Résumés
Résumé
Les entrepreneurs se veulent une promesse d’avenir dans des territoires industriels en crise. Nous en identifions deux types : les entrepreneurs de continuité, qui promettent le regain industriel et les entrepreneurs de rupture, qui associent renouveau à croissance verte. Ces figures prometteuses peuvent-elle réparer aujourd’hui ce que la destruction créatrice et la mondialisation ont détruit. Nous proposons ici une analyse des discours dans le cas de la Lorraine de l’acier avec Gandrange et Florange. Nous insistons sur le caractère à la fois idéologique et indécis du débat sur l’industrialisation, l’entrepreneur et sa promesse. Ce débat se centre sur l’action d’un seul homme, figure providentielle. Il en reste au stade d’une promesse à laquelle il est loisible à chacun de croire ou pas.
Mots-clés :
- entrepreneuriat,
- industrie,
- territoires sinistrés,
- promesse,
- analyse critique du discours
Abstract
Entrepreneurs embody a promise for the future in territories in industrial crisis. We identify two types of entrepreneurs: continuity entrepreneurs, who promise industrial revival and disruptive entrepreneurs, who promise a green growth. Can these figures now repair what creative destruction and globalization have destroyed? We propose an analysis of the discourses around these entrepreneurial promises in the case of the Lorraine steel industry in Gandrange and Florange. We emphasize the highly ideological and indeterminate nature of the debate on industrialization and its promises for society, between deindustrialization, reindustrialization and the great environmental transition. This debate focuses on one man’s action, a providential figure and the promise remains a matter of personal belief.
Keywords:
- entrepreneurship,
- industry,
- disaster areas,
- promise,
- critical discourse analysis
Resumen
Los empresarios mantienen la promesa de futuro en zonas industriales en crisis. En identificamos dos tipos: emprendedores de continuidad que prometen la reactivación industrial, y emprendedores disruptivos que que combinan la renovación con el crecimiento ecológico. ¿Pueden estas prometedoras figuras reparar lo que la destrucción creativa y la globalización han globalización han destruido. Proponemos aquí un análisis del discurso en la región siderúrgica de Lorena de Gandrange y Florange. Destacamos el carácter ideológico e indeciso del debate el empresario y su promesa. Este debate se centra en la acción de un solo hombre, una figura providencial. figura providencial. Se queda en el estadio de una promesa de creer o no.
Palabras clave:
- iniciativa empresarial,
- industria,
- zonas catastróficas,
- promesa,
- análisis crítico del discurso
Corps de l’article
La Commission d’enquête qui remet son rapport à l’Assemblée Nationale le 19 janvier 2022 dresse, après d’autres sources officielles, un bilan du déclin industriel de la France[1]. Faisant écho au rapport Kasbarian de 2019 et à des constats antérieurs comme les rapports Faure (2012) et Bocquet (2013), il s’inquiète d’une crise industrielle depuis cinquante ans : « La France a (…) connu un déclin industriel particulièrement marqué. (…) Le nombre d’emplois industriels et la part de la valeur ajoutée industrielle dans le produit intérieur brut (PIB) ont été divisés par deux en 50 ans. » (2022 : 36) »
Il oppose la situation des secteurs industriels traditionnels et les nouveaux secteurs liés à l’environnement, nuançant ainsi le constat de déclin (2022 : 37)[2]. Il n’en reste pas moins que, malgré cette situation contrastée, le rapport dresse un tableau sombre de la situation française au regard des pays européens observant que : « Cette évolution globale vers la désindustrialisation est bien plus marquée en France que dans les économies comparables. (qui) se présente comme l’économie la plus désindustrialisée du G7 avec celle du Royaume-Uni. » (2022 : 38). Ce rapport comme les précédents insiste sur la nécessité de favoriser l’initiatives entrepreneuriale à la fois pour redynamiser des secteurs en déclin comme la sidérurgie et pour s’engager dans de nouveaux secteurs comme l’environnement et les énergies vertes.
Le cas de Florange, usine sidérurgique située dans le Val de Fensch en Moselle, la partie française de la région transfrontalière de la Lorraine de l’acier, a été érigé depuis 2006, date de la reprise du groupe Arcelor par Lakshmi Mittal, en symbole de cette crise industrielle dont l’Etat se fait fort de sortir par le haut. Dans ces années, la solution n’est plus de nationaliser mais d’investir en stratège (Dufourcq, 2022). A cette occasion, le rôle de l’entrepreneur est apparu comme providentiel dans la mesure où c’est lui qui négociait avec les investisseurs publics et privés les conditions du maintien, de la cessation ou de la reprise d’activités en fonction des cycles du marché mondial. C’est aussi lui qui apportait des solutions innovantes désordre environnemental causé par l’industrie lourde, ouvrant ainsi des perspectives de croissance verte. Vingt ans après et au regard du rapport Kasbarian, dans quelle mesure peut-on dire que la promesse entrepreneuriale s’est réalisée ?
Dans cet article, nous présentons la situation actuelle des sites de Gandrange et Florange dans la période 2010-2022 du point de vue de débat dans les assemblées et dans la presse écrite. Nous nous centrons tout particulièrement sur les trois dernières années, moment où une forme de silence sembla s’abattre sur le sujet, silence qui nous poussa à aller recueillir nos informations par une enquête de terrain. Nous identifions des promesses de réindustrialisation, les uns dans le secteur sidérurgique à Florange, les autres dans le domaine des énergies vertes et de la dépollution à Gandrange, un site qui a été l’objet de déprise industrielle dans les années 2000 afin de concentrer les activités de production à Florange. Ces promesses émanent de figures entrepreneuriales distinctes : l’entrepreneur de continuité et l’entrepreneur de rupture. Nous cherchons à répondre à trois questions présentes dans le débat public : Que promet l’action des entrepreneurs sert-elle d’après les observateurs ? Quelles attentes s’expriment à l’endroit des entrepreneurs de continuité et des entrepreneurs de rupture sur un même territoire et ces attentes sont-elles compatibles ? Quelle perspective d’avenir les entrepreneurs incarnent-ils pour les territoires industriels en crise à l’heure de la mondialisation ?
Nous présentons d’abord la figure de l’entrepreneur providentiel, porteur de promesses de solution à la crise du capitalisme industriel en lien avec l’Etat stratège. Nous proposons une mise en perspective des sites de Florange et Gandrange avant la période récente sur laquelle nous portons plus spécifiquement notre attention afin de situer les débats et les promesses qui accompagnent l’action des entrepreneurs localement. Alors qu’à Florange, c’est la promesse d’un entrepreneuriat poursuivant la tradition industrielle dans l’acier, à Gandrange, un entrepreneuriat de rupture se propose de faire du passé table rase par le biais d’une industrie verte et un accent tout particulier mis sur la dépollution. Nous présentons ensuite le coeur de notre analyse portant sur la figure médiatique de l’entrepreneur et ses promesses, qu’il se situe dans la continuité ou en rupture. Enfin, nous proposons une réponse aux trois questions initiales à la lumière de notre analyse critique du discours médiatique sur la crise industrielle et la réindustrialisation. Nous posons l’hypothèse d’une indétermination constitutive dans la promesse de l’entrepreneur. Cette indétermination caractérise l’ordre du discours, le cadre culturel qui prévaut dans le débat public. Cette promesse plurielle et floue suscite à la fois l’espérance et l’amertume parmi les personnes concernées par la crise industrielle. Notre hypothèse est que, faute de proposer de solution pérenne, elle permet surtout de manifester une présence sur des territoires en déprise industrielle où l’intervention publique semble en retrait. Ainsi l’entrepreneur fait-il succéder aux cycles successifs de création-destruction décrits par Schumpeter (1983) une promesse incarnée au présent qui offre sinon une perspective du moins une illusion d’avenir.
L’entrepreneur apporte-t-il les solutions à la crise industrielle ?
Nous observons d’abord que l’entrepreneur a acquis une position importante face au problème de la désindustrialisation. Il existe toutefois deux types d’entrepreneurs, ceux de continuité et ceux de rupture. Dans les rapports officiels et dans la presse, le rôle de l’entrepreneur comme solution à la crise industrielle fait partie d’un cadre culturel qui privilégie l’action privée individuelle après avoir mis l’accent, durant des décennies, sur l’intervention publique. Après avoir observé la nature de la solution entrepreneuriale, nous évoquons deux profils, l’entrepreneur de rupture et l’entrepreneur de continuité. Enfin nous nous centrons sur le débat public à propos de la crise industrielle et du crédit accordé à la solution entrepreneuriale.
