Corps de l’article

L’instabilité politique affecte négativement le développement économique, puis impacte la rentabilité des PME ou de certaines filiales de multinationales, et enfin met en péril leur survie (Kolade et al., 2019; Lupton et al., 2021). En ce sens, les recherches ont peu investigué la question des déterminants de la survie entrepreneuriale (SE) qui en résulte. Peu d’événements radicaux en ont donné l’occasion aux chercheurs, alors qu’une recherche prédictive permettrait d’améliorer l’accompagnement des jeunes entrepreneurs en anticipant les points de rupture et les facteurs de proactivité requis pour leur survie (Van Praag, 2003). Il n’est pas anodin dès lors que l’impact de l’environnement économique, social, politique et sécuritaire sur la SE fut soulevé par peu de chercheurs (Lupton et al., 2021; Türkcan et Erkuş-Öztürk, 2020; Kolade et al., 2019; Charfi et Chaabouni, 2019).

Si les dispositifs conjugués de l’Etat et des institutions internationales en faveur de la création d’entreprises ont des effets significatifs, les actions consistant à endiguer leur mortalité sont quasi inexistantes (Boukhris, 2015). L’identification controversée des déterminants de la SE explique en partie le manque d’accompagnement efficace des entreprises, et l’intérêt des chercheurs pour ce thème (Cabrer-Borrás et Belda, 2017). Notre projet est d’analyser les déterminants de la SE des entreprises nouvellement créées (ENC) en temps continu de crise. Notre problématique pose la question de savoir pourquoi certaines entreprises récemment créées survivent à une rupture radicale de leur environnement alors que leur probabilité d’échec est forte en raison de l’impact négatif des changements économiques, sociaux et financiers dans une économie fragilisée. C’est aussi une façon de mieux saisir ce sur quoi les mesures d’accompagnement entrepreneurial doivent agir en priorité en cas de crise continue. La mortalité des entreprises est étudiée selon le profil de l’Entrepreneur, selon le type d’Entreprise et selon la nature de l’Environnement dans lequel il exerce (modèle des 3 E de Paturel, 1997). Les principaux facteurs retenus sont : le genre, l’âge, la formation, l’expérience professionnelle, l’orientation entrepreneuriale, le secteur d’activité, la zone d’implantation, la similitude des affaires, la motivation, l’entrepreneuriat individuel ou collectif, l’octroi d’aides publiques, l’entourage entrepreneurial, la motivation, l’étendue du capital d’amorçage, les aides publiques (subventions, allégements de charges sociales, prise en charge de l’Etat d’une partie des salaires…), le recours à la formation entrepreneuriale, l’élaboration d’un plan d’affaires, et l’accompagnement post-création.

Notre étude concerne les entreprises créées en Tunisie dans la période qui précède la révolution sociale qui a duré quatre semaines entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011. Cet événement a entrainé une forte perturbation de l’activité économique, une réduction notable des investissements directs étrangers et des pertes estimées à 5-8 milliards de dollars en 2011 (soit environ 4 % du PIB)[1]. La période postrévolutionnaire est aussi caractérisée par le rétrécissement du marché intérieur tunisien à travers la détérioration du pouvoir d’achat des consommateurs (Klai, 2021). Si en 2021, la Tunisie lance des réformes pro-concurrentielles qui devraient avoir un impact sur la création d’entreprises; avant 2011, le Président Ben Ali avait surtout privilégié son clan en réglementant l’entrée des nouvelles entreprises (accès bancaire, créances classées, accès aux marchés publics, favoritismes divers…) (Rijkers et al., 2015). Nous avons écarté de notre échantillon les entreprises ayant prospéré de manière privilégiée sous cette administration pour ne pas attribuer aux mesures du régime transitoire post 2011 une valeur significative dans la mortalité des entreprises post révolutionnaire. Notre travail assume donc délibérément ce défaut de couverture en raison des biais susceptibles d’apparaître dans la discussion de nos résultats en termes de généralisation ou de reproductibilité.

Parmi les premiers travaux, on observe que les risques de mortalité touchent moins les industries manufacturières et que la probabilité de survie d’une ENC est conditionnée par les caractéristiques propres de l’entreprise, notamment, la taille ou la forme des droits de propriété (Audretsch, 1991; Audretsch et Mahmood, 1995). Plus récemment, Türkcan et Erkuş-Öztürk (2020) examinent les effets des crises économiques et politiques sur la SE entre 2000 et 2016. Ils constatent que l’âge, la taille et la forme juridique de l’entreprise influencent les taux de SE; en revanche, la localisation dans les petites villes laisse moins de chances de survie contrairement à celle des grandes villes. Cependant, aucun de ces travaux ne tient compte ni de la durée de SE, ni des caractéristiques spécifiques de ces entreprises.

Quid des facteurs déterminants de survie des entreprises tunisiennes qui ont été créées en 2010 et qui ont progressivement disparu après la révolution ? Pour y répondre, nous avons recours au modèle de survie en temps continu de Cox (1972) régulièrement utilisé dans le cadre de modélisation des temps de survie avec des données censurées. Ce dernier intègre des estimations semi-paramétriques laissant apparaître un hasard ratio donnant une information pertinente sur la probabilité de durabilité ou d’échec entrepreneurial. Notre étude mobilise une base de données de 424 entreprises, dont 262 (61,8 %) ont continué d’exercer leurs activités jusqu’à 2019 alors que 162 d’entre elles (38,2 %) ont cessé définitivement leur activité à des périodes différentes.

La contribution de notre travail concerne trois points essentiels : (1) l’accès à une base de données majeure d’entreprises nouvelles survivantes dans un contexte de crise; (2) une méthode de modélisation des temps de survie mettant davantage en lumière les facteurs déterminants du processus de SE contrairement aux analyses statistiques classiques focalisées sur les causes de mortalité des entreprises; et (3) une analyse des ressorts de la survie des entreprises nouvelles post Révolution alors que de telles études restent encore rares et que les données statistiques institutionnelles actuelles ne permettent pas de définir des modèles prédictifs susceptibles d’améliorer l’accompagnement des jeunes entrepreneurs.

