que ceux de Gueunier et al. (1978) sur l’insécurité linguistique ressentie en situation diglossique, comme à La Réunion, en France. Elle revient également sur sa propre recherche pionnière en Acadie réalisée avec Lise Dubois (1991, 1992, 1993) sur l’insécurité vécue chez les jeunes des écoles francophones au N.-B. Elle fait également état des colloques L’insécurité linguistique dans les communautés francophones périphériques (1993) et Le français de référence (1999) organisés en Belgique par Francard et au cours desquels des communications ont démontré qu’un prestige peut être accordé aux formes linguistiques plus « authentiques » et plus « standardisées ». Elle décrit aussi certains symptômes manifestés chez les personnes qui vivent de l’insécurité linguistique en français, comme le fait d’effectuer de l’hypercorrection lorsqu’elles ont conscience du prestige associé à telle ou telle façon de parler qui diffère de la sienne et qui circule au sein d’un marché linguistique particulier, qu’il s’agisse d’un marché officiel ou d’un marché franc. À force d’entendre des commentaires illégitimisant ses propres pratiques linguistiques, un ou une francophone peut alors en venir à exercer l’autodépréciation linguistique envers son propre accent ou sa variété linguistique. Boudreau met également en lumière le processus de sujétion linguistique que peut éprouver une personne dans une situation de double minoration linguistique. Ainsi, elle peut le subir soit du fait que sa langue n’est pas officielle ou qu’elle est minorisée par rapport à une autre langue officielle, soit dans une perspective interlinguistique. De plus, cette variété peut être dévalorisée sur le plan socioéconomique comparativement à une ou d’autres variétés linguistiques d’une même langue ou dans une perspective intralinguistique. Dans un contexte de double minorisation de ce type, comme dans le cas du N.-B., des francophones peuvent ainsi venir à croire qu’« ils et elles parlent une langue qui n’est ni français ni anglais » (p. 60) et se questionner sur ce qu’ils et elles peuvent et ne peuvent pas dire.

Par ailleurs, Boudreau propose certaines stratégies qui permettent de résister aux idéologies linguistiques, dont celles de la non-langue et du standard, ainsi qu’à la langue dominante, comme le fait de choisir son vernaculaire dans certaines interactions entre bilingues. Elle présente également des stratégies de contre-légitimité qui sont employées par des francophones de ce milieu, comme le fait de choisir le silence ou, au contraire, d’afficher fièrement son vernaculaire, ce qui est surtout le cas d’artistes, comme Lisa LeBlanc et P’tit Belliveau.

Cet ouvrage est original par ses nombreux et riches exemples de manifestations d’insécurité linguistique chez des personnes locutrices du français, dont celui de la politicienne Claudette Bradshaw. L’auteure y montre par ailleurs ce qu’est l’insécurité linguistique en établissant un lien avec la notion de diglossie, comme dans le cas du N.-B. Ainsi, il est question d’une personne qui craint de demander des services de santé en français, sa langue première, durant la crise de la COVID-19. Bien que le français soit une langue officielle dans cette province, un individu peut ne pas se sentir à l’aise de choisir cette langue dans l’espace public anglodominant (LeBlanc, 2008). Cette situation diglossique néo-brunswickoise se compare ainsi aux autres cas de diglossie conflictuelle, notamment celle vécue en Catalogne, au contraire d’un type consensuel de diglossie, comme c’est le cas en Suisse.

Un ouvrage pertinent aussi puisqu’aucune publication précédente ne fait état des travaux portant sur l’insécurité linguistique et sur les façons de la conceptualiser dans la sociolinguistique francophone. Cette publication synthèse vient ainsi combler une lacune scientifique. De plus, sa conception plus « pédagogique » par son format est adéquate et utile à un nouveau lectorat en sociolinguistique. Boudreau parvient à atteindre son objectif grâce à l’accessibilité des notions traitées pour un public moins spécialisé. Ce livre s’avère suffisamment simple pour être utilisé dans des cours de sociolinguistique de premier cycle. Aussi, les sections « Pour en savoir davantage » qui suivent presque chaque chapitre sont très pratiques pour les personnes qui s’intéressent nouvellement à l’insécurité linguistique du fait qu’elles peuvent y trouver des textes sur d’autres concepts importants en sociolinguistique.

Enfin, la définition d’une personne francophone proposée par Boudreau permettrait d’éviter de succomber à l’idéologie de la personne locutrice native : « ceux et celles qui l’ont comme langue d’usage même s’ils parlent une langue autre à la maison » (p. 54). Cependant, l’auteure fait ici exclusivement référence aux personnes allophones immigrantes. Il serait important aussi de s’intéresser aux personnes issues de l’immersion française ou de familles exogames qui utilisent parfois plutôt l’anglais à la maison. Ainsi, une approche interlinguistique qui considérerait l’insécurité linguistique d’apprenantes et apprenants de langues secondes serait pertinente. Il serait d’ailleurs temps de se pencher davantage sur ce sentiment tel qu’il peut être ressenti en français langue seconde dans un contexte minoritaire d’usage du français, comme celui du N.-B.