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Introduction

La recherche sur la santé des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) a pris un essor remarquable grâce aux plans d’action et aux feuilles de route du gouvernement fédéral canadien. Depuis 2003, Santé Canada et le Bureau d’appui aux communautés des langues officielles (BACLO) soutiennent le Consortium national de formation en santé (CNFS) et la Société Santé en français (SSF), qui allouent une partie de leurs fonds à la recherche. Le volet recherche du CNFS par l’entremise du Secrétariat national et des volets Université de Moncton, Université d’Ottawa, Université Laurentienne et Université de Saint-Boniface financent des projets de démarrage, des études pilotes et des bourses d’études. Ainsi, des pôles de recherche universitaire francophone sur la santé ont pu se développer à travers le pays. La recherche en santé a également bénéficié de deux programmes catalyseurs sur la santé des CLOSM sous l’égide des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), un premier de 2004 à 2012 et un second depuis 2021.

Des réseaux de recherche ont vu le jour, des groupes de recherche se sont constitués, des chaires de recherche ont été attribuées, avec l’objectif précis d’étudier la santé des communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) et l’accès de cette population à des services de santé en français : le Réseau de recherche interdisciplinaire sur la santé des francophones en situation minoritaire au Canada (RISF) (IRSC 2006-2011); le Réseau de recherche appliquée sur la santé des francophones de l’Ontario (RRASFO), à l’initiative du MSSLD de l’Ontario (2009-2015); le Groupe de recherche sur la formation et les pratiques en santé et service social en contexte francophone minoritaire (GReFoPS) de l’Université d’Ottawa; le Groupe de recherche et d’innovation sur l’organisation des services de santé (GRIOSS) de l’Université de Moncton; la Chaire de recherche sur le vieillissement des populations à l’Université de Moncton; la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa et de l’Institut du Savoir Montfort sur la santé des francophones de l’Ontario; la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en santé. D’autres groupes ou chaires de recherche, sans en faire leur premier objectif, ont aussi réalisé plusieurs études sur ce même thème de la santé des CFSM : la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa en francophonie internationale sur les technologies numériques en santé; la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa en francophonie internationale et santé de l’immigrant ou du réfugié d’Afrique francophone subsaharienne; le Centre de recherche en santé dans les milieux ruraux et du nord de l’Université Laurentienne; la Chaire de recherche en pédagogie médicale de l’Institut du Savoir Montfort; la Chaire de recherche de l’Institut du Savoir Montfort sur l’organisation des services de santé; la Chaire de recherche en médecine familiale de l’Institut du Savoir Montfort, pour n’en nommer que quelques-uns.

La production scientifique sur le sujet s’est considérablement accrue. Sauvageau (2018) avait dénombré une soixantaine de publications parues entre 1990 et 2001 et quelque 235 parues entre 2002 et 2016. Aujourd’hui, on peut recenser près de 600 références sur les CFSM dans la bibliographie du site de mobilisation des connaissances de notre chaire de recherche (https://sante-closm.ca/).

Une problématique principale anime tant les chercheuses et les chercheurs que les utilisatrices et les utilisateurs de connaissances, et souligne la nécessité de comprendre et d’évaluer les impacts du fait linguistique minoritaire sur la santé des populations ainsi que sur la qualité et la sécurité des services de santé. Quelques postulats de recherche en ressortent : l’appartenance à une CFSM constitue un déterminant de la santé; la concordance linguistique entre les prestataires de services et les bénéficiaires constitue un déterminant de la qualité et de la sécurité des soins; l’insécurité linguistique et la crainte de ne pas recevoir de services en temps opportun affectent la demande de services en langue officielle minoritaire; et l’offre active de services en langue officielle minoritaire constitue une politique d’équité.

Ce numéro thématique vise à dresser un bilan des connaissances produites à ce jour pour en révéler les forces et les limites et orienter les besoins futurs de recherche. Il découle du colloque La santé des francophones en contexte linguistique minoritaire : 20 ans de recherche, qui s’est tenu lors du 89e Congrès de l’Acfas en mai 2022. L’appel de propositions ciblait cinq principaux domaines de recherche qui proviennent du cadre d’analyse de la recherche sur la santé des CLOSM de la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa et de l’Institut du Savoir Montfort sur la santé des francophones de l’Ontario Organiser les connaissances sur la santé des CLOSM : les lois linguistiques et les politiques de santé, la santé et ses déterminants, l’offre de services, les ressources humaines et l’expérience des soins et des services. Nous rendrons compte de résultats de recherche dans ces différents domaines.

