Résumés
Résumé
L’intermédiation joue un rôle essentiel — mais peu étudié — dans la diffusion de l’innovation sociale (IS). Dans cet article, nous cherchons à saisir comment se construit le processus d’intermédiation de l’innovation sociale et quels en sont les effets. Nous articulons les théories de l’acteur réseau et de l’écologie créative pour décortiquer les pratiques et dynamiques à l’oeuvre dans le cas du dispositif Start Up de Territoire (SUT). Nous montrons que la fonction d’intermédiaire se structure chemin faisant dans le temps long, et identifions 4 processus d’intermédiation de l’IS qui conditionnent le passage à l’échelle : construire la vision du territoire, élargir le réseau, faire émerger le middleground, articuler les différents niveaux en distinguant traduction descendante et traduction ascendante.
Mots-clés :
- Innovation sociale,
- intermédiation,
- créativité,
- développement local,
- théorie de l’acteur-réseau
Abstract
Intermediation plays an essential - but little studied - role in the dissemination of social innovation (SI). In this article, we seek to understand how the process of intermediation in social innovation is constructed and what its effects are. We combine the actor network and creative ecology theories to explore the practices and dynamics at work in the case of the Start-Up de Territoire (SUT) programme. We show that the intermediary function is gradually structured over time, and we identify 4 intermediation processes of SI that condition the transition to scale: building the vision of the territory, expanding the network, bringing out the middleground, and articulating the different levels by distinguishing between top-down and bottom-up translation.
Keywords:
- Social innovation,
- intermediation,
- creativity,
- local development,
- actor-network theory
Resumen
La intermediación desempeña un papel esencial -pero poco estudiado- en la difusión de la innovación social (IS). En este artículo, nos proponemos comprender cómo se construye el proceso de intermediación de la innovación social y cuáles son sus efectos. Combinamos las teorías del “actor red” y de la “ecología creativa” para examinar las prácticas y dinámicas en juego en el caso del programa Start Up de Territoire (SUT). Demostramos que la función de intermediación se estructura a lo largo del proceso y a largo plazo, e identificamos 4 procesos de intermediación de la IS que condicionan la transición hacia la escala: construir la visión del territorio, ampliar la red, hacer emerger el middleground, articular los diferentes niveles distinguiendo entre traducción descendente y ascendente.
Palabras clave:
- Innovación social,
- intermediación,
- creatividad,
- desarrollo local,
- teoría del actor-red
Corps de l’article
L’innovation sociale (IS) fait l’objet d’un intérêt croissant de la part des citoyens (comme en témoignent par exemple les Rencontres Francophones de l’IS de 2021[1]) et des pouvoirs publics. Ainsi, l’Union européenne a initié à partir de 2014 un ambitieux « Programme pour l’emploi et l’innovation sociale (EaSI) » qui a été pérennisé au sein du Fonds Social européen depuis 2021. Sur le terrain, de nombreuses innovations sociales ont émergé et recouvrent des initiatives telles que des Fabriques territoriales, Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée, des Pôles territoriaux de Coopération Economique, ou encore des Clusters d’IS soutenus par l’Union européenne[2]. En parallèle de cette dynamique, nous observons une structuration de laboratoires spécialisés, à l’image du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) dès 1986 ainsi qu’une forte croissance des travaux de recherche depuis le milieu des années 2000 (Muller, 2021).
Si l’IS fait l’objet d’interprétations multiples et reste l’objet de controverses (Richez-Battesti et al., 2012; Muller et Tanguy, 2019), les premiers travaux la caractérisent comme réponse nouvelle visant le mieux-être des individus et/ou des collectivités (Cloutier, 2003). Depuis la conceptualisation s’est précisée et nous proposons de partir de la définition inclusive de Bouchard (2011) qui est souvent retenue par le CRISES. Selon elle, il s’agit d’« une intervention initiée par des acteurs sociaux pour répondre à une aspiration, subvenir à un besoin, apporter une solution ou profiter d’une opportunité d’action afin de modifier des relations sociales, de transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations culturelles » (p. 6). Aussi, l’IS repose sur deux éléments principaux (Moulaert, et al., 2015). D’une part, il existe une finalité clairement affirmée, en lien avec la cohésion économique et sociale des territoires et le développement d’activités utiles aux habitants. L’IS est ainsi fortement ancrée sur le territoire d’où elle a émergé (Lacroix et Slitine, 2019). D’autre part, il s’agit d’un processus d’action collective qui est fondé sur l’association large des parties prenantes (organisations de l’Économie sociale et solidaire-ESS, pouvoirs publics, entreprises locales, habitants) et leur participation (Richez-Battesti, et al., 2012).
Au-delà d’une initiative localisée, l’un des enjeux centraux de l’IS repose sur sa capacité à « modifier des relations sociales, de transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations culturelles » (Bouchard, 2011, p. 6). Cette vision permet de s’éloigner d’une conception de l’IS comme vecteur entrepreneurial apportant une solution ponctuelle aux problèmes sociaux pour la considérer comme un processus de co-construction et de maîtrise collective des situations problématiques (Magalhaes, et al., 2020). Il s’agit de reconnaître à l’IS une ambition de transformation sociale qui suppose un processus de diffusion et de passage à l’échelle. Tout l’enjeu est alors de comprendre comment passer du stade d’expérimentation à la diffusion et à la généralisation de l’IS (Richez-Battesti, 2015). Sur ce plan, l’intermédiation est au coeur du processus de fabrique de l’IS (Maisonnasse, et al., 2013; Ho et Yoon, 2022). Les organisations de l’ESS semblent jouer un rôle important d’intermédiaire dans ces processus de fabrique de l’IS, en particulier grâce à leur position privilégiée dans le réseau relationnel local et leur capacité à encourager les proximités entre les parties prenantes (Muller et Tanguy, 2019). Pourtant, il n’existe pas dans la littérature de cadre général d’analyse de la structuration de la fonction d’intermédiation de l’IS au cours du temps. Aussi, notre question de recherche vise à comprendre : comment l’intermédiation est-elle un levier dans le processus d’innovation sociale territoriale et son essaimage ?
Pour avoir une analyse fine de ces processus d’IS, nous proposons de décortiquer les pratiques et dynamiques à l’oeuvre dans un cas emblématique : celui du dispositif Start Up de Territoire (SUT). Initié par le groupe Archer à Romans-sur-Isère dans la Drôme dès 2016, cette innovation a suscité un fort intérêt d’acteurs du développement local dont l’ESS, qui l’ont transposé dans leurs territoires respectifs en France (16 territoires actifs en 2022), avant de se voir reconnue par l’État dans le cadre du programme des « Territoires d’innovation — grande ambition » (TIGA). Dans ce cadre, la Banque des Territoires a octroyé 23 millions d’euros pour aider au déploiement de cette IS.
Nous commençons par rappeler les fondamentaux de l’intermédiation de l’IS et présentons notre cadre théorique qui combine la théorie de l’acteur-réseau (TAR) et la théorie de la créativité. Puis nous caractérisons notre méthodologie et notre étude de cas, la dynamique SUT pour saisir les processus de l’intermédiation d’IS. Enfin nous présentons et discutons nos résultats.