L’article propose trois parties : (1) les facteurs qui peuvent déterminer la survie des entreprises récentes; (2) la méthodologie de recherche; (3) les résultats obtenus et leur discussion qui met en évidence l’émergence de facteurs de SE singuliers en environnement hostile (ruptures de marché, raréfaction des ressources, coûts de transaction prohibitifs…). Finalement, en conclusion, nous proposons des dispositifs d’accompagnement, et présentons les implications théoriques ou méthodologiques et les limites de l’étude.

Fondements théoriques et hypothèses

Globalement, les théories du capital humain, des réseaux sociaux et celles de l’écologie organisationnelle proposent un ensemble de facteurs qui influent sur les chances de survie des ENC. L’ensemble de ces facteurs peut aisément être rassemblé en trois sous-groupes assimilables au modèle des 3 E. Selon ce modèle, tout projet entrepreneurial viable doit se situer à l’intersection de trois méta-facteurs que sont : l’Entrepreneur (E1), l’Entreprise (E2) et l’Environnement (E3). Méta modèle qui peut être utilisé pour analyser les facteurs de SE qui se situent dans la zone A dite « de viabilité », les autres zones (B, C, D) révélant des failles de survie.

Facteurs de survie liés à l’entrepreneur

Notre première hypothèse fondamentale (H1) est que la SE repose sur des facteurs liés à l’entrepreneur. Cette hypothèse se décline en 5 propositions (ou sous-hypothèses). Nous postulons que le profil de l’entrepreneur pourrait recéler des caractéristiques augmentant la probabilité de SE.

La théorie du capital humain et celle de l’acteur-réseau identifient les facteurs sociodémographiques des entrepreneurs susceptibles d’affecter la SE tels que l’âge, le genre, le diplôme, l’entourage entrepreneurial, l’expérience professionnelle, etc. (Millan et al., 2012; Cabrer-Borrás and Belda, 2017); l’âge étant considéré comme un indicateur indirect du capital humain. Les entrepreneurs âgés sont supposés avoir un capital humain plus élevé et donc davantage en capacité d’assurer la survie de leur entreprise.

Proposition liée au genre

Plusieurs chercheurs ont montré que le genre n’a pas d’effet significatif sur la SE (Oberschachtsiek, 2008; Millan et al., 2012). Toutefois, et à l’inverse, de nombreuses études montrent que les taux de survie des entreprises créées par des hommes sont plus élevés que ceux créés par des femmes (Cooper et al., 1994; Georgellis et al., 2007). Plus encore, des études récentes (Ebert et al., 2019; Yang et Triana, 2019) montrent que les équipes entrepreneuriales composées uniquement de femmes sont plus enclines à échouer. Camargo et al., (2018) ajoutent qu’en période d’incertitude et de crise, les femmes entrepreneurs seraient plus sujettes au stress; le sentiment dominant chez elles étant la peur de l’échec. Dans le même ordre d’idées, Ayatakshi-Endow et Steele (2021) ont observé dans leur analyse empirique que lors de la période de pandémie Covid-19, la perception des difficultés de survie a davantage augmenté chez les femmes entrepreneures brésiliennes. En ce sens, nous formulons la proposition suivante :

H1.1 : Les entreprises créées par des hommes ont plus de chance de survie que celles créées par des femmes en période de crise.

Figure 1

La survie entrepreneuriale selon le modèle des 3E

La survie entrepreneuriale selon le modèle des 3E

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Propositions liées à l’éducation et à l’expérience

Le niveau d’éducation des entrepreneurs ainsi que leurs expériences professionnelles antérieures, constitueraient un facteur déterminant de SE (Millan et al., 2012). Ebert et al. (2019), quant à eux, observent qu’un niveau d’éducation élevé est non seulement associé à une probabilité plus forte d’obtenir un financement, mais aussi un meilleur garant de survie pour une startup. Cette prédisposition peut en revanche parfois constituer un inconvénient; c’est ce qu’observent Nummela et al., (2016) en constatant que les entrepreneurs ayant un niveau d’éducation élevé disposent aussi d’un excès de confiance pouvant conduire à la faillite. Cependant, et plus récemment, Cueto et al. (2021) ont mené une étude sur la SE de jeunes entrepreneurs espagnols en période de récession économique et ont confirmé que le niveau d’éducation de l’entrepreneur n’a pas d’effet significatif sur la survie. Ce qui nous amène à la proposition suivante :

H1.2 : En situation de crise, le niveau élevé d’éducation de l’entrepreneur n’a pas d’effet significatif sur la probabilité de survie de son entreprise

Autre controverse, plusieurs études empiriques montrent que l’expérience antérieure influence positivement le taux de SE (Georgellis et al., 2007; Millan et al., 2012). L’effet d’apprentissage acquis par l’expérience augmenterait la capacité de l’entrepreneur à faire face aux difficultés de la nouvelle entreprise (Amankwah-Amoah et al., 2018; Boso et al., 2019; Weiss et Hoegl, 2018). Cueto et al., (2021) montrent aussi qu’en période de ralentissement économique, une expérience professionnelle élevée correspond à une plus grande probabilité de SE. L’expérience serait plus importante que le niveau d’éducation pour expliquer la survie entrepreneuriale. Même si Frankish et al., (2013) n’indiquent aucune relation significative entre l’expérience antérieure et la SE, et que Munasinghe et Sigman (2004) affirment même qu’un changement constant de lieux de travail est probablement associé à des difficultés d’adaptation au nouvel emploi; capacité d’adaptation qui est pourtant indispensable à l’acquisition de compétences et de connaissances nécessaires au démarrage d’une nouvelle entreprise. Aux termes de ces considérations, nous formulons la proposition suivante :

H1.3 : L’expérience professionnelle passée d’un entrepreneur augmente les chances de survie de son entreprise en situation de crise.

