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Dans « la tragédie des biens communs », Garrett Hardin (1968) estime que les individus gérant des ressources communes sont incapables de sortir d’une logique de gestion individualiste et de profit. Or cette gestion aurait pour effet de causer la ruine de ces ressources. Pour pallier au manque de rationalité des individus, l’alternative serait que ces ressources soient gérées soit par l’Etat, soit par des entreprises privées. C’est à cette théorie que s’oppose E. Ostrom (1990, 2010) avec la question du polycentrisme. Elle explique qu’il existe d’autres manières de gérer les ressources communes, au travers de groupes « auto-organisés » et « auto-institués », qui offriraient un panel de gouvernances possibles bien plus larges que cette vision dichotomique offerte par Hardin. (Leitheiser et al., 2022). Ostrom propose un cadre d’analyse de la gestion des biens communs avec le modèle IAD (Institutional Analysis and Development Framework) (Ostrom et al. 1994, Ostrom, 2019) qui permet de faire ressortir les règles d’autogouvernance durable du bien commun (Albareda & Sison 2020).

La plupart des recherches qui mobilise le cadre de l’IAD porte sur l’étude de la gestion des ressources naturelles telles que l’eau (Kamal et al. 2021), l’énergie (Milchram et al., 2019), la pêche (Cole et al., 2019). Le modèle IAD permet l’analyse de dilemmes environnementaux (Sarr et al. 2021) et la coopération entre l’Etat et les institutions locales dans la gestion de biens communs subventionnés (logement, etc.) par les finances publiques (Wang et al. 2022).

Une phase de co-création (ou co-production[1]) du bien commun est présentée dans plusieurs études de cas intégrant les éléments du modèle IAD sous des angles très variés. Mazé et al (2021) apportent un regard nouveau sur les rôles de la co-création et de la diffusion des connaissances dans la collaboration, en identifiant la diversité des pratiques semencières et leurs modèles d’action collective. Sarr et al. (2021) soulignent le rôle clé des pouvoirs publics dans le processus de co-création car ils peuvent utiliser leur autorité formelle, leurs ressources financières et leurs pouvoirs législatifs et réglementaires afin de créer des conditions favorables à la co-production (DeCaro et al., 2017). Des recherches sur les biens communs (Sutton & Rudd 2016) analysent le rôle du leader qui est considéré comme un individu qui, par ses compétences, son expérience et ses caractéristiques personnelles, est en mesure de jouer un rôle central et influent dans les processus sociaux. Ces recherches portent sur les facteurs qui influencent l’efficacité du leadership local du point de vue du comportement individuel (Sutton & Rudd, 2016). A notre connaissance aucune étude n’a enrichi le modèle IAD en analysant le rôle du leader organisationnel non-étatique dans le cas de la co-construction de bien commun, et ne s’est intéressé à son impact sur les interactions entre différents membres de la communauté. Il nous parait donc intéressant de poursuivre ces travaux en montrant comment des interactions et des règles émergent entre différents acteurs impliqués dans un projet de création d’un bien commun et comment ces interactions conduisent à l’apparition d’un chef de fil (leader) dans la gouvernance. C’est pourquoi, à partir de l’analyse d’un projet d’entrepreneuriat social et solidaire, nous souhaiterions comprendre comment les démarches conduites par le porteur de projet intégrant différentes communautés d’acteurs, permettent la construction d’un bien commun au sens d’Ostrom (2010, 2015). Nous souhaiterions, répondre à la question posée plusieurs fois par Ostrom : Sur quels types de relations de coopération (interactions) et de règles d’autogouvernance repose la construction du bien commun ?

L’intérêt de la théorie d’Ostrom est qu’elle permet d’envisager notre objet d’étude — l’hospitalité constructive — dans une perspective assez large, à la fois définitionnelle (dans le sens de ce qui est produit, pour définir ce qu’est la ressource, ici l’hospitalité à partir de la construction d’un habitat) et également dans ses moyens de production et de sa gouvernance (ici la participation intrinsèquement liée au concept d’hospitalité constructive). Ce concept est défini comme étant la co-construction d’un dispositif d’hébergement transitoire. Il s’agit de la « co-construction » d’un hébergement au sens de la construction, de la fabrication d’une petite maison et en même temps, de la construction d’un accueil bienveillant. Cette petite maison va de pair avec des mesures d’accompagnement favorables à l’accueil et à l’intégration des réfugiés.[2] C’est l’hôte dans le pays d’accueil qui offre l’hospitalité aux réfugiés. Cette hospitalité est construite avec et pour ces derniers.

Dans une première partie, nous allons préciser les concepts de bien public et bien commun, de partenariat social ainsi que le model IAD d’Ostrom et al. (2010). Ensuite, nous expliquerons la méthodologie utilisée avant de présenter l’étude de cas relative à « l’hospitalité constructive ». Nous utiliserons le cadre du modèle IAD pour analyser la co-création d’un bien commun. Nous discuterons de nos résultats avant de conclure sur les nouveaux éléments émergeant de notre étude par rapport aux travaux d’Ostrom. Dans la conclusion, nous préciserons également les limites de notre travail et donnerons des pistes pour la poursuite de cette recherche exploratoire.

Bien public et bien commun : concepts et spécificités

La théorie des biens publics (Samuelson, 1954) justifie l’existence des biens publics par une défaillance du marché dans le cas de la gestion et de la production de biens qui sont difficilement rentables, pour le secteur privé, mais bénéfiques pour la société. Par biens publics « purs » sont considérés, les biens non-rivaux car le coût d’extension du service à une personne supplémentaire est nul et les biens non exclusifs, car il est impossible ou coûteux d’exclure des individus de la jouissance (Dardot & Laval, 2015, Assens & Coléno 2017).

