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Le numéro régulier de ce printemps de la revue Management international compte 9 articles, deux notes de recherche et un essai. Le lecteur pourra constater l’originalité et la variété de toutes ces contributions.
Le premier article en anglais est intitulé « Employabilité perçue, job crafting et réussite professionnelle : le cas des jeunes actifs au Vietnam ». Cette étude que propose Dinh Thi Ngoan vise à déterminer si les compétences professionnelles peuvent améliorer l’employabilité des jeunes professionnels via la création d’emplois et la réussite professionnelle. Sur la base d’une approche reposant sur 1008 questionnaires et d’une modélisation d’équation structurelle, les résultats laissent ressortir tout d’abord que les compétences professionnelles affectent directement l’employabilité interne et particulièrement celle externe. Ensuite, que la réussite professionnelle médiatise en partie la relation entre les compétences professionnelles et l’employabilité interne perçue. Enfin, que le job crafting médiatise en partie la relation entre les compétences professionnelles et l’employabilité. L’étude prolonge ainsi la littérature antérieure sur l’employabilité à une perspective personnelle avec les effets des ressources personnelles à travers l’adaptation et la réussite personnelles menant à des recommandations de gestion des ressources humaines.
Foued Cheriet et Pasquale Lubello proposent un article ayant pour titre : « Acquisitions et déploiement international des firmes multinationales issues des pays émergents : Étude du cas de l’entreprise brésilienne JBS ». Plus précisément, les processus d’internationalisation des firmes multinationales des pays émergents (FMNE) interrogent les approches théoriques en management international. L’objet de ce travail est d’identifier les spécificités de l’internationalisation des FMNE à travers l’étude de JBS, firme brésilienne leader mondiale des viandes. En partant des données internes de l’entreprise et d’un recueil d’informations secondaires, les deux auteurs ont retracé l’ensemble des opérations d’acquisition que JBS a réalisé au Brésil et à l’étranger. Les résultats confirment que l’internationalisation des FMNE suit une trajectoire spécifique par rapport à celles explicitées par les modèles récents (Born Global, Springboard ou Casino). Elle a des logiques particulières : forte financiarisation, acquisitions de filiales de groupes internationaux servant à acquérir d’autres firmes, expansion géographique visant la sécurisation des approvisionnements et de la distribution, et fort appui des institutions politico-financières du pays d’origine.
Jie Xiong, Lu Xu, Jie Yan, Shubho Chakraborty, Yeming Gong proposent l’article : « Paradigme de coexistence du processus de rattrapage technologique ». Les recherches portant sur le rattrapage technologique ne permettent pas une compréhension globale du processus. Cela amène cette équipe de chercheurs à mobiliser la théorie du rattrapage technologique appliquée au cas du rattrapage technologique de l’industrie chinoise des sous-traitants des constructeurs automobiles. Leurs résultats permettent de proposer trois scénarii de coexistence : convergent, asymptotique et intersectionnel.
La contribution de Benoît Jamet, Julien Bousquet, Antoine Masse se retrouve quant à elle autour du titre suivant : « Contexte institutionnel national et divulgation volontaire d’informations sur le carbone : une étude internationale du secteur bancaire ». Les déterminants de la divulgation volontaire d’informations environnementales par les banques ont été peu étudiés dans la littérature. S’appuyant sur les hypothèses de la théorie institutionnelle, cet article analyse l’impact du contexte national, y compris le système juridique général et la politique environnementale des États, sur la divulgation des émissions de carbone par les banques. Sur la base de trois échantillons internationaux, les résultats montrent une relation positive entre la force du système juridique (degré d’application de la loi), la rigueur des réglementations environnementales, la performance environnementale et la qualité de la divulgation d’informations sur le carbone par les banques.
Dans l’article « les tensions de rôle en EHPAD français : causes et conséquences », Khaled Sabouné, Nathalie Montargot, Mathilde Dougados soulignent que les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont en France un terreau fertile aux tensions de rôle. Cet article s’intéresse donc aux causes et aux conséquences des tensions de rôle de leurs personnels. Les résultats de l’étude de cas permettent non seulement d’identifier ces dernières, mais aussi de repérer l’articulation de trois formes de tensions décrites dans la littérature. Trois facteurs d’influence les favorisent : la prévalence d’une logique économique dans une structure à visée sociale, l’intensification du travail et l’insuffisance de communication. Les conséquences, quant à elles, portent sur la performance, la santé et les comportements au travail.
Anaïs Kit propose un article ayant pour titre : « Le rôle des agences d’accréditation internationale dans le processus d’institutionnalisation des pratiques des écoles de commerce ». Cet article étudie les mécanismes qui sous-tendent le processus d’institutionnalisation des soft-regulations dans le champ des écoles de commerce où les accréditations internationales sont perçues comme dictant les standards.
L’étude analyse les mécanismes du discours et de contrôles utilisés par EFMD pour promouvoir l’accréditation EQUIS depuis sa création. À l’appui d’une analyse du discours critique approfondie des guides d’accréditation et des entretiens avec les membres institutionnels, l’étude complète les travaux existants, fournit une perspective détaillée des stratégies de légitimité des acteurs institutionnels et nuance le rôle des organismes d’accréditation dans le processus d’institutionnalisation.
