Introduction. Patrimoine, mémoire et vitalité des communautés linguistiques en situation minoritaire[Notice]

  • Patrick Donovan,
  • Anne Robineau,
  • Lorraine O’Donnell et
  • Éric Forgues

Les articles du présent numéro sont le produit d’un colloque intitulé « Patrimoine, mémoire et communautés linguistiques en situation minoritaire : avancées en recherche, meilleures pratiques et approches critiques ». Ce colloque en ligne s’est tenu dans le cadre du 88e congrès de l’Acfas, en mai 2021. Les documents de recherche, les études de cas et les témoignages personnels présentés lors de cet événement – et réunis ici – explorent les liens entre le patrimoine, la mémoire et la vitalité chez les communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM). Dans ce numéro, le terme « patrimoine » est employé au sens large. La signification du terme a évolué au fil du temps; se limitant d’abord aux monuments physiques et aux objets matériels transmis de génération en génération, elle s’est étendue aux éléments intangibles « comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel » (UNESCO, s. d.). Les concepts de mémoire et de patrimoine sont liés mais distincts. Le concept de mémoire renvoie à des récits partagés au sein d’une communauté qui puise dans le patrimoine pour façonner l’identité et la cohésion de la communauté (Tallentire, 2001). En d’autres mots, les lieux et objets patrimoniaux et les traditions ont une fonction mémorielle. Les articles présentés dans ce numéro offrent un portrait nuancé du patrimoine et de la mémoire. D’une part, ils soulignent les manières dont le patrimoine et la mémoire façonnent le sentiment d’identité et d’appartenance au sein des communautés, aidant à renforcer la cohésion sociale qui assure le maintien de communautés fortes et résilientes. D’autre part, plusieurs articles adoptent également une perspective critique mettant en lumière les inconvénients que les usages du patrimoine et de la mémoire peuvent comporter. Par exemple, les discours sur l’identité qui se concentrent étroitement et de manière démesurée sur le passé risquent de créer des mémoires collectives dont certains nouveaux arrivants se sentent exclus, ce qui va à l’encontre du renforcement de la communauté, en particulier dans le contexte canadien caractérisé par une pluralité culturelle croissante et le cosmopolitisme. Lowenthal (1998) fait ressortir les tensions entre la discipline historique, qui se veut objective et désintéressée, et le patrimoine, qui mène parfois à une manipulation du passé pour qu’il réponde aux besoins et corresponde aux valeurs du présent : « Nous utilisons le patrimoine pour améliorer le passé, pour le rendre meilleur (ou pire) sous un éclairage moderne » (p. 156). Lorsqu’une communauté accorde la priorité à la cohésion plutôt qu’à la stricte vérité en faisant un usage sélectif de l’histoire, elle est susceptible de manipuler le passé et de créer des mémoires mythifiées. La notion de vitalité est depuis longtemps associée aux CLOSM. Elle a été introduite dans les études ethnolinguistiques en 1977 (Giles et al.). Avec le temps, elle a été adoptée par le gouvernement fédéral du Canada. On a tenté de mesurer la vitalité des CLOSM au moyen d’indicateurs relatifs au nombre de locuteurs, aux attitudes et pratiques linguistiques et au nombre d’institutions au service de la minorité dans chaque collectivité. Le gouvernement et les acteurs du milieu communautaire ont eu recours à ces indicateurs pour mieux définir les politiques et les stratégies locales visant à répondre aux défis de la vitalité. L’article d’Alain Roy résume cette évolution et fait valoir que les facteurs que sont l’histoire, le patrimoine et la mémoire n’ont pas été suffisamment pris en compte dans la mesure de la vitalité. Il revient sur le concept de « vitalité mémorielle …

Parties annexes