Du point de vue juridique, le bien public se distingue du bien privé exclusivement par les droits de propriété; les biens privés sont détenus par des individus (Ballet, 2008). Si la distinction et la définition de bien public/bien privé fait consensus, la notion de bien commun est beaucoup plus controversée (Block & Jankovic, 2016, Coriat, 2020, Cornu et al. 2021). Certains auteurs (Ballet 2008) associent le concept du bien commun au régime de propriété commun supposant que l’accès est restreint aux membres de la communauté. En revanche, Ostrom considère que d’autre régimes de propriété peuvent coexister dans le commun tel que : les droits d’extraction, droits d’accès, droits de management, droits d’exclusion, droits d’aliénation et que l’établissement du régime de propriété commun n’est pas obligatoire ni suffisant pour déterminer l’apparition d’un bien commun (Ostrom 1990, Vallat 2016). Elle construit la théorie des biens communs en définissant les communs comme des « systèmes de ressources communes durables autogouvernées et auto-organisées » (Ostrom 1990, 2010). Dans ce sens, les communs désignent une communauté, un groupe d’individus qui a établi ses propres règles de gouvernance afin de gérer collectivement et démocratiquement une ressource « commune » (Ostrom & Ostrom 2019).

Les communs durables d’après Ostrom (1990) répondent à 8 critères caractéristiques de ces ressources communes : 1. la ressource à gérer tout comme le groupe gestionnaire sont clairement délimités; 2. les règles d’accès aux ressources sont consensuelles et modifiables; 3. les utilisateurs peuvent participer au processus de formulation de ces règles dans le cadre d’arènes de discussion.; 4. il existe un système de suivi et de surveillance des utilisateurs; 5. les sanctions sont proportionnelles à la gravité des faits; 6. il existe des mécanismes de résolution des conflits; 7. le droit à s’auto organiser est effectif; 8. les systèmes des règles existent sur plusieurs niveaux.

Les travaux récents sur les communs substituent à la notion de « ressources », entendue au départ comme « ressources naturelles », celle de « bien commun », qui permet d’englober d’autres objets (Meyer 2020, Ricciardi et al., 2021). Ainsi « les communs sociaux se caractérisent par la mise en commun de ressources sociales telles que la santé, l’emploi ou la culture, auxquelles sont associées une visée universaliste et un accès local démocratique » (Defalvard, 2017, p.46). Les chercheurs (Foster & Iaione 2019, Meyer 2020) décrivent aussi l’émergence de « nouveaux » biens communs (new commons) de la connaissance, de la culture, de l’infrastructure et surtout de biens communs numériques créés grâce à internet. Ces nouveaux types de biens communs sont définis comme une ressource disponible pour une utilisation collective et dont la valeur et la disponibilité ne peuvent être maintenues et/ou développées que grâce à la collaboration des membres de la communauté (Ricciardi et al., 2021).

Par ailleurs, si dans les travaux d’Ostrom et Laurent (2015), les biens sont catégorisés par des caractéristiques d’exclusions et de rivalités fortes ou faibles, Dardot et Laval (2010, p.117) induisent l’idée que « ce n’est pas tant la qualité intrinsèque du bien qui détermine sa nature que le système organisé de gestion qui institue une activité comme un commun ». Nous pouvons comprendre cela comme le fait qu’il n’existe pas de « nature » d’un bien et que c’est son système de gestion qui va permettre de le définir. C’est ce principe que nous allons retenir dans notre étude.

Deneulin et Townsend (2008) considèrent qu’à la différence des biens publics, les biens communs sont caractérisés par une production et une consommation simultanée et non séparable car l’objectif n’est pas seulement de produire un bien, mais surtout de participer à son élaboration par l’usage, en interagissant les uns avec les autres. Les relations mutuelles et le fait de produire en commun sont une source de bien-être pour les participants. L’externalité positive de la production est une des caractéristiques « clé » du bien commun (Leitheiser et al., 2022). L’autre spécificité est la nature du bien produit. Les membres s’engagent dans la co-construction d’un « bien » dans le but de créer une vie meilleure pour la communauté, plus juste et souvent plus équitable. La volonté de « faire du bien » est une motivation importante dans la co-construction du bien commun (Kassell & Rimanoczy, 2018).