Revue de littérature et cadre théorique
Intermédiaire et intermédiation d’innovation sociale
Depuis l’article séminal d’Howells (2006), la littérature sur l’innovation souligne le rôle clé de l’intermédiaire présenté comme une « organisation agissant comme agent ou courtier dans tout aspect du processus d’innovation entre deux ou plusieurs parties » (p. 720). Les intermédiaires — qui peuvent être des organisations ou des individus en fonction des contextes — sont des « facilitateurs d’innovation » (Klerkx et Leeuwis, 2009) qui peuvent être conceptualisés sous des appellations diverses : « broker » (Gould et Fernandez, 1989), « hub » (Jarillo, 1988), etc. Le point commun de ces réflexions est de positionner le tiers intermédiaire au centre pour favoriser les liens entre les membres du réseau. En étant en contact avec l’ensemble des acteurs du réseau, il occupe une position stratégique dans le jeu relationnel. Au-delà de sa fonction de construction de réseaux et de systèmes, l’intermédiaire « contribue à transformer les idées et les connaissances qui sont échangées » (Howells, 2006, p. 716). Enfin, des réflexions plus récentes soulignent que l’intermédiaire peut avoir un rôle d’animation pour permettre aux autres acteurs — en particulier les entrepreneurs — d’atteindre leurs objectifs (McElwee et al. 2018). Cette fonction permet d’« inciter les autres à agir de manière innovante et parrainer, canaliser et promouvoir leur capacité d’entreprendre » (p. 174).
Le concept d’intermédiation commence à être exploré dans le champ de l’IS. En prolongeant l’approche de Howells (2006), Maisonnasse et al. (2013) soulignent que les médiateurs d’innovation développent la coordination entre les organisations. Sans forcément se limiter à la proximité physique (ou géographique), ils renforcent les proximités organisées en facilitant les interactions entre les acteurs du territoire (Rallet et Torre, 2004). En complément, pour Muller (2021), certains acteurs de l’ESS peuvent être conçus comme des intermédiaires d’IS combinant un rôle relationnel (capacité à mobiliser et à mettre en lien des acteurs disparates) et cognitif (circulation des connaissances et des ressources). Cela leur permet de stimuler des projets collectifs d’intérêt général sur le territoire. Pour Ho et Yoon (2022), les intermédiaires d’IS prouvent leur capacité à faciliter la création de nouveaux réseaux, mobiliser les ressources appropriées, mettre en relation divers acteurs et harmoniser leurs intérêts, proposer des programmes de formation et légitimer leur action. Ils jouent également un rôle particulier en soutenant les dynamiques de création d’entreprises sociales qui impliquent une grande variété de parties prenantes. En ce sens, les auteurs insistent sur la capacité des organisations intermédiaires à contribuer « à créer des opportunités et à surmonter les difficultés auxquelles se heurtent les entrepreneurs sociaux, les entreprises sociales et les écosystèmes plus larges » (Ho et Yoon, 2022, p. 2).
Malgré l’avancée des connaissances, l’émergence des processus de l’intermédiation et leur contribution au changement d’échelle de l’IS sont encore mal comprises (Muller, 2021). Aussi, nous proposons un cadre théorique qui offre une grille de lecture adaptée de ces différentes dimensions.
Cadre théorique
Pour étudier ce processus d’intermédiation, nous proposons de combiner deux approches théoriques. D’une part, la TAR (Callon et Latour, 2013; Akrich et al., 1988) propose une approche processuelle de création de réseau qui met l’intermédiation au coeur de la construction d’innovations (Cohendet et al. 2010). La TAR offre des outils d’analyse et des concepts utiles pour l’étude des innovations techniques que nous adoptons pour comprendre la fabrique d’une IS territoriale. La TAR a déjà été utilisée pour des travaux sur l’ESS et semble pertinente pour analyser les dynamiques d’IS (Bollinger Raedersdorf, 2018). D’autre part, la théorie de l’écologie créative (Simon, 2009; Cohendet et al., 2010) offre une approche multidimensionnelle d’interaction entre différents niveaux d’innovation et permet de comprendre leur articulation.
Cette combinaison de la TAR et de l’écologie créative a été suggérée par Muller (2021) et permet de proposer un cadre d’analyse pertinent pour étudier les pratiques et les actions de l’intermédiation de l’IS. L’approche de l’écologie créative permet d’introduire une vision multiniveau encore peu présente dans la TAR. Cette combinaison des théories nous permet donc de répondre au mieux à notre question de recherche en cernant finement la façon dont interagissent dans le temps les types de parties prenantes.
Le processus d’intermédiation d’IS : la théorie de l’acteur réseau
L’IS est un processus qui prend forme dans le temps.
Le point de départ de la TAR est une réflexion autour de la notion de réseau qui rassemble des actants. Il s’agit d’acteurs humains (individuels ou collectifs) et non humains (technologie, norme, lieu, etc.) susceptibles d’être interconnectés avec d’autres en vue de constituer un réseau d’innovation (Latour, 2007). C’est ainsi en saisissant les situations comme « un ensemble d’entités humaines ou non humaines, individuelles ou collectives, définies par leurs rôles, leur identité, leur programme » (Latour, 2020 p. 65) que l’on peut accéder à leur compréhension. Pour la TAR, le succès ou l’échec d’un projet innovant ne dépend pas des caractéristiques intrinsèques d’une innovation, mais d’un réseau capable de lier ensemble des actants hétérogènes. Une autre notion clé est la controverse, qui est une condition nécessaire à la constitution du réseau. C’est par la controverse que s’élaborent les faits. Les controverses (et les compromis) sont alors des repères pour identifier la dynamique du réseau et l’évolution de sa convergence en vue d’aboutir, ultimement, à un objet technique (ou innovation) consensuel.
Selon Callon et Latour, un réseau d’innovation suppose un processus de traduction, comprise comme une relation symbolique « qui transforme un énoncé problématique particulier dans le langage d’un autre énoncé particulier » (Callon, 1974 p. 19). La traduction permet ainsi d’établir un « lien intelligible entre des activités hétérogènes » et devient un mouvement « qui lie des énoncés et des enjeux a priori incommensurables et sans commune mesure » (Callon et Latour, 2013, p. 32). Ainsi, il ne peut y avoir de réseau d’innovation sans l’intervention et la médiation d’un traducteur qui facilite et nourrit le lien entre les membres de ces entités hétérogènes. Ce traducteur doit par ailleurs disposer de la légitimité nécessaire pour être accepté dans son rôle par les autres membres du réseau.