La nature de la solution entrepreneuriale
L’entrepreneur est souvent présenté comme la solution garante du progrès économique et social face aux irrégularités des cycles économique car il en saisit les opportunités (Schumpeter, 2013). Le soutien de l’Etat à accompagne l’entrepreneur qui crée des ressources nouvelles (Uzinidis, Boutillier et Laperche, 2014). L’Etat amortit aussi les chocs car l’entrepreneur est présenté comme providentiel par sa créativité (Riot, 2021) c’est-à-dire chez Schumpeter par sa capacité de destruction créatrice. Il est aussi bien la cause de crises industrielles (McCloskey, 1973), de la crise sociale de certains territoires (Binder, 2001) que source de progrès dans un système capitaliste qui se fige si les entreprises s’érigent en monopoles (Schumpeter, 1951) car ces entrepreneurs de rupture, en défiant ceux de continuité (Riot, 2019) préservent la dynamique économique.
Entrepreneurs de continuité et entrepreneurs de rupture
Si l’on admet que les entrepreneurs de continuité comme les entrepreneurs de rupture influent sur l’économie, rien n’indique qu’en modifiant les équilibres économiques, ils créent plus de justice spatiale (Soja, 2013). La révolution industrielle a causé bien des dégâts environnementaux par le passé, quelles garanties aujourd’hui que les entrepreneurs de continuité transformeront leurs modes de production et que les entrepreneurs de rupture apporteront des solutions durables en termes d’environnement (Banerjee, 2010) ? Ne s’agit-il pas d’une transition trop importante pour tabler seulement sur la création par les entrepreneurs de « territoires entrepreneuriaux durables » (Boutillier et Uzinidis, 2016) ? A contrario, si cette transition devait se montrer trop radicale, elle entraverait la poursuite d’activités industrielles maintenues pas les entrepreneurs de continuité au nom de la souveraineté industrielle. L’entrepreneur a donc une figure de Janus et cette nature lui permet d’échapper aux critiques.
Alors que les multinationales actives dans des domaines polluants peuvent être accusées d’opportunisme dans leurs actions en faveur de l’environnement (Mazepus et Van Leeuwen, 2020), de nouveaux entrepreneurs de rupture ancrés localement pourraient échapper à cette défiance et contribuer à transformer les modes de production et l’environnement. Mais s’ils reçoivent, pour ce faire, des aides publiques au nom de l’intérêt général (Mazzucato, 2013) quelle contrepartie en attendre ? La force des entrepreneurs est peut-être de savoir entretenir l’équivoque sur ce point en s’en tenant à la promesse. L’entrepreneur incarne une époque dont le cadre culturel escamote contradictions et confrontations comme stériles, lui préférant la multiplicité des initiatives individuelles.
Qui dit quoi ? Débat sur l’entrepreneur sauveur de l’industrie dans les rapports officiels et la presse quotidienne
Notre hypothèse est que les entrepreneurs jouent un rôle pivot (Fligstein, 1997) et proposent un cadre culturel commun pour l’action : « Skilled social actors are those who mobilize cooperation among others by generating and propagating cultural frames. Cultural frames are representations of collective problems and solutions that help other actors to link their own interests and identities to a collective purpose. » (Sweet, Sandholtz et Fligstein, 2001 : 8). C’est de l’initiative des « entrepreneurs d’industrie » que partent les analyses en matière de choix industriels et stratégiques. Ils déterminent, en matière de réindustrialisation : « l’ordre du discours » au sens où « dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité. » (Foucault, 1971 : 10)
L’histoire est par ailleurs traversée par des alliances normatives entre les institutions d’Etat et les entrepreneurs d’industrie. Celles-ci se fondent sur des compromis fragiles, comme est temporaire l’alignement des intérêts privés avec l’intérêt général que défend l’Etat lorsqu’il est décidé d’endiguer la désindustrialisation de la France ? Mais en la matière, peut-on s’en remettre, comme le demandait Albert Hirschman (1997), à la seule logique du marché ? En quoi l’Etat et les entrepreneurs sont-ils légitimes à investir conjointement sur des projets aussi divergents que ceux de l’entrepreneur de continuité et de l’entrepreneur de rupture ?
Du fait de la durée de la crise systémique qui affecte l’industrie lourde en France et en Lorraine et à l’échec relatif des interventions publiques pour l’endiguer (Raggi, 2019 b), il n’y a plus de consensus (Vaara et Riot, 2007) quant aux actions légitimes pour faire face à la mondialisation (Erkama et Vaara, 2010) mais l’idée selon laquelle les entrepreneurs et les patrons savent ce qui est bon en matière d’économie nationale (Riot et Ramanantsoa, 2018) semble désormais aller de soi dans les rapports officiels et dans le discours relayé par la presse quotidienne. Notre analyse cherche donc à situer les perspectives d’acteurs ainsi que les récits dominants (Vaara, Tienari et Laurila, 2006) proposant un cadre culturel pour analyser la situation de crise industrielle, la légitimité des entrepreneurs à agir et la légitimité de l’Etat à les mandater et de les aider pour le faire.
Nous nous posons trois questions auxquelles nous souhaitons répondre par une analyse critique du discours public. Que promet l’action des entrepreneurs sert-elle d’après les observateurs ? Quelles attentes s’expriment à l’endroit des entrepreneurs de continuité et des entrepreneurs de rupture sur un même territoire et ces attentes sont-elles compatibles ? Quelle perspective d’avenir les entrepreneurs incarnent-ils pour les territoires industriels en crise à l’heure de la mondialisation ?
Pour répondre à ces questions, nous avons choisi le cas de Gandrange et Florange pour examiner la question et nous nous proposons d’abord de placer en contexte ces deux espaces devenus le symbole de la crise industrielle en France.
Contexte
Le cas de Florange dans le Val de Fensch en Moselle a reçu une telle couverture médiatique notamment à l’occasion des élections présidentielles de 2007 et 2012 que cela lui a conféré une dimension symbolique. Il renvoie à la situation de crise industrielle de la France tout entière alors même qu’il se caractérise par son caractère extrême : un déclin qui donne le vertige. Les discours des acteurs clefs portant sur l’avenir d’un territoire comme la vallée de la Fensch comprenant des sites industriels comme ceux de Florange et Gandrange ne peuvent se comprendre qu’au regard d’une histoire liée aux restructurations industrielles des cinquante dernières années. Nous proposons un bref aperçu des différentes phases de transformation du territoire jusqu’en 2006, date du rachat du groupe Arcelor par l’entrepreneur Lakshmi Mittal alors que notre analyse portera principalement sur les douze dernières années (2010-2022) qui en découlent. Après avoir situé le groupe Mittal et la position de l’Etat face à la nouvelle figure de l’industrie sidérurgique en France, nous évoquerons le cas de Florange et de Gandrange à l’aune d’un débat public portant sur l’action de l’Etat en direction du redressement productif.
La crise de la sidérurgie entre 1970 et 1995
Il n’existe pas de récit unique de la crise de la Lorraine de l’acier. Freyssenet (1979) établit une chronique de la « faillite » de la sidérurgie française depuis 1945 tandis que Raggi (2O19 b; 2018; 2013) analyse en détail le jeu de dominos des industriels, passant d’un site à un autre tandis que l’Etat appuie la constitution d’un groupe quasi-monopolistique avec Usinor et Sacilor en 1986 qui absorbe la Sollac Florange quatre ans plus tard. Florange, ce site dont tout le monde parle au moment de l’OPA de Mittal, est le dernier site hérité du complexe Hayange-Sérémange-Florange qui constituait la vallée de la Fensch sidérurgique après la fermeture des hauts-fourneaux de Patural à Hayange et celle de l’aciérie de Sérémange. Florange, où est situé le siège social du groupe et l’usine de Sainte Agathe qui produit des tôles automobiles, n’était jamais qu’un chaînon dans ce complexe lorrain dont les propriétaires se sont progressivement dépris. Ainsi Mioche (2015 : 24), auteur d’une monographie sur l’ancien maître des forges, estime que les investissements de la maison de Wendel en Lorraine déclinent très vite à partir de l’ouverture des sites de Dunkerque et Fos-sur-Mer comme l’illustre le schéma (schéma 1) ci-dessous.
