Résumés
Résumé
Cette étude se propose d’étudier l’effet de la présence des investisseurs institutionnels (II) sur le niveau de détention d’actifs liquides dans un contexte d’actionnariat familial. Les résultats empiriques révèlent que les II ayant un horizon d’investissement à long terme et une importante participation au capital sont plus à mêmes de contrôler et limiter l’accumulation d’actifs liquides. Cependant, un comportement d’investissement passif de la part de ces II conduit les dirigeants à privilégier leurs intérêts privés et d’extraire ainsi des rentes à partir de l’accumulation des liquidités. Les résultats montrent également que le contrôle familial peut modérer l’activisme institutionnel et amplifier en contrepartie la passivité de ces investisseurs. En effet, les entreprises familiales peuvent privilégier une coalition de contrôle avec les II passifs pour faciliter l’expropriation des intérêts des actionnaires minoritaires et affaiblir le pouvoir des II actifs.
Mots-clés :
- Investisseurs institutionnels,
- détention d’actifs liquides,
- actionnariat familial,
- hétérogénéité
Abstract
The purpose of this study is to examine the effect of the presence of institutional investors (II) on the level of cash holding in a context of family ownership. Empirical results reveal that IIs with a long-term investment horizon and majority ownership are better able to control and limit cash holding accumulation. However, a passive investment behavior from these II leads managers to favor their private interests and thus extract rents from high cash hoarding. The results also show that family control can moderate institutional activism and amplifies the passivity of these investors. Indeed, family firms may favor a coalition of control with passive IIs to facilitate the expropriation of minority shareholders’ interests and weaken the power of active IIs.
Keywords:
- Institutional investors,
- cash holding,
- family ownership,
- heterogeneity
Resumen
El propósito de este estudio es examinar el efecto de la presencia de inversores institucionales (II) sobre el nivel de tenencia de efectivo en un contexto de propiedad familiar. Los resultados empíricos revelan que los II con un horizonte de inversión a largo plazo y propiedad mayoritaria tienen mayor capacidad para controlar y limitar la acumulación de tenencia de efectivo. Sin embargo, un comportamiento de inversión pasiva de estos II lleva a los administradores a favorecer sus intereses privados y, por lo tanto, extraer rentas del alto acaparamiento de efectivo. Los resultados también muestran que el control familiar puede moderar el activismo institucional y amplifica la pasividad de estos inversionistas. De hecho, las empresas familiares pueden favorecer una coalición de control con los II pasivos para facilitar la expropiación de los intereses de los accionistas minoritarios y debilitar el poder de los II activos.
Palabras clave:
- inversores institucionales,
- tenencia de efectivo,
- propiedad familiar,
- heterogeneidad
Corps de l’article
Les investisseurs institutionnels (II) ont acquis au fil des ans une part de plus en plus élevée du capital des sociétés cotées (Zhang et al. 2019). Le marché boursier français a connu particulièrement une progression importante des II étrangers à partir de 2008 (Auvray, 2018). Ces acteurs financiers ont conduit à des changements drastiques dans le fonctionnement du capitalisme français en s’impliquant de plus en plus dans la structure de propriété de la plupart des entreprises cotées en bourse (Aglietta, 2008). Selon un récent rapport de « Af2i »[1], ces organismes possèdent en France plus de 3,144 milliards d’euros de placements, soit plus que le PIB ou la dette française. Un nombre considérable de recherches a exploré le rôle de la propriété institutionnelle dans la prise des décisions au sein des entreprises et particulièrement la décision d’accumuler des liquidités Wang et Wei 2021; Cheung et al. 2020). En effet, une hausse importante des liquidités partout dans le monde a été constatée (Amess et al. 2015; Pinkowitz et al. 2016). En France par exemple, la croissance du niveau des liquidités a passé de 10 % à 18 % de la valeur du PIB 2008 et 2014[2].
La littérature existante sur la propriété des II montre que ce type d’investisseurs présente des caractéristiques et des préférences hétérogènes (Brickley et al.1988; Bushee, 1998; Harford et al. 2018). Deux courants de pensée expliquent l’hétérogénéité des II. Un premier courant défend l’activisme de ces derniers qui se matérialise par un contrôle efficace des dirigeantes (Smith, 1996; Wahal, 1996; Kim et al. 2017). Ces investisseurs ont tendance à utiliser leurs droits de vote pour s’associer au processus de prise de décision, et influencer les actions et les orientations des entreprises. Par conséquent, l’activisme institutionnel constitue un mécanisme de gouvernance efficace susceptible de limiter la marge de manoeuvre des dirigeants (Kang et al. 2018; Ward et al. 2020). Le deuxième courant cependant approuve la passivité des II (Black, 1990; Bushee, 1998; Kang et al. 2019). Le comportement passif des II permet aux dirigeants de disposer d’une plus grande marge de liberté dans la prise de décisions (Black, 1990; Bushee, 1998; Kim et al. 2019; Liu et al. 2020). Ceci est de nature à favoriser l’opportunisme managérial et entrainer la prise de décisions risquées pour satisfaire les intérêts privés de ces deux acteurs. En pratique, les comportements actif et passif des II sont influencés par plusieurs facteurs à savoir l’horizon de placement (Bushee, 1998 et 2001), la concentration de l’actionnariat (Khan et al. 2005; Dang et al. 2018) et la nature de la relation avec les entreprises où ils investissent (Brickley et al. 1988).
Généralement, les entreprises s’engagent dans des activités d’accumulation des liquidités, non seulement parce qu’elles fournissent de la flexibilité pour exploiter les opportunités d’investissement (Opler et al. 1999), mais également parce qu’elles les protègent contre les chocs de flux de trésorerie négatifs qui pourraient les obliger à renoncer à de précieuses opportunités d’investissement (Stulz, 1990). Néanmoins, les actifs liquides sont facilement accessibles aux dirigeants et une grande partie de leur utilisation est discrétionnaire (Dittmar et Mahrt-Smith, 2007). Par conséquent, ces actifs sont susceptibles d’être utilisés par les dirigeants à des fins opportunistes au détriment des intérêts des actionnaires, en particulier dans les pays dotés d’un faible système de protection des actionnaires (Dahya et al. 2009). La littérature a peu exploré l’effet de l’hétérogénéité des II sur la détention des actifs liquides (Wang et Wei, 2021; Cheung et al. 2020).