Préalablement, l’article de Bouchard et Lizotte examine la disponibilité de données linguistiques dans les systèmes d’information sanitaire nationaux et provinciaux ainsi que leurs forces et leurs limites pour la recherche et la planification de la santé. On y discute des questions méthodologiques concernant la définition de la population francophone, l’usage des variables linguistiques, les échantillons de petites tailles ainsi que des impacts potentiels de ces questions sur la robustesse des résultats. On y présente également quelques pratiques exemplaires qui permettent d’améliorer la capacité d’analyse des CFSM et de produire de meilleures données, dont l’appariement de bases de données, l’inscription de l’identité linguistique sur la carte santé et la création de nouvelles bases de données.

La recherche sur les lois, les règlements et les politiques publiques de santé

L’accès aux services de santé en français demeure un défi, y compris dans les provinces qui disposent de lois linguistiques dans le secteur de la santé.

L’étude de Forgues et Maillet se penche sur la question de l’effectivité de ces lois linguistiques. Elle vise à mieux comprendre les dimensions sociales, juridiques, organisationnelles et psychologiques qui peuvent agir sur le respect des lois linguistiques dans le secteur de la santé dans les provinces du Canada qui disposent de telles lois. L’article analyse les perceptions de membres du personnel des établissements de santé en ce qui concerne divers aspects pouvant influencer l’offre de services de santé en français. Il montre que des différences souvent significatives s’observent entre les répondants et les répondantes anglophones et francophones, et entre les personnes qui oeuvrent dans des hôpitaux anglophones et francophones. Les résultats suggèrent que des efforts doivent continuer à être menés pour atteindre une meilleure effectivité des lois linguistiques dans le secteur de la santé. Notamment, la connaissance de ces lois et des obligations qu’elles entraînent par le personnel des services de santé doit être améliorée, de même que la compréhension du rôle que peuvent jouer l’organisation, les collègues et les supérieurs immédiats dans le respect de la loi linguistique ou dans l’offre de services en français (ou dans les deux langues officielles).

Dans le même ordre d’idée, Landry et al. examinent les opinions de la population de la province à l’égard du bilinguisme dans le système de santé au Nouveau-Brunswick. Leur étude mesure les effets de diverses variables sociodémographiques, de l’orientation politique et de l’opinion quant au statut (privilégié) des francophones dans la province, sur la perception que les services bilingues sont suffisamment développés dans le secteur de la santé. Tandis que les résidents et les résidentes francophones de la province soutiennent massivement le bilinguisme officiel, les positions défavorables au bilinguisme officiel et à l’amélioration du bilinguisme dans les services de santé sont majoritaires au sein de la population de langue maternelle anglaise du Nouveau-Brunswick. Parmi les variables étudiées, les intentions de votes pour un parti conservateur (Progressiste-conservateur ou People’s Alliance) constituent la variable la plus fortement associée à cette position.

Enfin, le dernier article de ce thème rend compte des travaux névralgiques conduits par le Groupe de recherche et d’innovation sur l’organisation des services de santé (GRIOSS) de l’Université de Moncton sur la gouvernance des services de santé en français, leur organisation, leur gestion, les stratégies professionnelles et les dynamiques relationnelles dans un « système d’acteurs en réseau ». Collin et al. retracent, sous forme d’un récit historique, l’évolution de la programmation de recherche-action du GRIOSS. L’article montre comment les savoirs issus de ces recherches ont servi à nourrir la réflexion commune et se sont traduits par des changements sociaux durables au sein des CFSM.

La recherche sur la santé et ses déterminants

Composante essentielle de la relation thérapeutique, la communication peut être entravée lorsque la culture et la langue diffèrent. En contexte francophone minoritaire, ce problème se pose avec acuité dans le domaine de la santé mentale.

