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Introduction

Au cours des dernières décennies, de nouveaux visages d’origines culturelles diverses ont émergé au Manitoba, en Saskatchewan et en Ontario, tout comme en Amérique du Nord. Dans la société canadienne actuelle, on observe une diversité culturelle croissante, une augmentation de l’immigration en provenance des pays autres qu’européens, une concentration des communautés culturelles dans les centres urbains et une progression en milieu rural. Cette réalité multiculturelle modifie considérablement le tissu social et complexifie davantage les défis auxquels les intervenants et intervenantes du domaine de la santé et des services sociaux doivent faire face dans leur pratique quotidienne.

Comment peut-on apprécier et respecter les différences? Quelles connaissances faut-il avoir et quelles compétences faut-il développer pour interagir efficacement avec une personne d’une autre culture? Quels sont les enjeux spécifiques d’une pratique qui vise une clientèle diversifiée? Ces questions peuvent paraître secondaires ou anodines, pourtant, elles préoccupent de nombreux professionnels de la santé mentale. De toute évidence, les intervenantes et intervenants sont de plus en plus susceptibles d’intervenir auprès de personnes d’origines culturelles variées. Cet article examine diverses stratégies d’intégration des personnes immigrantes en matière de services en santé mentale afin d’appuyer davantage les professionnels de la santé pour mieux saisir les subtilités particulières liées à cette clientèle.

À la lumière des résultats obtenus dans le cadre de cette recherche, nous avons constaté que le soutien à la santé mentale pour les immigrants africains passe inévitablement par des facteurs liés aux dimensions de l’intégration socioculturelle. C’est à partir des propos recueillis des participantes et des participants que nous présenterons diverses stratégies individuelles et communautaires favorisant une meilleure intégration au système de santé. Le rôle que peuvent jouer les organismes communautaires et les leaders religieux dans le soutien émotionnel et informationnel de ces personnes, en collaboration avec les services formels, sera également abordé.

1. Contexte

Reconnaissant que le Canada est l’un des chefs de file en ce qui concerne l’accueil de personnes immigrantes, il s’avère essentiel pour les prestataires de soins d’offrir des soins adaptés aux réalités culturelles de leur clientèle afin de favoriser leur intégration dans le système de santé. Au cours de l’année 2021, 406 000 résidentes et résidents permanents dans les volets de l’immigration économique, du regroupement familial, des réfugiés et des considérations d’ordre humanitaire ont été accueillis au Canada (Fraser, 2022). Il est prévu que d’ici 2036, les personnes immigrantes représenteront jusqu’à 30 % de la population canadienne (Gouvernement du Canada, 2023). Le Canada reconnaît que ces personnes contribuent non seulement à l’économie, mais également à la vitalité et à la diversité des collectivités canadiennes, notamment au sein des communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) (Fraser, 2015; IRCC, 2018a). Le nombre annuel d’immigrantes et immigrants économiques d’expression française hors Québec est passé de 850 en 2003 à 2 400 en 2017 (IRCC, 2018b). En 2020, le Manitoba était la destination prévue de 530 immigrants qui ont déclaré le français ou le français et l’anglais comme langues officielles, ce qui représente 6,1 % de toutes les personnes immigrantes au Manitoba (Gouvernement du Manitoba, 2020). Les pays d’origine de ces immigrants étaient l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la France et Djibouti (Gouvernement du Manitoba, 2020). Étant donné cette croissance, il importe de favoriser l’intégration des nouveaux arrivants dans les CFSM (IRCC, 2018b), ce qui passe inévitablement par la priorisation de l’emploi, l’accès aux services en français et la présence de communautés inclusives.

Dans une première publication associée à cette recherche, nous avions présenté une description des différentes étapes de l’intégration socioculturelle de la personne immigrante. Nous avions exploré les défis rencontrés par de nouveaux arrivants francophones à leur arrivée dans une communauté francophone en situation minoritaire au Canada, les répercussions qui en découlent et les facteurs modérateurs ayant une incidence sur leur intégration. À la lumière des résultats démontrant l’impact important de l’immigration sur la santé mentale, il nous a semblé pertinent de nous attarder aux stratégies utilisées et proposées par les personnes immigrantes pour faciliter leur intégration au système de santé canadien.

En consultant la littérature, la question de l’intégration en milieu professionnel, notamment dans le milieu scolaire, a fait l’objet de plusieurs recherches qui proposent des modèles de meilleures pratiques. En contexte francophone ontarien (Gravelle et Duchesne, 2018), par exemple, on rapporte que les directions d’école doivent être sensibilisées à l’importance d’accueillir, de soutenir et d’encadrer les nouveaux enseignants issus de l’immigration pour favoriser leur insertion professionnelle. Selon Niyubahwe et al. (2013), cet accueil et ce soutien relèvent également des collègues de travail, des parents d’élèves et de la communauté dans laquelle se trouve ce nouvel enseignant. Pour répondre aux besoins des élèves nouveaux arrivants, les travaux de Kamano et al. (2020) réalisés au Nouveau-Brunswick ont démontré l’absence de programmes ministériels structurés visant à répondre adéquatement aux besoins d’accueil et d’intégration de ces élèves, ce qui fait que ce sont des initiatives isolées, mises sur pied par divers acteurs socioéducatifs (écoles et organismes communautaires). L’absence de synergie d’actions entre les structures communautaires et les organismes oeuvrant dans l’accueil et l’intégration des personnes immigrantes et de leurs enfants est évidente, et selon les auteurs, pourrait s’expliquer par la compétitivité due à la réalité francophone minoritaire (Kamano et al., 2020). Pour Farmer et al. (2023) ainsi que Jacquet et Masinda (2014), l’accueil et l’accompagnement des personnes immigrantes nécessitent l’élaboration d’une approche globale, flexible et concertée impliquant à la fois les autorités éducatives, les écoles et les structures communautaires. 

Mais qu’en est-il pour l’intégration dans le système de santé, notamment en matière de santé mentale et en contexte linguistique minoritaire? Bouchard et al. (2018) reconnaissent que les francophones vivant en situation minoritaire sont confrontés à la difficulté d’obtenir des services de santé et des services sociaux dans leur langue. Par ailleurs, de Moissac et Bowen (2018) précisent que non seulement ils sont confrontés à l’absence de ressources en santé, mais que l’accessibilité aux soins dans leur langue est limitée et que cela peut nuire à la qualité des soins dispensés, les retarder et engendrer un mauvais diagnostic. La barrière linguistique pose un défi important dans le contexte de soins de santé (Archambault et al., 2021) pour les personnes immigrantes francophones. Déjà en 2015, Gauthier et Timony avaient proposé diverses stratégies pour offrir des services de santé aux patients francophones en contexte minoritaire. Précisons que pour les personnes immigrantes d’origine africaine, la santé mentale se manifeste principalement à travers les composantes d’une intégration socioculturelle. Toutefois, on a peu de connaissances sur l’intégration des personnes immigrantes dans un contexte de soutien formel en santé mentale et sur les éléments clés à respecter pour favoriser une prise en charge réussie.