Notre recherche s’inscrit dans ce cadre en s’appuyant sur les deux types de conflits d’agence. Le premier conflit découle de la séparation entre la propriété et la gestion (Jensen et Meckling, 1976). D’après Jensen (1986), les dirigeants seraient incités à accumuler des niveaux élevés d’actifs liquides pour financer des projets d’investissement peu ou pas rentables pour les actionnaires (Dittmar et al. 2003; Harford et al. 2008; Bhuiyan et Hooks, 2019). Cependant, les actionnaires sont considérés comme neutres par rapport au risque car ils détiennent leurs actifs dans des portefeuilles très diversifiés (Demski et Feltham, 1978). Ce comportement vis-à-vis du risque d’accumulation des liquidités ne s’applique pas nécessairement à tous les actionnaires en raison de leur hétérogénéité.
Les II sont également présents dans le contexte des entreprises familiales qui sont dominantes dans le contexte français (Bouzgarrou et Navatte, 2014). Une entreprise familiale qui cherche à prendre de l’expansion peut avoir besoin de capitaux externes auprès des II. Cette situation est particulièrement intéressante dans la mesure où les actionnaires familiaux ont souvent des objectifs et des aspirations différentes de ceux des II. Par ailleurs, la concentration de l’actionnariat chez les familles apparaît dans la littérature comme un facteur important pouvant affecter les décisions stratégiques de l’entreprise (Koropp et al. 2014). Partant, un conflit d’agence du type (II) entre les actionnaires majoritaires et externes est prononcé. En effet, l’asymétrie d’information et les intérêts opposant détenteurs informés (actionnaires majoritaires) et non informés (actionnaires minoritaires) peut avoir des incidences sur la prise de décisions dans l’entreprise. Face à ce constat, il est légitime de s’interroger sur les effets de la présence des II sur la détention de liquidités dans le contexte spécifique des entreprises familiales.
Cette étude apporte plusieurs contributions à la littérature. Tout d’abord, à ce jour il n’y a pas une analyse complète du rôle des II, et notamment de l’hétérogénéité de la propriété institutionnelle sur la détention des actifs liquides. À notre connaissance, seules les études de Wang et Wei (2021) et Cheung et al. (2020) apportent leur contribution à l’étude de l’effet de la propriété des II sur la détention de liquidités. En outre, nous contribuons à cette récente littérature en testant l’hétérogénéité des II en termes d’horizon, de propriété, de contrôle et de la nature de la relation avec les entreprises où ces II investissent.
Par ailleurs, malgré l’évolution considérable de la propriété familiale dans le monde entier et en particulier en France, il n’existe aucune étude qui a souligné l’importance de tenir compte de la nature des principaux actionnaires lors de l’analyse du risque d’accumulation des liquidités. Récemment, Rossi et al. (2018) appellent à plus de recherches sur la structure de propriété des entreprises familiales ainsi que les types des coalitions qui pourraient se former au sein de ce type spécifique d’entreprises. L’exploration de cette question reste également importante car la croissance des II est devenue un phénomène mondial et ces derniers représentent une force dominante sur les marchés financiers[3], en particulier dans les entreprises familiales cotées en bourse (Fernando et al. 2014). La faible protection juridique des investisseurs en France a tendance à amplifier les conflits d’agence entre actionnaires majoritaires et minoritaires. Ce papier vise ainsi à mettre en exergue l’efficacité de l’activisme institutionnel, dans un contexte de concentration de l’actionnariat familial où des coalitions de contrôle pourraient être créées.
Sur la base d’un échantillon de 200 entreprises françaises cotées durant les années 2008 à 2017, nos résultats ont révélé que les II actifs en vertu de leur horizon d’investissement à LT, de leur importante participation au capital des entreprises et de leur relation de nature strictement d’investissement sont plus à mêmes de contrôler et d’orienter les actions des dirigeants. En effet, l’activisme institutionnel permet de minimiser l’opportunisme managérial en termes d’accumulation d’actifs liquides. Cependant, le comportement passif de ces II conduit les dirigeants à privilégier leurs intérêts privés et d’extraire ainsi des rentes à partir de l’accumulation des liquidités. Les résultats empiriques ont montré également que l’implication et le contrôle de la famille peuvent modérer l’activisme institutionnel et amplifier en contrepartie la passivité ou la neutralité institutionnelle. En effet, les entreprises familiales peuvent recourir à une coalition de contrôle avec les institutions passives pour faciliter l’expropriation des intérêts des actionnaires minoritaires et minimiser le pouvoir de contrôle des institutions actives.
Contexte théorique et développement d’hypothèses
Les spécificités du contexte français
Le cas français nous a paru un terrain d’investigation intéressant pour deux raisons. Tout d’abord, les II se caractérisent par le poids important des transactions qu’ils gèrent en France. D’après le rapport émis par l’OCDE (2014), les II français géraient presque 3,048 milliards d’euro, tandis que les actionnaires individuels français géraient seulement 1 400 milliards d’euro. Ces organismes financiers représentent tous les investisseurs non individuels tels que les organismes de placement collectifs, les fonds de pensions, les institutions financières, les compagnies d’assurance. L’importance de ces diverses institutions financières est très variable d’un pays à un autre. Les assurances dominent au Japon, tandis que les fonds de pension ont le plus gros portefeuille aux États-Unis. En France, la première place est occupée par les OPCVM[4] (Caby et Hirigoyen, 2013). Par conséquent, l’institutionnalisation de ce marché n’a cessé d’évoluer, d’une part par la montée en puissance de l’actionnariat des II français, et d’autre part par la présence élevée et souvent majoritaire des institutionnels étrangers (Morin et Rigamonti, 2002).
Ensuite, l’environnement de gouvernance en France se caractérise par un actionnariat concentré qui diffère de celui américain et britannique (La Porta et al.1999; Faccio et Lang, 2002). Par exemple, aux États-Unis, un tiers des entreprises cotées sur le S&P500 sont des entreprises familiales (Anderson et Reeb, 2003). Cette proportion est plus élevée en dehors des pays anglo-saxons où la protection des actionnaires minoritaires est faible (La Porta et al. 1999). Selon « Family Business Network International (2008) », les entreprises familiales représentent 60 à 85 % des entreprises en Europe et 77,78 % en France (Boubaker et al. 2013). Les membres de la famille contrôlante font partie de l’équipe de direction dans une majeure proportion de ces entreprises dans le contexte Français (Faccio et Lang, 2002; Boubaker, 2007).