Cette constitution d’un réseau d’innovation passe par plusieurs étapes identifiées par Callon (1986), selon un processus itératif (des « allers-retours ») en quatre étapes principales. Tout d’abord, la problématisation, fondée sur l’expression des controverses, vise l’émergence d’un questionnement commun accepté par tous. Cette démarche conduit à la formulation d’une question susceptible de produire la convergence des intentions des acteurs concernés. Son degré de généralité, par rapport aux positions singulières de chacune des parties en présence, est toujours assez élevé. La problématisation est un exercice consistant à faire passer chaque entité d’un contexte, d’une position singulière et isolée, à une acceptation de coopération. Ensuite, la phase de l’intéressement intervient pour mobiliser les acteurs sur la solution proposée. Elle suppose des moyens discursifs ou matériels qui sont présentés aux différents actants comme des gains potentiels que ceux-ci retireraient de leur participation au projet. Ainsi, la solution est communément acceptée en tant que nouveau concept et un nouveau réseau d’intérêts est créé. Par la suite, la proposition et l’acceptation par chacun d’un rôle précis à jouer dans ce projet et permettant de satisfaire leurs intérêts constituent la phase de l’enrôlement. Cette phase de transformation fait des membres du réseau des acteurs essentiels d’un système en devenir et non pas les agents passifs d’une structure qui pourrait fonctionner sans eux. Enfin, avec la mobilisation, le nouveau réseau débute son action en vue de la réalisation de la solution proposée. Il s’agit de mobiliser les alliés en rendant effective la coordination avec d’autres, grâce à l’élargissement du réseau d’actants, condition de sa pérennisation. Ainsi, ce cadre d’analyse permet de comprendre comment s’opère la mise en commun d’un questionnement et la mise en lien des acteurs au sein d’un réseau (Amblard et al., 2015).
Un processus d’intermédiation situé : le middleground
De son côté, la littérature sur la créativité pointe les différentes modalités de production et de gouvernance des IS (Muller et al. 2020). En particulier, les modèles de territoires créatifs et de l’écologie créative (Cohendet et al., 2010; Muller, 2021) mettent au centre les dynamiques collectives de parties prenantes diverses. L’idée est que les processus créatifs, précurseurs des innovations, se produisent au sein d’un écosystème (territoire, industrie…) et ne se résument pas aux activités d’innovation menées au sein des firmes. Cette approche fournit aussi une grille de lecture pour comprendre comment la dynamique d’intermédiation s’articule sur différents niveaux. Ainsi, les innovations dépendent de la capacité des acteurs en présence de développer et de faire interagir les niveaux économiques de l’underground (regroupant les acteurs créatifs à l’origine des nouvelles idées), de l’upperground (les acteurs institutionnels : il s’agit du niveau privilégié pour la valorisation économique des innovations) grâce au middleground (Cohendet et al. 2010). Ce niveau central regroupe l’ensemble des acteurs dits intermédiaires entre les deux précédents niveaux. Ainsi, le middleground est un ensemble d’espaces et d’activités qui agit comme un terrain fertile pour permettre à l’innovation de s’épanouir. Sarazin et al. (2017) identifient les quatre dimensions qui matérialisent le middleground. Les places sont des lieux de rencontre où les membres peuvent se retrouver de manière informelle (tiers-lieux, fablabs, cafés…); les spaces sont conçus comme des espaces cognitifs favorisant la construction d’idées; enfin les events (festivals, conférences, forums, hackathons…) et les projects (projets en commun) offrent une expérience partagée qui permet d’aligner les visions des membres des organisations. Le middleground sera d’autant plus riche, dynamique et créatif que ces quatre composantes sont simultanément activées.
Méthode
Pour répondre à notre question de recherche et tester notre modèle théorique, nous proposons une étude de cas unique étudiée selon une approche longitudinale.
Approche méthodologique
L’étude de cas permet d’analyser de manière détaillée et approfondie des sujets nouveaux et complexes « dans leur contexte spécifique pour confronter la théorie au monde empirique » (Piekkari et al. 2009 p. 569). L’étude de cas unique est adaptée à notre objectif de recherche. D’une part, le cas unique est pertinent s’il est longitudinal : il s’agit alors d’étudier comment certaines conditions ou certains phénomènes évoluent au cours du temps. D’autre part, l’étude de cas unique permet de mobiliser une grande richesse de données afin de révéler un phénomène — celui de l’intermédiation — peu étudié jusqu’à présent par la communauté scientifique (Royer et Zarlowski, 2014).
Dans cette perspective, nous considérons SUT comme un cas révélateur (Stake, 1995). Il s’agit d’une dynamique créée en 2016 par le groupe Archer pour lancer des initiatives citoyennes au service du territoire. Cette IS est géographiquement située sur le territoire de Valence-Romans, mais possède une reconnaissance plus large : à la fois dans l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes, et au niveau national (au sein de grandes fédérations comme le Coorace, ou le Labo de l’ESS). Concrètement, la dynamique se construit en plusieurs phases : la mobilisation du territoire (aller à la rencontre des habitants, des réseaux économiques et sociaux du territoire); les soirées d’idéation (mobilisant plusieurs centaines de participants) pour imaginer collectivement des réponses aux défis du territoire; l’accompagnement et le lancement des projets (en prenant en compte leur dimension collective et d’intérêt général). À ce jour, une cinquantaine de projets ont été créés ou accompagnés par SUT.
Si SUT est une initiative récente, elle s’inscrit dans une dynamique d’innovation plus large lancée par le groupe Archer fondé en 1987 à Romans-Sur-Isère. Il s’agit d’une entreprise de l’ESS qui vise un développement local durable. Avec plus de 1 000 salariés et 22 millions de budget, il s’agit d’un des principaux acteurs économiques du territoire. Par ailleurs, en 2020, le groupe Archer et l’Agglomération de Valence Romans créent une organisation dédiée — la Fab T — pour piloter la dynamique SUT, et financer et accompagner l’émergence et la consolidation de nouvelles entreprises de territoire localement. À travers les différentes actions impulsées au service du développement local, le groupe Archer et son PDG Christophe Chevalier, jouent un rôle clé d’intermédiaire d’IS, que nous proposons de saisir dans le temps long.
Collecte et analyse des données
Notre étude de cas s’appuie sur différentes sources de données complémentaires (tableau 1). Tout d’abord, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs avec les principales parties prenantes investies dans cette IS (fondateurs, entrepreneurs accompagnés, élus). Nous avons formalisé des guides d’entretien qui ont été adaptés aux spécificités de chacune des personnes interrogées. Néanmoins, pour chacune d’elles, trois entrées ont été systématiquement abordées : les principales étapes du parcours de la personne; sa vision du territoire et sa vision de SUT ou du groupe Archer. Nous avons également produit un récit de vie du fondateur de SUT et PDG actuel du groupe Archer, C. Chevalier, pour prendre en compte la parole de l’entrepreneur dans son détail et sa complexité. Pour Bertaux (2016), il y a récit de vie à partir du moment où une personne raconte à un chercheur un épisode de son expérience de vie sous forme d’un discours narratif. Ces 50h30 d’entretiens réalisés sur la période octobre 2017 — mars 2022 ont été entièrement retranscrits et constituent un corpus de 525 pages de verbatim. Ensuite, nous avons réalisé des observations participantes en lien avec la structuration de SUT (l’un des auteurs est notamment intervenu dans la rédaction d’un appel à projets) ainsi que des observations non participantes régulières. Nous avons également collecté de nombreux documents, internes (souvent confidentiels) et externes (articles de presse, sites web…) du groupe Archer et de la Fab T. Enfin, nous avons procédé à une réutilisation des données qualitatives (Chabaud et Germain, 2006) qui avaient été collectées lors de l’écriture d’un ouvrage sur le groupe Archer (série d’entretiens).