Partenariat social et entrepreneuriat social collectif

Deux catégories de définitions très différentes du partenariat social prédominent dans la littérature académique. Premièrement, il s’agit de la coopération politique signifiant « des relations stables de reconnaissance mutuelle, de coopération institutionnalisée et de conflit régulé entre les syndicats, les organisations d’entreprises et le gouvernement » (Mas & Gomez, 2021, p. 3). Nous avons utilisé cette notion dans son deuxième sens, c’est-à-dire en considérant que le partenariat social représente des efforts volontaires de collaboration entre des acteurs de deux ou plusieurs secteurs dans lesquels ils tentent de résoudre ensemble un problème social d’intérêt commun. (Yin 2021). Ces efforts interactifs sont souvent appelés « partenariats sociaux intersectoriels » (Intindola et Ofstein 2022) ou partenariat co-productif (Bance et al. 2022). Montgomery et al. (2012) ont qualifié le partenariat social intersectoriel de type d’entrepreneuriat social collectif, en opposition aux actions individuelles d’un entrepreneur ou d’une organisation. L’entrepreneuriat social, comme le partenariat social, se distingue par son objectif final de création de valeur sociale (Alkire et al. 2020). L’entrepreneuriat social, créateur d’innovations sociales, s’est développé suite au désengagement de l’Etat dans la sphère publique (Four et al., 2016). De nouveaux défis sociaux plus complexes, nécessitant des compétences très variées, ont favorisé également l’entrepreneuriat social qui devient un phénomène collectif (Johannisson 2002), où on entreprend ensemble (Boncler et al., 2006). Ce type de collaboration peut nécessiter un partenariat entre une entreprise et une organisation à but non lucratif, voire même uniquement entre des organisations à but non lucratif (Ramonjy et al. 2023). Néanmoins, chaque acteur du partenariat apporte avec lui ses valeurs individuelles ainsi que les valeurs et la culture de son organisation d’origine (Murphy et al., 2012). Malgré une cause commune, les partenariats sociaux se heurtent souvent à des obstacles (mauvaises interprétations, incompréhensions) liés à ces différences (Gillett et al., 2019). Pourtant, c’est cette diversité qui peut permettre l’émergence de nouvelles idées (Ferraro et al., 2015). En termes structurels, les partenariats sont de nouveaux projets organisationnels qui peuvent être traités comme des méta-organisations (Cropper & Bor, 2018). Leur émergence rend nécessaire la recherche de règles et de routines qui garantiront le succès d’un partenariat lorsqu’elles seront appliquées à leur gestion. Pour que le partenariat produise les meilleurs résultats, il est nécessaire de développer des mécanismes favorisant la communication entre les partenaires, la prise de décision et la mise en oeuvre. C’est pourquoi des accords sont conclus entre les partenaires, qu’ils soient formels ou non (Frączkiewicz-Wronka & Wronka-Pośpiech 2018).

Le modèle iad : un outil d’analyse des biens communs

Le cadre d’analyse et de développement institutionnels IAD a été créé par Kiser and Ostrom (1982), puis enrichi par de multiples apports par Eleonor et Vincent Ostrom en collaboration avec d’autres chercheurs (Ostrom et al. 1994; Hess & Ostrom 2006, Ostrom, 1986, 1990, 2005, 2010, 2019). Le modèle IAD est un langage général sur la façon dont les règles, les conditions physiques et matérielles, et les attributs de la communauté affectent la structure des scènes d’action, les incitations auxquelles les individus sont confrontés, et les résultats qui en découlent. Ostrom (Ostrom et al. 1994) appelle « scène d’action » les acteurs qui interagissent dans un espace social appelé « situation d’action ». La situation d’action est la composante centrale du cadre de l’IAD, dans laquelle les individus (agissant de leur propre chef ou en tant qu’agents d’organisation) observent des informations, choisissent des actions, s’engagent dans des schémas d’interaction et obtiennent des résultats de leur interaction (Ostrom, 2019). Dans ce modèle, trois facteurs externes affectent la scène d’action :

  1. La caractéristique physique du bien commun qui n’est pas seulement lié à son environnement naturel, car Ostrom ne se limite pas aux analyses des ressources naturelles. Elle donne l’exemple du « savoir » comme bien commun composé d’éléments aussi bien humains que non humains. Dans ce cas, idées, artefacts et installations constituent la caractéristique « physique » de ce bien commun. (Hess & Ostrom 2006).

  2. Les principaux attributs d’une communauté qui concernent les normes de comportement et les valeurs généralement accepté dans la communauté, le niveau d’homogénéité dans les préférences de ses membres, la taille et la composition de la communauté concernée, ainsi que le capital social (ressources sociales sur lesquelles un individu peut s’appuyer pour obtenir un soutien en cas de besoin) (Ostrom, 2019).

  3. Sept types de règles qui peuvent affecter la situation de l’action : 1. Les règles de délimitation d’entrée et de sortie de la situation 2. Les règles de position liées aux fonctions de chaque acteur; 3. Les règles d’information qui spécifient les canaux de communication; 4. Les règles d’autorité qui précisent quelles actions sont attribuées à une position dans un noeud.; 5. Les règles d’attribution du contrôle définissent le niveau de contrôle des individus sur les actions.; 6.Les règles de cadrage des usages des ressources; 7. Les règles de paiement qui spécifient comment les bénéfices et les coûts doivent être distribués aux acteurs en position.

L’analyse des acteurs et des situations d’action spécifiques permet de montrer comment les décisions et les comportements entraînent tel ou tel résultat. Les interactions peuvent être conflictuelles, influencées par la hiérarchie, mal ciblées ou irréfléchies à cause de l’attitude négligente des acteurs. Cependant elles peuvent aussi être fructueuses, positives et motivantes et les résultats peuvent ainsi, être positifs ou négatifs (Foster & Iaione, 2019).

Problématique et méthodologie

Notre recherche exploratoire vise à investiguer le processus de construction d’un bien commun dénommé « l’hospitalité constructive » afin de répondre à la problématique suivante : Sur quels types de relations de coopération (interactions) et de règles d’autogouvernance repose la construction du bien commun ?

graphique 1

Le modèle IAD

Le modèle IAD
Source : Ostrom et al. 1994

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La méthodologie appliquée est celle d’une étude de cas unique longitudinale d’un projet d’habitat transitoire que l’association « Quatorze », regroupant un collectif d’architectes et d’urbanistes, conduit. Aujourd’hui diverses associations (Plateau urbain, Alynea, Caracol…). apparaissent pour gérer des tiers lieux[3] Quatorze se distingue de ces associations car elle fait preuve de recul dans l’analyse de sa mission et est relativement précurseur dans ce domaine, d’où notre choix de l’étudier.