L’accueil est un moment déterminant dans l’expérience médicale, car c’est la porte d’entrée aux services offerts par les professionnels de la santé. Richard (2022) reconnaît que c’est en « adoptant une approche écologique de l’accueil [que] le processus d’intégration […] pourrait se vivre dans une dynamique interactive de transformation respective et mutuelle » (p. 36). Accompagner les familles immigrantes « nécessite une approche écologique et multidimensionnelle dans laquelle le praticien prend en compte un ensemble de facteurs individuels, mais également familiaux et structuraux qui viennent teinter le parcours » (Pontbriand et al., 2022, p. 10) d’intégration sociomédicale de ces familles au système de santé. Selon cette approche, comprendre cette interaction des facteurs sur l’intégration des personnes immigrantes repose sur un processus d’interaction entre l’individu et son milieu. Déjà en 2007, Boucher soulignait l’importance de respecter les différences culturelles, c’est-à-dire les identités socioculturelles avec leurs multiples facettes d’appartenance (ethnique, religieuse, nationale, régionale…) en adoptant une « attitude interculturelle fondée sur un processus d’interaction et de reconnaissance mutuelle » (p. 28). Pour Tareck et Mouatarif (2023), le contexte socioculturel des praticiens « doit en effet entendre la souffrance psychique de l’autre et la souffrance liée à la migration : être à l’écoute de l’autre avec son parcours, sa souffrance, ses codes culturels, linguistiques, ses représentations religieuses, son statut social précaire » (p. 6) pour faciliter ce processus. La perspective écologique conduit finalement à un questionnement plus fondamental, à savoir quelles sont les stratégies utilisées par les immigrants francophones pour pallier aux services de santé mentale ou les complémenter et qui ont été bénéfiques à leur intégration au système de santé, à leur bienêtre psychologique et à leur qualité de vie. Les différentes façons de faire, telles que proposées dans cette étude par les personnes participantes, immigrantes francophones seront exprimées et discutées.

2. Cadre théorique : modèle interculturel systémique

Inspirée de l’approche interculturelle de Cohen-Émerique (2000), le modèle interculturel systémique proposé dans le cadre de cette étude a été enrichi de la perspective écologique de Heffernan, Shuttlesworth, Ambrosino (1988) et de Lacroix (1990) afin de mieux comprendre le processus d’adaptation et d’intégration de la personne immigrante dans la perspective socioculturelle, mais également dans les perspectives systémiques tels les systèmes de santé et d’éducation. Déjà en 2008, Legault et Rachédi soulignaient que l’approche interculturelle se fondait « sur le respect de la personne, de sa vision du monde, de son système de valeurs et de ses besoins » (p. 109). De ce qui précède et de manière brève, nous pouvons affirmer que la philosophie de l’approche interculturelle repose sur les concepts de l’interaction, du respect de la personne et de ses besoins, de la prise en compte de la diversité, du respect des valeurs et des croyances, de l’intériorisation et de l’acceptation de l’altérité. Quant à l’intervention interculturelle, celle-ci est définie comme « une interaction entre deux identités qui se donnent mutuellement un sens dans un contexte à définir chaque fois » (Abdallah-Pretceille, 1985, p. 31). 

De façon dynamique, la perspective écologique « offre un cadre suffisamment large qui permet d’étudier à la fois l’ensemble des facteurs, divers et complexes, qui influent sur un problème individuel et social, et la façon dont ces facteurs interagissent et contribuent à expliquer une situation » (Rachédi et Taïbi, 2019, p. 146). Ce modèle est constitué de plusieurs systèmes dans lesquels évolue la personne immigrante, soit celui de la personne (ontosystème) et de déterminants extérieurs (microsystème, exosytème et macrosystème). L’originalité de cette perspective se fonde sur une interdépendance des systèmes. Pour chacun des systèmes, l’approche interculturelle est omniprésente. Nous présumons que ce cadre d’analyse systémique favorise une meilleure compréhension des liens entre les mandats institutionnels, les codes communicationnels et les dynamiques d’inclusion (White et al., 2015). Perçu comme une grille de lecture des différentes situations interculturelles, ce modèle interculturel systémique « permet de mieux comprendre les situations, donc d’intervenir plus efficacement » (Rachédi et Taïbi, 2019, p. 146). L’ensemble de ce modèle est sous le parapluie d’une perspective historique où chaque histoire « est à la fois diachronique et synchronique, individuelle, familiale, nationale et internationale » (Rachédi et Taïbi, 2019, p. 147), nous permettant de considérer le caractère évolutif des institutions publiques, les structures et les communautés d’accueil. Enfin, c’est sous un angle d’analyse trilogique des histoires de l’immigrant, de l’intervenant et des relations interculturelles qu’émergera un vivre ensemble où la personne immigrante développera un sentiment d’appartenance à la collectivité.  

2.1 Ontosystème : la prise en considération de l’individu

Comme le rapporte Cohen-Émerique (1993), l’intervention interculturelle se définit comme « une interaction entre deux identités qui se donnent mutuellement un sens » (p. 72). Caractérisé par deux identités en présence, soit l’identité de la personne immigrante et celle de la personne intervenante, l’ontosystème est un système interactif où sont considérés les valeurs de chacun et chacune, leur histoire et leur parcours de vie; leurs diverses appartenances personnelles, familiales, professionnelles, ethniques, religieuses et nationales; l’occupation, l’éducation, le revenu de même que bien d’autres variables constituant ainsi le cadre de référence de l’intervenant et de l’immigrant. Précisons que les visions du monde, les histoires de vie et les multiples appartenances des personnes en présence peuvent avoir une incidence sur la relation immigrant-intervenant dans un contexte de soins de santé. Selon l’approche interculturelle systémique, il s’avère nécessaire d’appuyer la personne immigrante dans l’ici et maintenant en considérant son vécu prémigratoire, migratoire et postmigratoire. Pour Rachédi et Taïbi (2019), la relation entre l’immigrant et l’intervenant « doit tendre à être la plus égalitaire possible et qu’il est envisageable d’obtenir l’égalité par le partage, par la compréhension de la réalité objective de l’autre et par l’empathie » (p. 150). C’est dans ce premier système, l’ontosystème, que les trois temps du processus de l’intervention interculturelle entrent en jeu, puisqu’ils sont au coeur de la relation entre l’immigrant et l’intervenant : décentration, compréhension du système de l’autre, et négociation ou médiation. 