Aussi, le système légal joue un rôle crucial dans la compréhension de la décision d’accumulation des liquidités dans divers pays (Ferreira et al. 2004). Contrairement au système de droit commun en vigueur dans les pays anglo-saxons, la France est soumise au système de droit civil. Ce système est fortement rattaché aux niveaux modérés de protection des investisseurs (Dahya et al. 2009) et la forte présence des problèmes d’agence entre les actionnaires familiaux et non familiaux en France (Charlier et Lambert, 2013). Par conséquent, la capacité des II à contrôler les dirigeants ou les actionnaires familiaux varie considérablement d’un pays à l’autre et dépend essentiellement de l’environnement juridique du pays. Les entreprises appartenant à des pays où la protection des actionnaires est faible devraient détenir plus de liquidités que celles opérant dans des environnements institutionnels à forte protection des investisseurs (La Porta et al. 2000; Dittmar et al. 2003).
La propriété des II et la détention des actifs liquides
Les motifs de détention des liquidités sont classés en deux principales catégories, à savoir, les incitations défensives et les problèmes d’agence (Zhou et al; 2021). Ces deux motifs font des prédictions opposées quant à l’incidence du comportement des dirigeants sur la politique d’accumulation des liquidités. Selon le motif de précaution, les entreprises accumulent des liquidités pour amortir les chocs financiers défavorables et pour éviter les contraintes de financement (Almeida et al. 2004). Ce motif assure l’alignement des intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires. Dans ce contexte, la décision de détention de liquidités est une décision qui crée de la valeur actionnariale.
Inversement, la théorie du free cash-flow de Jensen (1986) suppose qu’il existe un problème d’agence généralisé dans les sociétés cotées. Les actionnaires s’attendent à ce que la direction leur distribue les liquidités restantes sous forme de dividendes après que tous les projets rentables ont été investis. Cependant, la disparité des intérêts entre les dirigeants et les actionnaires externes peut donner lieu à des asymétries d’information entre les parties prenantes, ce qui conduit à amplifier le comportement opportuniste des dirigeants (Jensen et Meckling, 1976). En effet, ce comportement peut amener les entreprises à investir leurs actifs liquides de manière inefficace (Bhuiyan et Hooks 2019). Ainsi, si la détention de liquidités est la conséquence de problèmes d’agence, les mécanismes qui atténuent ces problèmes devraient également réduire les actifs liquides. Une littérature abondante a établi que les II peuvent atténuer ces conflits en tant qu’acteurs majeurs de gouvernance (Ward et al. 2020). D’un point de vue théorique cette relation trouve sa justification à travers notamment l’hypothèse du contrôle efficient (Pound, 1988; La Porta et al. 2000). Toutefois, un autre courant de la littérature avance que ces investisseurs sont réticents à payer les coûts de surveillance (Pozen, 1994). Par conséquent, ils n’ont pas tendance à exercer une pression sur les dirigeants des entreprises (Black, 1990; Liu et al. 2020), ce qui favorise le comportement d’accumulation des liquidités de la part de ces derniers.
D’après ce qui précède, la relation entre l’actionnariat des II et la détention des actifs liquides est ambiguë. Ceci nous conduit à formuler l’hypothèse non directionnelle suivante :
H1 : Il existe une relation entre l’actionnariat institutionnel et la détention des actifs liquides.
La propriété des II passifs et la détention des actifs liquides
Les II passifs sont considérés comme des propriétaires transitoires, qui ont des portefeuilles très diversifiés et sont à la recherche des performances à CT (Kim et al. 2019; Liu et al. 2020). Selon l’hypothèse de la neutralité du risque, les actionnaires peuvent être neutres en matière de risque parce qu’ils détiennent leur patrimoine dans des portefeuilles diversifiés (Demski et Feltham, 1978). Cette attitude myope des institutions passives à l’égard du risque permet aux dirigeants de disposer d’une large marge de liberté dans leurs prises de décisions (Bushee, 1998 et 2001). Ainsi, la préférence des dirigeants pour la construction d’empires les amène à modifier la stratégie de la gestion des liquidités en leur faveur. En effet, les dirigeants seraient plus incités à s’engager dans des activités coûteuses et destructrices de valeur qui, à leur tour, affectent les liquidités. Les études de Kempf et al. (2017) et Harford et al. (2008) rapportent que les entreprises dont les structures de gouvernance sont faibles, semblent dissiper plus rapidement leurs liquidités par le biais d’acquisitions. De même, Jensen (1986) affirme qu’en présence de faibles opportunités d’investissement, les dirigeants préfèrent conserver des liquidités pour leur propre intérêt au lieu d’augmenter les dividendes pour les actionnaires. En ce sens, les dirigeants sont susceptibles d’utiliser ces liquidités dans des projets douteux ou en acquisitions inefficaces afin de satisfaire leur propre fonction d’utilité du fait de la facilité de détournement des actifs liquides (Myers et Rajan 1995).
Par ailleurs, l’hypothèse de l’alignement stratégique de Pound (1988) stipule que les II sont obligés de soutenir les dirigeants dans leurs décisions du fait de l’existence d’autres relations d’affaires avantageuses avec l’entreprise. Les II trouvent un avantage réciproque dans la coopération avec les dirigeants. En effet, les II passifs et les dirigeants ont des objectifs à court terme et cherchent la rentabilité immédiate. C’est en ce sens que les banques et les compagnies d’assurance, ayant des relations d’affaires avec les dirigeants, semblent avoir tendance à s’éloigner de toute confrontation avec ces derniers et sont plus susceptibles d’adhérer aux décisions des dirigeants (Brickley et al. 1988). Ils peuvent ainsi accepter une stratégie cumulative d’actifs liquides au sein de l’entreprise.
Les arguments qui précèdent laissent supposer que les II passifs sont associés à une stratégie d’accumulation de liquidités pour en tirer des rentes en coopérant avec les dirigeants. Notre première hypothèse est formulée ainsi comme suit :
H2 : Il existe une relation positive entre la propriété des II passifs et la détention des actifs liquides.