Schématiquement, la méthode des cas est utilisée dans deux situations : dans la première, le cas unique a pour objet l’illustration d’une théorie, et dès lors, la question de la véracité s’applique à la théorie et non à son illustration. Dans la seconde, le cas unique a pour objet la mise en évidence d’un fait nouveau, d’une observation inattendue et la question de la véracité s’applique au cas unique lui-même. (Lesieur, 1996). Le projet de Quatorze est de co-construire, des habitats temporaires destinés aux populations vulnérables. Le cas va apporter un nouvel éclairage concernant la construction du bien commun, en spécifiant les formes de relations de coopération et les règles d’autogouvernance instaurées et acceptées par les différentes parties prenantes. L’analyse du cas suit la logique du modèle IAD et illustre les principes fondamentaux de la gestion des ressources des biens communs (Ostrom 1990, Hess & Ostrom 2006).

Pour réaliser ce cas nous avons mobilisé des sources secondaires, externes (articles de presse et informations sur les sites web des différents acteurs) et internes (les rapports d’activité de Quatorze). Les données primaires ont été collectées grâce aux entretiens semi-directifs conduits entre février 2019 et juillet 2022 avec le fondateur et la chargée de projet de Quatorze et grâce aux nombreuses réunions auxquelles un des auteurs a pu participer avec Quatorze en tant qu’observatrice bénévole sur différents projets. Pour les entretiens nous avions un guide construit à partir des concepts d’Ostrom, que nous avons expliqués (pour ne pas dire traduits) aux interviewés. Lors des réunions nous avons pris des notes que nous avons complétées avec les données secondaires et les entretiens.

Nous avons réalisé une analyse nethnographique (Kozinets 2002) sur Facebook, au cours de la période 2017- avril 2023 de la communauté IMBY[4] de celle de Quatorze (leader du projet IMBY) et du Samu Social de Paris (un des partenaire principal). Nous avons exploré à la fois les contextes, les contenus et les processus, ainsi que leurs interactions au cours du temps (Pettigrew et al., 2001). Plus particulièrement, nous avons analysé les verbatims spontanés des membres de la communauté (acteurs) concernant la création des lieux et les formes de discussion (arènes) ainsi que les verbatims de bénévoles exprimant les raisons de leur engagement dans le projet (bénéfices des acteurs). Ceci nous a permis d’identifier le réseau des partenaires de l’association. Nous avons, de plus, analysé les hashtags sur Facebook de Quatorze considérant qu’il s’agit d’un outil de communication souvent utilisé sur le site de l’association. Les hashtags permettent de marquer un contenu avec un mot-clé afin de partager ce contenu avec les personnes qui ont les mêmes intérêts. Ils reflètent souvent les attributs de la communité : les valeurs par exemple comme la coopération ou la solidarité ou les centres d’intérêt comme l’habitat transitoire ou l’insertion des réfugiés. A la fin de la démarche, nous avons réalisé une triangulation des données netnographiques (les postes sur Facebook des trois communautés virtuelles analysés) en croisant les données venant des entretiens et des données secondaires.

L’hospitalité constructive : l’analyse du bien commun

La situation d’action

Le projet, IMBY consiste à installer des tiny houses (petites maisons de 20 m2) dans le jardin d’un particulier volontaire pour accueillir des réfugiés. La tiny house est une petite maison écologique et durable, mise à disposition d’un réfugié pendant deux ans, gratuitement. À la fin de cette période, l’accueillant peut renouveler l’accueil ou bien sortir du dispositif. Ce particulier s’engage dans une démarche citoyenne d’accueil « par et chez lui ».

Au-delà de la mise à l’abris, l’objectif poursuivi par le projet IMBY est de faciliter l’insertion des bénéficiaires avec l’aide de l’hôte et de construire un projet de vie personnel grâce au suivi social et professionnel avec l’aide de différents partenaires. D’où l’appel à une association chargée du suivi social qui assure un accompagnement psychologique, une aide à l’insertion professionnelle, à l’accès aux formations, un accompagnement vers un logement pérenne et un soutien dans l’accès aux droits (RSA, CMU...).

Les acteurs

L’association Quatorze : chef de file du projet

L’association Quatorze, créée en 2007, transmet, développe et promeut des architectures sociales et solidaires pour des territoires agiles et résilients. Elle mène des projets de conception et de construction qui allient les trois piliers du développement durable : social, environnemental, et économique. Travaillant sur des situations de bidonvilles, d’espaces publics institutionnels, autant que d’espace communs, Quatorze porte une vision d’architecture mutuelle, plaçant les habitants au centre des projets. L’association est gérée par le Conseil d’administration avec sa présidente et 5 autres membres. L’équipe opérationnelle est composée de 7 architectes, 1 urbaniste, 1 économiste, 1 charpentier, 1 chef d’atelier, une administratrice et 3 stagiaires. Romain Minod, fondateur de l’association définit l’objectif de Quatorze dans le projet de la façon suivante : « Quatorze, prend le prétexte de la construction d’objet architecturaux pour coconcevoir coconstruire et cogérer des lieux qui permettent l’accueil. […] Elle met en commun en général, un bout de jardin mais aussi du temps disponible, du réseau social, on n’est pas que sur l’espace physique, on est aussi sur l’espace social et temporel » (in site internet de l’association Quatorze).

Les bénéficiaires

Les personnes accueillies dans le projet IMBY (personnes réfugiées) ont été identifiée et ensuite accompagnées dans le cadre du programme ELAN du Samu Social de Paris, qui les aide à définir un parcours de vie pour ensuite trouver un emploi et un logement pérenne.

Les partenaires

L’association a recours à de nombreux partenaires, comme le Samu Social de Paris pour le suivi social, des ONG, des entreprises fournisseurs des matières premières utiles à la construction, des institutions d’enseignement supérieur ainsi qu’à des institutions publiques (collectivités locales, la DIAIR par exemple). L’objectif est, pour la plupart du temps, la recherche de compétences complémentaires, ainsi que de ressources potentielles (partenariat avec les organismes publics). Le tableau 1 présente le nombre de partenaires par catégorie.