Tracol (2019) se centre sur la gauche de gouvernement et ses choix de nationalisation des groupes Usinor et Sacilor au début des années 80, choix qui échouent à endiguer le déclin industriel. La privatisation d’Usinor en 1995 débouche sur sa fusion avec Arbed (Luxembourg) et Aceralia (Espagne) et crée le groupe européen Arcelor en 2002. Puis en 2006, à la suite de l’OPA du groupe MITTAL, ArcelorMittal est créé. Ainsi ce groupe se présente-t-il, comme l’illustre le schéma ci-dessous (schéma 2), comme un vaste conglomérat dont les frontières ne se limitent pas à la France.
Le groupe Mittal est entrepreneurial par nature, il reste toujours à la recherche d’opportunités de marché.
Le groupe Mittal
Lakshmi Mittal a constitué son groupe sidérurgique en rachetant des usines pour un prix très bas et en restructurant les capacités de production dans le monde en contrebalançant les cycles par les changements de périmètre du groupe.
Pour la presse financière, Mittal est un dirigeant rationnel face à des institutions politiques européennes (particulièrement françaises) qui obéissent au protectionnisme dont l’usine de Florange est un symbole. Pour la presse nationale et locale, l’opportunisme de Mittal fait de Florange un symbole comme l’illustre le tableau (tableau 1) ci-dessous.
Le groupe est aujourd’hui le leader mondial de l’acier présent dans soixante pays du monde (voir schéma 3 ci-dessous). Il est en situation de monopole sur la transformation de l’acier en France ainsi qu’au Luxembourg où trois usines fonctionnent encore sur les sites de Differdange, Rodange et Esch-Belval. Mittal combine ses sites en Europe comme l’illustre le schéma (schéma 3) ci-dessous.
Dans les années 2010, le groupe s’est endetté pour acquérir des mines afin de contrôler le prix du minerai en aval, la conglomération des acteurs miniers (Rio Tinto, BHP et Glencore) ce qui l’a mis en difficulté. Il est aujourd’hui présent dans le monde entier comme l’illustre le schéma (schéma 4) ci-dessous.
Les choix d’investissement du groupe varient en fonction du cours de l’acier comme le montrent les schémas des cours de l’acier (schémas 5a et b) et des droits à émettre du CO2 (schémas 6) ci-dessous car la sidérurgie est l’une des industries les plus émettrices.
Du fait de la structure multinationale du groupe Mittal et de sa position de quasi-monopole sur l’acier plat en France, l’Etat a cherché à conserver un contrôle sur le groupe notamment en Moselle.
L’Etat stratège face à la mondialisation : le débat Montebourg Dufourcq
L’Etat français n’a cessé d’hésiter entre la nationalisation et le recours au marché. Le rôle offert aux entrepreneurs dans la période que nous étudions, entre 2010 et 2022, une période de forte déprise industrielle avec une forte pression à la réindustrialisation, fait de lui un tiers de confiance qui permet un entre-deux puisque les investissements publics conditionnent le maintien de l’activité. Le débat fait rage médiatiquement.
Nationaliser ou compter sur les entrepreneurs ? Le dilemme s’inscrit aussi dans la longue histoire des relations entre Etat, institutions et grands patrons sidérurgistes comme l’illustre le tableau ci-dessous (tableau 2.).
Trente ans auparavant, la nationalisation d’Usinor et Sacilor n’a pas été jugée une réussite. Recommencer l’expérience semble délicat en 2012. Mais comment interagir avec les entrepreneurs et trouver un intérêt commun ? Dix ans plus tard, Nicolas Dufourcq (2022) et Arnaud Montebourg (2020) présentent toujours les mêmes positions opposées à ce sujet. Le premier, directeur général de la BPI depuis sa création en 2013, défend encore la position des entrepreneurs face à un Etat dépassé par la mondialisation et en proie à ses contradictions. Le second a au contraire insisté sur la nécessité pour l’Etat de reprendre le contrôle par la régulation face à des entrepreneurs qui ne voient pas l’intérêt général au-delà des intérêts particuliers. Tous deux croient « en même temps » à la réindustrialisation de la France et jugent la Grande Transition vers une croissance verte inéluctable. Mais quelle direction choisir ?
Deux profils de territoires d’avenir : Gandrange et Florange
Gandrange est un site qui a fermé et Florange a hérité de ses activités. Le premier site est aujourd’hui en phase de réhabilitation pour y installer un site de production d’hydrogène tandis qu’une partie des usines de Florange sont encore en activité, l’un des derniers bastions de la sidérurgie lorraine. Les deux sites, séparés de quelques kilomètres, ont pris des orientations différentes mais ils ont toujours partie liée. L’avenir de Gandrange et Florange est commun du fait de cette histoire industrielle partagée, comme le détaille le tableau (tableau 3) ci-dessous.
Le Val de Fensch est fortement affecté par les fermetures successives d’usines et le jeu de dominos qui déplace les activités et les ouvriers à quelques kilomètres comme l’illustre la carte ci-dessous (schéma 7).
C’est un même territoire pour ceux qui y résident. Les syndicats de Lorraine ont ainsi installé des stèles aux promesses non tenues des politiques : « Le 24 février 2012, juché sur le toit d’une camionnette à l’entrée de l’usine, le candidat Hollande y avait harangué les ouvriers. Souligné les « promesses non tenues de Nicolas Sarkozy faites à Gandrange » sur la non-fermeture des aciéries, selon la stèle érigée sur place par la CFDT. Promis une « obligation pour que des repreneurs viennent » dès lors qu’une société envisageait de se séparer d’une unité de production. » (Le Monde, 11 octobre 2016) Comme l’illustrent les photographies de stèles de promesse ci-dessous (schéma 8), il existe une symétrie dans le regard public entre les décisions prises sur les sites de Gandrange d’autant qu’ils sont les derniers après 50 ans de repli industriel.
Un nouvel enjeu, lié au changement climatique, à l’environnement et plus spécifiquement au cours du marché du carbone en Europe depuis 2005 mais surtout depuis la réforme en 2017 (Tordjman, 2021), préoccupe les acteurs. Il ouvre des possibilités pour reconvertir des friches industrielles et créer des activités nouvelles. Ce nouvel environnement peut encourager des entrepreneurs de rupture mais il peut pousser les entrepreneurs de continuité à reconfigurer leurs activités hors d’Europe et de Florange.
Méthodes et données de l’enquête
Notre méthode est celle d’une enquête sur un sujet d’actualité. Elle documente le destin industriel de deux villes de Lorraine appartenant à un même site industriel, celui du Val de Fensch : Florange et Gandrange. Dans les deux cas, étudiés parallèlement, la fermeture d’usines sidérurgiques a causé une grande inquiétude régionale et nationale. Elle est l’objet d’une abondante couverture médiatique et de rapports officiels qui traitent par ce prisme de la désindustrialisation en France.
Ces deux cas sont traités par le biais d’une analyse critique de discours (Fairclough, 2013). Prenant en compte le débat public dans la presse et dans les rapports officiels, elle se pose la question de la promesse et de la légitimité (Van Leeuwen et Wodack, 1999) de la figure de l’entrepreneur face à la désindustrialisation depuis la fusion Arcelor Mittal (Riot et Vaara 2007). Cette méthode permet d’identifier un « cadre culturel » dominant que nous avons aussi désigné comme « l’ordre du discours » commun à des centaines de textes dans l’espace public et médiatique. Nous posons l’hypothèse qu’il existe un relatif consensus entre les rapports officiels et l’information transmise dans la presse écrite pour voir dans l’entrepreneuriat une solution à la crise industrielle.
Nous insistons toutefois sur le caractère dynamique de l’analyse (Tsing, 2011) qui instaure peu à peu la figure de l’entrepreneur providentiel, dans la mesure où nous avons collecté les données au fil du temps sur une période longue comprise entre 2006 et 2022. Du fait de ce caractère dynamique de la situation, qui voit évoluer les points de vue et les discours d’acteurs jusqu’au bilan actuel, nous avons fait le choix de ne coder que les données collectées sur la période 2019-2022, des articles antérieurs (sur la période 2010-2022) pouvant être utilisés occasionnellement pour mettre en perspective ces discours et leur transformation comme le synthétise le tableau ci-dessous (tableau 4). Cette dernière période se situe dix ans après les rapports qui assoient la relation entre l’Etat et les entrepreneurs en vue de la réindustrialisation. C’est aussi la seule période pour laquelle nous avons la totalité des sources : archives et données de première main du fait de visites sur le terrain et de rencontres. Cette enquête de terrain a été réalisée dans le but de combler des lacunes dans l’information puisque la presse quotidienne nationale avait cessé de couvrir le sujet et que peu de rapports officiels évoquaient encore directement ce cas. Aussi ces données, secondes, représentent-elles un volume peu important même si elles permettent une réelle mise en perspective du discours dominant en redonnant de la place à cette « matérialité » dont Foucault (1971 : 10) notait la disparition dans « l’ordre du discours ».