2.1.1 Décentration

La décentration constitue le premier temps que la personne intervenante est appelée à observer. Legault et Rachédi (2008) précisent que la décentration 

équivaut à la prise de conscience par l’intervenant de son propre cadre de référence (toutes ses variables personnelles, familiales, culturelles et professionnelles), lequel l’amène à jeter un regard particulier sur l’autre et sur les réalités qui l’entourent. Cette décentration lui fait voir que d’autres visions du monde existent et qu’elles ont autant de valeur que la sienne puisqu’elles sont aussi inscrites dans une histoire et un contexte particulier.

p. 127

2.1.2 Compréhension du système de l’autre 

Après avoir cerné son propre cadre de référence, la personne intervenante va s’attarder à connaitre celui de la personne migrante. Pour Rachédi et Taïbi (2019), l’étape de la compréhension repose sur la perception et la compréhension du cadre de référence de l’autre. Pour percevoir et comprendre ce cadre, la personne intervenante doit se référer à l’immigrante ou l’immigrant parce qu’il est le meilleur informateur sur son monde et sur sa culture. Pour y parvenir, la personne intervenante doit accepter la différence et s’intéresser à l’autre en l’observant et en l’écoutant sans jugement afin de s’imprégner de la culture de l’immigrant sans interprétation. 

2.1.3 Négociation ou médiation

La négociation ou la médiation constitue le dernier temps dans le cadre de la pratique de l’approche interculturelle. Boilard et Leanza (2011) expliquent que la négociation est « le processus par lequel on engage une série d’échanges ou chacun respectera autrui dans son intégrité et ses valeurs tout en aboutissant à un compromis qui fait du sens pour tous » (p. 104). En cas d’incompréhension entre l’immigrante ou l’immigrant et la personne intervenante, la médiation permet, grâce à l’intervention d’un tiers, de favoriser l’accord, la conciliation et la réconciliation (Boilard et Leanza, 2011).  

2.2 Microsytème et mésosystème : la prise en considération du réseau primaire

Le second système, le microsystème, est considéré comme la prise en compte du réseau primaire, soit le réseau personnel minimal de la personne. Selon Lacroix (1990), ce réseau est « constitué d’individus qui ont des affinités personnelles dans un cadre non institutionnel » (cité par Rachédi et Taïbi, 2019, p. 153). Comme énoncé dans notre premier article (Archambault et al. 2021), ce système est composé des membres de la famille proche de la personne immigrante et la famille demeurée dans le pays d’origine, la parenté, les amis et les voisins du quartier qui façonnent son quotidien. Il représente « le contexte le plus concret et le plus proche de l’individu » (Gaudreau et Aubin, 1998, p. 208).  

Prendre en considération ce système sur le plan de l’immigration requiert une connaissance approfondie de la trajectoire migratoire de l’immigrante ou l’immigrant, à savoir s’il est arrivé seul ou accompagné de sa famille, s’il est encore en contact avec la parenté demeurée dans le pays d’origine ou s’il s’est développé un nouveau réseau d’appuis depuis son arrivée en terre d’accueil. Grâce à la connaissance de ces réseaux d’ici et d’ailleurs, il est possible de brosser un portrait des différentes sources d’entraide et d’appuis dont peut bénéficier le nouvel immigrant quotidiennement.

À ce deuxième système s’ajoute le mésosystème, composé des communications, des interactions et des transactions (White, 2013) entre les membres du microsystème qui peuvent influencer la personne immigrante. Pour Gaudreau et Aubin (1998), « le mésosystème n’est pas un lieu concret, mais il constitue un réseau de microsystèmes fréquentés par [l’immigrant]. On le définit comme l’ensemble des interrelations entre les microsystèmes » (p. 210).

2.3 Exosystème : la prise en considération des réseaux secondaires

Le troisième système, l’exosystème, repose sur la prise en considération des réseaux secondaires de la personne qui regroupe l’ensemble des individus et des différentes institutions qui ne sont pas directement reliés à la personne elle-même, mais qui se répercutent sur son fonctionnement. En contexte culturel, Rachédi et Taïbi (2019) reconnaissent que « ces réseaux comprennent l’ensemble des éléments qui entourent l’immigrant et sa famille » (p. 154). Dans le modèle interculturel systémique proposé par ces auteurs, l’exosystème est composé du monde du travail; les institutions éducatives (l’école et la garderie) ; les lieux de culte; les services sociaux et de santé; les organismes communautaires; le logement et le quartier (conditions de vie) ; la municipalité. À divers degrés, tous ces éléments peuvent jouer un rôle déterminant dans l’adaptation et l’intégration de l’immigrant ou l’immigrante. 

2.4 Macrosystème

Le macrosystème, quatrième et dernier système qui emboite les trois premiers « à la manière des poupées gigognes : c’est l’ensemble des idéologies, valeurs et traditions d’une culture à une époque donnée » (Gaudreau et Aubin, 1998, p. 208). Pour Rachédi et Taïbi (2019), ce système est composé des facteurs sociétaux « tels que les attitudes culturelles, les représentations et les valeurs qui ont cours dans la société d’accueil » (p. 157). On y ajoute les médias sociaux, les politiques internationales, fédérales, provinciales et locales. En scrutant le macrosystème sous l’angle de l’approche interculturelle systémique, les politiques sociales et les rapports majoritaires-minoritaires sont à considérer, car ces composantes peuvent affecter considérablement la vie courante de la personne immigrante. Trame de fond des valeurs sur laquelle s’inscrivent les différentes influences directes ou indirectes présentes dans les autres systèmes, le macrosystème accompagne le parcours prémigratoire, migratoire et postmigratoire de la personne immigrante. 

Finalement, lorsque des changements surviennent à l’intérieur de l’un de ces cinq systèmes de ce modèle théorique, ceux-ci entrainent des modifications aux autres systèmes, influençant ainsi le processus d’adaptation et d’intégration de la personne immigrante. 

3. Méthodologie

Cette étude a été menée auprès de personnes immigrantes francophones dans trois provinces canadiennes en utilisant une approche qualitative par entrevue semi-dirigée. Un comité consultatif comprenant des représentants de groupes culturels africains et de prestataires de soins a été formé pour valider le bien-fondé de l’étude et des outils de recherche ainsi que pour faciliter le recrutement et valider les données. Cette étude a reçu l’approbation éthique du Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Saint-Boniface, de l’Institut de recherche de l’Hôpital Montfort et de l’Université d’Ottawa. Soulignons qu’avant la réalisation des entrevues auprès des personnes participantes, nous avons obtenu leur consentement libre et éclairé.

Les participantes et les participants ont été recrutés par l’entremise d’une lettre d’invitation transmise par les membres du comité consultatif à Winnipeg ou de représentants d’organismes similaires à Saskatoon et à Ottawa. Au total, soixante personnes immigrantes ou réfugiées ont participé à l’étude, soit vingt personnes par site. Les critères de sélection étaient les suivants : 1) être d’âge adulte (18 ans et plus); 2) être migrante ou migrant de première génération; 3) être francophone; et 4) avoir vécu à Winnipeg, Saskatoon ou Ottawa depuis au moins 2 ans.