Le projet est analysé en amont en fonction des tâches à accomplir et des compétences nécessaires à la réalisation du projet. La sélection des partenaires est basée ensuite sur l’adéquation et la complémentarité des compétences entre les acteurs. « Il est important de bien cartographier les différents acteurs dont le projet a besoin ou plus précisément les acteurs qui seront impactants et impactés par le projet, donc là c’est plutôt en regardant où on a besoin de compétence qui ne sont pas dans la cartographie des acteurs qu’on va chercher des nouveaux acteurs » explique le président de l’association.

Tableau 1

Les partenaires de l’association Quatorze

Les partenaires de l’association Quatorze
Source : Elaboration propre sur la base des informations sur le site internet : http://Quatorze.cc/

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Les caractéristiques « physiques » du bien commun

Dans le cas de Quatorze le logement transitoire est un bien tangible. La fabrication de la tiny house est réalisée à partir d’éco-matériaux et est optimisée de manière à consommer peu d’énergie. Mais l’association ne se limite pas seulement à la construction d’une tiny house écologique, elle organise tout l’écosystème basé sur le partenariat qui permet aussi de proposer des biens communs intangibles comme l’accompagnement vers l’intégration d’une personne logée (l’espace social et temporel).

Les attributs de la communauté

La communauté est assez large (le site internet de IMBY est suivi par 2300 personnes, 2100 personnes « aiment » le projet) et de dimension internationale (plusieurs postes sont en français et certains dans d’autres langues). Les champs d’engagement de la communauté peuvent être classés autour des thématiques d’habitat solidaire et écologique ainsi que de l’inclusion des personnes vulnérables (femmes, refugiés, mineurs en difficultés). L’attribut de cette communauté est aussi une communication non-violente qui repose sur les échanges entre acteurs dans le but de trouver un consensus pour construire ou gérer un bien commun : « La manière qu’on a de procéder pour la plupart des sujets c’est d’avoir des discussions communes en groupe, on regarde s’il y a un besoin d’arbitrage et par qui (gouvernance, direction, groupe) » explique R. Minod. Les valeurs misent en avant sont : la solidarité, le partage, la coopération, la co-construction, la bienveillance, la tolérance. L’analyse des hashtags de Quatorze fait apparaitre les mêmes attributs. (voir tableau 2)

Les règles en vigueur

La nature du bien commun (l’hospitalité constructive) implique des règles formelles très pointues basées sur le droit de propriété et le code de l’urbanisme. En outre, concernant le cadre institutionnel, Romain Minod précise : « On travaille sur l’un des fondements de la République, sur le droit de propriété qui constitutionnellement est très haut, plus haut même que le droit au logement, donc on est bien obligé de suivre tout le cadre juridique qui a été mis en place depuis de nombreuses années pour la protection de la propriété privée. »

De par son fonctionnement, le dispositif contient les 7 catégories de règles définies par Ostrom, Cependant l’émergence de ces règles est spécifique au projet. Quatorze en tant que chef de file du projet occupe une position très particulière : c’est l’association qui définit les règles de délimitation, concernant l’entrée dans le projet (elle a le dernier mot au niveau du choix des partenaires et du choix des publics cibles). En revanche la sortie est, par principe, libre pour tous les acteurs. Les règles d’agrégation sont aussi établies, même si cela s’opère de façon implicite par l’association. C’est Quatorze qui a introduit le modèle d’organisation de la communauté dans lequel domine la gestion par consentement. « Cela dépend des différents partenaires, mais très clairement notre modèle d’organisation de la décision est la gestion par consentement. C’est arriver à bien clarifier l’arbitrage nécessaire et la proposition faite sur l’arbitrage nécessaire avec différents tours de parole qui peuvent être des paroles écrites ou orales, en tout cas c’est par la clarification que l’on va arriver à ce que des objections à la prise de décision puissent être levées, c’est à dire être rendues publiques. De ces objections, on essaie de reformuler la proposition d’arbitrage jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’objection. Et donc du coup que l’on obtienne du consentement » se félicite R. Minod.

Tableau 2

Les catégories thématiques des hashtags : les attributs de la communauté

Les catégories thématiques des hashtags : les attributs de la communauté
Source : Elaboration propre sur la base de Facebook de l’association Quatorze : https://www.facebook.com/quatorze.cc

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Les règles d’autorité qui précisent quelles actions sont attribuées à chaque acteur sont proposées par Quatorze, mais ensuite discutées avec les acteurs. Puis, elles sont très souvent formalisées dans les conventions de partenariat. Par exemple, la convention de partenariat signée entre Quatorze et le Samu social permet de bien spécifier les rôles de chaque institution. Elle précise aussi la répartition des bénéfices et des coûts (obligations ou coûts financiers) entre les partenaires (les règles de paiement). « Le cadre n’est pas forcément mauvais puisqu’il permet de s’inscrire dans un cadre conventionné avec les différents acteurs des projets. Il y a différents types de conventions qui interviennent : des conventions entre l’association et la personne qui accueille dans la disposition du site. On a une convention entre la personne qui héberge et la personne hébergée, qui est tripartite avec les personnes en charge du suivi social, dans ce cadre-là on est dans du droit privé » confirme R.Minod.

Au niveau des règles de position, chaque acteur suit son propre système de gouvernance et d’organisation qui spécifie l’ensemble des fonctions à l’intérieur de l’organisation. Il peut donc facilement adapter son système de management à l’évolution de la structure ou à la spécificité du projet. « Quand on n’était pas beaucoup donc on n’a pas été très opérant, on a travaillé sur le format de codirection ou là pour le coup la cohésion de la codirection n’a pas permis que l’on continue ce type d’organisation. Là aujourd’hui on est sur une forme de direction générale qui est comprise comme une direction de support c’est-à-dire qu’on essaie de décorréler le pouvoir et l’autorité. » poursuit R.Minod.