Les prises de parole médiatiques sur la promesse entrepreneuriale face à la désindustrialisation sont mises en perspective par le biais de quatre sources complémentaires sur le sujet : des rapports officiels des années 2010 qui fixent la doctrine de l’entrepreneur providentiel, des rapports officiels des années 2020 évoquant la priorité environnementale en complément de l’enjeu de réindustrialisation enfin des données de terrain (archives documentaires d’une part et données de première main collectées par l’auteur sur le terrain d’autre part comme le montre le schéma ci-dessous comme on le voit dans le schéma 9 ci-dessous.
Notre codage fait le lien entre les cinq sources de données différentes. Ce codage a été effectué à partir du diagnostic formulé par le rapport Faure en 2012 à propos de l’affaire Florange et de la fermeture d’une partie des activités sidérurgiques localement. Nous avons identifié quatre thèmes se répartissant en 17 valeurs clefs. Ils constituent la base de notre codage comme l’illustre le schéma (schéma 10) ci-dessous :
La raison pour laquelle nous avons choisi le rapport Faure comme source première parce que son influence est manifeste : il est repris par tous les autres comme référence sur le sujet par la suite, insiste sur les réalités du marché mondialisé (premier thème) mais aussi sur les contreparties attendues pour la société et le territoire en particulier par un Etat investisseur et stratège (second thème : société). Apparaissent comme moteurs de cet équilibre partenarial deux types d’acteurs : l’entrepreneur de continuité et l’entrepreneur de rupture (thème 3). Apparait aussi en germe le thème de l’environnement (thème 4) lié à l’Europe et au territoire. Nous exposons dans le tableau (tableau 5) ci-dessous ce codage des différents rapports parus sur le sujet de la désindustrialisation et de la sidérurgie.
Dans le tableau (tableau 6) ci-dessous figurent les différents rapports portant sur l’environnement et la transition énergétique et industrielle en cours.
La dynamique de l’analyse tient compte du changement entre les rapports des années 2010 (centrés sur la souveraineté nationale) et ceux des années 2020 (plus centrés sur l’environnement), des perspectives situées (entre archives et terrain) Ainsi, les documentaires que l’auteur a lus ou regardés (voir tableau 7. Ci-dessous) se centrent souvent sur les difficultés rencontrées par les populations concernées par la désindustrialisation dans le Val de Fensch. Le recueil de la parole de personnes vulnérables y prend une place centrale ainsi que la mise en scène de friches industrielles, paysages désolés de la déprise industrielle et de l’abandon.
A contrario, les témoignages recueillis par l’auteur sur la période 2019-2022 évoquent plutôt une dynamique de reprise et un ensemble de solutions au problème de la désindustrialisation mais la collecte s’est faite plutôt auprès de cadres et de responsables du secteur (voir tableau 8; ci-dessous).
L’on peut attribuer ces différences de perspectives aussi bien à la situation des personnes qu’à la date de collecte, d’où la dimension dynamique dans le traitement des données. Notre choix, dans la description des points de vue, est de voir si la promesse de solution des entrepreneurs semble crédible face à la désindustrialisation et si oui, selon quelle variante (de continuité et de rupture) et quels critères.
Description
Dans la presse quotidienne, la figure de l’entrepreneur de continuité, incarné par Lakshmi Mittal et sa famille, est plus présente que celle de l’entrepreneur de rupture, qui est en émergence. Dans les deux cas, si les promesses de l’entrepreneur sont évoquées au regard des faits et en partie tenues, elles font également l’objet de contestations et de critiques. C’est ce que nous évoquons tour dans la description à suivre en identifiant plusieurs dimensions de la promesse entrepreneuriale à laquelle l’Etat s’associe : générer des emplois, investir et innover pour maintenir la capacité de production, contribuer au développement territorial dans des territoires associés à la crise industrielle. Nous présentons chaque promesse d’abord pour l’entrepreneur de continuité et ensuite pour l’entrepreneur de promesse avant d’évoquer de possibles contradictions et limites de ces promesses.
L’entrepreneur de continuité et ses promesses
Bien souvent dans la presse, l’entrepreneur de continuité qu’est le dirigeant du groupe Mittal est présenté comme le partenaire clef de l’Etat pour soutenir la souveraineté nationale :
« Dans la filière sidérurgique avec ArcelorMittal ou encore Eramet. Ce potentiel industriel extraordinaire, il faut accompagner ses transformations (…° par des relocalisations. (…). En (…) passant (…) commande, l’Etat donne un signal fort en faveur de la relocalisation et de la souveraineté nationale. » (Entreprendre -14/06/2020). Comme ils investissent de concert, leur légitimité est en jeu dans la lutte contre la désindustrialisation, les entrepreneurs en se montrant dignes de confiance par leur action et l’acteur public en choisissant ses partenaires pour agir sur le marché.
Le maintien des emplois
Mittal a investi à Florange, tenant ainsi ses engagements notamment concernant l’emploi. Les médias mentionnent la réaction des ouvriers locaux : « (…) le site, lui, vit toujours avec ses 2 200 salariés. ArcelorMittal vient même d’investir 80 millions d’euros dans une nouvelle ligne pour produire de l’acier haut de gamme, très prisé des constructeurs automobiles. 25 postes ont été créés. Nicolas Fund, petit-fils et fils de sidérurgiste, est passé des hauts-fourneaux au poste de pilotage. Il croit dur comme fer à cette nouvelle ligne de production. (…), Rémy Dick, âgé de 25 ans. Il n’avait que 18 ans au moment du conflit. Il a tout fait pour que cette nouvelle ligne puisse se développer. Sept ans après la fermeture des hauts-fourneaux, la flamme de la sidérurgie brûle toujours à Florange. » (France Info, 6 octobre 2019).
La taille du groupe permet une complémentarité des raffineries à l’échelle nationale et européenne mais n’a pas effacé Florange de la carte : « Depuis le conflit historique, Florange ne produit plus d’acier, mais transforme celui qui vient de l’usine de Dunkerque (Nord). Dans le détail, environ 55 % de l’acier transformé à Florange est ensuite acheté par le secteur de l’automobile. » (Le Parisien, 21 mars 2021). Même le syndicaliste Edouard Martin semble satisfait de la situation : « Malgré une année complexe (…) les carnets de commandes sont plein, il n’y a pas péril en la demeure », décrit l’ancien syndicaliste et ex-député (PS) Edouard Martin. Dans le détail, « 2000 ouvriers et plus de 500 sous-traitants y travaillent encore », souligne de son côté, Frédéric Weber, syndicaliste Force ouvrière. » (Le Parisien, 21 mars 2021).
Les usines Mittal recrutent même en CDI alors que les syndicats prédisaient la disparition des emplois dix ans plus tôt malgré les projets du groupe : « Ces nouvelles promesses n’ont pas satisfait les principaux représentants des ouvriers de Florange : « À Florange, (…) Il n’y aura pas de plan social parce que la pyramide des âges de l’usine conduira au départ naturel de plus de 600 personnes en trois ans ». (Médiapart, 27 décembre 2012) ».
La conjoncture mondiale a changé mais le groupe a introduit des innovations dans la qualité des aciers qui ont satisfait ses principaux clients notamment dans l’automobile.
Innovation de continuité
Le groupe Mittal capitalise sur des innovations déjà préfigurées par le groupe Arcelor en lien avec l’aval de la filière. Il anticipe aussi la hausse de la demande.
« Le site lorrain du sidérurgiste (…) s’apprête à mettre en service en Moselle la plus grande ligne de production d’acier Usibor d’Europe. D’un coût de 89 millions d’euros, elle montera progressivement en charge durant toute l’année 2020 pour atteindre une production annuelle de 800 000 tonnes. » (Les Echos, 1er octobre 2019). Cette anticipation lui permet d’engranger des bénéfices records : « Grâce notamment à sa deuxième ligne de galvanisation sur son site de Florange, ArcelorMittal a réalisé une année exceptionnelle en termes de résultats financiers, peut-être la meilleure depuis le rachat en 2006. » (France 3 Lorraine, 11 janvier 2022)
L’on peut attendre de nouveaux investissements dans un site en phase directe avec la filière automobile localisée en Lorraine, à la fois en France et en Allemagne.