La propriété des II actifs et la détention des actifs liquides
L’implication des II dans le système de contrôle des entreprises et l’adoption d’une attitude active favorise la limitation de la discrétion managériale (Harford et al. 2018). Ce comportement actif peut s’expliquer par l’hypothèse du contrôle efficient qui suppose que les II sont des contrôleurs actifs et performants (Pound, 1988; La Porta et al. 2000). En effet ils disposent de ressources importantes et de compétences spécifiques et profitent d’un meilleur accès aux informations dans l’entreprise. Ces avantages permettent aux institutionnels d’exercer un contrôle rigoureux sur les dirigeants en limitant leurs engagements dans des mauvaises offres de fusions et acquisitions (Harford et al. 2018). En outre, la présence de ces II garantit une distribution régulière des dividendes aux actionnaires (Short et al. 2002). Cela diminue les flux de trésorerie accessibles aux dirigeants et atténue les problèmes d’agence associés aux flux de trésorerie disponibles. En conséquence, l’hypothèse du contrôle efficient plaide en faveur d’une relation négative entre la propriété institutionnelle et la détention d’actifs liquides. Par ailleurs, contrairement aux II passifs qui sont obligés d’appuyer les dirigeants dans leurs décisions du fait de l’existence d’autres relations commerciales (Pound, 1988), les II actifs sont indépendants par rapport aux dirigeants. Les II actifs et notamment les fonds de pension et les sociétés d’investissement sont capables de résister aux préférences des dirigeants pour l’accumulation des liquidités. Ils sont plus susceptibles de s’opposer aux décisions destructrices de valeur qui pourraient affecter les intérêts des actionnaires externes (Brickley et al. 1988; Ward et al. 2018).
Le développement précédent nous amène à formuler notre seconde hypothèse comme suit :
H3 : Il existe une relation négative entre la propriété des II actifs et la détention des actifs liquides
Hétérogénéité des II et détention des actifs liquides dans les entreprises familiales
L’effet de la présence d’une famille en tant qu’actionnaire majoritaire sur les décisions prises dans l’entreprise est ambigu. D’une part, l’objectif de préservation de la richesse socio-émotionnelle peut amener les entreprises familiales à privilégier des objectifs non économiques pour assurer la transmission de l’entreprise familiale aux générations futures (Berrone et al. 2010). D’autre part et selon la théorie de l’agence, les entreprises familiales sont sujettes aux conflits d’agence entre actionnaires de contrôle et actionnaires minoritaires (Jensen et Meckling, 1976). Partant, ce conflit d’agence implique que les membres de la famille tirent de meilleurs bénéfices en détenant des liquidités dans l’entreprise sous forme de rentes (Liu et al. 2015). Par conséquent, l’actionnariat familial devient coûteux lorsque le contrôle par la famille est de plus en plus important (Caprio et al. 2020).
Nous retenons l’hypothèse de l’enracinement selon laquelle les actionnaires familiaux ont tendance à renforcer leur position de contrôle dans l’entreprise pour s’enraciner et exproprier les intérêts des actionnaires minoritaires (Shleifer et Vishny, 1986). Conformément à cette hypothèse, les coalitions entre actionnaires constituent un outil permettant au propriétaire dominant d’amplifier son pouvoir et d’extraire des avantages privés aux dépens des actionnaires minoritaires (Perrini et al. 2008). Par conséquent, avec une plus grande concentration de pouvoir par le biais de la stratégie de coalition, les familles peuvent tirer facilement des rentes grâce à des décisions d’accumulation d’actifs liquides.
La famille peut jouer un double rôle en présence des II car ces derniers sont hétérogènes et ont une attitude différente à l’égard de la détention des actifs liquides. D’une part, selon l’hypothèse de l’alignement stratégique (Pound, 1988), les II passifs sont plus susceptibles de bénéficier de telles coalitions avec les propriétaires familiaux, du moment qu’ils cherchent à s’engager dans d’autres relations d’affaires avec les entreprises dans lesquelles ils investissent. En effet, ces institutions passives sont principalement les sociétés bancaires et d’assurance qui peuvent fournir des opérations de crédit, de gestion de la trésorerie et des contrats d’assurance aux entreprises familiales (Brickley et al. 1988).
D’un autre côté, avec un contrôle plus large de la propriété familiale, la capacité des II actifs à surveiller les familles peut s’avérer limitée. Comme le montrent Dyck et Zingales (2004), les mécanismes de contrôle peuvent devenir partiellement ou totalement inefficaces dans le cas où l’actionnaire dominant occupe un poste de direction ou détient une participation majoritaire dans le capital d’une société. Par conséquent, les entreprises contrôlées par la famille sont les « créateurs de pression » et sont peu susceptibles d’être influencées par d’autres propriétaires institutionnels (Johnson et al. 2010), en particulier lorsque la famille recourt à un renforcement du contrôle par le biais d’une coalition. Une telle coalition accroît alors l’incitation du groupe d’actionnaires majoritaires à capter des ressources à son profit et atténue simultanément le pouvoir disciplinaire des institutions actives. Les arguments qui précèdent nous amènent à formuler les deux hypothèses suivantes :
H4 : La famille amplifie l’effet positif des II passifs sur la détention des actifs liquides.
H5 : La famille atténue l’effet négatif des II actifs sur la détention des actifs liquides.
Méthodologie de la recherche
Échantillon et collecte de données
Notre échantillon initial est composé de 250 entreprises françaises cotées à l’indice « CAC All-Tradable » sur une période s’étalant de 2008 à 2017. Nous avons écarté 14 institutions financières à cause de la spécificité de leurs besoins de liquidités. Nous avons exclu également 36 entreprises pour lesquelles des informations financières étaient manquantes afin d’éviter des erreurs statistiques potentielles. L’échantillon final regroupe 200 entreprises. Les données comptables et financières annuelles ont été collectées dans la base de données WorldScope. Pour les données relatives aux variables de la structure de propriété institutionnelle et familiale, nous avons couplé les données disponibles dans la base de données « Thomson Financial » avec celles figurant dans les rapports annuels (ou documents de référence des entreprises).
Mesures de l’hétérogénéité des II
Nous distinguons principalement deux types d’investisseurs institutionnels : actifs et passifs en fonction de leur degré d’implication dans la gestion et le gouvernement de la firme. Nous avons identifié trois sources de différenciation des II : La première source est l’horizon d’investissements qui peut varier du court au long terme, et influencer en conséquence leur comportement soit vers la passivité « myopie » (Bushee, 1998) ou plutôt vers l’engagement (Kochhar et David, 1996). Nous avons retenu le plus récent indicateur testé par Yin et al. (2018). Toute propriété institutionnelle de plus de trois ans est classée comme propriété à long terme (LINS). Les II à CT correspondent à ceux dont l’horizon de détention est inférieur à 1 an (SINS).