Des entrevues individuelles semi-dirigées ont été effectuées en utilisant une grille d’entrevue adaptée à celle utilisée dans une étude antérieurement réalisée par Reflet Salvéo. Les grands thèmes explorés lors des entretiens étaient : 1) l’expérience de vie et le soutien émotionnel; 2) la connaissance des services d’appui émotionnel en français; et 3) les stratégies nécessaires pour améliorer ces services. Les entretiens, de 45 à 60 minutes approximativement, ont été menés par un assistant de recherche dans chaque site, migrant d’un pays africain, ce qui a favorisé le lien de confiance avec les participantes et les participants. Les entrevues ont été enregistrées pour fin de transcription et importées dans le logiciel NVivo v.10 (QSR International) pour faciliter l’analyse du contenu. Les données des entrevues ont été codifiées de façon indépendante par trois membres de l’équipe de recherche. Une première lecture a permis d’identifier les thèmes émergents de premier ordre hiérarchique, soit les catégories déterminées en fonction des principaux thèmes abordés lors des entretiens. Par la suite, pour chacune des catégories retenues, des catégories de second niveau hiérarchique ont été identifiées de façon inductive. Ainsi, une liste de codes a été développée et validée par l’équipe de recherche (Huberman et Miles, 1994). Cette grille d’analyse a été utilisée pour codifier les entrevues dans les trois sites.

Les participantes et les participants de l’étude ont également complété un sondage portant sur des questions sociodémographiques. Des analyses descriptives (moyennes, effectifs et pourcentages) de trois groupes par province ont été effectuées à l’aide du logiciel SPSS version 21 (Inc., Chicago, IL).

4. Résultats

4.1 Profil sociodémographique

Les résultats du profil sociodémographique des 60 personnes participantes sont présentés dans une publication antérieure (Archambault et al., 2021). La majorité d’entre elles viennent d’un pays de l’Afrique centrale (41,7 %) ou de l’Ouest (21,7 %). Plus de la moitié des participantes et participants étaient des hommes (61,7 %) et la moyenne d’âge était de 43,6 ans. Un peu plus de la moitié étaient des utilisateurs des services de soutien, les autres personnes participantes étant des membres de la famille d’utilisateurs de services.

4.2 Stratégies facilitant l’intégration des nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes

Les stratégies facilitant l’intégration au système de santé passent par l’intégration sociale et culturelle des nouveaux arrivants et se divisent en deux catégories, soit les stratégies préparatoires avant l’arrivée et à l’arrivée de même que les stratégies associées à l’intégration à court et à moyen terme. D’abord, nous aborderons les constats plus généraux qui se rapportent au soutien émotif, pour ensuite présenter des stratégies plus concrètes.

Pour favoriser une bonne santé mentale, les participants et participantes constatent qu’une relation de confiance mène à une relation d’aide efficace dans le cadre de soutien émotionnel. Comme évoqué par un participant : « Il faudra mettre les gens en confiance, c’est tout. Et puis à un moment, ça va venir, vous allez voir que les gens vont se sentir confortables avec vous et puis, ils vont commencer à parler, à parler » (WP12)[1].

Selon un participant de la Saskatchewan, l’accueil est important, car « la manière d’aborder ou de parler avec eux, et qu’ils se sentent plus accueillis, facilitera en fait les choses » (SK1). Extérioriser le problème soulage la personne, dira un autre participant : « Quand on arrive à extérioriser [le problème] et quand on arrive à en parler, déjà c’est mieux. Ça soulage et puis après, on passe à autre chose » (WP12). Considérant que chaque immigrant ou immigrante a une trajectoire différente en matière d’immigration, il semble opportun de réaliser une évaluation de leurs besoins individuels. « Au début, il faut d’abord évaluer le besoin de la personne, parce que je pense que ça dépend d’une personne à une autre » (WP12), dira un participant.

Enfin, les professionnels de santé doivent être sensibilisés à la culture de leur clientèle, « sinon, c’est difficile » (SK10). Un participant de Winnipeg ajoute : « Nous avons des cultures différentes, et pour venir ici, ce n’est pas facile de connaitre la culture-là, canadienne. Si les services pouvaient vraiment essayer de considérer aussi la culture des nouveaux qui arrivent » (WP1).

4.3 Stratégies préparatoires avant l’arrivée et à l’arrivée

Pour que la personne immigrante ait des attentes réalistes et évite de se retrouver dans une situation pouvant mener à la détresse, les participantes et participants ont souligné l’importance de préparer la personne avant son arrivée au Canada en lui transmettant diverses informations pour faciliter son adaptation. Selon une personne arrivée à Winnipeg en 2014, « il faut revoir l’information qu’on donne. On doit informer les gens avant qu’ils n’arrivent ici […] expliquer aux gens ce qu’ils vont faire face ici bien avant qu’ils arrivent au Canada » (WP16), particulièrement en ce qui concerne les réalités du Canada. Pour un participant d’Ottawa, le nouvel immigrant doit savoir qu’

avant qu’il quitte son pays, […] il faut mentionner : on peut pas vous garantir, par exemple, un emploi, on peut pas vous garantir une vie exceptionnelle ou bien une vie comme vous vivez actuellement. Donc, il faut vraiment écrire en gras : vous allez souffrir.

OTT 10

Un autre participant d’Ottawa déclare : « Faut pas directement qu’on laisse croire aux gens [que] le Canada, c’est un paradis et une fois que tu arrives là, tu commences à travailler avec ton diplôme et autres » (OTT4). Pour les participantes et participants, il importe d’informer les nouveaux arrivants au moyen de dépliants distribués par les associations comme les centres communautaires, les groupes religieux, ou d’autres organisations d’aide destinés aux personnes immigrantes. Il est essentiel de considérer la culture et la religion de l’immigrant ou l’immigrante dans la façon de communiquer les informations, car elles peuvent représenter des facteurs facilitant l’intégration à la communauté d’accueil.