Investissements
Mittal a tenu ses promesses d’investissements depuis 2013, ce qui suscite l’admiration d’une partie de la presse nationale déjà en 2017 : « • Voué aux gémonies par certains après l’achat en 2006 d’Arcelor, puis la fermeture des hauts fourneaux de Florange en Lorraine, Mittal fait aujourd’hui figure de bon élève parmi les investisseurs étrangers. (…) Promesse tenue : 190 millions d’euros d’investissements devraient être engagés sur la période, selon le dernier rapport du comité de suivi. La cokerie a été dotée d’un gazomètre reconfiguré, les vieux moteurs du train continu à chaud ont été remplacés, la ligne de laminage a été modernisée. » (Le Monde, 3 octobre 2017) A l’époque, Mittal avait choisi, par prudence, de ne pas redémarrer les hauts fourneaux de Florange à cause d’un carnet de commandes peu rempli. Depuis lors, le marché a au contraire décollé :
« Le marché de l’acier a traversé 2021 comme si la crise liée au coronavirus n’existait pas. La production mondiale a battu un nouveau record absolu, avec 1,752 milliard de tonnes sur la période janvier-novembre selon WorldSteel. » (Radio France, 12 janvier 2022).
Mittal a finalement pu rembourser la dette qui inquiétait ses partenaires économiques et les syndicats : « Ce qui me frappe le plus, c’est le niveau très bas de la dette du groupe (3,9 milliards de dollars en novembre 2021) », explique Pascal Raggi, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Lorraine. « La sidérurgie française a été plombée pendant des années par sa dette, ce qui a poussé le gouvernement à la nationaliser deux fois le siècle passé. Voir Mittal réussir à la contenir, c’est une performance à signaler dans une industrie où les investissements sont très lourds ». (Radio France, 12 janvier 2022).
Si la bonne santé du groupe est aussi fonction des cycles économiques et peut varier, la bonne santé du groupe donne confiance en l’avenir et permet d’imaginer de nouveaux investissements pour gagner en productivité et améliorer l’empreinte environnementale.
Dynamique locale
La bonne santé des carnets de commandes donne le moral à l’ensemble des acteurs, salariés et fournisseurs, dans le Val de Fensch.
« Franchement, on était à bloc toute l’année », résume la CGT d’ArcelorMittal Florange. A part un ralentissement à l’automne, les lignes de galvanisation de la vallée de la Fensch ont été chargées à presque 100 % : « la chute des commandes de l’automobile a incité Mittal à faire des stocks pour répondre à la demande attendue, lorsque la crise des semi-conducteurs sera passée » explique un délégué syndical central. « Et encore, la direction nous dit qu’on aurait pu faire mieux ! Limite elle est déçue », rigole la CGT, « mais ça s’explique par plusieurs grosses casses à Dunkerque et à Florange, qui ont posé des problèmes de fiabilité : en tournant à fond, on s’expose à des soucis de la sorte, c’est logique ». (Radio France, 12 janvier 2022)
Il n’est plus question du déclin inéluctable de Florange avec des perspectives de relocalisation de la production d’acier même si la hausse du cours des émissions de carbone devrait imposer à Mittal des investissements dans l’acier vert qu’il semble concentrer sur la sidérurgie portuaire et si le groupe réclame des aides d’Etat pour le faire : Chaque entrepreneur a élaboré un jeu de promesses spécifiques, nous allons voir que le jeu de l’entrepreneur de rupture est sensiblement différent de celui de l’entrepreneur de continuité.
Entrepreneur de rupture
Le thème national est très présent dans l’évocation de la figure de l’entrepreneur de rupture qui revient en vainqueur dans le Val de Fensch. Les médias insistent sur l’engagement patriotique de l’entrepreneur et sur son réseau politique ce qui joue pour un site dont la dimension symbolique demeure depuis la précédente campagne électorale : « Gandrange, comme voyage de noces, il n’y a pas mieux », s’était emballé en 2018, en Moselle, Nicolas Sarkozy devant les salariés de l’aciérie de Gandrange. L’usine sera pourtant d’ici à 2024 reléguée au rang de souvenir. Ex-conseiller de l’ancien président de la République reconverti dans l’industrie, Frank Supplisson a discrètement racheté, voici dix-huit mois, l’énorme friche sidérurgique à ArcelorMittal. Devenu président de Gandrange Industry, il annonce aujourd’hui avoir engagé la déconstruction du site pour permettre à la société de développement parisienne H2V Industry d’y implanter deux usines d’hydrogène, moyennant un investissement de 250 millions d’euros. » (Les Echos, 9 mars 2021). Cette promesse prend le relai de celle de l’entrepreneur de continuité et la complète par la création d’emplois, l’innovation et l’investissement en tablant sur la situation de Gandrange.
Création d’emplois
La filière hydrogène devrait créer des emplois à horizon 2030 : « La filière hydrogène présente un fort potentiel de création et de conversion d’emplois : de 4000 emplois aujourd’hui à plus de 100 000 à l’horizon 2030. Cette filière en plein essor doit faire l’objet d’une attention particulière notamment pour sécuriser les talents et ressources nécessaires à son bon développement. » (France Hydrogène, communiqué de presse du 5 juillet 2022, consulté le 28 septembre 2022)
Toutefois, seule une petite partie de ces emplois seront à Gandrange : « L’entreprise H2V prévoit d’implanter deux usines d’hydrogène vert dès 2023, créant ainsi 170 emplois. Le propriétaire du site, Gandrange Industry, prévoit d’autres implantations pour créer, au final, 300 emplois. » (Le Républicain Lorrain, 10 février 2021).
L’on peut toutefois imaginer une suite à ce projet d’envergure car Gandrange est au coeur d’un bassin industriel qui pourrait retrouver une nouvelle jeunesse avec la relocalisation des filières de production comme l’automobile ou les semi-conducteurs.
Innovation de rupture
A Gandrange, l’innovation pour la croissance verte prend appui sur la configuration locale, ses atouts et ses ressources : « H2V ambitionne de construire des unités de production de 100 mégawatts chacune, à partir d’électricité certifiée d’origine renouvelable. Pourquoi Gandrange ? « La Moselle est située à l’intersection de deux corridors européens (…) » (Le Républicain Lorrain, 01 oct. 2016)
Cette stratégie suppose de la patience selon l’entrepreneur. « Nous ne pourrons pas aller plus vite sur ce dossier, car le chantier de démolition et de dépollution du terrain prendra du temps », précise-t-il. » (Le Républicain Lorrain, 01 oct. 2016) sis l’entrepreneur a un temps d’avance : « Le DG de H2V, Jean-Marc Léonhardt assure : ’Nous sommes les premiers, en 2016, à avoir pris le train de l’hydrogène. Nous avons deux à trois ans d’avance sur la concurrence. » (Ibidem) Pourtant, quatre ans plus tard; « La signature du bail serait prévue d’ici fin mars 2021 » (L’Usine Nouvelle, 19 mars 2021) et les travaux de réhabilitation devraient toujours avoir lieu d’après France Bleu le 26 avril 2022 : « La société H2V est aussi impliquée dans la construction de deux unités de production d’hydrogène vert, à Gandrange, sur le site de l’ancienne aciérie. Elles verront le jour après le démantèlement du site. ». De la souplesse est attendue de la part de l’administration.
Investissements
L’entrepreneur peut compter sur les élus locaux comme garants : « C’est un projet de reconversion d’un site industriel mené sans la moindre subvention publique. » Les élus locaux lui ont laissé la main sous sourciller : « Le travail de M. Supplisson sur ce site est sérieux, indique Julien Freyburger, président (LR) de la communauté de communes des Rives de Moselle. Nous sommes très heureux que la déconstruction de cette ancienne aciérie soit enfin engagée et qu’un nouveau projet industriel puisse y trouver place. » (Le Monde, 27 mars 2021).
Pour les partenaires publics du projet, l’atout principal de cet entrepreneur demeure son lien avec un fonds d’investissement américain ce qui limite le caractère de cette « revanche française » : « Annoncé le 8 avril, le FiveT Hydrogen Fund vise à lever 1 milliard d’euros pour investir dans des infrastructures privées « de production d’hydrogène vert, de stockage et de distribution d’hydrogène pour la mobilité et le transport, (…). » (L’Usine Nouvelle, 09 avril 2021). Il existe toutefois des contreparties à cet investissement.