Nous mobilisons un double cadre d’analyse de notre cas.
D’une part, l’approche processuelle (Langley 1999) permet de comprendre de manière longitudinale l’évolution du positionnement des acteurs. Pour mettre en oeuvre cette approche, nous avons élaboré une « stratégie narrative » qui a permis de construire une histoire détaillée du processus d’intermédiation à partir des données recueillies. Cette étape préliminaire nous a permis de construire une chronologie du phénomène d’intermédiation utile pour les analyses suivantes. En complément, nous avons mobilisé la « stratégie de décomposition temporelle » (Langley, 1999) en identifiant les principales phases d’évolution de la structuration de l’intermédiaire d’innovation sociale au cours du temps. Cela nous a permis de faire ressortir les intervalles temporels qui marquent le déroulement du processus (voir tableau 3).
D’autre part pour la compréhension de ce cas, nous proposons une approche abductive qui permet de réaliser des allers-retours entre la théorie et le phénomène observé sur le terrain (Peirce, 1974). Pour cela, nous avons effectué un codage de l’ensemble des entretiens et des documents à l’aide du logiciel d’analyse qualitative Atlas.ti. Après une première phase de codage « ouvert » (Saldaña, 2016), qui nous a permis d’identifier un certain nombre de thèmes émergents, nous avons réalisé un codage théorique issu de notre cadre conceptuel et de notre question de recherche. Le tableau 2 présente une liste des principaux codes ouverts et théoriques utilisés pour cette recherche. A partir de ces différents codes, nous avons réalisé un second cycle d’analyse pour identifier des thèmes plus larges (par exemple « traduction ascendante » et « traduction descendante ») et rédigé des mémos analytiques sur chacun des processus identifiés selon les recommandations de Miles et al., 2018. Nous nous sommes également appuyés sur l’approche complémentaire de l’analyse thématique (Braun et Clarke, 2006) en utilisant des représentations visuelles pour nous aider à identifier, analyser et rendre compte de thèmes à partir des données. Cela a donné lieu à la formalisation de notre modèle figure 2.
Résultats
L’intermédiation d’IS recouvre à la fois une fonction et des processus (d’intervention). En entrant dans la boite noire de la fabrique de l’IS, nous observons comment se construit progressivement le rôle d’intermédiaire d’IS à travers le temps. Puis nous identifions quatre processus principaux de l’intermédiation d’IS.
La structuration progressive de la fonction de l’intermédiaire sur le territoire
Nous distinguons trois étapes principales dans l’évolution d’Archer — et de son PDG C. Chevalier — vers un rôle d’intermédiaire d’IS.
Constituée au départ sous forme d’association (loi 1901), Archer s’est centrée de 1987 jusqu’à 2006 sur le développement d’un groupe d’économie sociale (GES) constitué de différents pôles d’activités autonomes dans leur fonctionnement quotidien tout en étant reliés à l’organisation pour les moyens généraux et la stratégie. En 2007, Archer se structure juridiquement sous forme de société par actions simplifiée (SAS) sans but lucratif et ouvre son capital de manière très large pour réunir aujourd’hui 140 actionnaires sur le territoire (particuliers et organisations). Les actionnaires ne recherchent pas un retour sur investissement, mais une contribution au développement du territoire.
À partir de 2007, en parallèle de la consolidation de ses activités, le groupe Archer cherche à développer des coopérations avec différents acteurs du territoire. C’est ainsi qu’est né Pôle Sud, le premier Pôle Territorial de Coopération Economique (PTCE) en France, regroupant des acteurs de l’ESS (la Chambre Régionale de l’ESS, le Coorace, la NEF, l’ADIE, un regroupement d’AMAP), des PME du territoire (avec lesquelles ont été créées l’association de chefs d’entreprises ERB et plus tard l’association Romans cuir) ainsi qu’un certain nombre d’acteurs publics (Pôle Emploi en particulier). Il s’agit de développer des mutualisations et des actions communes (relocalisation industrielle, reprise d’activités ou d’entreprises, relance de la chaussure…).
Enfin, à partir de 2016, avec le lancement de SUT, l’enjeu pour le groupe Archer est de passer d’un rôle d’entrepreneur à un rôle d’animateur pour faire émerger des projets de développement durable utiles pour le territoire et portés par des habitants. C’est à ce moment que nous constatons un rapprochement avec l’Agglo Valence-Romans qui va participer à la mise en place de SUT de manière active. Le groupe Archer et l’Agglo s’associent alors pour répondre à l’appel à projets TIGA de la Banque des Territoires et remporter 23 millions d’euros pour mettre en oeuvre SUT. Cette alliance s’incarne dans une nouvelle organisation, la Fab T — qui adopte la forme originale d’Établissement Public Local Autonome (EPLA) — co-piloté par l’Agglo Valence-Romans et le groupe Archer pour financer et accompagner les initiatives entrepreneuriales au service du développement durable.
Au cours de cette période, deux marqueurs structurent la construction de la fonction de l’intermédiation de l’IS sur le territoire.
D’une part, nous observons une affirmation de la légitimité de l’intermédiaire de l’IS sur le territoire. Les nombreuses initiatives de l’organisation Archer et de son PDG C. Chevalier depuis 1987 leur permettent d’être reconnus comme des intermédiaires incontestables de l’IS. Selon le directeur adjoint du groupe Archer François Vercouten « cela crédibilise quand même drôlement le discours, quand quelqu’un vient vous parler de ce qu’il a fait, non pas de ce qu’il pense qu’il faudrait faire. » En complément, le caractère d’intérêt général d’Archer nourrit la confiance envers cette organisation. Ainsi, comme le rappelle le PDG du groupe, « quand Archer obtient des soutiens pour lancer des projets (comme la Cité de la Chaussure), ils ne sont pas venus aider C. Chevalier, ou le groupe Archer, ils sont venus aider un territoire, parce qu’entre eux ils ont validé qu’on était une entreprise de territoire. »
D’autre part, nous identifions un processus de professionnalisation de l’intermédiaire de l’IS. Ainsi, C. Chevalier réorganise la direction du groupe Archer (constitution d’un comité de direction élargi) afin de pouvoir consacrer une partie de son temps à l’animation de la coopération sur le territoire. Plus récemment, suite au projet TIGA, C. Chevalier fait évoluer sa propre organisation du travail. Il reste PDG du groupe Archer à mi-temps et décide de consacrer 50 % de son temps à la Fab T pour développer la dynamique SUT. De son côté, Michel Nicolas quitte en 2019 ses fonctions de directeur de l’économie à l’Agglo Valence-Romans pour prendre la direction de la Fab T à plein temps.