Les participantes et participants suggèrent une meilleure promotion des services disponibles en français pour être mieux informés. Il est proposé que dès l’arrivée dans la ville d’adoption, une trousse d’information relative aux services disponibles en français dans leur région leur soit remise. Grâce à cette trousse, ils prendront connaissance des services offerts à leur rythme, de façon à ce qu’ils se sentent à l’aise et à l’abri du stigma associé au besoin de soutien ou à un problème de santé mentale. Des participants et participantes reconnaissent la présence d’un répertoire des services en français comme outil pour la promotion (et l’utilisation) de ces services dispensés par les organismes. Cependant, selon certains participants rencontrés dans le cadre de cette recherche, plusieurs d’entre eux n’avaient pas reçu cette information quant à l’existence d’une telle trousse. Avec cet outil en main, les organismes pourraient plus facilement envoyer leur clientèle vers d’autres services disponibles en français. Comme suggéré par un participant, « chaque location francophone devrait promouvoir les autres services francophones, comme ça, quand tu vas à un, tu trouves tous les autres… parce que si une personne va à un service, elle va peut-être avoir besoin d’un autre » (SK15). L’idée d’un guichet unique pour les services en français est proposée par quelques personnes participantes de la Saskatchewan et du Manitoba; ce guichet pourrait offrir du soutien administratif à l’accueil et de l’aiguillage vers l’ensemble des services d’intégration, de soutien social et de soutien émotif.

En matière de diffusion des connaissances sur les services disponibles en français et la promotion d’activités favorisant le bienêtre des personnes immigrantes francophones, les participants de la Saskatchewan suggèrent une meilleure collaboration entre les organismes communautaires et diverses agences qui oeuvrent auprès des immigrantes et immigrants, tant francophones qu’anglophones. Ainsi, ces personnes immigrantes d’expression française pourraient avoir un meilleur accès aux informations pertinentes, considérant que celles-ci circuleraient à la fois au sein d’un réseau d’organismes communautaires francophone et anglophone.

Plusieurs participants et participantes ont rapporté qu’il serait approprié de cibler les personnes influentes au sein des communautés culturelles qui auraient comme mandat de sensibiliser les nouveaux arrivants aux réalités canadiennes en organisant des causeries informatives informelles et des ateliers éducatifs sur les services et les programmes offerts pour faciliter leur intégration au système de santé. Selon un participant, il s’avère nécessaire de collaborer avec « les leaders, même les représentants, même […] les gens-là qui ont [de] l’influence dans les communautés » (WP1). Dans la foulée, un autre participant souligne :

Il faut que ces gens soient préparés et maintenant ils peuvent amener le message dans leur communauté. Je pense que ça, c’est vraiment une des stratégies très, très significatives que nous pouvons utiliser. C’est de voir que la même personne qui parle ta langue, et puis elle t’amène une information. Je pense que les gens auront plus la confiance à cette personne que d’autres personnes.

WP17

Notons que c’est « dans les petites causeries [que] les gens vont se sentir beaucoup plus à l’aise [de] parler » (WP12), dira un autre. À partir de ces causeries informelles, il sera alors possible de « sensibiliser, dire que, voilà, nous avons ce programme » (WP1), par exemple.

Par ailleurs, informer les arrivants peut se faire à l’occasion d’évènements transitionnels. Par exemple, un participant d’Ottawa reconnait que dans le cadre d’une célébration de la diversité culturelle telle que la semaine internationale de la francophonie, « quelqu’un peut être là pour leur donner telles ou telles informations pour ça. Ce sera le temps d’informer les jeunes de cet évènement » (OTT14).

4.4 Prise en charge et accueil des nouveaux arrivants

Plusieurs participants et participantes ont mentionné le manque de visibilité des services comme ayant un impact sur des occasions de soutien informel entre pairs. En effet, certains répondants et répondantes soulignent l’importance de fréquenter les centres d’immigration ou de santé où ils peuvent se réunir, discuter, tisser des liens afin de mieux s’intégrer et aussi pour développer de nouvelles connaissances et amitiés. Dès leur arrivée dans la communauté d’accueil, un répondant d’Ottawa reconnaît l’importance que 

les nouveaux arrivants soient sensibilisés et guidés vers les espaces de parole pour se libérer du trop-plein de souffrances dues à leur départ de chez eux, au choc culturel et au dépaysement pour qu’enfin, ils jouissent pleinement de tous les avantages qui sont mis à leur disposition, et les efforts consacrés à leur accueil et à leur insertion dans leur nouvelle communauté.

OTT 1

Pour accueillir ces gens venus d’ailleurs, certains participants et participantes soulignent que les intervenants doivent bien comprendre les différences culturelles de leur clientèle pour favoriser la prise en charge et les aiguiller vers des services correspondant à leurs besoins. Tout intervenant qui oeuvre auprès des nouveaux arrivants devrait développer un répertoire de techniques et d’activités qui leur permette de s’adapter aux particularités culturelles. Ils doivent percevoir et comprendre l’ensemble des éléments liés à la culture susceptible de créer des difficultés de communication et de repères. Un participant d’Ottawa mentionne que « quand on lui donne des services, on tient compte de sa culture, là, comme ça on va pas violer certains principes dans sa culture [...] donc c'est bien de s'adapter à sa culture » (OTT12).

Selon certains participants et participantes, l’ensemble des intervenants communautaires et des services de santé mentale pourront non seulement identifier adéquatement les besoins de leur clientèle, mais également proposer un format thérapeutique adapté à leurs réalités spécifiques et culturelles. À ce titre, il nous semble opportun de s’attarder aux propos de ce participant d’Ottawa qui déclare qu’une thérapie

face à face, c’est plus facile, parce qu’en groupe, il y a d’autres personnes qui ne parlent pas, qui sont gênées, ils ne veulent pas qu’on écoute son histoire […]. C’est pas tout le monde qui aimerait bien qu’on expose son histoire comme ça devant tout le monde, c’est face à face, ce serait mieux dans un premier temps.

OTT16

Grâce à cette sensibilité culturelle, il sera possible d’offrir des services adaptés tant à la diversité personnelle que culturelle qui caractérise les sociétés d’aujourd’hui.

4.5 Stratégies de soutien émotif à court et moyen terme

En ce qui se rapporte plus précisément au soutien formel en santé mentale, que ce soit à court ou moyen terme, quelques répondants et répondantes de la Saskatchewan ont souligné le besoin d’un centre de santé communautaire francophone dans leur milieu, car on ressent une pénurie de services de professionnels de la santé en français. Afin de favoriser le recours à des services professionnels, les répondants proposent que ces services soient offerts grâce à la collaboration entre les services professionnels et les organismes communautaires, avec l’appui des autorités religieuses et des leaders communautaires. Un participant d’Ottawa abonde dans ce sens : « Moi, [dit-il], je pense que travailler directement avec les associations culturelles, les groupes de prière, les mosquées, ces communautés s’y retrouvent souvent » (OTT2).

Par ailleurs, l’ajout de témoignages sur le site Web des organismes communautaires serait utile pour que l’arrivant puisse constater comment le personnel peut s’occuper de lui : « Il faut que dans leur site Web, il faut qu’il y ait des témoignages. Des témoignages comme quoi ils vont dire : je suis arrivé au Canada, le centre m’a aidé » (OTT12), déclare un participant d’Ottawa. De plus, un soutien par l’entremise d’une ligne d’écoute a également été proposé. Nous développerons ces sujets ci-dessous.