Recréer une dynamique locale
Tout comme l’entrepreneur de continuité, l’entrepreneur de rupture demande que ses efforts soient soutenus alors qu’il investit dans un territoire désindustrialisé : « Notre code des marchés publics devrait élargir les dérogations à la mise en concurrence internationale pour ces domaines de souveraineté nationale. » (Franck Supplisson, entrepreneur dans Entreprendre -14/06/2020)
« Il faut diminuer la fiscalité pesant sur l’outil de production, reconnaître certaines filières industrielles comme relevant de la souveraineté nationale et déroger ainsi aux règles des marchés publics européens et internationaux, mais aussi orienter notre soutien vers les secteurs en reconversion : de nombreux sites industriels majeurs ne répondent plus aux besoins du marché, et nécessitent des reconversions. (…). » (Frank Supplisson, Entreprendre -14/06/2020).
Ces demandes sont posées par un entrepreneur de rupture qui revendique des aides supplémentaires par rapport à un industriel de continuité comme Mittal, à la tête d’une multinationale. C’est là que l’on voit s’opposer deux figures entrepreneuriales, prises dans deux dynamiques spatiales et temporelles différentes. Ce clivage est à l’origine de certaines limites de la promesse entrepreneuriale que nous allons à présent évoquer.
Limite et contradictions des promesses entrepreneuriales
Par contraste avec les rapports officiels des années 2010 à nos jours, une autre lecture des promesses des entrepreneurs de rupture et de continuité se donne à lire. Elle confronte la désindustrialisation-réindustrialisation au marché (dont ni l’Etat ni un entrepreneur ne sont maîtres) et aux pratiques. Cela crée une dissonance entre les attentes des acteurs publics en termes de réindustrialisation et les choix stratégiques des entrepreneurs. Ces derniers sont opportunistes face aux cycles économiques, à la filière et aux investisseurs. Par ailleurs, les actions des entrepreneurs vont dans des sens différents : certains polluent, certains dépolluent, certains s’installent quand d’autres déménagent. Sans arbitrage ni plan, rien n’indique que leurs intérêts individuels rempliront la promesse de réindustrialiser des territoires en crise du fait de ces contradictions. Nous examinerons d’abord l’opportunisme entrepreneurial puis les contradictions qui limitent la mise en oeuvre des promesses.
Opportunisme et rapports de force. Créations d’emplois, cycles et filières
La presse écrite se fait l’écho de doléance portant sur la faible création d’emplois de Mittal comme de l’entrepreneur de rupture. En effet, Frank Supplisson cause des inquiétudes aux salariés des sites qu’il reprend à l’encan comme l’illustre le tableau (tableau 9) ci-dessous.
Par ailleurs, les conditions de travail laissent à désirer. Les salariés et les intérimaires sont soumis à la pression de la productivité face à la demande. Plus généralement, on constate qu’un entrepreneur de rupture ne compense pas, par ces activités naissantes, les emplois détruits par une longue crise industrielle. Il fait figure d’aventurier et d’affairiste. Enfin, les emplois proposés ne semblent pas égaler ceux qu’occupaient l’élite des ouvriers sidérurgistes par le passé comme ceux qui travaillaient comme fondeurs, aciéristes ou lamineurs.
Opportunisme et rapports de force. Les entrepreneurs suivent leurs investisseurs
Florange demeure encore sous le choc de la bataille boursière et médiatique entre Mittal et Arcelor et la dépendance aux marchés financiers. Un entrepreneur de rupture comme Frank Supplisson est lui totalement dépendant de fonds d’investissements. La presse évoque en particulier cette question financière dans le tableau (tableau 10) ci-dessous.
Les deux types d’entrepreneurs cherchent à jouer sur les appuis publics pour obtenir le soutien d’investisseurs financiers qui regardent leur retour sur investissement. La nature de la promesse entrepreneuriale est donc définie par ces acteurs dominants et elle n’est pas nécessairement alignée sur l’intérêt général tel que le définissent les pouvoirs publics qui investissent également pour soutenir l’activité.
Contradiction entre les conceptions de l’innovation
Les promesses des deux types d’entrepreneurs se contredisent notamment sur le thème de l’environnement. Alors que Mittal semble faire des normes environnementales une cause de désinvestissement en Europe, un entrepreneur de rupture comme Franck Supplisson fonde toute sa stratégie sur les plans européens et nationaux en faveur de la décarbonation. Le tableau (tableau 11) ci-dessous propose d’illustrer les enjeux liés à l’innovation par un ensemble d’extraits d’articles tirés de la presse nationale.
L’opportunisme des entrepreneurs font de priorités nationales et européennes comme la transition énergique et le respect de l’environnement des critères qui justifient le développement ou le repli de leurs activités industrielles. Les normes environnementales encouragent Mittal à importer de l’acier et à fermer des usines polluantes. Si le cours du carbone est bas et les aides publiques limitées, Frank Supplisson repoussera le lancement des activités nouvelles car il est présent dans d’autres activités que l’hydrogène. Leurs choix varient en fonction de ce qui est pour eux non pas une mission essentielle mais un environnement concurrentiel avec ses règles mouvantes.
Contradiction entre la dynamique économique et l’investissement local
Un entrepreneur choisit ses implantations en fonction d’un héritage industriel donné et des incitations. Dans le cas de Lakshmi Mittal comme dans celui de Frank Supplisson, les choix d’implantation d’activités et notamment d’activité de R&D à forte valeur ajoutée vont au plus offrant. Dans le cadre de la réindustrialisation, les entrepreneurs arbitrent la concurrence entre sites tout alors que les pouvoirs publics en France peinent à départager les territoires prioritaires soit parce qu’ils ont des atouts soit au contraire parce que, comme le Val de Fensch et d’autres, ils sont défavorisés car héritant à la fois des traces d’une industrie polluantes et des stigmates d’une crise sociale liée au long cycle des fermetures d’usines. Le tableau (tableau 12) ci-dessous illustre la double difficulté de promouvoir l’innovation et l’entrepreneuriat et de flécher les territoires pour le faire en priorité.
Par ailleurs, Europe, Etats nations et régions ont tous des leviers économiques en main et ont des visions concurrentes lorsqu’ils incitent les entrepreneurs à implanter leurs activités sur tel ou tel territoire. Mittal étudie les propositions les plus intéressantes pour localiser ses investissements productifs et en l’occurrence, le Luxembourg semble se montrer le plus généreux. Les emplois suivent déjà.
Dans le cas de Frank Supplisson, ses multiples initiatives montrent l’intérêt de développer des activités introduisant un changement radical dans la vision des territoires industriels victimes de la désindustrialisation, mais aucun de ces sites n’a, par rapport aux autres, d’avantage concurrentiel spécifique qui permettrait de table sur un avenir pérenne des activités.
Pour synthétiser les ambivalences et les contradictions des projets entrepreneuriaux tels que décrits par la presse écrite, les entrepreneurs semblent aller partiellement dans le sens désigné par les rapports officiels pour promouvoir la réindustrialisation des territoires en crise par l’entrepreneuriat. Concernant les promesses entrepreneuriales en matière de désindustrialisation, le débat médiatique ne permet pas de trancher ni dans un sens ni dans un autre. Pourquoi en rester à des ambivalences et des contradictions ? Cela tient à la différence de points de vue sur un sujet qui ne fait pas l’unanimité on l’a vu. L’opportunisme entrepreneurial explique aussi l’indétermination des objectifs stratégiques des entrepreneurs au regard de l’intérêt général définis par les acteurs publics qui semblent toutefois se satisfaire de négociations.
Interprétation : l’indétermination de l’entrepreneur et de ses promesses face à la désindustrialisation
Par l’analyse critique du discours paru dans la presse écrite des acteurs officiels, entrepreneurs et investisseurs, acteurs locaux concernés par les changements industriels sur leur territoire), nous pouvons mesurer en quoi les promesses de l’entrepreneuriat comblent les attentes de ceux qui les ont écoutées. Nous nous sommes posé trois questions au sujet de la promesse entrepreneuriale : Que promet l’action des entrepreneurs sert-elle d’après les observateurs ? Quelles attentes s’expriment à l’endroit des entrepreneurs de continuité et des entrepreneurs de rupture sur un même territoire et ces attentes sont-elles compatibles ? Quelle perspective d’avenir les entrepreneurs incarnent-ils pour les territoires industriels en crise à l’heure de la mondialisation ?