Les processus de l’intermédiation de l’innovation sociale
En lien avec les deux cadres théoriques mobilisés, nous avons identifié quatre processus d’intermédiation d’IS sur le territoire. Ces différents processus sont liés et interdépendants (voir figure 2), mais nous les présentons dans un premier temps de manière séparée pour plus de clarté.
Construire et faire évoluer une vision du territoire (problématisation)
L’intermédiaire de l’IS est fortement impliqué dans la co-construction d’un récit qui permet d’impliquer et d’associer les différentes parties prenantes sur le territoire. Il joue un rôle central dans la problématisation. Loin d’être stabilisée, cette problématisation a évolué au cours des 35 dernières années (voir tableau 1). À l’origine en 1987, le discours portait sur la nécessité de trouver des solutions d’urgence pour les « naufragés de la chaussure » (Gilles Moncoudiol, président du groupe Archer) et plus largement les publics confrontés à des difficultés sociales. Puis, à partir des années 2010, le discours évolue vers la nécessité de trouver des solutions d’emploi durables, au-delà de l’insertion par l’activité économique. Le groupe Archer cherche à construire un discours porteur autour de ses actions de relocalisation d’activités. Ainsi, pour C. Chevalier, « dans la chaussure, il y a tout : les gens ont commencé à comprendre notre rôle lorsque l’on a relancé cette activité à Romans : c’était une activité très symbolique qui permettait de faire comprendre notre rôle sur le territoire ». Inspiré de l’action du groupe Archer, le livre de Barthélémy et al. (2014) a également joué un rôle important pour faire connaître le positionnement particulier du groupe Archer sur son territoire.
À partir de 2016, le message principal s’élargit et cherche à impliquer les différents acteurs du territoire — et en premier lieu les habitants — le plus largement possible sur le territoire. Le message repose sur l’idée que chacun peut agir pour transformer son territoire. C. Chevalier, par exemple lors d’une réunion avec des membres de la fédération Coorace, rappelle : « je crois qu’on a une responsabilité, aujourd’hui, de mettre collectivement nos actions à la hauteur des ambitions et des idées qu’on a […] je trouve qu’on n’a pas conscience de la force et de la puissance de nos capacités de changer le monde, on n’y croit pas assez, on ne le fait pas assez. Et c’est une faute, parce qu’ensemble, collectivement, on arrive à changer les choses. ». M. Nicolas, directeur de la Fab T rappelle lui aussi que l’intermédiaire de l’IS porte une ambition de « transformation du territoire affirmée. » Il s’agit de « faire système » (expression que nous retrouvons chez de nombreux interlocuteurs, entre autres C. Chevalier et Pierre Pezziardi, co-fondateur du projet La Ceinture Verte. Pour cela, la clé est de « massifier notre action sur le territoire » (Mourad Ader, actuel directeur des services économiques de l’Agglo). Il s’agit donc de dépasser la simple réussite des initiatives écologiques et sociales sur le territoire pour « une ambition supplémentaire à cette économie sociale et solidaire […] et trouver les moyens de faire passer à l’échelle » (Ivan Collombet, co-fondateur de La Ceinture Verte).
Cette vision est mise en récit dans le dossier TIGA porté par le groupe Archer et l’Agglo Valence : « Le TIGA nous permettra de provoquer un point de bascule, de massifier cette dynamique prometteuse et ainsi de passer de la marge au centre du territoire dans le but de créer un véritable programme de reconquête productive du territoire se traduisant par 1500 emplois dans les 5 ans. » Il s’agit donc de proposer une démarche « en rupture avec nos réflexes » (C. Chevalier) pour porter des valeurs différentes, « différentes de la référence unique au PIB, à la viabilité économique pour s’intéresser à un mieux — vivre ensemble et au respect de l’environnement » (M. Nicolas).
Ce discours, in fine consensuel, autour de l’action de transformation sociale des acteurs du territoire ne doit pas cacher des débats — des controverses au sens de la TAR — sur la manière de désigner cette innovation économique en train de se faire. Ainsi, M. Nicolas, directeur de la Fab T, a pu formaliser différents concepts au cours des dernières années pour désigner cette dynamique : « économie positive » d’abord, « économie du Donut » (Raworth et Bury 2018) ou encore « économie à impact ». Les échanges entre les différents acteurs du réseau ont permis de converger vers la notion « d’entrepreneuriat de territoire ». Pour C. Chevalier, il s’agit de « s’éloigner d’une vision d’un entrepreneur social qui construit des solutions ponctuelles aux problèmes pour construire un écosystème qui en lui-même peut être transformatif ».
Élargir le réseau sur le territoire (intéressement, enrôlement, mobilisation)
Le deuxième processus clé de l’intermédiation d’IS relève de la construction progressive d’un réseau d’acteurs de l’IS. Cette capacité est reconnue par nombre de partenaires sur le territoire, à l’image de Laurent Monnet, le Vice-Président de l’Agglo Valence-Romans selon qui « C., il est capable d’être trois jours ici, et deux jours à Paris, dans tous les ministères, les autres clusters… et donc cela permet d’avoir le coup d’avance ». Le cadre théorique de l’acteur réseau permet de comprendre comment cet élargissement du réseau se réalise par étapes.
Dans la phase « d’intéressement », les premiers acteurs mobilisés par le groupe Archer autour de sa volonté d’innover sur le territoire ont été les structures de l’ESS ainsi que certains services publics en lien avec le monde de l’insertion par l’activité économique (Pôle Emploi par exemple). Puis, avec le PTCE Pôle Sud, ce réseau s’est élargi aux entrepreneurs privés du territoire réunis au sein de la fédération d’entreprises Romans Bourg-de-Péage. Cette dynamique a permis de dépasser certains clivages : selon François Monterrat (chargé de mission à la Fab T), « on a constaté qu’il n’y avait pas d’un côté l’ESS et de l’autre côté l’économie classique : sur notre territoire il y a tout un tissu de chefs d’entreprises souvent assez jeunes qui aspirent à s’impliquer dans le développement économique du territoire. »
Ensuite, progressivement, certaines collectivités locales — en premier lieu l’Agglo Valence-Romans et, dans une moindre mesure, le département de la Drôme — ont fait partie des acteurs clés de la démarche d’IS sur le territoire. Ainsi Nicolas Daragon, affirme que « moi, mon travail de Président de l’Agglo, c’est de faire que tout ce qui est duplicable et profitable pour l’économie régionale, à l’image de SUT, se fasse ». Cette phase que nous pouvons qualifier d’enrôlement permet de structurer une alliance publique-privée à la fois stratégique et opérationnelle entre les deux organisations. C. Chevalier trouve une forme « d’alter ego » en la personne de M. Nicolas, à l’époque Directeur général adjoint en charge de l’économie de l’Agglo Valence Romans.