4.6 Rôle des organismes communautaires

L’appui des organismes communautaires pour les nouveaux immigrants est un incontournable pour faciliter leur intégration dans la communauté d’accueil et augmenter la visibilité des services de santé disponibles en français. Dans les villes de l’Ouest canadien, particulièrement, les organismes communautaires représentent une source alternative de soutien informationnel et émotionnel pour les nouveaux arrivants, car ils dispensent des services et de nombreuses informations utiles facilitant leur intégration. Cela dit, pour certains participants et participantes, il semble important de mettre en place des alliances entre les organismes communautaires et la communauté pour diffuser davantage d’informations sur les services francophones offerts dans les communautés. Un participant de Winnipeg s’exprime :

Les services francophones, comme vous le dites, le Plurielles, Accueil francophone; vraiment faire des connections ah… dans les communautés, s’intégrer plus dans les communautés […] et puis, cibler ces gens-là avec qui ils vont travailler et euh… puis, entrer vraiment profondément dans les communautés.

WP1

Un participant mentionne qu’il est important que les organismes communautaires aillent vers les immigrants pour présenter leurs services et leurs programmes : « Peut-être aller beaucoup plus vers les gens aussi, ne pas attendre que les gens viennent à eux » (WP 11) et : « C’est d’aller dans les coins où ils [les immigrants] se trouvent » (SK1) afin de mieux les informer et de les aiguiller vers des ressources appropriées répondant à leurs besoins immédiats. Toutefois, un participant d’Ottawa précise qu’« il faut d’abord bien connaitre la clientèle pour pouvoir aller vers la clientèle » (OTT3).

D’autres participants et participantes soulignent que la proximité des services de soutien à la communauté immigrante représente une stratégie informelle aidante pour mieux répondre aux besoins des nouveaux arrivants : « Rapprocher les services… dans les communautés, ça, ce serait vraiment très, très bien et ça peut changer non seulement la mentalité des gens, mais ça peut changer aussi les communautés » (WP1) et « j’accorderai la priorité aux services communautaires parce que c’est eux qui sont en contact direct avec ceux qui arrivent » (SK20). Un participant d’Ottawa propose que l’« on devrait le plus possible penser à rapprocher les groupes communautaires qui existent » (OTT18).

Le réseautage qui s’effectue entre personnes immigrantes sur le plan communautaire pourrait être mis à profit, tant pour le soutien émotionnel que pour la diffusion d’informations, souligne un participant de la Saskatchewan : « Je pense que la communauté, c’est la base du tout. Ça, c’est un effet de réseau, oui. Le soutien et puis le réseau » (SK1). La personne immigrante préfère passer par le communautaire « parce que c’est plus facile d’être conseillé par quelqu’un qui a à peu près les mêmes besoins, les mêmes préoccupations que toi » (SK11). Un autre participant souligne l’importance d’être accueilli dans un groupe :

La première chose, ce serait d’être accueilli dans un groupe où tu te retrouves, alors une fois que tu te retrouves dans un groupe et que tu as été vraiment bien entouré par ces gens-là, tu évites même ce problème de dépression. Alors tu n’auras même pas besoin d’aller voir le psychologue au final.

SK17

L’entraide normalement associée au sentiment communautaire sert donc d’appui pour des besoins émotifs et informatifs. Ainsi, le partage d’informations mettrait à profit ce « réseau de communication » (WP19). Grâce à ce réseau, les nouveaux arrivants pourraient se réunir et discuter ensemble des stratégies individuelles et communautaires aidantes.

Un autre participant recommande ce qui suit aux personnels des organismes communautaires francophones : « Parlez de vos programmes ; parlez des programmes, des services francophones et puis, ce sont ces gens-là qui vont vous aider à passer le message » (WP1). L’idée a été également soulevée qu’une personne de confiance dans la communauté soit désignée par un organisme pour intervenir auprès des nouveaux arrivants, soit « une personne-ressource spécialiste à donner des services d’accompagnement, de soutien émotionnel aux gens, aux personnes francophones » (SK5).

En plus de faire la promotion des services existants, quelques participants et participantes proposent que les organismes communautaires offrent des séminaires éducatifs sur des thèmes variés tels que la violence domestique, les finances, la gestion de conflit et l’éducation des enfants au Canada. Un autre participant propose que les organismes communautaires « invitent un psychologue fréquemment. Même quelque fois par an » (WP13) pour présenter divers thèmes en lien avec la santé émotionnelle. Ainsi, lors de ces présentations, les discussions seraient favorisées chez les personnes participantes, ce qui pourrait alors diminuer leur charge émotive. La mise en place de séminaires portant sur la santé psychologique et émotionnelle des personnes immigrantes serait bénéfique, car elles seraient mieux informées.

Soulignons également l’importance du soutien pour les familles immigrantes avec jeunes enfants. Comme le partage cette participante : « Quand on est en famille avec les petits enfants, vraiment quand tu donnes des évènements ou des sessions de formation, s’il n’y a pas des garderies à côté, ça peut être difficile de participer » (WP16). À la lumière de cette information, il serait approprié que les organismes communautaires mettent en place des modalités de fonctionnement pour permettre aux parents nouvellement arrivés au Canada d’assister aux séances d’informations sans se soucier de la garde de leurs enfants.

4.7 Appui des autorités religieuses

Plusieurs participantes et participants, notamment ceux de Winnipeg, disent avoir recours aux autorités religieuses pour obtenir du soutien émotif. Un participant d’Ottawa énonce également que « oui, les groupes religieux peuvent être [aidants] » (OTT10). Un participant de Winnipeg semble dire qu’une combinaison d’appuis offerts par les autorités religieuses et les organismes communautaires pourrait être bénéfique pour les nouveaux arrivants :

Il faudra donner la priorité aux autorités religieuses et aux services communautaires. […] Oui. C’est de combiner tous les deux. […] j’irai avec le côté spirituel et le côté professionnel aussi. Donc, c’est de combiner à deux. Parce qu’il y a des gens qui ont honte d’aller chercher de l’aide. Dans ma communauté, les gens ont la honte d’aller chercher de l’aide dans tout ce que vous parlez de bureau des agences, mais ils sont plus confortables dans le côté spirituel. Je ne parle pas seulement des églises, je parle des mosquées, je parle de tout ce qui est pratique religieuse.

WP17

À titre d’exemple, un atelier offert à la suite de la célébration dominicale pourrait être une stratégie gagnante :

Déjà, vous venez à l’église ; après l’église […] il dit : « OK, maintenant on a un workshop », par exemple. […] c’est l’église qui les a invités […]. Et puis on va essayer de voir, de rester au moins chaque dimanche pendant une heure pour apprendre.