Notre réponse à ces trois questions ne renvoie pas à des faits tangibles mais à un cadre culturel qui valorise l’action individuelle d’acteurs doués de capitaux (Fligstein, 1997). Ce cadre culturel passe par l’ambiguïté de la figure de l’entrepreneur comme solution providentielle à la crise industrielle. L’ordre du discours est celui d’une indétermination constitutive contenue dans la promesse de l’entrepreneur. Cette indétermination de la promesse entrepreneuriale évite ainsi les nombreuses contradictions et les confrontations de situations locales que compliquent le déclin et le manque de ressources pour y faire face. En ouvrant les possibles vers l’avenir, cette promesse suscite à la fois l’espérance et l’amertume de ceux qui l’écoutent et qui sont les premiers concernés. Pour les autres, cette indétermination de la promesse qui prévaut aujourd’hui dans le débat public ne cache pas des dissentions et une forme d’impuissance face au déclin industriel, flou stratégique qu’illustrent les trois réponses aux questions posées tout au long de notre enquête.
Que promet l’action des entrepreneurs ?
L’entrepreneur est une figure qui s’est vu conférer des pouvoirs providentiels (Boutillier, Laperche et Uzinidis, 1999) pour regénérer l’économie notamment par sa vision audacieuse (Riot, 2022). S’appuyant sur l’innovation et la créativité, l’action entrepreneuriale est riche de promesses pour l’avenir puisqu’elle se situe au commencement d’un nouveau projet. Cette intention et cette nouveauté sont en soi gages d’espoir pour peu que le profil de l’entrepreneur corresponde à celui d’un acteur pivot (Fligtsein, 1997) doué de capitaux et de relations et capable de développer un discours crédible (Riot, 2023) pour les institutions qui le soutiennent. Le cadre culturel qu’il propose est un business model innovant (Honig et Karlsson, 2004), projet qui combine un modèle d’affaires normé et une ouverture sur l’avenir, gage d’incertitude et d’inconnu. Comme pour toute promesse, l’action est suspendue à l’avenir.
Peu de propos recueillis dans la presse écrite semblent pourtant accorder aux entrepreneurs le rôle providentiel que l’Etat a choisi de ne plus tenir dans les années 2010 en renonçant à l’arme de la nationalisation. Toutefois, ces deux parties gardent partie liée dans les transformations industrielles qui agitent Florange et Gandrange au point qu’il est difficile de distinguer ce qui relève de l’initiative et de l’intérêt du public et du privé. Cette question fait l’objet de controverses dont la presse se fait l’écho car les promesses de l’entrepreneur ne se déterminent pas par rapport à des objectifs d’intérêt général.
Les différents acteurs ont partie liée mais les entrepreneurs sont caractérisés par leur opportunisme (Schumpeter, 1951). Ce mode de fonctionnement permet de trouver des ententes sur certains points mais pas de tracer des perspectives de long terme notamment de voir dans l’investissement entrepreneurial dans la croissance verte une solution au déclin industriel (Hassink, 2010) et au traumatisme des fermetures d’usines (Noer, 2009). Hirschman (1997) avait déjà souligné la limite d’une théorie politique qui voudrait que les intérêts particuliers, s’additionnant, définissent l’intérêt général. Les entrepreneurs incarnent précisément des promesses individuelles dans un cadre culturel (Fligstein, 1997) qui ne propose plus d’au-delà des intérêts particuliers faute d’avoir établi des solutions collectives pérennes par le passé.
Quelles attentes à l’endroit des entrepreneurs ? Sont-elles compatibles ?
Florange et Gandrange vont dans deux directions différentes pour l’avenir : le retour de la sidérurgie ou la croissance verte. Si l’on croise les sources, de nombreuses contradictions surgissent entre les différentes orientations des acteurs industriels engagés à Gandrange et Florange. Nous voyons deux explications à la persistance de ces options entrepreneuriales qui semblent incompatibles : la presse traite les deux projets comme des sujets distincts et elle s’en tient à des annonces. Le discours médiatique focalise l’attention sur l’événement, en général lors d’une annonce d’investissement ou pour faire suite à un changement de loi (Riot et Ramanantsoa, 2018). Une analyse critique de discours de la crise de la sidérurgie (Raggi, 2019 a) perçoit son caractère répétitif et inachevé, faute de suivi sur la durée. Les modalités du soutien public à la réindustrialisation font l’objet d’âpres négociations qui sont médiatisées (Luyckx et Janssens, 2020) mais leur application demeure dans l’ombre : que sont devenus les ouvriers sidérurgistes reclassés à la suite de la fermeture des usines et les intérimaires qui ne l’ont pas été ? Quelles entreprises ont choisi d’investir les friches industrielles ? De fait, le rôle de l’Etat stratège y est complexe, tiraillé qu’il est entre différentes échelles de pouvoir et différents objectifs, notamment la croissance économique et la protection de l’environnement. De ce fait, l’action entrepreneuriale fait figure de réponse locale et circonstanciée à toutes ces attentes par le jeu des intérêts particuliers (Hirschman, 1997). Or ce jeu est aléatoire, nous l’avons vu.
Dès lors, comme le demande Mazzucato (2021), quel retour sur investissement peut-on garantir pour les contribuables (à l’instar des retours sur investissement versés aux acteurs financiers) en misant sur les entrepreneurs ? Si les garanties publiques ne peuvent contrer ni l’opportunisme des grands groupes ni la fragilité constitutive des petits entrepreneurs, elles peuvent du moins par ce biais maintenir une présence visible dans des territoires en crise.
Si l’on suit Michel Foucault dans son analyse des territoires en marge et des hétérotopies, les entrepreneurs assurent peut-être une présence minimale qui évite la dissipation et la déprédation sur des territoires désinvestis par l’industrie, eux qui avaient fait jadis sécurisé les frontières en faisant disparaître « les marges dans lesquelles les plus pauvres et les plus mobiles avaient pu subsister, profitant des tolérances, des négligences, des règlements oubliés ou des faits acquis. » (Foucault, 2023 : 348). Bien que désindustrialisés et encore pollués, des zones frontalières comme le Val de Fensch doivent toujours pouvoir être réinvesties. L’entrepreneur manifeste une présence avant même ses promesses d’action.
Quelles perspectives sur le territoire au regard du reste du monde ?
En identifiant le Val de Fensch comme un espace plus français que frontalier, le débat public escamote une dimension entrepreneuriale collective qui anime tous les acteurs et qui explique la reconfiguration du Val de Fensch entre les départs définitifs et le cas des frontaliers qui travaillent au Luxembourg et vivent encore en Moselle. Sur ce point, les rapports officiels comme la presse nationale, au contraire de la presse locale, semblent ignorer que la région, à Florange comme à Gandrange, s’est vidée de ses ouvriers (Raggi, 2021) mais que beaucoup d’habitants de la vallée de la Fensch vont travailler au Luxembourg, bénéficiant de salaires avantageux comme l’illustrent les schémas (schémas 10 a, b, c) ci-dessous. Le choix industriel de la relocalisation au Luxembourg ne fait pas que des perdants en Val de Fensch.
Ce phénomène transfrontalier transforme l’environnement local de plusieurs façons. Il cause une gentrification d’espaces réinvestis pour le logement, le réaménagement d’anciens quartiers urbains des villes champignons de naguère. « Aujourd’hui, le dernier grand bastion de la sidérurgie lorraine a fermé ses hauts fourneaux. Pourtant, passé le traumatisme d’une histoire qui s’est répétée, la décroissance urbaine du Val-de-Fensch n’apparaît plus comme un phénomène inéluctable. » (Mathis et Mathis, 2017 : 14). Il suscite un engouement patrimonial qui se manifeste dans toute la Lorraine sidérurgique dépassant les frontières nationales (Edelblutte, 2011). Sur ce même espace, il donne une importance grandissante aux axes de transport et aux carburants verts et non polluants (donc au plan hydrogène) du fait des transhumances vers le Luxembourg (Marochini, 2018) dans ce que l’on qualifie aujourd’hui « d’euro région » après avoir pensé ce même territoire comme autant de bastions industriels. La solution n’est donc pas d’attendre la venue d’entrepreneurs providentiels mais d’aller ailleurs pour ceux qui le peuvent.