Enfin à partir de 2016, SUT « sorte de PTCE 2.0 qui implique les citoyens dans la démarche » (C. Chevalier) a initié une nouvelle dynamique d’élargissement du réseau et permet d’entrer dans une phase de « mobilisation » de l’ensemble du territoire. Le nombre de participants à SUT (1 492 en 2018; plus de 2 000 en 2020) et la diversité de leurs origines (milieux économiques, associatifs, universitaires, organisations publiques…) permettent d’illustrer cette mobilisation. L’enjeu futur, comme le souligne par exemple F. Monterrat de la Fab T, est de réussir à mobiliser plus largement encore, en particulier en s’adressant « aux habitants des quartiers prioritaires qui n’ont pas l’habitude de venir à ce type d’événements ».
Notons cependant que cet élargissement du réseau ne se fait pas sans difficulté. C.Chevalier le souligne lui-même : « En fait, quand tu fais ça sur un territoire, il y a énormément d’obstacles. Ce n’est jamais frontal, mais certains élus par exemple sont contre ce genre d’économie. Ils ne vont pas te le dire directement, mais ils vont le faire comprendre à leurs interlocuteurs… et puis au-delà d’un conflit de valeurs ou de points de vue, il y a certains acteurs qui ont simplement peur qu’on réussisse… ».
Faire émerger le Middleground (spaces, places, events, projects)
Nous observons que l’intermédiaire consacre une part importante de son action à « rendre le territoire innovant » (M. Nicolas). Concrètement, cela s’exprime dans l’émergence des différents éléments du middleground.
Tout d’abord, les soirées créatives SUT constituent des espaces cognitifs [« spaces »] structurants. Ce sont des espaces de rencontre du territoire pour agir collectivement sur le territoire, comme le souligne F. Monterrat : « ce qu’on fait avec SUT, c’est de redonner la flamme aux gens et dire “qu’est-ce qu’on veut faire ensemble, comment veut-on vivre ensemble… ? Le bien vivre ensemble, ça nous concerne tous ». Selon C. Chevalier, « l’idée est de tous s’y rencontrer pour identifier de manière collective les besoins économiques et sociaux du territoire et initier des réponses entrepreneuriales ». Ces différentes soirées peuvent réunir quelques dizaines de personnes autour de sujets précis jusqu’à plus de 2 000 autour de questions comme le chômage, la transition énergétique, le décrochage scolaire, l’accès à une nourriture locale de qualité, etc.
Par ailleurs, des lieux de rencontres [« places »] emblématiques ont été créés localement comme autant de lieux ouverts de rencontre et de construction collective de manière pérenne sur le territoire. Tout d’abord, le PTCE qui s’est développé à partir de 2006 à Romans-sur-Isère dans les locaux du groupe Archer. Ensuite, le « 104 » à Valence qui revendique d’être un « accélérateur d’IS » pour créer des espaces d’échanges animés (espaces de coworking, location de bureaux, accueil de séminaires, espace restauration). Il s’agit de « faciliter les changements de posture des acteurs économiques dans le sens d’une meilleure coopération entre eux » (Keller et al., 2019 p.58). En complément, la Cité de la Chaussure à Romans-sur-Isère (2019) est imaginée comme un « espace hybride, véritable tiers lieu productif, et un marqueur de la renaissance de la chaussure sur le territoire » (dossier de présentation TIGA). Elle réunit 5 ateliers de production visitables, l’office de tourisme de l’Agglo et un grand magasin d’usine mutualisé en plein coeur de la ville, tout en favorisant les coopérations professionnelles. Les, les locaux de la Fab T eux-mêmes, sont conçus pour être eux même un « lieu Totem » (idem) pour offrir une grande partie de ses services d’accompagnement.
De plus, depuis 2016, un grand nombre d’événements [« events »] ont été créés sur le territoire. À côté des soirées d’idéation SUT, le groupe Archer puis la Fab T ont organisé différents formats d’événements pour permettre aux habitants du territoire de suivre l’évolution des projets, et permettre à chacun d’y contribuer. Ces événements permettent en particulier de « favoriser la créativité autour des projets, de remettre de l’horizontalité pour recréer du lien lorsqu’il s’est distendu entre les porteurs et ses parties prenantes du territoire » (Armand Rosenberg, directeur de Valhorizon).
Enfin, le travail collectif engagé à partir de 2018 par le groupe Archer et l’Agglomération Valence-Romans dans le cadre de l’appel à projets TIGA de la Banque des Territoires s’apparente à un projet structurant sur le territoire [« project »]. Le dossier « Valence Romans, Capitale des Start Up de Territoire » a été co-construit avec nombre de réseaux économiques et de PME locales, permettant d’aligner la vision des différentes organisations associées. Selon F. Monterrat, la réponse à cet appel à projets « fut un véritable basculement pour le territoire : il y a eu un avant et un après, en particulier dans la manière dont les différents acteurs publics et privés ont décidé de travailler ensemble ». Cela est confirmé par M. Nicolas pour qui « les moyens que nous avons réussi à mobiliser grâce à ce financement de l’Etat nous a permis d’intéresser un grand nombre d’acteurs à ces questions de transition territoriale, comme des chefs de PME locales qui pouvaient au départ être assez éloignés de ces préoccupations ».
Connecter les niveaux de l’upperground, du middleground et de l’underground (traduction descendante et ascendante)
L’intermédiaire de l’IS se positionne comme un « passeur sur le territoire » (C. Chevalier). Il joue un rôle essentiel de traducteur, ce que M. Nicolas résume en ces termes : « en fait, on s’est dit qu’il fallait qu’on ait du langage commun, mais à des niveaux différents ». Aussi, nous identifions deux dynamiques de traduction entre les niveaux.
D’un côté, l’intermédiaire de l’IS réalise une traduction que nous qualifions de « descendante » entre le middleground et les différents acteurs créatifs de l’underground. Dans notre cas, l’underground correspond aux porteurs de projets d’initiatives sociales et écologiques locales, à l’image de La Ceinture Verte (accompagnement technique et économique des maraîchers qui veulent s’installer en bio sur le territoire), Ma Bouteille s’appelle Reviens (relance de la consigne en verre) ou encore Voisiwatt, une société à participation citoyenne qui produit des énergies renouvelables. Ainsi, selon Emeline Macard (chargée de formation du groupe Archer), « une des caractéristiques d’Archer c’est de faire du lien entre les structures, dans l’accompagnement des projets ». Cela passe en particulier par la création d’outils partagés à l’image de la formalisation de la « Boussole », un document de référence pour l’accompagnement des projets qui a permis de « construire un outil de grammaire commune » (F. Monterrat). En identifiant quatre axes (économiques, social, environnemental et territorial), la Boussole favorise l’engagement de la discussion avec les porteurs de projets, d’identifier leurs points forts et leurs axes de progrès et de les accompagner sur ces différentes dimensions. Ainsi, pour M. Nicolas, « il s’agit d’un outil clé pour mieux se comprendre et construire une culture d’action partagée avec les porteurs de projets ». Autre exemple qui incarne cette action de traduction descendante, l’École de l’entrepreneuriat de territoire initiée en 2022. Co-fondé par la Fab T et le groupe Archer, ce parcours de formation a pour ambition de révéler des vocations d’« entrepreneurs de territoire » et de mobiliser de futurs porteurs de projets autour de la dynamique de SUT.