Les canaux de communication entre les acteurs et le type d’informations à partager (les règles de communication) au niveau du projet sont définies aussi par Quatorze, ensuite les informations opérationnelles sont gérées par les structures de façon indépendante.

Dans la gestion des ressources humaines de l’association, le code du travail est toujours une référence juridique incontournable : « On est dans un cadre institutionnel (code civil, code de travail,) mais nous n’avons pas éprouvé le besoin d’avoir un code supplémentaire. » En revanche la communauté essaye de limiter les règles organisationnelles formelles (écrites) : « On n’ajoute pas de règles car celles qui sont présentes sont déjà assez lourdes ».

Interactions : la construction d’interaction, via la construction de la participation

L’objectif de l’association est de mener des projets d’architecture et d’urbanisme en co-conception et en co-construction. Le préfixe montre que la volonté de Quatorze est de mettre en relation des acteurs et qu’au-delà de tisser des liens entre ces acteurs, cette mise en relation vise à produire un bien. Pour ce faire, dans un premier temps, des ateliers collectifs de co-conception sont mis en place Le début du travail est réalisé dans des sous-groupes puis une mise en commun est ensuite opérée. Le but est de faire émerger les besoins des futurs habitants et de les traduire en programme fonctionnel (programme en architecture). Puis, Quatorze incite les publics bénéficiaires à participer aux chantiers de construction des tiny houses. La construction en chantiers participatifs permet aux participants de se rencontrer, d’apprendre et de s’intéresser aux problématiques d’éco-construction et d’accueil. Le montage sur site est l’occasion de chantiers participatifs interculturels avec des participants réfugiés et non réfugiés. Ces chantiers permettent aussi d’expliquer et d’introduire le projet dans le quartier. Les participants et les encadrants sont aussi des médiateurs, qui répondent aux questions des voisins lors du chantier. (voir tableau 3)

Tableau 3 

Les fonctions de chef de file du projet

Les fonctions de chef de file du projet
Source : Elaboration propre sur la base des entretiens avec le président de l’association

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Le projet repose sur différents acteurs impliqués, qui sont les parties prenantes du projet, à savoir les habitants, associations, collectifs mais aussi commanditaires, élus, services techniques, bénévoles… Quatorze travaille en collaboration « avec » et non pas uniquement « pour » en donnant des clefs d’analyse, de création et d’éco-construction. Les dirigeants de Quatorze passent ainsi du rôle de « sachant » à celui de « faisant avec ».

La délégation de pouvoir vers les partenaires, qui dépend donc des compétences des acteurs, peut être totale dans certains domaines comme l’accompagnement social. Pourtant, cela ne signifie pas que le chef de projet n’exerce pas son rôle de leader. (voir tableau 4). Le rôle du porteur et coordinateur du projet d’hospitalité n’est pas seulement d’apaiser les tensions, mais d’expliquer le projet, de clarifier les conditions de déroulement du dispositif. Le chef de fil du projet veille aussi implicitement au respect de normes sociales de la communauté (la communication non-verbale, la confiance, la réciprocité, la bienveillance ainsi qu’il peut recourir aux règles formelles (juridique) si le consensus n’a pas été obtenu. Mais l’acteur a toujours le choix de ne plus participer au projet : « In fine lorsqu’on a une objection ou une objection persistante ça veut dire qu’on n’est pas d’accord, et si on ne l’est pas il est possible aussi de se dire qu’on ne va pas travailler ensemble. » conclut R.Minod.

Résultats du projet IMBY

Les résultats tangibles incluent le nombre de tiny houses installées et le nombre de personnes vulnérables accompagnées et intégrées dans la société. « Ça a été installé aujourd’hui sur 8 terrains (IMBY). La 9ème est en cours, et il y a eu des réinstallations de maisons parce qu’il y a des personnes qui ont mis à disposition un terrain et qui ensuite l’ont vendu ». En revanche les interactions dans la communauté et les bénéfices individuels de chaque acteur sont difficilement mesurables. Pour certains c’est la satisfaction individuelle liée au fait de participer à un projet d’intérêt général, pour d’autres c’est d’être solidaire et d’aider les personnes réfugiées. (voir le tableau 4 ci-dessous avec les paroles de bénévoles)

Tableau 4 

Les bénéfices individuels de participation au projet : paroles de bénévoles

Les bénéfices individuels de participation au projet : paroles de bénévoles
Source : Elaboration propre sur la base de Facebook IMBY

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Les principes fondamentaux de la gestion des biens communs

Dans la gestion du projet nous retrouvons les huit principes fondamentaux décrits par Ostrom (1990), le tableau 5 illustre ces principes avec les verbatims de R. Minod.

Le système possède des frontières clairement définies dans la convention de partenariat et dans le Cahier des charges de la gestion locative. Le groupe gestionnaire et des usagers est clairement délimité dans la construction du bien et l’accès est libre (principe 1 : frontières délimitées). Les règles sont établies sur la base de discussions, dans la recherche de consentement. Les conventions de partenariat et le Cahier des charges de la gestion locative précisent les responsabilités de chaque partie-prenante. Le bien commun (la tiny house) est attribué en fonction des besoins, à un moment donné. Les règles internes de la communauté sont modifiables en fonction de la situation, ce qui permet aux différents acteurs d’être réactifs et de s’adapter facilement aux nouveaux contextes (principe 2 : règles concordantes).

