Compte rendu

Feussi, V. et Lorilleux, J. (dir.). (2020). (In)sécurité linguistique en francophonies : perspectives in(ter)disciplinaires, L’Harmattan, 452 p.[Notice]

  • Tommy Berger

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  • Tommy Berger
    Université de Moncton

L’ouvrage de Feussi et Lorilleux s’ouvre sur une introduction par Feussi faisant un retour en arrière sur la façon dont l’ISL a été étudiée dans le passé. L’idée de départ était d’ouvrir ses horizons d’enquête en diversifiant les approches tenant compte des différentes expériences de l’ISL chez les francophones. L’ISL étant souvent décrite comme un sentiment, Feussi et Lorilleux proposent donc que les manifestations de cette dernière pourraient être comprises autrement que sous la loupe du signe linguistique. L’ISL pourrait se retrouver ailleurs que dans le discours puisque non directement verbalisée par ceux et celles qui la vivent et la ressentent. L’intention de l’ouvrage est donc de varier les approches pour rendre compte de la sensibilité du locuteur, à travers ses expériences du monde, à travers sa/ses langues et son parcours de vie. L’ouvrage suit donc en quelque sorte sa propre prémisse en traçant l’historicité du concept de l’ISL et en laissant une grande place, en première partie, à un retour réflexif et en partie autobiographique de Michel Francard et Aude Bretegnier sur leurs propres travaux concernant l’ISL. Michel Francard a fondé, entre autres, le groupe de recherche VALIBEL, qui a énormément contribué à la compréhension de l’IL ressentie par les francophones belges. Bretegnier a, quant à elle, travaillé à définir l’IL d’un point de vue conceptuel appuyé par plusieurs études empiriques, notamment à l’île de la Réunion. En effet, ces récits biographiques de chercheurs sont pertinents dans la perspective de l’ouvrage où le positionnement du chercheur, sa propre sensibilité et ses expériences antérieures avec l’ISL, qu’elles soient théoriques ou vécues personnellement, contribuent à son interprétation du concept dans ses propres travaux. Le livre se décline ensuite en quatre axes principaux, soit i) IL et expériences des francophonies, ii) Dimensions épistémologiques, iii) Questionnements didactiques ainsi que iv) Perspectives littéraires. La première section se rapproche d’un recueil d’études de cas de l’ISL dans différentes communautés linguistiques et différents contextes langagiers. Les expériences des francophonies débutent par un texte d’Annette Boudreau sur le concept de la honte, qui explicite comment celle-ci dépasse souvent les mots et s’immisce dans toute la corporalité de l’individu. L’IL est vécue, mais elle n’est pas permanente, elle est intimement liée à des individus selon leur histoire et le groupe social auquel ils appartiennent. Les textes qui suivent font état d’études de cas de processus directement reliés à l’ISL ou gravitant autour d’elle. Il est par exemple question des processus d’accommodation entre locutrices et locuteurs québécois (périphériques) et français (du centre) par Wim Remysen. Cette partie de l’ouvrage fait ensuite une grande place aux francophonies en situation postcoloniale, en particulier en Afrique, où la langue française est intrinsèquement liée à un imaginaire colonial idéalisé et tenace. On y retrouve des enquêtes sur l’ISL au Niger, en Côte-d’Ivoire, au Sénégal, au Congo et en Algérie, où, bien que le français ne soit pratiquement jamais langue première, l’importance symbolique de son appropriation contribue à générer de l’ISL chez les francophones africains. Par exemple, des étudiants et étudiantes de français nigériens se permettent de commenter le « bon usage », là où des étudiants et des étudiantes de français italophones se refusent à le faire (Boutin Akissi). Ou encore, on rend compte des relations complexes qu’entretiennent avec le français les migrants sénégalais revenus de France après de longues années et les « intellectuels » locaux. Les normes endogènes et surtout exogènes françaises (que les intellectuels locaux idéalisent alors que les migrants en ont une expérience pragmatique) s'entrechoquent et laissent voir le prestige et le capital symbolique différent associé à ces diverses pratiques langagières en raison de l'éducation ou des parcours …