WP17

Ce même participant constate que c’est en assistant aux divers séminaires offerts au sein de son église qu’il a pu s’intégrer à la communauté. Ainsi, les rapports entre les organismes communautaires et les autres services publics offerts doivent s’inscrire dans un paradigme de collaboration et de concertation volontaire afin de mieux servir ces nouveaux arrivants.

4.8 Ligne d’écoute téléphonique : pour une meilleure santé mentale des personnes immigrantes 

Plusieurs répondants et répondantes ont souligné que la présence d’un service d’écoute et de soutien téléphoniques serait bénéfique pour faciliter leur intégration au système de santé. Ce service d’écoute qui offrirait des services gratuits et confidentiels pour tout immigrant ressentant le besoin de se confier ou vivant une détresse psychologique pourrait y trouver une oreille attentive et bienveillante en tout temps, contribuant ainsi à une meilleure santé mentale. Un participant de Winnipeg déclare « que la ligne d’écoute [serait] aussi un des moyens » (WP4) pour favoriser l’intégration. Bref, ce service téléphonique pourrait être conçu pour répondre aux besoins spécifiques du nouvel arrivant, prêt à recevoir leur demande et à orienter leur démarche en vue d’une intégration réussie.

4.9 Services d’aide adaptés aux personnes immigrantes

Plusieurs zones d’ombre subsistent quant à l’accès aux services d’aide adaptés aux personnes immigrantes. Au chapitre des solutions en matière de services offerts, certains participants et participantes d’Ottawa reconnaissent l’importance de sensibiliser et de former les personnes intervenantes à la prise en compte de la diversité.

Les professionnels de la santé qu’ils soient impliqués dans ces [services] doivent quand même avoir une certaine formation interculturelle. Un multiculturalisme doit faire partie de leur formation. Ils doivent savoir à quelle clientèle ils ont affaire, d’accord. La clientèle peut varier, mais tenir compte de la culture quand on approche les gens, parce que l’approche culturelle, ça fait une différence, oui.

OTT18

Sans cette formation à la diversité, plusieurs personnes immigrantes de la région d’Ottawa ont l’impression d’être infantilisées par les services d’aide aux immigrants, et ce, malgré le fait que la majorité arrive au Canada à l’âge adulte. D’autres proposent que le personnel oeuvrant dans ces services soit originaire « d’Afrique, des personnes spéciales, peut-être d’Europe, les gens de culture musulmane, toutes ces formes de cultures-là » (OTT3). Selon ce participant, « il faut d’abord bien connaitre la clientèle pour pouvoir aller vers la clientèle » (OTT3), pour répondre efficacement à leurs besoins spécifiques. Dans un tel contexte, le personnel doit démontrer un intérêt marqué pour la personne immigrante en se demandant, par exemple : de quelle région du monde, de quel pays ce nouvel arrivant est-il originaire?  « La clientèle peut varier [dira un autre], mais tenir compte de la culture quand on approche les gens, parce que l’approche culturelle, ça fait une différence » (OTT18).

En matière de soins de santé, une préoccupation constante subsiste chez les personnes participantes, soit celle de la couverture médicale (ou de l’assurance maladie). Un participant d’Ottawa souligne clairement cette inquiétude :

Ils n’avaient pas la bonne information pour quelqu’un qui arrive au Canada en tant que résident permanent et qui n’a pas la carte santé. Et s’il faut prendre des soins, qu’est-ce qu’il faut faire? Donc, je pense c’est des choses aussi que dans les hôpitaux, on devrait les informer que, voilà un immigrant arrive, voilà son statut s’il n’a pas encore la carte santé. Si [une femme] est dans un état de grossesse, il faut faire ci, il faut faire ça.

OTT4

En somme, dans une perspective de prise en compte des besoins différenciés et dans un souci d’équité et d’inclusion, il s’avère essentiel d’offrir des services de qualité à tous, peu importe leur appartenance ethnique, en adéquation avec leurs besoins pour favoriser leur bienêtre et une intégration réussie dans le système de santé.

5. Discussion

Cette étude avait pour objet de s’attarder aux stratégies d’intégration au système de santé proposées par des personnes immigrantes francophones dans trois provinces canadiennes majoritairement anglophones. Notre contribution vise à faire valoir l’intérêt d’accorder une place centrale aux personnes immigrantes, à leur point de vue, à la façon dont elles mettent en mots leur expérience migratoire afin d’insuffler une réflexion critique aux dispensateurs de soins. À la lumière des résultats, nous pouvons observer différentes sources d’appuis pour ces personnes, tant dans les services offerts qu’au sein de la communauté d’accueil. En effet, diverses modalités d’intégration ont été énoncées, s’échelonnant de la période prémigratoire à la période postmigration, soit au moment où elles se sentent partie prenante de la communauté d’accueil.

D’abord, nous ne pouvons pas passer sous silence le fait que, curieusement, les personnes participantes rencontrées ont très peu discuté du microsystème (famille, parenté transnationale, amis et voisins de quartier) comme réseau de soutien primaire informel, mais insistent plus sur la prise en compte des réseaux secondaires, soit l’exosytème, pour être mieux informées et être écoutées. En effet, plusieurs facteurs relatifs à la vie familiale tels qu’énoncés dans notre article précédent (Archambault et al. 2021) ont une incidence sur la santé mentale des personnes immigrantes. En conséquence, la personne immigrante aura tendance à rechercher du soutien émotionnel hors de la famille.

Dans la phase prémigratoire, bien informer et sensibiliser les personnes immigrantes aux réalités canadiennes, notamment le contexte linguistique minoritaire et les modalités de fonctionnement du système de santé, semble également un élément décisif. Dès leur arrivée, pour faciliter cette transition, plusieurs participants et participantes ont énoncé l’importance de créer une passerelle entre les services dispensés en français et les nouveaux arrivants. Grâce à ce guichet unique regroupant l’ensemble des informations destinées à l’intégration des immigrants et immigrantes, la visibilité des services serait améliorée. Ainsi, la personne immigrante serait mieux informée et connaitrait différents lieux de rencontres avec ses pairs afin d’obtenir du soutien émotif. Bien que l’idée du guichet unique circule depuis maintenant plusieurs années, notamment pour améliorer le flux informationnel nécessaire à une intégration socioprofessionnelle réussie des personnes immigrantes (Béji et Pellerin, 2010), elle ne s’était toujours pas concrétisée dans le contexte de santé au moment de l’étude dans les trois villes explorées. Depuis, la Nouvelle-Écosse (YourHealthNS) (Radio-Canada, 2023) a développé une application pour téléphone intelligent qui sert à informer l’usager de l’existence des divers services sociaux et de santé dans leur région et à faciliter l’accès à ces services ainsi qu’aux documents médicaux personnels (ordonnances, résultats diagnostiques, etc.). Notons toutefois que cette application n’est disponible qu’en anglais. Au minimum, les répertoires de services en français, outils reconnus comme moyens efficaces d’augmenter la visibilité des services offerts dans cette langue (de Moissac et Bowen, 2018), semblent être pratique courante dans les CSFM. Toutefois, cela ne semble pas suffire pour que la santé des personnes immigrantes soit prise en charge. Une pratique innovante mise sur pied par un centre de santé au Manitoba, intitulée Projet Passerelle (Radio-Canada, 2018), fait que ce centre peut fournir des soins aux personnes marginalisées qui, autrement, n’auraient pas eu accès au système de santé. Un tel projet, développé en collaboration avec les partenaires communautaires qui accueillent les personnes immigrantes francophones, pourrait faciliter le premier contact de ces dernières avec un pourvoyeur de soin principal bilingue, tel qu’un omnipraticien ou une omnipraticienne, assurant ainsi une entrée dans le système de santé et des suivis au besoin, par exemple dans un service en santé mentale. Ainsi, l’intégration au système de santé serait facilitée et assurée, avec un accès aux services en français plus spécifiquement.