Van Kemenade, Bouchard et al. dressent un bilan des connaissances sur le thème de la santé mentale en contexte francophone minoritaire. Quelques constats se dégagent de leur analyse de 59 travaux de recherche publiés entre 2000 et 2022. Le processus de désinstitutionalisation des services en psychiatrie a intensifié les revendications pour des services en français et a favorisé la mise en place de politiques linguistiques en santé mentale en Ontario. Les données issues des enquêtes nationales de santé n’ont contribué que partiellement à améliorer les connaissances sur les états de santé mentale et leurs déterminants. L’exploration de l’association entre l’identité culturelle et linguistique et la santé mentale permet de mieux comprendre des phénomènes comme l’effet du rapport minorité-majorité et de l’insécurité linguistique sur la santé mentale. Enfin, l’accès à des services de santé mentale en français demeure un défi pour les CFSM et l’impact de ce manque d’accès sur les états de santé est peu documenté.

La recherche sur l’offre de services

Les travaux portant sur l’offre de services en langue officielle minoritaire se sont entre autres penchés sur les modèles de soins, l’accès, la disponibilité, la qualité et la sécurité des soins.

Le Groupe de recherche sur la formation et les pratiques en santé et service social en contexte francophone minoritaire (GReFoPS) présente un bilan de ses recherches sur l’accès et la continuité des services en français dans les CFSM (S. Savard et al.). Leur article synthétise près de douze ans de recherche sur les facteurs facilitateurs et les obstacles à l’offre de services de santé en français. Les études du GReFoPS ont mis en lumière certains mécanismes organisationnels ou interorganisationnels ayant permis l’émergence de pratiques novatrices pour améliorer l’offre de services de santé en français dans les services communautaires et institutionnels. Les auteurs décrivent également des outils créés pour aider les gestionnaires de ces services à identifier des mesures et des mécanismes pouvant répondre aux besoins des usagers francophones en situation minoritaire. Ils observent que dans les organisations qui servent une faible densité de francophones, une stratégie de petits pas est perçue plus favorablement.

Alors que plusieurs études soulignent le vieillissement plus rapide des CFSM comparativement à la majorité de la population canadienne, et que le maintien à domicile est depuis longtemps décrit comme une stratégie gagnante pour faire face au vieillissement de la population, il existe paradoxalement très peu d’écrits portant spécifiquement sur le maintien à domicile dans les CFSM. Dans son article, Dupuis-Blanchard synthétise les résultats de 14 études recensées à l’aide d’une revue de la portée des connaissances. La majorité de ces études ont été conduites dans le cadre des travaux de la Chaire de recherche sur le vieillissement des populations de l’Université de Moncton, détenue par l’autrice. Les études portent sur les conditions de vie des personnes aînées francophones du Nouveau-Brunswick, leurs perceptions des entraves et des facilitateurs au vieillir chez soi, leur accès à des services de soutien à domicile et la faible disponibilité de services en français dans ce domaine en raison, entre autres, de la difficulté d’attirer et de retenir des ressources humaines bilingues dans les postes de préposés aux soins. L’article propose quelques pistes innovantes pour améliorer la situation, par exemple le projet Foyer de soins sans mur et la sensibilisation aux carrières en santé dans les écoles secondaires francophones.

Le manque d’accès à des services de prévention, de diagnostic, de soutien et de soins en français pour les personnes atteintes de troubles neurocognitifs dans les communautés francophones de l’ouest et du nord du Canada est analysé par van Kemenade, Tremblay et al. Leur article présente les résultats du projet L’Abécédaire d’un cerveau en santé — Sensibilisation à la démence dans l’ouest et le nord Dans un premier temps, cette étude recense de bonnes pratiques en matière de prévention et de sensibilisation à la démence ainsi que de soutien aux personnes aidantes. Elle recense aussi les quelques recherches qui ont démontré l’impact des barrières linguistiques sur le diagnostic de la démence et le soutien aux personnes atteintes. Dans un deuxième temps, cette étude présente les perspectives de personnes intervenantes et proches aidantes francophones de trois provinces et d’un territoire quant à l’accès aux services, à l’impact de ne pas recevoir de services en français et à leur besoin d’information.