Dans l’article « L’équilibre socioéconomique dans le management des entreprises en contexte africain : entre mécanisme conciliateur et couplage/découplage », Jean Biwole Fouda et Gabriel Etogo proposent ici une réflexion sur le management des entreprises en contexte africain. À partir d’un argumentaire théorique, deux pistes sont exposées : l’approche du mécanisme conciliateur et celle du couplage/découplage. Sur les traces de la première approche, la thèse défendue est que la conciliation des objectifs sociaux et économiques repose sur un « subtil dosage » entre l’inscription dans des structures sociales et le détachement vis-à-vis des obligations non économiques, qui peuvent se présenter comme des obstacles aux projets entrepreneuriaux. On relève alors que le couplage n’est jamais totalement acquis, puisqu’il peut conduire au découplage.
Jorien Louise Pruijssers présente un article intitulé : « Complexité institutionnelle dans les entreprises de services professionnels et comportements dysfonctionnels : Évidence d’une étude multi-pays ». Dans divers domaines organisationnels mondiaux, la coexistence de multiples logiques institutionnelles, parfois conflictuelles, est observée, connue sous le nom de complexité institutionnelle. Si traditionnellement considérée comme problématique, la recherche institutionnelle récente en reconnaît plusieurs avantages. Les implications comportementales de cette complexité sont peu étudiées. Cette recherche avance des hypothèses sur l’influence des conceptions organisationnelles soutenant la complexité institutionnelle sur les comportements individuels dysfonctionnels. Elle suggère que ces organisations légitiment les comportements déviants en offrant une assurance structurelle. Ces hypothèses sont testées dans l’industrie comptable de trois pays, où les comportements dysfonctionnels peuvent avoir des répercussions mondiales. L’étude montre que la perception de cette complexité peut stimuler la perception de comportements dysfonctionnels, offrant une perspective sur les conséquences comportementales non intentionnelles.
Sara Nyobe propose un article sur les « Antécédents de la révélation d’une identité nationale stigmatisée en contexte de travail international ». Les travaux en gestion et en management international ne se sont pas intéressés aux interactions entre des individus ayant une identité nationale stigmatisée et leurs clients étrangers. Il en résulte une incertitude quant aux antécédents qui peuvent conduire ces individus à révéler ou à dissimuler leur identité à leurs clients internationaux. S’appuyant sur la théorie de l’identité sociale (TIS) et la théorie de la stigmatisation, cette étude de deux centres d’appels tunisiens servant des marchés occidentaux révèle que les choix identitaires sont davantage fonction des compétences et expériences des individus que de la manière dont ces derniers sont liés les uns aux autres. L’article complète la définition de la TIS tout en proposant des recommandations sur la manière de traiter la stigmatisation en management international.
Après ces contributions classiques, ce numéro est enrichi par deux notes de lecture originales proposées par Franck Barès et Gabrielle Alie. Elles essaient de nourrir la réflexion autour de l’évolution de la ligne éditoriale de la revue Management international sous deux angles complémentaires : une analyse thématique et une analyse des communautés de chercheurs. La première a pour titre « Évolution de la revue Management international : Une modélisation thématique des articles publiés entre 2009 et 2023 ». À partir d’une analyse des 829 résumés et titres publiés de la revue Management international de 2009 à 2023, cette note de recherche souligne le défi que représente l’interprétation de données textuelles non structurées et propose un outil d’analyse automatisé. L’étude utilise la modélisation des thèmes pour dévoiler les structures thématiques cachées à l’aide de la méthode LDA (Latent Dirichlet Allocation), contribuant à l’affinement du cadre thématique de la revue. Il en ressorts les étapes de pré-traitement, la validation et la visualisation des données comme des aspects cruciaux de la conduite d’une analyse avec cette méthode. Cette étude propose un ensemble de bonnes pratiques en matière de modélisation thématique permettant d’identifier les tendances afin d’informer et éventuellement actualiser les stratégies éditoriales.
La seconde est quant à elle intitulée « Évolution de la revue Management international : Détection et analyse des communautés des articles publiés entre 2009-2023 ». S’appuyant sur le même ensemble de données de 829 résumés et titres publiés de la revue Management international de 2009 à 2023, cette note de recherche présente un cadre de détection des communautés pour décoder les complexités des données textuelles non structurées. En employant des outils d’analyse de la science des données, il dévoile des groupes thématiques cachés, offrant une nouvelle perspective sur la collaboration et l’évolution des auteurs de la revue. L’approche met en évidence des étapes importantes telles que le prétraitement et la visualisation des données. Grâce à des informations exploitables, ces deux notes de recherche fournissent une feuille de route stratégique pour l’évolution éditoriale.
Enfin, Thierry Chavel nous propose un superbe essai, sans doute provocateur intitulé « La rencontre humaine est-elle soluble dans l’intelligence artificielle ? ». Cette réflexion a été présentée lors du 1er congrès ICF Synergie du 15 mars dernier à Lille afin de sensibiliser sur la 4ème révolution industrielle qui n’est pas qu’un saut technologique, mais surtout un choix de société qui renouvelle en profondeur l’exercice du leadership et ses trois fondements humanistes : la fragilité, l’altérité et la responsabilité. Concrètement, le lecteur envisagera au fil des pages quelle place l’intelligence artificielle (IA) va-t-elle prendre dans l’accompagnement humain (avant d’opter parfois pour une « diète numérique »).
Bonne lecture !