Proposition liée à l’auto-efficacité

En ce qui concerne l’auto-efficacité, Santoro et al., (2020) apportent des réponses en explorant les antécédents de la réussite de 114 entrepreneurs spécifiques (mobilité réduite, dyslexie, trouble d’hyperactivité, etc.). Les auteurs ont montré l’existence d’une relation positive entre l’auto-efficacité et la viabilité des projets entrepreneuriaux. Désormais, l’approche par l’auto-efficacité est utilisée pour analyser la SE (Caliendo et al., 2020; Schutte et Mberi, 2020, Kurczewska et al., 2020). En ce sens, nous énonçons la proposition suivante :

H1.4 : Le niveau d’auto-efficacité entrepreneuriale augmente la probabilité de survie entrepreneuriale.

Proposition liée à l’orientation entrepreneuriale

Selon Lumpkin et Dess, (1996), les entrepreneurs qui remplissent les trois conditions fondamentales de l’orientation entrepreneuriale sont supposés être particulièrement motivés et leur entreprise a plus de chance de survie, notamment : (1) une disposition à agir avec autonomie, (2) une grande capacité d’innovation et de prise de risques, (3) une prédisposition à la réactivité agressive à l’égard des concurrents et à la proactivité en vue de saisir des opportunités entrepreneuriales. En outre, il a été démontré, l’existence d’une relation entre la motivation et la SE. En ce sens, les entrepreneurs qui réussissent sont ceux qui croient en leurs propres capacités et déterminisme (Lasch et al, 2005; Cabrer-Borrás & Belda, 2017). D’où la proposition suivante :

H1.5 : Un haut degré d’orientation entrepreneuriale a un effet positif sur la probabilité de survie de l’entreprise en cas de crise.

Facteurs de survie liés à l’entreprise

Notre deuxième hypothèse fondamentale H2 fait reposer la SE sur les caractéristiques propres à l’entreprise; hypothèse que nous déclinons en 5 propositions.

La théorie de l’écologie organisationnelle (Hannan et Freeman, 1977) met l’accent sur les caractéristiques organisationnelles de l’entreprise pour expliquer la pérennité et la viabilité des entreprises créées, telles que : le capital de démarrage, les aides publiques, les partenaires, la capacité de réseautage et la localisation géographique.

Proposition liée au capital de démarrage

La littérature révèle que l’un des facteurs déterminants de l’échec d’une ENC est le manque de ressources financières (Honjo & Kato, 2019). En effet, le risque d’échec serait fortement corrélé à l’acquisition de ressources nécessaires pour maintenir l’avantage concurrentiel de l’entreprise (Coad et al., 2016; Cantamessa et al., 2018; Khan & Lew, 2018; Laitinen, 2016; Puig et al., 2018). Plus le capital financier de démarrage est élevé, plus l’entreprise aurait de fortes chances de survie (Cooper et al., 1994; Crépon et Duget, 2002). Cependant, d’autres auteurs observent que la survie des ENC est davantage liée au capital humain plutôt qu’au capital financier (Arribas and Vila, 2007). D’où la proposition suivante :

H2.1 : Plus le montant du capital financier de démarrage est élevé, plus l’entreprise a de fortes chances de survie en situation de crise.

Proposition liée à l’équipe entrepreneuriale

Certains chercheurs observent que la présence d’une équipe entrepreneuriale contribue à la réussite et à la viabilité de l’entreprise et ce, contrairement aux entreprises créées par un seul entrepreneur (Woo, Cooper et al., 1989). D’où la proposition suivante :

H2.2 : L’entreprise créée par une équipe entrepreneuriale a plus de chance de survie qu’une entreprise fondée par un entrepreneur individuel.

Proposition liée à l’existence d’un réseau

La réussite de l’action entrepreneuriale dépendrait de la capacité de réseautage de l’entrepreneur (Dubini & Aldrich, 1991) ou de l’entreprise (Coviello & Munro, 1995). Covin et Slevin (1991) montrent que la capacité de réseautage de l’entreprise peut être considérée comme un ensemble de facteurs contextuels susceptibles de renforcer sa survie à travers l’amélioration de ses actifs stratégiques, ce qui lui permettrait de se comporter de manière proactive et innovante. D’où la proposition suivante :

H2.3 : Le niveau élevé de capacité de réseautage de l’entreprise augmente sa probabilité de survie en situation de crise.

Proposition liée à la localisation géographique

Plusieurs auteurs se sont intéressés à la localisation géographique en tant que déterminant de la SE (Ebert et al., 2019; Wang et al., 2018; Cueto et al., 2021). Plus précisément, la localisation urbaine ou rurale (Ebert et al., 2019), les environnements ouverts (Battistella et al., 2017), l’implantation dans des zones à forte concentration industrielle et à proximité d’entreprises similaires (Ebert et al., 2019) peuvent augmenter les chances de survie des ENC.

Ajoutons que les travaux de recherche menés par Randelli et Ricchiuti (2015) confirmaient déjà que l’implantation des ENC dans les zones géographiques peuplées et disposant d’une plus grande densité économique renforçaient la probabilité de SE et ce, grâce à la disponibilité de facilités essentielles au sens large et de mains d’oeuvre. Ces observations sont intéressantes car, à l’inverse, Perraud et al., (2001) concluaient qu’une forte densité économique conduit à une rude concurrence quant à l’usage des ressources territoriales, avec des conséquences néfastes sur la SE. D’où la proposition suivante :

H2.4 : Les entreprises implantées dans des zones à forte concentration industrielle ont plus de chance de survie en situation de crise.

Proposition liée à l’existence d’un business plan

Il est admis que l’action entrepreneuriale basée sur l’innovation nécessite davantage de préparation minutieuse et approfondie comparée à la création d’entreprises plus ordinaires (Lasch et al., 2005). Ces observations sont renforcées par d’autres recherches qui confirment cette nécessité de préparation des projets entrepreneuriaux à travers, notamment, l’élaboration sérieuse de plans d’affaires (Hansen, 1995). D’où la proposition suivante :

H2.5 : Les entreprises créées sur la base d’un plan d’affaires ont une probabilité de survie plus élevée en situation de crise.