Scullion et al. dressent un état des lieux de la disponibilité des services de santé en français en Ontario à partir des données collectées par l’organisme OZi, mis sur pied par le Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario. OZi est un système d’information qui permet de mesurer l’offre et la distribution des services de santé en fonction du niveau de responsabilité des établissements de santé envers les services en français, les compétences linguistiques des professionnels de la santé dans ces établissements ainsi que la distribution de bénéficiaires francophones par secteurs de soins. Entre 2017 et 2020, OZi, soutenu par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario (MSSLD), a effectué la collecte et l’analyse de données sur les services en français à l’échelle de la province. L’analyse permet de cibler des écarts de services pour les francophones dans différentes régions sanitaires et dans certains secteurs de soins et de relever la distribution déficiente des ressources humaines francophones par rapport aux besoins de la population.

Puisqu’au Canada les médecins sont généralement des travailleurs autonomes non inclus dans le personnel des établissements de santé, d’autres moyens sont nécessaires pour étudier la disponibilité des médecins pouvant offrir des services en français. Carr et al. ont croisé des données disponibles sur les médecins provenant de l’inscription à l’Ordre des médecins de l’Ontario et de la facturation de l’Assurance-santé de l’Ontario avec des données sur la population provenant du recensement de 2016, afin d’examiner l’accès potentiel à des médecins de famille pouvant parler français pour les francophones résidant dans 1 643 aires de diffusion agrégées (ADA) en Ontario. L’analyse met en lumière une distribution inéquitable des médecins francophones (pouvant offrir des services en français selon leur inscription à l’Ordre) : le ratio médecin francophone/population francophone est moindre dans les régions rurales à plus forte densité de francophones. Ces résultats permettent de cibler des régions dans lesquelles des efforts devraient être déployés pour améliorer l’accès potentiel à des soins linguistiquement concordants.

Enfin, un groupe de recherche de l’Institut du Savoir Montfort a conduit une série d’études rétrospectives visant à identifier le lien entre, d’une part, la concordance linguistique et, d’autre part, la qualité et la sécurité des soins offerts en soins primaires, en milieu hospitalier et en foyers de soins de longue durée à des cohortes de bénéficiaires francophones, anglophones et allophones inclus dans les bases de données des soins à domicile et de soins de longue durée de l’Ontario. Reaume et al. présentent une synthèse de ces quelques analyses secondaires et montrent que les francophones et les allophones en situation de discordance linguistique ont de moins bons résultats cliniques comparativement aux anglophones habituellement servis dans leur langue. Ce constat souligne l’importance de diriger les personnes vers un prestataire de soins qui parlent leur langue. Considérant la Loi sur les services en français de l’Ontario, il serait possible d’orienter davantage les francophones vers des milieux de soins désignés. Les allophones, quant à eux, bénéficieraient de recevoir davantage de services d’interprétariat ou d’être dirigés vers des soins de longue durée à caractère culturel.

La recherche sur les ressources humaines, la formation et les pratiques professionnelles d’offre active

Dans son rapport évaluant les retombées du Consortium national de formation en santé, Leblanc (2008) soulignait d’importantes lacunes dans la formation des futurs professionnels de la santé et des services sociaux appelés à oeuvrer auprès des CFSM. J. Savard et al. rendent compte de la recherche sur l’enseignement de l’offre active[1] de services en français aux futurs professionnels de la santé et des services sociaux qui a découlé de ce constat. L’article passe en revue les travaux réalisés depuis 2008 visant à élaborer un cadre éducatif pour la formation à l’offre active et aux besoins des CFSM, appuyer la préparation des formateurs à enseigner ces contenus, expérimenter des stratégies pour intégrer cette formation dans les cours existants et dans les stages ainsi que développer des outils validés pour évaluer ces apprentissages. Les travaux indiquent une progression de la formation en offre active des personnes apprenantes francophones et d’autres professionnels des services sociaux et de santé, et ce, malgré certains défis rencontrés dans les efforts pour systématiser cette formation. Il reste aussi à évaluer l’impact des formations sur l’utilisation de cette compétence par les professionnels qui travaillent dans des milieux de soins anglodominants et sur l’accès à des services de santé en français par les membres des CFSM.