Le second facteur est le niveau de participation des II dans la structure d’actionnariat. Nous supposons que leur niveau de participation peut influencer leur orientation, et en conséquence leur comportement (Khan et al. 2005). Un investisseur institutionnel est considéré comme majoritaire (INSMAJ) s’il détient au moins 5 % du capital d’une société (Dang et al. 2018). La variable INSMIN inclut la part des institutionnels minoritaires, soit ceux détenant moins de 5 % du capital.
Finalement, nous classons les investisseurs en deux groupes, à savoir les II résistants par rapport à ceux sensibles. D’après Brickley et al. (1988), les banques et les compagnies d’assurance sont considérées comme des II passifs ou sensibles aux pressions des dirigeants en raison de leurs liens contractuels. Le groupe englobant les II actifs ou résistants aux pressions des dirigeants comprend les fonds de pension et les sociétés d’investissement. La propriété institutionnelle sensible (SENS) représente ainsi le pourcentage des actions détenues par des II passifs. La propriété institutionnelle résistante (RES) représente le pourcentage des actions détenues par les II actifs.
Méthodologie
Afin de tester l’effet de l’hétérogénéité de la propriété des II sur la détention des actifs liquides, nous utilisons une spécification dynamique. Dans le contexte de notre analyse, un cadre de données de panel dynamique est utile pour deux raisons. Premièrement, en se basant sur le modèle d’ajustement partiel proposé par Ozkan et Ozkan, (2004), ce modèle nous permet d’examiner la nature dynamique des décisions de détention d’actifs liquides. Une spécification dynamique reconnaît que les entreprises peuvent avoir des ratios d’actifs liquides cibles difficiles à atteindre instantanément. Deuxièmement, une spécification dynamique aide à contrôler le problème d’endogénéité due à la causalité inverse. En effet, les actifs liquides, l’actionnariat familial et la propriété des II peuvent être endogènes, dans la mesure où les II peuvent avoir une préférence pour des entreprises disposant beaucoup des liquidités lors du choix de leurs investissements (Myers et Rajan, 1998; Pinkowitz et al. 2006).
L’estimation par la méthode des moments généralisés « GMM » est ainsi la plus appropriée (Nickell, 1981; Roodman, 2009). Plus précisément, nous utilisons l’estimateur GMM en système proposé par Arellano et Bover (1995) et développé par Blundell et Bond (1998).
Dans le but de tester nos hypothèses, et en se référant aux études de Ozkan et Ozkan (2004) et Loncan (2020), nous estimons les modèles d’actifs liquides à ajustement partiel dynamique suivants :
Avec : i =1,…….N; t=1,……T; λ : L’effet industriel.; ε : Le terme d’erreur.
CASH : est le ratio des liquidités et équivalents de liquidités par le total actif (Opler et al. 1999; Bates et al. 2009).
TOTALINS : représente le pourcentage des actions détenues par tous les II.
INSACTIF : représente l’une des trois mesures de la propriété des II actifs à savoir LINS, INSMAJ et RES.
INSPASSIF : représente l’une des trois mesures de la propriété des II passifs à savoir SINS, INSMIN et SENS.
Nous incluons les variables de contrôle suivantes dans nos modèles : SIZE : représente la taille de l’entreprise mesurée par le logarithme népérien de total actifs (Opler et al. 1999; Ferreira et Vilela, 2004). LEV : est le ratio de la dette totale par rapport au total des actifs (Ferreira et Vilela, 2004). MKTB : est une mesure des opportunités de croissance. Ce ratio est obtenu en divisant la valeur du marché de la firme i à la date t par sa valeur comptable. PROFIT : est la rentabilité financière calculée en divisant le résultat avant impôt par le total des actifs (Ferreira et Vilela, 2004). NWC : le fonds de roulement net correspond au ratio (actifs courants – passifs courants – liquidités et équivalents de liquidités)/total des actifs (Bates et al. 2009). CF : les flux de trésorerie sont mesurés par le ratio des flux de trésorerie opérationnel par rapport au total des actifs (Ferreira et Vilela, 2004). DIVID : est une variable dichotomique égale à 1 si la firme verse les dividendes et 0 sinon (Ferreira et Vilela, 2004). CAPEX : mesure les dépenses d’investissement correspond au rapport entre les dépenses en capital et le total des actifs (Opler et al. 1999). Voir Annexe (1).
Nous testons par ailleurs l’effet modérateur de l’actionnariat familial sur la relation entre la propriété institutionnelle (active/passive) et la détention des liquidités. Nous suivons dans ce cadre la définition de Villalonga et Amit (2006), selon laquelle une entreprise est considérée familiale si un ou plusieurs membres de la famille fondatrice sont administrateurs, dirigeants ou détenteurs de blocs, et dans laquelle la propriété familiale est supérieure à 5 %.
Le modèle de régression avec variable modératrice se présente alors comme suit :
Avec :
INSOWN : représente l’une des mesures de la propriété des II (actifs/passifs)
FOWN : une variable dichotomique qui prend la valeur 1 lorsque l’actionnaire de contrôle est un actionnaire familial et 0 dans le cas contraire.
Résultats et analyses
Analyse descriptive
Le tableau 1 présente les statistiques descriptives de nos variables dépendantes et indépendantes. Comme le montre ce tableau, la valeur moyenne des actifs liquides représente 16,4 %. Le tableau 1 indique également la forte participation des II à la structure d’actionnariat des sociétés de l’indice « CAC All-Tradable », avec de fortes disparités. Leurs participations varient de 4,9 % (pour un quantile de 10 %) à 88,4 % (pour un quantile de 90 %) avec une moyenne de 38,7 %. Le pourcentage de la moyenne d’actions détenues par les institutions à court terme (SINS) est de 7 %, alors que les institutions à long terme (LINS) enregistrent une moyenne de 25,1 %. Il existe donc une grande variabilité des participations des II. Aussi, la part des institutions sensibles (SENS) est de 4,2 % alors que les II résistants (RES) illustrent une moyenne de 28 %. On peut déduire de ces constats que les entreprises françaises optent pour un niveau plus important d’activisme institutionnel.