Pour faciliter l’accès à des services professionnels en français, les répondants et répondantes proposent que ces services soient offerts grâce à la collaboration entre les services professionnels et les organismes communautaires, avec l’appui des autorités religieuses et des leaders communautaires. Déjà en 2013, White reconnaissait une incidence significative sur la vie actuelle de la personne immigrante grâce aux communications, aux interactions et aux transactions entre les membres dans un environnement donné. De plus, les personnes répondantes précisent que les espaces de parole et la proximité des services de soutien sont des mesures importantes à considérer pour la communauté immigrante. Un autre aspect souligné par les participants et participantes est l’appui des autorités religieuses dans divers contextes (partage, groupe de paroles, formation). En effet, c’est en assistant aux divers séminaires offerts au sein de leur église que certains ont pu s’intégrer à la communauté d’accueil. Lacroix (1990) souligne également que la fréquentation de lieux de cultes pourrait constituer des réseaux secondaires non formels de l’exosystème où la personne immigrante pourra tisser les premiers jalons d’un sentiment d’appartenance à la société d'accueil ayant un effet positif sur sa santé mentale. C'est par la rencontre et les échanges avec de nouvelles personnes fréquentant ces milieux que le bienêtre de la personne immigrante pourra être influencé positivement (Rachédi et Legault, 2019).

Il serait souhaitable que les organismes mettent en place des modalités de fonctionnement pour permettre aux parents nouvellement arrivés au Canada d’assister aux séances d’informations sans se soucier de la garde de leurs enfants. Reconnu comme étant un réseau secondaire sous le système exosystème du modèle interculturel systémique, un service de garde dans les organismes communautaires pourrait représenter un espace où les enfants tisseraient leurs premières amitiés tout en permettant à leurs parents une participation active aux activités éducatives dispensées par ces organismes.

Sachant que les personnes immigrantes se retrouvent dans des provinces majoritairement anglophones, une collaboration entre les organismes communautaires francophones et anglophones pour une transmission efficace des informations liées aux services disponibles en français est fondamentale.

Selon les participantes et participants, c’est par le respect des différences culturelles que l’on pourra instaurer une relation de confiance qui mène à une relation d’aide efficace entre les divers intervenants et le nouvel arrivant, favorisant ainsi une prise en charge individuelle sur le plan des services sociaux et de la santé. En parallèle avec le modèle interculturel systémique, soit plus spécifiquement l’ontosystème, cette prise en compte de la personne migrante par les praticiens comporte diverses facettes et implications. Il s’agit d’une rencontre entre deux entités culturelles différentes dans un milieu donné qui nécessite un arrimage pour une meilleure compréhension des besoins spécifiques de l’immigrant et de l’immigrante (Cohen-Émerique, 2000). Ainsi, cette compréhension repose sur une perception élargie du cadre de référence de l’autre qui est constitué d’un ensemble de variables tant personnelles, familiales que culturelles (Legault et Taïbi, 2019). Plusieurs formations existent déjà pour les professionnels de la santé sur les questions de soins relatifs aux personnes immigrantes, telles que la formation clinique en psychiatrie culturelle dispensée par le Centre de ressources multiculturelles en santé mentale (multiculturalmentalhealth.ca) et le Cross Cultural Health Care Program (en anglais seulement ; https://xculture.org/). Au Québec, l’Université de Sherbrooke a implanté au cours des dernières années un programme de deuxième cycle universitaire portant sur la médiation interculturelle destiné aux professionnels de la santé (Legault et Taïbi, 2019). Sous l’ombrelle de l’équité, la diversité et l’inclusion, un intérêt se manifeste pour de tels programmes de formation, car ils répondent à un besoin concret dans l’accueil et le service offert aux personnes immigrantes.

À cet égard, il semble approprié d’offrir une formation sur la diversité pour les intervenants de la santé afin qu’ils puissent mieux soutenir la clientèle immigrante. Une alliance entre les mandats institutionnels, les codes communicationnels et les dynamiques d’inclusion est essentielle pour promouvoir un cadre de vie inclusif dans les institutions de santé (White et al., 2015). Sous l’angle du macrosytème issu du modèle interculturel systémique, nous considérons qu’aujourd’hui, il est prioritaire pour les gestionnaires de revisiter les politiques et les pratiques institutionnelles qui visent l’équité, la diversité et l’inclusion.

Conclusion

Les témoignages rapportés dans cette recherche indiquent des pistes de solution destinées aux personnes immigrantes qui souhaiteraient recevoir du soutien émotionnel approprié, en fonction de leurs besoins spécifiques pour favoriser leur bienêtre et leur intégration. Il s’agit de comprendre la manière dont les personnes immigrantes vivent et ressentent les situations dans lesquelles elles se trouvent à partir de leurs propres représentations. Il y a donc matière à poursuivre les efforts de recherche en ce qui concerne l’accueil et l’accompagnement des personnes immigrantes en matière de soins en santé mentale, car lorsque l’on se penche sur leurs récits, on note clairement combien s’est avérée fondamentale la place faite à la responsabilisation, à la confiance réciproque et à l’optimisation de la qualité des soins dans un contexte culturellement adapté à leurs réalités. Pour les intervenantes et les intervenants, exercer une activité professionnelle en contexte multiculturel implique souvent l’acquisition de connaissances et de compétences spécifiques. Ainsi, la nécessité d’acquérir des habiletés cliniques culturellement adaptées aux réalités culturelles des personnes immigrantes est donc devenue la responsabilité de tous. Enfin, les rapports entre les organismes communautaires et les autres services publics offerts doivent s’inscrire dans un paradigme de collaboration et de concertation volontaires pour mieux servir ces nouveaux arrivants en vue de faciliter leur intégration dans les CFSM.