Facteurs de survie liés à l’environnement

Notre troisième hypothèse fondamentale H3 fait reposer la SE sur les particularités propres à l’environnement; hypothèse que nous déclinons en 3 propositions.

Le méta-modèle des 3 E (Paturel, 1997) et la théorie de l’écologie organisationnelle (Hannan & Freeman, 1977) mettent en exergue l’impact des variables environnementales sur la réussite et la SE qui en résulte. C’est le cas des aides publiques, de l’accompagnement post-création et du suivi d’une formation entrepreneuriale.

Proposition liée à l’existence d’aides publiques

En ce qui concerne les aides publiques, Battistin et al., (2001) ont montré, par une étude longitudinale dans le contexte Italien, qu’elles affectent négativement la probabilité de survie des ENC. Cependant, Crépon et Duguet (2002) nuancent ces observations et concluent que les aides publiques affectent positivement la probabilité de survie des entreprises créées par d’anciens chômeurs, et négativement la survie des ENC par d’anciens employés. Pfeiffer et Reize (2000) ont prouvé l’inverse, dans le contexte allemand, à savoir l’effet négatif des subventions publiques accordées aux chômeurs entrepreneurs sur la probabilité de SE. D’où la proposition suivante :

H3.1 : L’octroi d’aides publiques diminue la probabilité de survie en situation de crise.

Proposition liée à l’accompagnement post-création

L’accompagnement entrepreneurial jouerait également un rôle significatif dans la SE, mais encore une fois, la controverse persiste. Ainsi, Crépon et Duget (2002) montrent que les projets entrepreneuriaux bénéficiant d’un accompagnement post-création sont ceux qui connaissent le plus fort taux de survie, alors que Lavoisier (2011) a conclu que les mécanismes d’accompagnement sont peu efficaces pour la viabilité et la survie des projets de création d’entreprises. S’il est confirmé que l’accompagnement entrepreneurial facilite l’octroi d’aides publiques, il est aussi observé que ces aides n’entrainent pas l’augmentation de la probabilité de survie des ENC. D’où la proposition suivante :

H3.2 : L’accompagnement entrepreneurial post-création augmente la probabilité de survie des entreprises en situation crise.

Proposition liée au suivi d’une formation entrepreneuriale

Pour ce qui est des aides autres que financières, la question est différente, et peut-être prédictive d’une meilleure durabilité de l’entreprise créée. Plusieurs recherches ont porté sur la nécessité du recours des entrepreneurs aux différents mécanismes d’aides professionnelles pour la réussite de leurs projets (Lavoisier, 2011). En ce sens, Cooper et al. (1994) ont conclu que les entreprises ayant la probabilité de survie la plus élevée sont celles créées par des entrepreneurs qui ont bénéficié des services rendus par des conseillers professionnels. Le recours à l’assistance de comptables et de conseillers en entrepreneuriat affecterait positivement la performance des ENC (O’Neill et Duker, 1986). Les formations entrepreneuriales seraient de nature à fournir, d’une part, les connaissances nécessaires par exemple à des avantages fiscaux, mais aussi, d’autre part, un cadre d’apprentissage propice pour le montage financier des projets. D’où la proposition suivante :

H3.3 : Les entrepreneurs ayant recours à des formations entrepreneuriales ont plus de chance d’augmenter la probabilité de survie

Figure 2

Modèle initial de recherche

Modèle initial de recherche

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La figure 2 récapitule nos hypothèses et propositions de recherche relatives aux facteurs de SE selon le modèle des 3 E consolidé par les corpus théoriques évoqués.

Méthodologie

Nous étudions la survie des ENC par des estimations semi-paramétriques empruntées au modèle de risque proportionnel de Cox (1972). Nous présentons aussi l’échantillonnage et l’analyse de données.

Le modèle de risque proportionnel

Les modèles économétriques de survie ont été largement utilisés pour déterminer l’influence des variables covariées. Parmi les modèles les plus utilisés pour analyser la survie, on trouve le modèle à hasards proportionnels de Cox (1972). Au départ, Ce modèle a été (et est encore) largement appliqué en médecine et en biométrie pour analyser les facteurs de survie des patients en fonction des différents types de traitement (Cases et Lollivier, 1993). Ensuite, l’utilisation du modèle s’est élargie à d’autres disciplines, telles que l’ingénierie, la sociologie ou l’économie en vue d’étudier la durée d’occupation d’un emploi par exemple (Ben Halima, 2009) ou la durée du chômage (Kiefer, 1988). Désormais, le modèle de Cox est, de manière croissante, employé en entrepreneuriat pour analyser la survie des ENC (Mata et Portugal, 1994; Audretsch et Mahmood, 1995; Durand et Obadia, 1998; Arribas et Vila, 2007; Cabrer-Borrás & Belda, 2017).

Le modèle de Cox estime en effet la probabilité de l’occurrence d’un évènement (la mort d’une entreprise) à un temps t en fonction d’un certain nombre de variables explicatives. Notre modèle de recherche vise à estimer l’influence des variables exogènes sur la fonction de risque immédiat mesurant le taux de mortalité des firmes associé à un échec entrepreneurial. La fonction du modèle de risque ou de « danger » de Cox est exprimée par l’équation suivante :

Où, λi(t) est une fonction non négative sans spécification, commune à toutes les entreprises de l’échantillon, appelée fonction de risque de base, et β est le vecteur des coefficients du modèle. Ce modèle est semi-paramétrique (comprenant une partie paramétrique et une partie non paramétrique). La partie paramétrique est exprimée par la fonction exponentielle xβ, où β est un paramètre à estimer par la maximisation de la fonction de vraisemblance partielle, telle que proposée par Cox (1972). La fonction de l’aléa de référence est la partie non paramétrique étant donné qu’il s’agit d’une fonction arbitraire et non spécifique.

La fonction de vraisemblance est dite « partielle » car elle ne prend en compte que les observations relatives à l’événement (dans notre cas, la cessation d’activité) et n’inclut pas les observations censurées (lorsque l’événement ne s’est pas produit à la fin de l’observation). Cependant, lors du calcul de la probabilité de survie, toutes les observations sont prises en compte.