Matrice de corrélation
Le tableau 2 présente la matrice de corrélations de Pearson. Nous constatons que la variable indépendante (TOTALINS) est corrélée à la détention des actifs liquides. Le tableau montre l’absence de forte multi-colinéarité entre nos variables d’étude. Le coefficient le plus fort présente une corrélation négative entre le niveau des Fonds de roulement net et l’effet de levier (-0,698 1) suivi par le coefficient positif entre la variable « DIVD » et la taille de l’entreprise (0,515 2). Le troisième coefficient le plus élevé est celui de la variable « PROFIT » et « CF » (0,509 7). Nous calculons également les valeurs du (VIF) pour vérifier l’absence du problème de multicolinéarité. Les valeurs du VIF varient entre 1,01 et 3,26 en dessous du seuil de 10 (Neter et al. 1996), ce qui confirme l’absence de problème de multicolinéarité.
Résultats et discussions
Impact de la propriété des II sur la détention des actifs liquides
Les résultats du tableau 3 (colonne 1) mettent en évidence la présence d’une relation positive et significative entre la propriété totale des II et la détention des actifs liquides. La présence des II ne semble pas ainsi limiter l’accumulation des actifs liquides dans les entreprises françaises cotées. Ce résultat confirme la théorie du free cash-flow de Jensen (1986) selon laquelle les dirigeants préfèrent la détention des niveaux importants de liquidités du fait de la facilité de détournement de ces actifs même en présence d’II.
En distinguant entre les II en fonction de leur degré d’implication dans la gestion de la firme, nos résultats montrent que les II actifs affectent négativement la détention des actifs liquides, tandis que les institutions passives sont positivement liées à la détention de liquidités (CASH). Plus précisément, nous avons considéré l’horizon de placement comme étant un premier facteur pouvant favoriser un comportement actif de ces derniers. L’identification de ce comportement actif à un effet négatif sur le niveau de détention d’actifs liquides dans l’entreprise. En effet, les II à long terme exercent leur rôle de contrôle de façon efficace, ce qui leur permet de forcer les dirigeants à réduire les réserves de liquidités. Quant aux institutionnels ayant un horizon d’investissement à court terme, les résultats montrent que ces derniers influencent positivement la détention d’actifs liquides. Ceci converge avec les résultats trouvés par Ward et al. (2020) et Wang et Wei (2021).
Notre deuxième facteur de distinction entre les II suppose qu’un comportement actif de ces derniers dépend du degré de leur participation majoritaire au capital de l’entreprise. Nos résultats sont en ligne avec ces propositions pour des niveaux de concentration des institutionnels au-delà de 5 % et inversement pour les II minoritaires. Nous déduisons qu’avec l’accroissement de la participation des II, il devient plus avantageux pour ces II d’exercer un contrôle plus rigoureux permettant de limiter la capacité managériale à dépenser les actifs liquides. Notre résultat converge avec celui de Cheung et al. (2020) qui, sur un échantillon d’entreprises américaines, trouvent que les II ayant des portefeuilles très diversifiés sont moins actifs dans leur rôle de surveillance.
Nous avons également distingué entre les II actifs résistants qui développent une unique relation d’investissement et les II passifs sensibles. Le tableau 3 montre que la propriété des II résistants est négativement liée avec la détention d’actifs liquides. En ce sens, l’activisme institutionnel constitue un mécanisme de gouvernance efficace en diminuant le risque d’expropriation des droits des actionnaires minoritaires. Pour les investisseurs sensibles, les résultats confirment la passivité de ces investisseurs Dans ce cas, l’objectif derrière l’existence de relations d’affaires peut dominer l’objectif d’investissement. Ces résultats font écho à l’idée avancée par Jiang et Liu (2021) qui affirment que la surveillance par les II actifs incite les dirigeants de se concentrer davantage sur les objectifs à long terme de l’entreprise. En somme, ces résultats confirment nos deux hypothèses (H2 et H3).
Les résultats pour les variables de contrôle sont en grande partie significatifs et cohérents avec les études antérieures (par exemple, Opler et al. 1999). Le niveau de la liquidité est positivement lié au Cash-flow opérationnel, tandis qu’il est négativement lié à la taille de l’entreprise, au fonds de roulement net, aux dépenses en capital, à l’effet de levier, à la rentabilité et à la distribution des dividendes. Le coefficient significatif positif des flux de trésorerie (CF) est conforme à la théorie de la hiérarchie de financement. En outre, les grandes entreprises réalisent des économies d’échelles, de sorte qu’elles ne détiennent pas de grandes réserves de trésorerie. Les entreprises dont le fonds de roulement net est élevé détiennent également moins de liquidités, car les actifs détenus comme fonds de roulement net remplacent les liquidités. De même, les entreprises fortement endettées et les entreprises versant des dividendes ont des stocks de liquidités plus faibles. Ces entreprises distribuent périodiquement des liquidités aux investisseurs et disposent donc de moins des actifs liquides.
Le rôle des entreprises familiales
Nous étudions dans ce qui suit l’effet modérateur de la propriété familiale sur la relation entre les II (actifs/passifs) et la détention des liquidités. Pour les II passifs, les résultats présentés dans le tableau 4 (colonnes 1, 2 et 3) montrent que les coefficients d’interaction entre les II passifs et l’actionnariat familial sont positifs et statistiquement significatifs au seuil de 1 %. Cela signifie que la présence des blocs de participation familiale peut amplifier l’effet positif des II passifs sur la détention des actifs liquides. Ainsi, la présence des actionnaires familiaux dans les entreprises peut être bénéfique aux II à CT. En effet, les II passifs composés des sociétés bancaires et d’assurance participent dans les entreprises familiales afin de renforcer leurs relations commerciales. Pour préserver ces relations et garder les opportunités commerciales futures avec l’entreprise familiale, ils peuvent être moins actifs dans le suivi des décisions familiales que les II actifs (Kochhar et David, 1996).
Ces résultats sont compatibles avec les prédictions de l’hypothèse de l’enracinement (Shleifer et Vishny, 1986), selon laquelle l’actionnaire dominant peut recourir à une coalition d’actionnaires afin d’amplifier son pouvoir et d’extraire des avantages privés aux dépens des actionnaires minoritaires (Perrini et al. 2008). En guise de conclusion, ces résultats tendent à confirmer une palette de travaux antérieurs montrant que les actionnaires familiaux ayant une forte implication dans l’entreprise sont susceptibles de recourir à une accumulation des liquidités pour satisfaire leur propre intérêt (Liu et al.2015; Caprio et al. 2020).