Les utilisateurs directement concernés par les règles opérationnelles de gestion peuvent participer au processus de formulation de ces règles en participant à différentes instances : le comité technique, le comité de pilotage, les réunions des habitants. De plus, de multiples arènes informelles (séminaires, ateliers, conférences, temps d’échange, enquêtes) de discussion sont créées par les différents acteurs et proposées de façon ouverte par le biais de réseaux sociaux. (voir tableau 6)

Les utilisateurs (bénéficiaires) sont encouragés à prendre des initiatives dans la vie quotidienne de la communauté. Les nouveaux projets sont régulièrement proposés par les acteurs opérationnels car, étant sur le terrain, ils sont capables de détecter les besoins réels (principe 3 : l’existence d’arènes de discussion).

Il existe un système de suivi et de surveillance des utilisateurs de tiny houses qui joue un rôle de mécanisme de médiation. Il est établi sous la forme d’un accompagnement personnalisé par une ONG en charge du suivi social. Des sanctions pour les usagers existent dans les dispositifs mais elles ne sont pas graduelles. Dans le cas du non-respect du règlement intérieur par une personne qui habite la petite maison, des sanctions sont prévues, comme par exemple la possibilité de sortie du dispositif. Les autres acteurs se réfèrent au Code du travail et dans les cas extrêmes, le licenciement peut être envisagé. Il n’y pas de sanctions explicites dans les conventions de partenariat entre les autres acteurs. La liberté des acteurs de quitter le projet est une sanction implicite. La nécessité d’un système de contrôle lié aux sanctions est pourtant évoquée mais le mot « sanction » gène les acteurs et au niveau de la gestion RH, les normes sociales de bienveillance priment (principes 4 et 5 : surveillance et sanctions).

Il existe des techniques de résolution des conflits utilisées par l’association Quatorze qui l’applique dans la gestion du projet comme des méthodes de communication non violente plus spécifiquement celle du cercle restauratif (principe 6 : résolution des conflits). Chaque acteur s’auto organise, il n’est soumis à aucun des systèmes de tutelle d’Etat, ni d’autres acteurs. Néanmoins, il doit respecter le cadre juridique. L’acteur est totalement libre dans le choix de participer au projet ou pas (principe 7 : droit à s’auto organiser). Le projet intègre la participation de plusieurs acteurs avec différents niveaux de responsabilité et des compétences variées. Les instances appropriées sont donc créées en fonction des besoins opérationnels (principe 8 : unités imbriquées).

Tableau 5

Les principes fondamentaux de la gestion des biens communs (verbatims)

Les principes fondamentaux de la gestion des biens communs (verbatims)
Source : Elaboration propre sur la base des entretiens avec le président de l’association.

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Tableau 6

Arènes informelles et les partenaires : exemple des verbatims

Arènes informelles et les partenaires : exemple des verbatims
Source : Elaboration propre sur la base de Facebook Quatorze.

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Discussion

L’organisation du projet relatif à l’hospitalité constructive suit implicitement six principes d’Ostrom, ce qui permet d’établir des relations de coopération durables. La communauté du projet construit de manière relativement autonome des systèmes de règles, des « modes de gouvernance » adaptés aux problèmes précis auxquels ils sont confrontés. L’Etat peut être un partenaire dans le projet mais il n’exerce aucune tutelle sur les acteurs. De plus, les règles qui sont attribuées dépendent également des individus qui y vivent. Ce sont eux qui, de façon égalitaire et démocratique, instituent leurs principes collectifs. Cette manière de produire des biens communs est, comme l’écrivent Dardot et Laval (2010), liée à un engagement civique répondant à une nécessité du « respect des normes de réciprocité, [et] suppose des rapports égaux et des modes d’élaboration démocratiques des règles. Ces règles, comme le dit Defalvard (2017, p.45-46), répondent aux trois idées « exit, voice, loyalty » (Hirshman 1970), c’est-à- dire que les habitants « doivent être en mesure de [les] refuser (exit), des [les] discuter (voice) ou de [les] choisir réellement (loyalty) ». Dans le cas de l’hospitalité constructive les acteurs ont, non seulement, la possibilité de discuter et de prendre les décisions, mais ils sont régulièrement incités à le faire. La multitude « d’arènes » permettant le débat et les choix collectifs est un point central du système de gestion de ce bien commun. Les lieux d’échanges informels tels que les séminaires, les ateliers, les rencontres, le débats, dominent, même si les réunions des instances formelles (Assemblée Générale, Comité technique, Comité de pilotage…) répondent aux besoins du « terrain » en appliquant les initiatives des collectifs locaux. Dans la gestion des tiny houses les systèmes de résolution de conflit basés sur la communication non-violente du cercle restauratif est considéré comme efficace. En revanche, le système de sanction ne correspond pas aux conseils d’Ostrom (1990) qui prône l’établissement de ce type de système pour éviter une utilisation abusive de la ressource.

Les sanctions ne sont pas graduelles, ni ne dépendent de la gravité de la transgression des règles. Les conventions de partenariat incluent une clause de sortie du dispositif qui reste très général. Pour les usagers, la clause peut être évoquée dans le cas du non-respect des règles. Les partenaires peuvent considérer également cette clause comme une sanction dans le cas ou, à cause d’un conflit, lié par exemple au manquement dans l’application d’un accord, une des parties décide de se retirer du projet. La communauté, dont les attributs sont la bienveillance, l’entraide et le dialogue, considère les sanctions comme une situation exceptionnelle. Les interactions sont basées sur la confiance et la solidarité, la coopération ne devant pas reposer essentiellement sur un rapport de force qui comprendrait des menaces (sanctions).

Nous remarquons aussi que l’organisation de la communité du projet évolue et les méthodes de gestion dont les règles et les relations de coopérations changent dans le temps. Les partenaires apprennent et modifient leurs manières de fonctionner, ce qui correspond au propos d’Ostrom « la seule hypothèse raisonnable que l’on peut formuler sur les processus de calcul et de découverte est que les acteurs sont engagés dans un apprentissage fondé sur un grand nombre d’essais et d’erreurs » (Ostrom, 1990, p. 34).