Une hypothèse clef du modèle de Cox est la proportionnalité du risque qui suppose que le rapport de risque pour deux sujets avec le même vecteur de variables est constant dans le temps.

Dans notre étude, la fonction du hasard représente le risque de cessation d’activité de l’entreprise à un moment bien déterminé, sachant qu’elle a déjà survécu jusqu’à cette date. De même, il existe une relation entre le hasard et la survie de l’entreprise, exprimée par l’équation suivante :

Pour estimer la fonction de survie ainsi que les facteurs susceptibles d’affecter la durée de vie et la probabilité de SE, nous optons pour une analyse non paramétrique à l’aide de l’estimateur de Kaplan-Meier. Ensuite, nous avons recours à l’analyse semi-paramétrique de Cox.

Echantillonnage et analyse de données

Toutes nos variables proviennent d’une enquête réalisée en 2019. L’unité d’enquête est l’entreprise créée par un entrepreneur tunisien en 2010. Pour chaque entrepreneur, plus de 18 variables ont été analysées sur 10 ans maximum après création. Nous avons procédé selon un échantillonnage non probabiliste par convenance, composé de 424 entreprises dont 262 (61,79 %) ont maintenu leur activité jusqu’au 2019 et 38,2 % (162) ont disparu à des périodes différentes après la révolution (Tableau 1). Le choix des 162 entreprises dissoutes a été réalisé avec l’aide de six experts judiciaires auprès des tribunaux tunisiens. Alors que les 262 entreprises survivantes enquêtées ont été échantillonnées sur la base des données fournies par les directions régionales de la banque de financement des PME.

La conception de l’enquête a pris en compte trois types différents de variables de SE liées respectivement au profil de l’entrepreneur (E1), à son entreprise (E2), et à l’environnement dans lequel il évolue (E3). L’analyse de données a été effectuée à l’aide du logiciel SPSS v25.0.

La variable endogène est définie comme le temps qui s’écoule à partir du moment où une entreprise s’établit sur le marché jusqu’à la fin de celle-ci ou jusqu’à la fin de la période d’échantillonnage choisie, dans notre cas l’année 2019. Les entrepreneurs enquêtés ont indiqué la date de démarrage de leur entreprise ainsi que la date finale d’exploitation (jusqu’en 2019) et, le cas échéant, la date de cessation d’activité et de fermeture officielle de l’entreprise. Si l’entreprise est dissoute, sa durée de vie (nombre de mois) est calculée comme la différence entre la date de cessation d’activité et l’année de démarrage. Dans ce cas, les entreprises sont considérées comme non censurées. Toutefois, si l’entreprise est toujours en activité, la durée de vie est calculée sur la base de la différence entre l’année 2019 et celle du démarrage. Au sens de Cox, ces entreprises sont considérées comme censurées[2].

Le tableau 1 montre la description de la variable explicative. Il montre que le nombre d’entreprises survivantes diminue au fil du temps, contrairement au taux de mortalité des entreprises défaillantes.

Tableau 1

La répartition des firmes enquêtées

La répartition des firmes enquêtées

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Nous présentons une analyse descriptive des variables dépendantes, des caractéristiques socioéconomiques des entrepreneurs ainsi que la durée de survie avec un intervalle de confiance à 95 % (Tableau 2).

Certains constats spécifiques doivent être mentionnés, être mentionnés, après avoir précisé que nos données mentionnées en mois de survie entrepreneuriale reposent sur la supposition qu’a priori les dates de création pendant la période de crise continue, entre 2010 et 2019, auraient influencé de manière constante et équivalente les entreprises créées. Nous nous basons sur les analyses de la Banque centrale de Tunisie qui affichent un indice de production industrielle qui ne cesse de baisser de 2011 à 2020 avec une forte aggravation des flux et soldes de paiements extérieurs. Ainsi, les caractéristiques socioéconomiques des entrepreneurs montrent que la proportion des entreprises survivantes créées par les femmes au cours des 10 dernières années était moins élevée (28,24 %) que celles créées par les hommes (71,55 %); mais la durée moyenne de survie des entreprises créées par les hommes est plus faible (88 mois) que celle des femmes (111 mois). En général, l’entreprise survivante type a été créée par un homme entrepreneur (71,55 %) ayant plus de 40 ans (57,24 %), hautement scolarisé (71,75 %) et ayant exercé antérieurement un travail indépendant (59,16 %). Entre autres, l’entreprise survivante est essentiellement une société anonyme (43,12 %) ayant un capital social d’au moins 200 000 DT (Dinar tunisien) (69,83 %), implantée hors zone industrielle de développement régional (62,59 %) et ayant bénéficié d’une subvention ou d’une aide publique (82,06 %). Toutefois, l’entreprise défaillante est essentiellement créée par une femme entrepreneur (80,24 %), âgée de moins de 40 ans (53,69 %), hautement instruite (79 %), n’ayant pas bénéficié d’un accompagnement entrepreneurial post-création (63,58 %) et qui a eu antérieurement le statut d’employée salariée (51,85 %). L’entreprise défaillante est principalement une société à responsabilité limitée (SARL : 35,80 %) dont le capital social est inférieur à 200 000 DT (72,83 %) et qui opère dans les secteurs du commerce (32,71 %) et de l’artisanat (20,37 %).

Résultats et discussion

Le modèle de Cox est interprété en termes de niveau de risque, ou hazard ratio, de sorte que des valeurs inférieures à 1 suggèrent une réduction du risque et donc une augmentation du taux de survie des entreprises; en leur donnant des coefficients négatifs, on leur attribue des facteurs ayant une influence positive sur la SE. Pour les valeurs supérieures à 1, les variables affectent négativement la SE.

Estimation non-paramétrique

Pour estimer la fonction de survie, nous avons eu recours à l’estimateur non-paramétrique de Kaplan-Meier (1958) qui repose sur le principe suivant : la firme qui survit après un temps t est le fait d’être en activité juste avant t sans disparaitre à l’instant t (Saint Pierre, 2015).