Pour les II actifs, les résultats de tableau 4 (colonnes 4, 5 et 6) montrent également que les coefficients d’interaction entre les II actifs et l’actionnariat familial sont positifs et significatifs et ce, pour les trois mesures d’actifs liquides. Ces résultats montrent qu’en présence d’entreprises familiales, l’effet des II actifs devient positif. Ceci suggère que l’implication des familles affaiblit le contrôle exercé par les II actifs. Ce qui amène la famille à s’enraciner davantage pour exproprier les intérêts des actionnaires minoritaires et à neutraliser le contrôle par les II actifs.
De façon synthétique, recourir à la politique d’accumulation des actifs liquides permet de maximiser les avantages privés des actionnaires familiaux et des institutionnels passifs au détriment des actionnaires minoritaires. Aussi, cette coalition entre les actionnaires familiaux et les II passifs peut aggraver les conflits d’agence de type II au sein des entreprises familiales. Contrairement à l’étude de Kang et al. (2018) qui montre que les II actifs assurent un contrôle efficace au sein des entreprises, nos résultats montrent que l’activisme institutionnel peut ne pas être toujours bénéfique, en particulier au sein des entreprises familiales. En effet, une coalition de contrôle pourrait se former en permettant aux actionnaires familiaux d’élargir leur espace discrétionnaire et neutraliser le contrôle par les II actifs.
Analyses de Robustesse
Régressions quantiles : Nous adoptons la méthodologie des régressions quantiles inspirée des travaux de Koenker et Hallock (2001) permettant de tester l’effet de l’actionnariat institutionnel sur les différents niveaux de la variable cash (faibles et élevés). Cette méthode permet de donner une image plus complète de la relation entre l’actionnariat institutionnel et le comportement accumulateur des actifs liquides. Les résultats présentés dans le tableau 5 montrent que les II passifs ont un effet positif et croissant sur la détention des actifs liquides. L’effet le plus important est enregistré pour les quantiles 50 % et 75 %. Ceci suggère qu’en présence d’II passifs, les dirigeants sont amenés à détenir des niveaux de trésorerie en excès pour des fins de détournement. Les résultats montrent également que l’actionnariat institutionnel actif présente une sensibilité négative pour les différents niveaux de la trésorerie au sein des entreprises françaises confirmant nos principaux résultats.
Mesures alternatives de l’hétérogénéité des II : Nous utilisons deux mesures alternatives de classification des II. Le premier facteur concerne la représentation des institutionnels au conseil d’administration (Afza et Nazir, 2015). Ces derniers ont classé les II passifs comme ceux qui ne sont pas présents au conseil d’administration des sociétés dans lesquelles ils investissent. A l’inverse, les institutionnels engagés ou actifs sont ceux ayant des représentants au conseil d’administration et qui ont choisi d’exercer une surveillance efficace à travers l’utilisation de leurs droits de vote. Notre deuxième mesure alternative est basée sur le pourcentage du capital détenu par les II (Chung et al. 2002). Pour chaque année, nous calculons le pourcentage médian d’actionnariat institutionnel des entreprises de l’échantillon. Nous construisons la variable IIACTIF qui représente la part des institutionnels si sa valeur est au-dessus de la médiane, alors que IIPASSIF représente la part des institutionnels si sa valeur est en-dessous de la médiane. Lorsque la variable II est supérieure à la médiane, nous supposons que les institutionnels sont fortement incités à surveiller et à influencer les gestionnaires, tandis que si elle est inférieure à la médiane, les institutions ont des incitations plus faibles. Les résultats du tableau 6 sont cohérents avec les résultats trouvés précédemment.
Mesures alternatives des actifs liquides : Nous utilisons deux mesures alternatives du cash : CASH1 est le rapport entre les actifs liquides et le chiffre d’affaires (Dittmar et al. 2003). ADJCASH est une mesure des actifs liquides ajustée par rapport au secteur (Harford et al. 2008). Elle est calculée par la différence entre le ratio de trésorerie par rapport au total actif et le niveau médian du secteur. Le tableau 7 montre que l’effet des II actifs et passifs demeure inchangés en retenant ces deux mesures.
Impact de la crise financière 2008-2009 sur la détention des actifs liquides
Nous contrôlons l’effet de la crise financière sur la relation entre II et détention de la liquidité. Nous incluons une variable dichotomique égale à pour les années 2008-2009 et 0 sinon. Les résultats de tableau 8 montrent une hausse significative du ratio des liquidités durant la période de crise. Les résultats montrent également qu’en présence de la crise financière, l’effet positif de l’actionnariat des II est amplifié. En effet, les incertitudes liées à la crise poussent les dirigeants à accumuler de la trésorerie par motif de précaution (Lozano et Yaman, 2020).
Mesure alternative de l’actionnariat familial
Nous utilisons une variable alternative de l’actionnariat familial inspirée des travaux de La porta et al. (1999). D’après ces auteurs, une entreprise est considérée comme familiale si au moins 20 % du capital est contrôlé par une famille. Les résultats du tableau 9 sont cohérents avec les résultats trouvés précédemment.
Conclusion
Dans le cadre de cet article, nous avons examiné, d’une part, la relation entre l’hétérogénéité des II et le niveau de la détention des actifs liquides. D’autre part, nous avons mis en exergue dans quelle mesure l’actionnariat familial peut-il influencer cette relation. L’étude a été menée sur un échantillon de 200 entreprises françaises cotées à l’indice « CAC All-Tradable » sur une période s’étalant de 2008 à 2017.
Les principaux résultats montrent l’existence d’une relation négative entre les II actifs et la détention de liquidités. La propriété des II passifs est associée quant à elle à une détention croissante des actifs liquides confirmant à la fois l’hypothèse de la neutralité du risque (Demski et Feltham, 1978) et les apports de la théorie de l’agence. Les résultats montrent également que les effets de la propriété des II actifs et passifs sur la détention des actifs liquides varient en présence de familles. En effet, les résultats montrent que les familles ont tendance à faire une coalition avec les institutions passives pour minimiser le pouvoir de contrôle des institutions actives et faciliter l’expropriation des actionnaires minoritaires. Ce lien peut s’expliquer par l’hypothèse d’enracinement des actionnaires familiaux (La Porta et al. 1999) dans le but de neutraliser le système de gouvernance.