De l’autre, l’intermédiaire d’IS propose une action de traduction « ascendante » entre le middleground et le niveau des institutions locales, mais aussi nationales. Le Coorace, fédération « d’entreprises d’utilité sociale et territoriale » qui regroupe 600 entreprises en France, a été l’un des vecteurs importants de diffusion des IS du territoire. En tant que Président de la fédération, puis en tant que porte-parole, C. Chevalier s’est appuyé sur cette organisation pour promouvoir d’abord les groupements d’économie solidaire (GES), puis les PTCE et enfin la démarche SUT. Éric Béasse, ancien délégué général de la fédération, reconnaît l’importance « d’officialiser les fiançailles entre notre réseau et la démarche SUT, en particulier en partageant une stratégie et des moyens d’action communs ». Par ailleurs, la création d’une communauté d’innovation permet de diffuser l’IS sur d’autres territoires en réunissant des « compagnons de route » qui souhaitent mettre en oeuvre la même dynamique de SUT. Cette communauté d’innovation est composée principalement des directeurs de structures membres de Coorace qui partagent des valeurs et des modalités proches de celles du groupe Archer. Pierre Langlade, directeur du groupe associatif GDID (Bouches-du-Rhône), Armand Rosenberg, directeur de groupe ValHorizon (Ain) et Laurent Pinet, directeur général du groupe ISACTYS (Isère), échangent régulièrement avec le PDG du groupe Archer sur leurs enjeux et leur ambition de transformation. Ils développent également des projets économiques en commun, à l’image d’un réseau de boutiques éthiques sur les différents territoires. Pour construire cette communauté d’innovation, C. Chevalier indique « avoir passé pas mal d’énergie » avec des rencontres dans chacun des territoires trois fois par an pour échanger, partager les expériences et « prendre du recul ensemble pour mieux agir sur nos territoires ensuite » (Pierre Langlade). Enfin, la stratégie de traduction passe par la création d’une association nationale SUT en charge de l’accompagnement des territoires qui souhaitent se lancer dans la dynamique. Cette organisation sans salarié possède un budget modeste (50 000 euros), mais permet d’organiser des rencontres entre les territoires et de formaliser un certain nombre de méthodes d’animation et d’accompagnement des projets. Notons que depuis 2022, cette action de rayonnement se réalise au niveau européen avec la participation du groupe Archer à un projet impliquant cinq pays différents autour des dynamiques de « clusters d’IS ». Nous synthétisons l’interdépendance entre ces processus d’intermédiation de l’innovation sociale dans la figure 2.
Discussion
Alors que les IS sont fortement valorisées, la fonction d’intermédiation demeure souvent peu visible, et se trouve régulièrement ignorée ou sous-estimée par les pouvoirs publics qui ont du mal à la financer (Ho et Yoon, 2022). Notre analyse confirme pourtant l’importance de l’intermédiaire et du processus d’intermédiation dans la diffusion et la généralisation de l’IS. À la différence de certains auteurs qui associent généralisation des initiatives sociales à une forme de banalisation (Juan et Laville, 2020), nous suggérons que l’IS peut réussir son changement d’échelle en renforçant sa spécificité et en se dotant d’outils de gestion ou de dispositifs qui lui permettent de guider la mise en oeuvre par d’autres acteurs, sur d’autres territoires. Cette observation s’inscrit dans une réflexion plus large sur le niveau « méso » et en particulier dans le champ de l’ESS. Une analyse méso a pour objet d’investiguer les espaces économiques complexes au sein desquels se nouent des dynamiques spécifiques. Il s’agit de traiter ces objets en tant qu’entités analytiques, c’est-à-dire comme des espaces sociaux dotés d’une relative autonomie tout en étant structurés conjointement par leurs rapports avec les autres entités (Lamarche et al., 2021).
Dans cette optique, notre contribution permet d’explorer de façon fine les pratiques de l’intermédiation de l’IS et met en lumière trois caractéristiques clés.
Tout d’abord, nous analysons l’intermédiation de l’IS comme un processus (Richez-Battesti, 2015; Barraket, 2019). Dans le prolongement de Klerkx et Leeuwis (2009) qui soutenaient déjà que les intermédiaires peuvent passer de relations bilatérales à la création d’un système de relations multiples, nous montrons que la fonction d’intermédiation construit un réseau et permet d’acquérir progressivement une légitimité par l’action. Cette approche processuelle permet de compléter la réflexion de Ho et Yoon (2022) qui proposent une typologie des « rôles » et des fonctions de l’intermédiaire d’IS qui peuvent donc évoluer au cours du temps.
Ensuite, nous pointons l’importance de l’ambition portée par l’intermédiaire de l’IS (Kivimaa et al., 2019) dans la réussite des projets. Si les intermédiaires sont souvent présentés comme des acteurs « neutres » ou sans volonté particulière (Backhaus, 2010), nous montrons au contraire dans le prolongement de Hyysalo et al. (2013) qu’ils peuvent soutenir le bien commun et posséder un agenda propre de transformation sociale. Nous mettons ainsi en évidence l’importance de la création d’un discours commun par l’intermédiaire sur son territoire. Ce discours participe de la création d’une culture de l’innovation collective suivant la conviction que « quelque chose d’autre est possible » (Younes et al. 2019, p. 87). Ainsi, au-delà d’une réflexion sur le soutien aux initiatives sociales (c’est-à-dire de l’underground) qui sont la focale des travaux antérieurs sur l’intermédiation de l’IS (McElwee et al., 2018; Ho et Yoon, 2022), notre étude intègre la question de la mise en récit et de la mobilisation des acteurs autour d’un projet de transformation. En cela, nous répondons à l’appel de Bouchard et al. (2015) de renforcer le fondement théorique de l’IS et à davantage explorer les liens entre l’IS et la transformation sociale.
Enfin, nous soulignons l’importance de l’inscription de l’intermédiation dans des processus multiniveaux pour la diffusion de l’IS. Cette analyse fait écho à d’autres travaux, en particulier au sein du vaste champ de recherche des Transitions Studies. En 2006, Geels et Deuten ont décrit comment les intermédiaires opèrent pour relier les projets expérimentaux locaux et la construction d’une niche « globale » pour les transitions. Un intermédiaire systémique opère à tous les niveaux — niche (micro), régime (méso), paysage (macro) — en promouvant un programme de transition explicite et en prenant la tête des efforts de changement au niveau de l’ensemble du système. Dans ce sens, les intermédiaires traversent les échelles spatiales et administratives (Hermans et al., 2016). Dans cette perspective, s’ils n’adressent pas la question spécifique de l’IS, Kivimaa et al. (2019) explorent comment les différents types d’organisations intermédiaires facilitent la transition vers une plus grande soutenabilité sociale et environnementale. Penser et construire le passage à l’échelle suppose de dépasser un localisme étroit (innover uniquement sur son territoire), pour structurer un middleground et articuler différents niveaux (national voire international). Ainsi, l’intermédiation peut viser à améliorer l’intégration entre les priorités nationales (de transition) et les stratégies des villes (Hodson et Marvin, 2012), ou à traduire les stratégies régionales en pratiques locales couvrant de multiples spatialités.