La figure 3 montre que notre courbe de survie de Kaplan-Meier présente une pente pour la première année. Elle se dégrade progressivement après cette période. En fait, environ 20 % des entreprises ne survivent pas plus de 68 mois (5 ans et demi). De même, nous observons que la probabilité de SE jusqu’à l’instant t décroît de manière sensible jusqu’au 40ème mois, après elle décroît de manière plus forte entre le 60ème mois et le 110ème mois, phase où les firmes deviennent plus fragiles. Puis, la courbe de survie subit une chute vers le 120ème mois, phase où certaines entreprises ne sont plus en mesure d’atteindre la dixième année (Figure 1). Ceci pourrait s’expliquer par les effets liés à la révolution tunisienne et à l’instabilité politique, économique et sociale qui en résulte. En ce sens, Letaief (2014) explique le taux de défaillance des entreprises tunisiennes par l’effet des fluctuations macroéconomiques. Des résultats similaires ont été obtenus par Kolakovic et al. (2014) qui ont exploré le taux de survie post-transition dans 10 pays européens qui ont été touchés par la crise économique au cours de la période 2008 - 2011. Les auteurs ont trouvé que 97,23 % des entreprises slovaques et 95,48 % des entreprises lettones, avaient les taux de survie les plus élevés à plus d’un an et quatre ans. Toutefois, la spécification de notre modèle ne tient pas compte des conditions macroéconomiques, dans la mesure où les entreprises enquêtées sont intégrées dans l’échantillon au fur et à mesure de leur création. De ce fait, elles ne sont pas confrontées à des conditions macroéconomiques homogènes à un même stade de développement, une même unité de temps écoulé depuis leur création.

Figure 3

Courbe de survie globale des entreprises

Courbe de survie globale des entreprises

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Nous utilisons le test Log Rank pour vérifier l’égalité des fonctions de survie de plusieurs groupes d’entreprises. Nous devons comparer d’une part, le nombre d’entreprises observées dans chaque groupe, qui ont connues une cessation d’activité, et d’autre part, le nombre d’évènements attendus. Nous exposons ensuite les différentes courbes de survie des sous-populations statistiquement hétérogènes de notre échantillon. Puis, nous présentons les résultats des tests d’égalité des fonctions de survie, en fonction des variables explicatives liées à l’entrepreneur, à son entreprise et à son environnement.

En se référant aux estimations des fonctions de survie selon le genre, nous observons qu’au début et en fin de période, les entreprises créées par des femmes commencent à disparaître plus rapidement que celles créées par des hommes (Figure 4). De même, le résultat du test non-paramétrique de Log-Rank montre qu’à partir de leur première année de démarrage, les entreprises créées par des femmes ayant une expérience antérieure disposent de courbes de survie au-dessus de celles des entreprises créées par des femmes non expérimentées; et par conséquent leurs taux de survie sont les plus faibles.

Dans la figure 4, nous observons que la courbe de survie des entreprises dont le capital social initial est inférieur à 100 000 DT décroit de manière significative entre le 40ème et le 60ème mois. Ainsi, démarrer une entreprise avec un capital initial faible (inférieur à 100 000 DT) ne garantit pas la SE. Toutefois, si le capital de démarrage est supérieur à 100 000 DT, voire 200 000 DT, les deux courbes de SE se croisent durant les premières années d’existence, puis commencent à diminuer considérablement à partir du 80ème mois jusqu’à la fin de la période. Ce résultat confirme la proposition H2.1 selon laquelle, plus le capital de démarrage est grand, plus la probabilité de SE en contexte de crise est forte. Nos résultats corroborent ceux de Laitinen (2016) qui soulignent le fort effet des dépenses fixes, de la taille de l’investissement initial et des capitaux propres initiaux sur la probabilité d’échec.

Tableau 2

Les statistiques descriptives des données

Les statistiques descriptives des données

Test non paramétrique du Log rank : ª Signification à 1 %. La durée de survie en moyenne est limitée à 10 ans (120 mois).

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La courbe de survie des entreprises implantées dans les zones de développement régional (ZIDR) décroît de façon sensible à partir de la quatrième année et la huitième année. Ces dernières survivent plus difficilement que celles installées hors ZIDR (Figure 4).

Figure 4

Survie estimée par critères socioéconomiques

Survie estimée par critères socioéconomiques

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L’analyse non paramétrique que nous avons faite s’apparente à une analyse exploratoire permettant d’évaluer l’impact des variables explicatives sur les différentes sous-populations. Toutefois, cette analyse ne prend pas en considération l’interaction entre les variables exogènes influençant la SE, ce qui nous incite à opter pour l’analyse semi-paramétrique de Cox.

Analyse semi-paramétrique de Cox

Tout d’abord, il est important de souligner que l’hypothèse de proportionnalité du risque sur laquelle repose le modèle de Cox est confirmée. En conséquence, l’effet des covariables est constant et indépendant de la dimension temps. L’effet de chaque variable est donné par son hasard ratio : une valeur inférieure à 1 signifie que ce facteur contribue à la prolongation de la durée de vie. A contrario, si le hasard ratio est supérieur à 1, alors ce facteur contribue à accroître la probabilité de l’échec entrepreneurial.

Le tableau 3 présente les estimations du modèle de risque proportionnel de Cox. Nous avons testé les erreurs de spécification et constaté que nous ne pouvons pas rejeter l’hypothèse nulle selon laquelle, le modèle estimé est correctement spécifié.