Mais pour ceux qui restent, cette solution frontalière s’accompagne d’un repli identitaire : « À l’issue du deuxième tour du scrutin, Marine Le Pen confirme son envolée dans la Vallée de la Fensch, où les électeurs de huit villes sur les dix que comporte le territoire lui ont donné préférence. » (Le Républicain Lorrain, 26 avr. 2022). La huitième circonscription de Lorraine envoie un député frontiste à l’Assemblée nationale le 19 juin, ce qui provoque peu de réactions médiatiques par rapport aux élections précédentes. Quand la Lorraine s’était fait connaître pour son engagement syndical à gauche (Noiriel, 1984) et ses radios libres (Hayes, 2018); l’ambiance du bastion rouge a laissé la place au déclin et à l’amertume décrits par des écrivains comme Jean Rolin (1999) et François Bon (2004). Quinze à vingt ans plus tard, des tensions sociales grandissantes dans la vallée de la Fensch (rebaptisée « Vallée de La Henne ») sont évoquées par Pierre Vermeren (2019) dans ses chroniques de la France « déclassée » et par Nicolas Mathieu dans son roman couronné du prix Goncourt 2018 Leurs enfants après eux. Un même constat se lit dans les documentaires d’Emmanuel Graff, L’héritage de l’homme de fer (1991), Sous le gueulard la vie (2011) et La trace des pères (2013), d’Anne Ginzburger, La promesse de Florange (2013) et de Jean-Claude Poirson La bataille de Florange (2016). L’on peut identifier deux réactions à l’évolution du territoire : celle des gagnants transfrontaliers et celle des perdants qui se sentent, selon l’expression d’Arlie Hochschild tels « des étrangers sur leur propre terre » (2018) du fait des changements qui bouleversent encore leurs vies quotidiennes d’anciens ouvriers. Ces espaces désormais à la marge attendent des changements profonds dans un monde en transformation mais lesquels ? L’opportunisme a remplacé la planification pour affronter cet avenir incertain. Aussi peut-on considérer que les promesses entrepreneuriales de réindustrialisation ont désormais trouvé leur format standard de « business model innovant » et qu’elles se révèlent, partout où elles se formulent, dans des espaces à la marge, tour à tour source d’espoir, de déception et objet de ressentiment.
Conclusion
Dans cet article, notre objet était de mieux comprendre en quoi consiste la promesse entrepreneuriale, promue comme solution dans le discours public depuis les débats autour de la reprise de Florange par le groupe Mittal. Si la promesse entrepreneuriale n’a pas réellement abouti, elle demeure encore centrale dans « l’ordre du discours » (Foucault, 1971) qui traite de la désindustrialisation. Le propre d’une promesse est de demeurer en suspens.
Si la figure de l’entrepreneur incarne la promesse d’avenir et si l’entrepreneuriat sert de cadre culturel (Fligstein, 1997) dans les débats publics, c’est que; face à la déprise industrielle et la désindustrialisation, aucune autre initiative ne paraît en mesure de changer cette situation de crise pérenne qui a fait de territoires industriels jadis centraux des espaces à la marge. L’entrepreneur et son « business model » innovant parie sur l’avenir, faute de pouvoir transformer le présent. Cette promesse pourrait décevoir, mais elle se caractérise par sa plasticité et son indétermination constitutive.
Nous avons observé que cette promesse n’est pas demeurée identique à elle-même sur ce laps de temps. En effet, cette promesse s’est ensuite, depuis les années 2020, redirigée vers des enjeux d’environnement et de croissance verte et pas seulement d’industrie traditionnelle comme la sidérurgie, créant un pendant à l’entrepreneur de continuité en la personne de l’entrepreneur de rupture. Force est de constater que les promesses des entrepreneurs, relai de l’action publique, ne répondent que partiellement aux attentes des acteurs concernés par la réindustrialisation sur un territoire industriel en crise comme le Val de Fensch.
Nous avons également pu constater que concernant les attentes qui accompagnent les actes des entrepreneurs, l’entrepreneur demeure tributaire de l’action publique. Ainsi, tel le banquier chez Schumpeter, évoqué comme « l’éphore de l’économie d’échange » (1983 : 105), l’entrepreneur préside aux destinées de l’économie en posant le cadre culturel de promesses d’avenir telle une banque de projets futurs.
Enfin, différents entrepreneurs ont des initiatives qui semblent aller dans différentes directions sans être incompatibles étant donné la portée limitée de chaque projet prometteur et l’aléa portant sur l’avenir puisqu’il se présente souvent à l’occasion de son lancement. Ainsi, concernant la direction à donner à la réindustrialisation; aucune direction claire dans le sens d’une réindustrialisation dans l’industrie lourde polluante ou dans des activités bas carbones voire dépolluante ne se dessine clairement. L’entrepreneur manifeste encore une présence, avec le soutien d’un financement public à l’industrie. Mais sur ces territoires, si les solutions en matière d’emplois et d’investissements semblent bien fragiles, à bas bruit, une vaste transformation du territoire en espace résidentiel patrimonialisé a eu lieu au service d’une économie frontalière vers le Luxembourg, donc un recentrage industriel hors de France.
Il nous semble que le cas de Florange et de Gandrange permet de penser les promesses entrepreneuriales pour la réindustrialiser au-delà du territoire mosellan dans la mesure où la bataille de Florange et celle de l’acier a pris, en France et en Europe, une dimension symbolique. Le changement climatique, les enjeux énergétiques, l’Inflation Reduction Act et la guerre en Ukraine transforment aujourd’hui cette symbolique industrielle et rendent plus saillantes encore les contradictions que nous avons observées à travers notre analyse critique des discours.
Des travaux futurs devraient permettre d’en savoir plus sur la promesse entrepreneuriale et « l’ordre du discours » sur des questions de réindustrialisation, decroissance verte et d’innovation.
Parties annexes
Note biographique
Elen Riot est professeur de stratégie à l’Université Paris 8-Vincennes au Laboratoire d’Economie Dyonisien. Elle est diplômée de l’ENS de Lyon et d’HEC Paris. Elle a soutenu son doctorat à l’école doctorale GREGHEC (La Sorbonne-HEC-Le CNAM-Polytechnique). Elle travaille sur le terrain en menant des enquêtes qualitatives approfondies au long cours. Ses domaines d’intérêt sont les organisations alternatives, l’entrepreneuriat et les questions de pouvoir dans les champs d’action stratégiques en relation avec l’intérêt général. Pour décrire et interpréter ce qui se passe dans ces champs, elle se concentre sur la gestion des impressions, les discours, les images et les représentations.
Notes
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[1]
Assemblée Nationale, Commission d’enquête (2022), N° 4923 rapport - Rapport d’enquête de M. Gérard Leseul chargée d’identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l’industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en oeuvre pour relocaliser l’industrie, 19 janvier 2022
-
[2]
« Dans le détail, on constate que les branches industrielles ont connu des évolutions différenciées. Les branches « industries extractives » et « fabrication de textiles, (...) ont perdu plus de 80 % de leurs effectifs entre 1974 et 2018. La part de cette dernière branche dans la valeur ajoutée industrielle s'est effondrée — de 7,5 % à 1,7 %. En effectifs absolus, les deux tiers des destructions nettes d'emplois industriels sont concentrés dans ces branches (...) [même si] la part de ces branches dans la valeur ajoutée industrielle s'est globalement maintenue (...). À l'opposé, l'emploi dans la brance « production et distribution d'eau; assainissement, gestion des déchets et dépollution » a enregistré une progression de 115 % (...). Le poids de ces branches dans la valeur ajoutée industrielle s'est également nettement accru entre 1974 et 2017. »
Bibliographie
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Parties annexes
Biographical note
Elen Riot is a full professor in strategy in the University of Paris 8-Vincennes at the Laboratoire d’Economie Dyonisien. She is a graduate from the ENS de Lyon and HEC Paris. She defended her Ph-D in the doctoral school La Sorbonne-HEC-Le CNAM-Polytechnique. She works in the field conducting in-depth, process-based qualitative investigations during several years. Her fields of interest are alternative organizations, entrepreneurship and power issues in strategic action fields in relation to public interest. To describe and interpret what happens in these fields from actors’ perspectives, she focuses on impression management, discourses, images and representations.
Parties annexes
Nota biográfica
Elen Riot es profesora titular de estrategia en la Universidad de París 8-Vincennes, en el Laboratoire d’Economie Dyonisien. Es licenciada por la ENS de Lyon y HEC París. Defendió su doctorado en la escuela doctoral La Sorbonne-HEC-Le CNAM-Polytechnique. Trabaja sobre el terreno realizando investigaciones cualitativas en profundidad basadas en procesos durante varios años. Sus campos de interés son las organizaciones alternativas, el espíritu empresarial y las cuestiones de poder en campos de acción estratégicos en relación con el interés público. Para describir e interpretar lo que ocurre en estos campos desde la perspectiva de los actores, se centra en la gestión de las impresiones, los discursos, las imágenes y las representaciones.