Au niveau théorique, le cadre d’analyse que nous avons proposé — qui combine TAR et théorie de l’écologie créative — offre une grille de lecture pertinente pour comprendre les processus de diffusion de l’IS et revêt une dimension heuristique forte. Les différentes dimensions constitutives du middleground (places, spaces, events, projects) précisent et complètent la grille d’analyse de l’acteur réseau. Sans doute ces dimensions peuvent-elles être considérées comme des actants non humains au sens de la TAR. Ces actants jouent un rôle essentiel dans la dynamique de construction du réseau, et aident à saisir l’extension de ce réseau d’acteurs. Par ailleurs, nous voyons que la traduction, tout comme la problématisation, se réalisent à différents niveaux conjointement. Nous soulignons — à la différence de Callon qui présente les étapes de la diffusion de l’innovation comme un enchainement d’étapes distinctes — que la problématisation est une activité permanente qui se réalise tout au long des différentes étapes de la diffusion de l’innovation. Ainsi, nous observons que la formulation de la problématisation évolue pour adapter le discours au cours des étapes de la construction du réseau (intéressement, enrôlement et mobilisation). De même, concernant la traduction, nous montrons qu’il s’agit d’un processus permanent qui accompagne l’élargissement du réseau, et qui s’incarne dans des dynamiques de traductions différentes, tant descendantes (top-down) qu’ascendantes (bottom-up). Dans le même temps, la théorie de l’écologie créative se nourrit de la combinaison avec la TAR, en renforçant l’éclairage de sa dynamique ou diachronie : l’évolution de chaque niveau — upperground, middleground, underground — se réalise dans le temps, grâce à des processus de traduction, d’enrôlement qui permettent aux acteurs d’évoluer.
Nous le voyons, les intermédiaires sont plus que jamais nécessaires pour jouer ce rôle de « jardinier » des IS selon la belle expression de Sarazin et al. (2017, p. 247). C’est pourquoi l’analyse du processus d’intermédiation comme levier de l’IS ouvre un programme de recherche qui articule TAR et théorie de l’écologie créative. Il sera alors possible de permettre aux IS de changer d’échelle et de faire face à la « double insoutenabilité » (Eynaud et França Filho, 2019) sociale — comme le montre notre cas — mais aussi environnementale auquel le monde est confronté.
Parties annexes
Remerciements
Nous remercions les rédacteurs invités et les rapporteurs pour leurs commentaires et suggestions qui nous ont permis d’améliorer ce texte. Nous restons bien entendu responsables des erreurs et omissions.
Notes biographiques
Romain Slitine est chercheur au sein de la Chaire Entrepreneuriat Territoire Innovation de l’IAE Paris-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il spécialiste de l’entrepreneuriat social et de l’innovation sociale en France et à l’international. Ses recherches actuelles portent sur l’entrepreneuriat de territoire et sur le rôle de l’entrepreneuriat pour contribuer aux transitions économiques, écologiques et sociales.
Didier Chabaud est Professeur en entrepreneuriat et stratégie à l’IAE Paris-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directeur de la chaire Entrepreneuriat Territoire Innovation (http://chaire-eti.org/), co-directeur du MBA entrepreneuriat et membre de Sorbonne Recherche en Management. Président honoraire de l’Académie de l’entrepreneuriat et de l’innovation (www.entrepreneuriat.com), ses travaux portent sur les dynamiques entrepreneuriales, et les stratégies de développement des organisations et des territoires.
Nadine Richez-Battesti est enseignante-chercheure à Aix Marseille Université ou elle co-dirige un master en ESS. Elle mène ses recherches au LEST-Cnrs sur le champ des Organisations de l’Économie sociale et solidaire et de leurs transformations dans le cadre d’approches néo institutionnalistes. Considérant ces organisations comme noeuds de tensions, elle caractérise leur contribution à l’innovation sociale, et pointe particulièrement les enjeux d’une gouvernance multipartie prenante et de leur ancrage dans les territoires. Elle a coordonné en 2023 avec Thomas Lamarche un numéro de la Revue de la Régulation sur « Approches mésoéconomiques des coopératives. Des régulations sociopolitiques ».
Notes
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Parties annexes
Biographical notes
Romain Slitine is a researcher at the Entrepreneuriat Territoire Innovation Chair at IAE Paris-Sorbonne, the University of Paris 1 Panthéon-Sorbonne. He specialises in social entrepreneurship and social innovation in France and internationally. His current research focuses on territorial entrepreneurship and the role of entrepreneurship in contributing to economic, ecological and social transitions.
Didier Chabaud is a Professor of Entrepreneurship and Strategic Management at the IAE Paris–Sorbonne, University of Paris 1 Pantheon Sorbonne, France, director of the Chair ETI (Entrepreneurship Territory Innovation, http://chaire-eti.org/), and a member of Sorbonne Recherche en Management. Honorary President of the French Academy of entrepreneurship and innovation, his research focuses on entrepreneurial dynamics and the development strategies of organisations and territories.
Nadine Richez-Battesti is professor at Aix Marseille University, where she co-manages a master’s degree in SSE. Her researches at LEST-Cnrs focuse on social economy organisations and their transformations within the framework of neo-institutionalist approaches. Considering these organisations as nodes of tension, she characterises their contribution to social innovation, and focuses on the issues of multi-stakeholder governance and their anchorage in local dynamics. In 2023 she coordinates with T. Lamache a special issue of the Revue de la Régulation on “Approches mésoéconomiques des Coopératives. Des régulations sociopolitiques”.
Parties annexes
Notas biograficas
Romain Slitine es investigador de la Cátedra Entrepreneuriat, Territoire, Innovation del IAE París-, Universidad de París 1 Panthéon-Sorbonne. Está especializado en emprendimiento social e innovación social en Francia y a escala internacional. Su investigación actual se centra en el emprendimiento territorial y el papel del emprendimiento en la contribución a las transiciones económicas, ecológicas y sociales.
Didier Chabaud es professore (Catedrático) de Iniciativa Empresarial y Estrategia en el IAE Paris-Sorbonne, Director de la Cátedra Entrepreneuriat Territoire Innovation (http://chaire-eti.org/), codirector del MBA en Iniciativa Empresarial y miembro de Sorbonne Recherche en Management. Presidente honorario de la Academia de Emprendimiento e Innovación (www.entrepreneuriat.com), su trabajo se centra en la dinámica empresarial y las estrategias de desarrollo de organizaciones y regiones.
Nadine Richez-Battesti es profesora en la Universidad Aix Marseille, donde codirige un máster en ESS. Realiza sus estudios en LEST-Cnrs sobre las organizaciones de la economía social y sus transformaciones en el marco de los análisis neoinstitucionalistas. Considerando estas organizaciones como nodos de tensión, caracteriza su contribución a la innovación social, y se centra en las cuestiones de la gobernanza multiparticipativa y su anclaje en los territorios. En 2023 coordinó un número de la Revue de la Régulation sobre “Approches mésoéconomiques des Coopératives. Des régulations sociopolitiques”.