D’après les résultats de l’estimation du modèle, les femmes présenteraient un risque d’échec entrepreneurial 1,44 fois (1/0,693) plus élevé que les hommes. Ce résultat va de pair avec l’analyse non-paramétrique de Kaplan-Meier. Donc, la proposition H1.1 est confirmée. Nos résultats corroborent ceux de Camargo et al., (2018) qui confirment qu’en période de crise la probabilité de survie des entreprises fondées par les femmes entrepreneurs brésiliennes diminue à cause de leur stress excessif lié à la peur de l’échec. Dans le même sens, Ayatakshi-Endow et Steele (2021) ont montré que le contexte de la crise Covid-19 a diminué la probabilité de survie des entreprises créées par les femmes brésiliennes. Nos résultats corroborent aussi les conclusions d’Arribas et Vila (2007), ainsi que celles de Robb et Witson (2012) qui soulignent que les entreprises fondées par des hommes sont plus pérennes après 5 ans. Toutefois, ce résultat va à contresens de celui de Cabrer-Borrás et Belda (2017) qui notent que les femmes ont le taux de SE le plus élevé, comparativement aux hommes dont les entreprises ne reposent pas sur des opportunités réelles. Dans le contexte tunisien, le stress lié au contexte de forte crise et la mortalité entrepreneuriale féminine sont à rapprocher.

Les différentes modalités de la variable « niveau d’éducation » n’ont pas d’effet significatif sur la durée de SE. En conséquence, la proposition H1.2 est confirmée. Même si Cabrer-Borrás et Belda (2017) observent l’inverse dans leur étude concernant des ENC espagnoles. Nos résultats corroborent ceux de Cueto et al. (2021) qui observent, lors d’une récession économique, que le niveau d’éducation de l’entrepreneur ayant une formation universitaire n’a pas d’effet significatif sur la SE. Nos résultats corroborent ceux de Georgellis et al. (2007), Arribas et Vila (2007) qui notent une relation négative entre le niveau de l’éducation et la SE. Enfin, l’étude menée en Inde par Nafzige et Terrell (1996), montre une relation négative entre l’éducation et la durée de vie d’une entreprise nouvellement créée en ce sens que les entrepreneurs ayant un niveau d’éducation élevé ont plus d’opportunités d’emplois salariés que les entrepreneurs ayant un bas niveau d’éducation, ce qui peut statistiquement réduire la viabilité des projets entrepreneuriaux exclusivement orientés par l’auto-emploi (c’est le cas de la Tunisie).

Nos résultats montrent aussi que la variable « expérience antérieure » n’est pas significative (rejet de la proposition H1.3). Ce résultat rejoint celui d’Arribas et Vila (2007), ainsi que celui de Boukhris (2015) qui montre, dans son étude menée sur 160 entreprises tunisiennes, que le risque d’échec entrepreneurial n’est pas endigué par l’expérience antérieure de l’entrepreneur. Toutefois, l’étude menée par Cueto et al. (2021) montre pourtant que l’expérience professionnelle antérieure a un effet positif sur la survie des entrepreneurs espagnols en période de récession économique.

Tableau 3

Résultats des régressions de Cox

Résultats des régressions de Cox

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En analysant les effets des variables « auto-efficacité » et « orientation entrepreneuriale (O.E) », nous percevons qu’ils ne sont pas significatifs et par conséquent n’ont aucun effet sur la SE. En conséquence, les propositions H1.4 et H1.5 sont rejetées. Nos résultats ne sont pas conformes à ceux de De Hoe et Janssen (2016) qui notent que le sentiment d’auto-efficacité est de nature à inciter l’entrepreneur à se prémunir de l’échec entrepreneurial.

D’après les estimations relatives à la variable « capital de démarrage », on constate que les entrepreneurs ayant démarré leur entreprise avec un capital social compris entre 100 000 DT et 200 000 DT, ont deux fois (1/0,501) plus de chance de survivre que celles dont le capital initial est inférieur à 100 000 DT. Et les entreprises ayant un capital de démarrage supérieur à 200 000 DT ont une probabilité de survie 3 fois (1/0,318) supérieure. En conséquence, un investissement initial élevé augmente la probabilité de SE (H2.1 est confirmée). Ce résultat va de pair avec plusieurs recherches antérieures (Cooper et al. 1994; Crépon et Duget, 2002), et notamment celle de Lasch et al. (2005) dans leur étude menée auprès de 498 entreprises françaises du secteur TIC.

En ce qui concerne la variable « équipe entrepreneuriale », on observe que les entreprises qui sont créées par un entrepreneur individuel présentent un risque d’échec entrepreneurial 4 fois (1/0,251) plus élevé que les entreprises fondées par une équipe entrepreneuriale (H2.2 confirmée). Ce résultat rejoint ceux Ruef et al. (2003) ou ceux d’Arribas et Vila (2007) qui notent que la probabilité de survie après 5 ans des entreprises espagnoles fondées par plusieurs partenaires, est de 80 %, tandis qu’elle est de 40 % pour les entreprises créées par un seul individu.

On observe aussi que les entreprises qui n’ont pas tissé de réseaux professionnels et partenariaux durables ont un risque d’échec deux fois (1/0,468) plus élevé que les entreprises à forte capacité de réseautage (H2.3 confirmée). Ce résultat rejoint celui de Elafi et al. (2021) qui soulignent que le réseautage impacte la survie des officines marocaines et ce, grâce à l’accès aux information utiles sur les clients et fournisseurs potentiels.

Quant à la variable « zone d’implantation », nous notons que les entreprises implantées dans les ZIDR présentent paradoxalement un risque d’échec trois fois (1/0,341) plus élevé que les entreprises situées hors ZIDR (H2.4 n’est pas confirmée). Cette observation peut s’expliquer par les nouvelles mesures de mise en concurrence effective des entreprises tunisiennes dans la période post révolutionnaire. On peut présupposer que dans un tel contexte, les facilitations offertes dans ces zones se sont estompées, fragilisant de jeunes entrepreneurs dépendants ou assistés. Ces résultats corroborent ceux de Cueto et al. (2021), mais, s’oppose à celui de Lasch et al. (2005) qui soulignent que les entrepreneurs qui s’implantent dans une zone à forte densité économique ont plus de chance de SE.