La recherche sur l’expérience des soins, des services et des barrières linguistiques

Sauvé-Schenk et al. présentent un état des lieux de la recherche sur l’expérience de francophones ayant bénéficié de services sociaux et de santé en contexte linguistique minoritaire. Les travaux recensés traitent des perceptions envers les services sociaux et de santé, de la demande ainsi que des expériences d’accès à des services de santé en français, des barrières linguistiques et de la navigation dans le système de santé. On y constate que si une majorité de francophones trouvent important de pouvoir obtenir des services de santé en français, ils sont beaucoup moins nombreux à les demander. Maintes raisons expliquent les préférences, la demande ou l’absence de demande de services en français. L’impact perçu du manque d’accès à des services linguistiquement adaptés est rapporté dans plusieurs études, incluant l’impact sur la qualité de la relation thérapeutique ou sur l’accès à des soins appropriés en temps opportun. L’article se penche également sur les perspectives qu’apportent les recherches en cours, notamment pour mieux saisir et intégrer la mesure de la perception des usagers francophones à l’évaluation continue des services de santé en français, incluant les perceptions quant à l’utilisation des technologies en santé.

Grosjean et al. prolongent la réflexion sur les usages des technologies numériques de santé. Leur étude sur les besoins et les attentes des francophones de l’Ontario montre que l’accessibilité et l’acceptabilité des technologies de santé pour soutenir l’offre de soins virtuels dépendent de plusieurs facteurs, dont leur utilité perçue, leur intégration dans des usages existants et l’offre des technologies disponibles en français de leur conception jusqu’à l'assistance offerte pour en accompagner les usages. Les auteurs invitent à considérer les défis communicationnels qu’implique l’usage des technologies de santé visant à soutenir l’offre de soins.

Que retenir de ces 20 ans de recherche?

À travers ces 14 articles, dont plusieurs de synthèse, couvrant les cinq thèmes de recherche du cadre d’analyse de la recherche sur la santé des CLOSM, ce numéro brosse un portrait relativement représentatif de l’état des connaissances sur la santé en contexte francophone minoritaire.

Ce survol de 20 ans de recherche sur la santé des CFSM permet de constater les progrès réalisés. Les résultats combinés des études qualitatives et quantitatives ont permis de bien saisir les perceptions multiples des francophones en situation minoritaire quant à l’importance de recevoir des services de santé en français et à la possibilité de les demander ainsi que leurs perceptions constantes des difficultés d’accès à de tels services (Sauvé-Schenk et al.; van Kemenade, Tremblay et al.; Dupuis-Blanchard; S. Savard et al.). De même, la recherche a permis de comprendre les perceptions des diverses parties prenantes sur le sujet, que ce soit la perception de la pertinence des services bilingues au sein de populations qui peuvent influencer les politiques publiques (Forgues et Maillet; Landry et al.), les perceptions des gestionnaires de services de santé quant aux moyens à prendre face aux obstacles rencontrés dans leurs efforts pour améliorer l’accès aux services de santé en français (S. Savard et al.; Collin et al.), ou les perceptions des formateurs en santé sur les moyens de sensibiliser les futurs prestataires de services aux besoins des CFSM (J. Savard et al.). Un domaine d’étude plus récent porte sur le recours aux technologies pour améliorer l’accès à des services de santé en français (Grosjean et al.).

Des études quantitatives ont entrepris de cartographier l’offre de services de santé en français en Ontario à l’aide d’une plateforme de données créée spécifiquement à cette fin (Scullion et al.) ou encore de comparer la distribution géographique des médecins de famille aptes à communiquer en français dans une zone donnée par rapport à la taille de la population francophone de la région (Carr et al.), ce qui constitue des avancées importantes pour combler l’absence flagrante de données sur les capacités organisationnelles d’offre de services pour les francophones. D’autres ont mis en lumière les répercussions des situations de discordance linguistique sur la qualité et la sécurité des soins (Reaume et al.). Un aspect moins étudié dans ce numéro concerne les états de santé des CFSM et leurs déterminants, avec un seul article traitant des déterminants de la santé mentale (van Kemenade, Bouchard et al.). Ce thème est par ailleurs déjà analysé dans près d’une quarantaine d’études quantitatives recensées dans notre base de références du site sante-closm.ca, dont plusieurs qui ont utilisé des données tirées des recensements ou des diverses vagues de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) pour dresser des portraits comparatifs des conditions de vie et des états de santé des francophones en situation minoritaire en comparaison du groupe majoritaire. L’article de Bouchard et Lizotte dans ce numéro fait mention de quelques-unes de ces études sous l’angle des forces et des limites des bases de données de santé pour documenter la santé et les services de santé pour les CFSM.