Notre recherche apporte de nouveaux éclairages à la littérature antérieure en fournissant des preuves empiriques au débat récent sur le rôle de la propriété institutionnelle dans le contexte de l’entreprise familiale. A travers cette étude, nous confirmons l’hypothèse de coalition de contrôle pouvant exister dans les entreprises familiales et qui amplifie l’expropriation des intérêts des actionnaires minoritaires. Ce faisant, nous répondons à un appel récent pour une meilleure contextualisation de la recherche sur la gouvernance d’entreprise. D’un point de vue pratique, nos résultats peuvent être particulièrement utiles pour les décideurs politiques car ils illustrent clairement que les droits des II actifs peuvent être modifiés dans des contextes institutionnels caractérisés par un moindre degré de protection des investisseurs. Sur cette base, les législateurs devraient accorder une attention particulière aux conflits d’intérêts, éventuellement en forçant les II passifs à ne fournir qu’un seul service (gestion d’actifs) et en exigeant qu’ils soient détenus de manière indépendante.
De plus, cette étude peut sensibiliser les propriétaires familiaux à la nécessité de collaborer avec des propriétaires de blocs non familiaux qui ont les caractéristiques de contrôleurs efficaces. En particulier, les familles devraient accepter de sacrifier une partie de leur richesse socio-émotionnelle pour promouvoir des structures de propriété équilibrées en présence d’investisseurs institutionnels n’ayant pas des relations d’affaires avec l’entreprise. Nos résultats tendent à confirmer des recherches antérieures qui soulignent le risque associé à une forte implication de la famille dans l’entreprise (Sacristán-Navarro et al. 2015).
Ce travail comporte un certain nombre de limites à partir desquelles des perspectives de recherches peuvent se profiler. Nous nous sommes intéressés à l’effet de l’actionnariat institutionnel et familial sur le comportement accumulateur des liquidités des entreprises françaises sans pour autant tenir compte d’autres catégories d’investisseurs. En effet, il serait également intéressant d’examiner les différentes natures d’actionnariat tels que l’actionnariat étatique, l’actionnariat des dirigeants et des salariés sur la politique financière de l’entreprise, et notamment, la décision d’accumuler de la liquidité.
Parties annexes
Annexe
Annexe 1. Définitions et mesures des variables
Notes biographiques
Afef Slama est docteur en Sciences de gestion à l’Institut Supérieur de Gestion de l’Université de Sousse. Elle est membre du laboratoire de recherche le LAMIDED. Ses domaines de recherche portent sur la structure d’actionnariat, les entreprises familiales et les décisions fiscales et financières.
Faten Lakhal est professeur de comptabilité à l’EMLV Business School en France et chercheur associé à l’Institut de Recherche en Gestion de l’Université Paris-Est (France). Elle a publié dans de nombreuses revues scientifiques dont Journal of Economic Behavior and Organization, Management International, Managerial Auditing Journal, Gender, Work & Organization and Economic Modelling. Ses recherches portent sur la gouvernance d’entreprise, les entreprises familiales, la diversité du genre et la RSE.
Ramzi Benkraiem est responsable des partenariats de recherche avec les institutions académiques et associations scientifiques. Il est également responsable de la recherche pour la faculté de comptabilité, contrôle de gestion et économie et professeur titulaire à Audencia Business School (AACSB, EQUIS & AMBA) en France. Il est titulaire d’un doctorat de l’Insitut d’Administration des Entreprises de l’Université de Toulouse et d’une HDR (Habilitation à Diriger des Recherches Doctorales) de l’Université de Bretagne-Occidentale. Ses intérêts se situent principalement dans les domaines de l’économie, de la comptabilité et de la finance.
Notes
-
[1]
Selon le rapport de l’Association française des investisseurs institutionnels « Af2i » publié en 2016.
-
[2]
Selon les données fournies par la Banque de France.
-
[3]
Voir par exemple Zhang et al. (2019).
-
[4]
OPCVM : les organismes de placement collectif en valeurs mobilières distinguent deux catégories des II : les fonds communs de placement (FCP) et les sociétés d’investissement à capital variable (Sicav).
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Parties annexes
Biographical notes
Afef Slama holds a doctorate in management sciences from the Higher Institute of Management of the University of Sousse. She is a member of the LAMIDED research laboratory. Her areas of research focus on shareholder structure, family businesses, and tax and financial decisions.
Faten Lakhal is a Professor in Accounting at EMLV Business School in France and a fellow researcher at the Institut de Recherche en Gestion at Paris-Est University (France). Her major publications include studies in Journal of Economic Behavior and Organization, Management International, Managerial Auditing Journal, Gender, Work & Organization, Economic Modelling among others. Her special research interests are in corporate governance, earnings quality, tax avoidance, gender diversity and CSR.
Ramzi Benkraiem is the Head of research partnerships with academic institutions and scientific associations, the Head of research for the faculty of accounting, management control & economics and a Full Professor at Audencia Business School (AACSB, EQUIS & AMBA) in France. He Holds a PhD from Toulouse Graduate School of Management and an HDR (State Habilitation for supervising Doctoral Research) from Western Bretagne University. His interests lie mainly within the Economics, Accounting and Finance areas.
Parties annexes
Notas biograficas
Afef Slama tiene un doctorado en ciencias de la gestión del Instituto Superior de Gestión de la Universidad de Sousse. Es miembro del laboratorio de investigación LAMIDED. Sus áreas de investigación se centran en la estructura accionarial, las empresas familiares y las decisiones fiscales y financieras.
Faten Lakhal es profesor de contabilidad en la EMLV Business School en Francia e investigador asociado en el Institut de Recherche en Gestion de la Universidad de Paris-Est (Francia). Ha publicado en numerosas revistas científicas, incluidas Journal of Economic Behavior and Organization, Management International, Managemental Auditing Journal, Gender, Work & Organization, Economic Modelling, entre otras. Su investigación se centra en el gobierno corporativo, las empresas familiares, la diversidad de género y la RSE.
Ramzi Benkraiem es responsable de las asociaciones de investigación con instituciones y asociaciones académicas. También es jefe de investigación de la facultad de contabilidad, control de gestión y economía y profesor titular en Audencia Business School (AACSB, EQUIS & AMBA) en Francia. Tiene un doctorado de la Toulouse School of Management y un HDR (Habilitation d’Etat à Diriger des Recherches Doctorales) de la Universidad de Bretaña Occidental. Sus intereses se encuentran principalmente en los campos de la economía, la contabilidad y las finanzas.