L’élaboration d’un Plan d’Affaires avant l’action entrepreneuriale s’avère, quant à elle, une variable non significative et n’a aucun effet sur la SE. De ce fait, la proposition H2.5 est rejetée. Ce résultat est conforme à celui de Dahlqvist, Davidsson et Wiklund (2000) qui ont noté que le plan d’affaires est un document exigé par les bailleurs de fonds, notamment les banques, et il n’est pas pour autant en mesure d’augmenter les chances de survie de l’entreprise. A l’inverse, nos résultats ne sont pas conformes aux recherches qui soulignent l’utilité d’une étude de faisabilité préalable pour augmenter leurs chances de SE (Hansen, 1995; Lasch et al. 2005).

Figure 5

Distribution observée des facteurs de survie

Distribution observée des facteurs de survie

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En revanche, nos résultats laissent entrevoir que les subventions d’investissement et les aides financières accordées aux entrepreneurs s’avèrent significatives. En conséquence, les entreprises fondées par des entrepreneurs n’ayant pas bénéficié des subventions et des aides publiques (prise en charge partielle des charges salariales patronales), ont moins de chance de survie que les entreprises qui en ont bénéficiées. Donc, la proposition H3.1 est rejetée du fait d’un paramètre négatif et significatif. Ce résultat corrobore celui de Mapuranga et al. (2021) qui montrent que le manque des subventions gouvernementales et de capital de réinvestissement a augmenté la probabilité de faillite des femmes entrepreneures Sud-Africaines lors de la pandémie de COVID-19. De même, notre résultat est comparable à celui de Battistion et al. (2001) qui observent également cette relation dans leur étude menée dans le contexte italien; de même que celui de Dahlqvist et al., (2000) dans le contexte suédois.

Par ailleurs, en analysant la variable « accompagnement entrepreneurial post-création », nous constatons qu’elle est significative et qu’elle affecte positivement la SE. Les entreprises qui n’ont pas bénéficié d’un accompagnement présentent un risque d’échec entrepreneurial 3,58 fois (1/0,279) plus élevé; d’où la proposition H3.2 vérifiée. Ce résultat rejoint celui de Sammut (2001) et de Crépon et Duget (2002) qui notent que les entrepreneurs accompagnés par une structure d’appui ont plus de chances de SE. Finalement, l’estimation du modèle de Cox montre que la variable « formation spécifique » à la création d’entreprise n’est pas significative. La proposition H3.3 est rejetée. Ce résultat rejoint celui de Lasch et al. (2005) pour qui les formations en entrepreneuriat n’augmentent pas les chances de SE.

Au regard de tout ce qui précède, l’analyse des facteurs de survie des entreprises tunisiennes entre 2010-2019 montre que les déterminants les plus significatifs sont liés à l’entreprise (E2) et à l’environnement (E3) plutôt qu’au profil de l’entrepreneur (E1) (Figure 5).

Conclusion

Nos résultats montrent qu’en dehors de la question du genre accordant davantage de risque d’échec aux femmes en raison d’une propension au stress dans un environnement anxiogène pour lequel elles ne seraient pas préparées ou suffisamment soutenues, les principaux facteurs de SE, lors de la phase transitionnelle 2011-2019, relèvent de l’entreprise elle-même et de son environnement, contrairement aux approches socio-économiques conventionnalistes attribuant aux seuls facteurs du capital humain les capacités de survie et de résilience (Aliouat, 2013).

Nos résultats semblent être contradictoires avec de nombreuses recherches à cause de la période de l’étude qui coïncide avec une décennie post révolutionnaire caractérisée par une forte récession économique (Hammami et Chtourou, 2014); cette dernière s’inscrivant dans un temps continu et se manifestant par des constantes ou des variants faibles impactant de manière relativement égale la SE quelque que soit la date de création de 2010 à 2019, selon le rapport de la Banque centrale de Tunisie (cf. infra). Nos résultats offrent à l’inverse une opportunité d’études internationales comparatives sur l’intention, le déclenchement, la reprise et la SE confrontés à des ruptures radicales de leurs environnements.

Il y a un certain nombre d’implications et d’enseignements à tirer de ces résultats en termes d’orientation entrepreneuriale des jeunes entrepreneurs. D’abord, nos résultats semblent révéler que les problèmes d’accompagnement, de financement, d’expérience ou d’hostilité au sens large, de celles qu’on mesure en termes de coûts de transaction prohibitifs pour un entrepreneur en situation de crise continue, accentuent le risque de mortalité entrepreneuriale. C’est notamment le cas observé des femmes, corroborant ainsi les travaux antérieurs de Cooper et al. (1994), Georgellis et al. (2007), Camargo et al. (2018), Ebert et al. (2019), Yang et Triana (2019) ou Ayatakshi-Endow et Steele (2021). Une implication managériale pertinente serait de promouvoir la formation entrepreneuriale en faveur des entrepreneurs, en particulier des femmes, parmi les plus affectés ici, afin d’agir sur leur appréhension des risques liés au manque d’expérience, de moyens financiers et de structures d’accompagnement idoines. Les structures d’appui en Tunisie devraient intervenir en période de crise pour améliorer l’accompagnement en amont et en aval de la création d’entreprises, notamment à la faveur des femmes entrepreneures afin qu’elles soient soutenues avec équité. L’accompagnement en amont peut être confié aux « centres d’affaires » qui doivent assister les porteurs de projets pour l’élaboration du plan d’affaires, la constitution d’une équipe entrepreneuriale et le choix de la zone d’implantation. Toutefois, l’accompagnement entrepreneurial en aval devrait être mené par les « pépinières d’entreprises » et « les pôles de compétitivité ou technologiques ». Les entrepreneurs hébergés y seraient aussi assistés pour des levées de fonds, des subventions et des aides publiques.

Nos résultats incitent donc, en période transitionnelle, à développer des dispositifs d’accompagnement de l’entrepreneuriat féminin, de dynamiques de territorialisation entrepreneuriale, d’incubation, d’incitation à l’innovation en équipe et en réseau, et enfin, d’inclusion financière et bancaire en faveur de capitaux d’amorçage significatifs et suffisants au potentiel de la courbe de survie des jeunes entrepreneurs.