Quel avenir pour la recherche en contexte francophone minoritaire?

Cette vue d’ensemble de deux décennies d’études nous porte aussi à réfléchir à l’avenir de la recherche sur la santé des CFSM et sur les défis auxquels elle est confrontée.

Une première lacune constatée est la faible quantité d’études portant sur les populations francophones minoritaires des provinces canadiennes autres que le Manitoba, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick. La concentration de populations francophones et d’universités bilingues ou de langue française dans ces trois provinces peut expliquer cet état de fait. Il faut toutefois réfléchir aux moyens de mieux documenter les besoins des populations de francophones dans les provinces où la population francophone est en croissance et de surcroit souvent immigrante, comme l’Alberta et la Colombie-Britannique.

Comme le soulève l’article de Bouchard et Lizotte, une seconde lacune est la déficience des systèmes d’information nationaux pour documenter adéquatement la santé, l’accès aux services, la qualité et la sécurité des soins, des indicateurs pertinents pour l’évaluation de la performance des systèmes de santé. Même dans les grandes enquêtes nationales, les populations francophones à l’extérieur du Québec demeurent la plupart du temps trop petites pour l’étude des besoins des régions administratives en santé ou de sous-groupes de population (à l’instar des personnes aînées), rendant difficile leur utilisation pour la planification des services de santé en français pour les CFSM.

Au-delà des données qui permettent de connaitre la disponibilité de prestataires de soins pouvant s’exprimer en français, on note une absence dans les bases de données administratives de variables sur la langue de communication réellement utilisée dans les interactions entre prestataires de services et patients, de même qu’une difficulté à étudier cette communication de manière qualitative en raison de la clause de confidentialité, qui limite notre capacité à mieux saisir l’impact de la discordance linguistique sur la qualité et la sécurité des soins.

Pour améliorer la capacité de recherche sur la santé en contexte francophone minoritaire, quelques voies nous apparaissent nécessaires. Premièrement, l’initiative prise par OZi de bâtir de toute pièce une cueillette de données sur les capacités organisationnelles d’offre de services de santé pour les communautés francophones s’avère un outil indispensable pour la recherche, mais surtout pour une meilleure planification de la santé. Cette nouvelle base de données vient combler l’absence de données sur les services, et nous espérons que sa pérennité puisse être assurée.

Deuxièmement, pour combler l’impossibilité de documenter de petites populations par les systèmes d’information nationaux, il importe d’envisager des cueillettes de données primaires ciblées, particulièrement dans les provinces et les régions où les francophones sont faiblement représentés dans les enquêtes nationales. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une infrastructure d’enquêtes (soit pour la construction d’enquêtes propres, soit en partenariat avec des firmes de sondage).

Troisièmement, la recherche en contexte francophone, par son mode de financement, est souvent confinée aux études exploratoires ou projets pilotes qui ont certes permis de belles avancées, mais qui ont par ailleurs le défaut d’avoir une portée moindre. Un financement conséquent est nécessaire pour assurer une meilleure connaissance des besoins et des états de santé de la population francophone en situation minoritaire et pour étudier l’implantation des modèles des soins les plus adaptés à cette population.

Enfin, quatrièmement, il importe de mieux valoriser la recherche, ce qui suppose une activité continue de traitement et de communication de l’information au moyen de divers produits de synthèse. Nous croyons qu’un observatoire de la santé en contexte francophone minoritaire permettrait de consolider un véritable réseau de recherche collaborative et d’application des connaissances qui donnerait de solides assises pour l’avenir.