Nous observons plusieurs éléments nouveaux au niveau des relations de coopération entre les acteurs, non mentionnés par Ostrom, que nous considérons pourtant comme essentielles pour accomplir les actions collectives et co-construire un bien commun. La relation de coopération entre les acteurs repose sur le rôle crucial de Quatorze en tant que chef de file du projet. La coordination des actions des nombreux partenaires demande un engagement et un leadership fort, aussi bien au niveau de la prise de décision, que de la résolution des conflits et du respect des règles et des normes. Le deuxième élément spécifique observé est l’organisation qui s’appuie sur la complémentarité des compétences des partenaires. Cela permet la co-construction dynamique avec les parties prenantes disposant de ressources et compétences variées ou chaque partie met sa pierre à l’édifice. Cette organisation est possible grâce à la définition très précise des missions de chaque acteur et à la délégation du pouvoir décisionnaire dans la limite du champ d’action de la mission. Cette liberté d’action au niveau opérationnel permet aux acteurs d’être agiles et d’adapter rapidement les règles internes et leurs décisions aux changements de leur environnement socio-économique. La liberté permet aussi de proposer et de tester le concept et les méthodes innovantes d’organisation et de conception des tiny houses.

Dans notre étude, l’habitat transitoire est installé chez les habitants qui participent aux projets et est géré par les associations avec l’aide des partenaires. La relation de coopération repose sur la co-conception et la co-construction et donc sur une méthode participative formalisée sous forme de partenariat. Après les échanges informels, le partenariat est contractualisé par une convention de partenariat qui précise les missions de chaque acteur ainsi que les règles à respecter. Chaque élément de la convention a été débattu et finalement est le fruit d’un consensus. Les relations entre les partenaires sont dénuées de toutes considérations économiques. Il ne s’agit pas de faire du profit mais bien de construire un bien commun. Les acteurs retirent de la satisfaction dans la production conjointe du bien qui enrichit leurs pratiques. De plus, la notion de participation implique alors l’idée d’engagement, à la fois dans la réalisation du logement et dans sa régulation quotidienne. La participation aux chantiers participatifs crée une opportunité d’inclusion des personnes vulnérables, c’est aussi l’occasion de nouer des liens entre les habitants du quartier, les associations et les bénéficiaires.

La gestion efficace des biens communs par des collectifs locaux suppose la définition de règles entre les parties prenantes. Au sein du dispositif, les sept types de règles d’Ostrom sont facilement indentifiables. Ce qui importe pour Ostrom est l’implication des acteurs dans l’élaboration et la surveillance du bon respect des règles. Le chef de file du projet organise le système de coopération et de règles en choisissant les acteurs en fonction des compétences nécessaire au projet et, surtout, en délégant le pouvoir décisionnaire aux acteurs. Il propose le cadre qui inclue les règles d’agrégation et d’autorité. Ce dernier est ensuite discuté avec les membres des communautés. La version finale des règles communes est obtenue par un consensus dans le processus de gestion par consentement. Les règles opérationnelles (règles de position) sont définies par chaque acteur qui applique son propre système de gouvernance en spécifiant un ensemble de fonctions à l’intérieur de l’organisation. La participation des acteurs au processus d’émergence et au système de contrôle des règles permet l’appropriation et l’acceptation des règles résultant de la compréhension de la finalité de ces dernières.

Conclusion

Le cadre proposé par Ostrom (1990, 2010) a été utilisé pour analyser les relations de coopération et les règles d’autogouvernance permettant la construction du bien commun tel que l’hospitalité constructive. Cette analyse a mis en évidence la diversité des arrangements institutionnels d’autogouvernance (instances, règles formelles et informelles, normes sociales) construits par la communauté du projet, et surtout le fait que ces arrangements ne relèvent strictement, ni du marché, ni de l’État. Selon nos résultats l’élément clé de la démarche est le rôle crucial du chef de file du projet, qui encadre la coopération en choisissant les acteurs et définit avec eux leurs missions et les règles communes.

La forme dominante des relations de coopération entre acteurs est le partenariat social qui permet la co-construction d’un bien commun et un management entrepreneurial des partie-prenantes. Les partenaires établissent leurs propres règles de fonctionnement qui, ensuite, peuvent être formalisées dans une convention de partenariat. Le partenariat social est bien adapté à la coopération entre les associations car il peut combler le manque de ressources et permettre différents partenariats, simultanés, selon la nature des projets. La flexibilité et la possibilité d’avoir différents degrés de formalisation du partenariat encourage l’initiative individuelle et nous parait limiter l’apparition de conflits.

Les résultats de notre étude relatifs aux avantages des partenariats, à la nécessité d’établir des règles, à la force du dialogue et du consensus par consentement, peuvent être inspirants pour les managers d’institutions non lucratives. Certains éléments de l’organisation des relations de coopération (le rôle primordial du chef de fil, la stimulation à créer des innovations entre les partenaires sociaux, la souplesse organisationnelle, le fort engagement des acteurs) peuvent aussi enrichir la théorie des réseaux d’entreprises plus capitalistiques, en particulier dans le cadre de leur démarche RSE.

Notre recherche étant exploratoire, nous ne pouvons pas généraliser les résultats. Notre analyse est essentiellement centrée sur l’association Quatorze qui porte le projet et l’étude aurait pu être enrichie par les opinions des partenaires de l’association. Une étude plus approfondie de l’émergences des normes sociales ou une analyse plus fine des partenaires pourraient constituer des pistes de recherches futures.