Corps de l’article

La réflexion éthique représente une dimension grandissante dans les organisations à travers les parties prenantes, la responsabilité sociale des entreprises et la Loi Sapin II (Husser et al., 2019). De nouvelles contraintes viennent renforcer la pression de compétitivité qui s’exerce sur les cadres de la fonction achat. Il s’agit notamment d’une exigence accrue en termes de réactivité mais aussi d’une tendance au recentrage sur le coeur de métier des entreprises impliquant une gestion externalisée d’une partie de la fonction achat (Paché, 2009). Par ailleurs, le fait de gérer des « short-lists » avec un nombre de fournisseurs limité entraîne des contraintes supplémentaires (Goujon Belghit et al., 2019). En effet, les fournisseurs sélectionnés imposent par la suite des conditions commerciales et un rapport de force qui placent l’acheteur dans des situations où la prise de décision n’est pas toujours favorable à l’entreprise donneuse d’ordre (Prajogo et al., 2012). Les acheteurs travaillent aussi dans un contexte où les pressions internes et externes qui s’exercent dans le choix d’un fournisseur sont nombreuses et les placent dans des situations de dilemme éthique (Husser et al., 2014). Selon Ho et Christian (2012), il reste de nombreux domaines d’investigation relatifs à la prise de décision éthique avec la chaîne de sous-traitance, notamment en ce qui concerne le degré de proximité avec le fournisseur, l’influence du directeur achat, de l’espace microsocial de proximité ou encore le jugement de la situation dilemme ou les conséquences de la prise de décision. Il est ainsi possible de formuler le questionnement suivant : Comment les managers de la fonction achat structurent-ils leur jugement lors de la prise de décision dans un contexte de dilemme éthique ?

Afin de répondre à cette problématique, l’article s’attache à présenter le cadre conceptuel avant de préciser la démarche méthodologique menée à partir de la construction de scénarios originaux. Suite à l’analyse des résultats obtenus à partir d’entretiens menés auprès de 172 acheteurs, la discussion permet une mise en perspective avec la littérature en étudiant tout particulièrement la phase du jugement dans la prise de décision éthique.

Cadre théorique mobilisé

Le cadre théorique mobilisé renvoie à deux définitions essentielles relatives au dilemme et à la prise de décision éthique. Un dilemme moral existe lorsqu’une décision prise, suivie d’une action conduite de façon relativement indépendante, présente des conséquences négatives ou néfastes pour autrui (Velasquez, 2011). Une décision éthique se définit, quant à elle, comme une prise de décision qui est à la fois légale et moralement acceptable pour l’ensemble de la communauté (Jones, 1991). Inversement, une décision non-éthique est soit illégale soit moralement inacceptable pour une large communauté d’individus.

Plusieurs modèles de prise de décision éthique ont été proposés dans la littérature (Hunt & Vitell, 1986; Jones, 1991; Trevino, 1986). Ils se réfèrent tous au modèle d’action éthique à quatre volets de Rest (1986), largement mobilisé en psychologie, qui décrit le processus de prise de décision éthique en quatre étapes.

Dans le domaine des Sciences de Gestion, Jones (1991) a intégré dans ses travaux initiaux les différents cadres conceptuels de la prise de décision éthique. Ainsi, la considération des travaux de Kohlberg (1971), Rest (1986), Trevino (1986), Hunt et Vitell (1986), Dubinsky et Loken (1989) lui permettent de proposer une synthèse en quatre étapes essentielles décrivant la prise de décision éthique. La figure 1 illustre le cadre conceptuel de Jones (1991) :

Jones (1991) investigue ainsi quatre étapes depuis la prise de conscience du problème moral jusqu’à l’engagement réel dans la décision éthique : reconnaissance, jugement, intention morale et engagement dans la décision à travers l’action. Il est possible de considérer le cadre conceptuel de Jones (1991) comme fondateur pour l’étude de la prise de décision éthique dans le monde des affaires car il a été repris par de nombreux chercheurs tant au niveau théorique (Haines et al., 2008; Husser et al., 2019; Robin et al., 1996; Valentine et Hollingworth, 2012) qu’au niveau de recherches empiriques (Barnett et Valentine, 2004; McMahon et Harvey, 2007).

La reconnaissance éthique se définit comme la capacité du décideur à mettre en évidence un problème éthique existant. La reconnaissance renvoie à l’identification du problème éthique et comprend l’interprétation de la situation et la prise de conscience qu’il existe un problème moral (Jones, 1991).

Le jugement éthique implique le fait d’évaluer si les actions faisant l’objet d’une prise de décision sont éthiquement correctes. Cette phase comprend l’évaluation des possibilités d’actions particulières et la détermination de celle qui serait la plus justifiée. Cette phase renvoie aussi au jugement de la solution idéale à un dilemme particulier, et comprend le jugement de l’action et la philosophie morale sous-jacente mobilisée. Les individus se réfèrent alors à leur système de valeurs, leurs émotions, et leurs croyances pour juger la situation qui se présente à eux (Haidt, 2001; Haines et al., 2008; Jones, 1991). Cette phase a également pour objet de mesurer les conséquences d’une prise de décision éthique pour soi et pour les autres (Barnett et Godkin, 2019; Fritzsche et Becker, 1984). Elle inclut des valorisations, des confrontations de situations à des valeurs, des préférences, des prises de position issues de disjonctions conscientisées (Reidenbach et Robin, 1990).

Figure 1

Synthèse du modèle de prise de décision éthique de Jones (1991)

Synthèse du modèle de prise de décision éthique de Jones (1991)

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L’intention éthique se définit comme le degré d’engagement avec lequel le professionnel mènera des actions et des comportements éthiques. Elle fait référence à son degré d’engagement à suivre les principes moraux et à en assumer personnellement la responsabilité.

Enfin, le stade de l’engagement dans l’action éthique se caractérise par la mise en oeuvre de la décision à travers un comportement éthique.

Le cadre conceptuel de Jones (1991) a fait l’objet d’une revue de la littérature approfondie par de nombreux auteurs (Barnett et Valentine, 2004; McMahon et Harvey, 2007) et d’une analyse critique menée par Ho et Christian (2012). Ils ont conclu à la nécessaire poursuite de recherches académiques intégrant davantage de professionnels et de métiers dans les recherches empiriques. En effet, les recherches menées jusqu’à présent s’intéressent principalement au secteur du marketing et proposent peu de résultats dans d’autres professions clefs des organisations comme la supply chain, les achats ou la production. De plus, ces mêmes auteurs recommandent de s’intéresser plus en détail à chacune des quatre phases de la prise de décision éthique.

Des études récentes ont par ailleurs confirmé que la phase de jugement était primordiale dans le processus de prise de décision éthique et que son influence était élevée sur l’intention et l’action (Barnett et Valentine, 2004; Goujon Belghit et al., 2019; Hunt et Vitell, 1986; Valentine et Bateman, 2011; Valentine et Godkin, 2019). C’est la raison pour laquelle la recherche présentée dans cet article s’est focalisée sur la seconde étape du processus décisionnel de Jones (1991), à savoir le jugement moral. Il apparaît comme central et fécond par des études récentes (Alsaad, 2021; Landeros et Plank, 1996; Valentine et al., 2019) et mérite d’être approfondi à travers des éléments contextuels, des démarches qualitatives analysant les critères d’évaluation, de prise de recul et de distanciation lors de la phase du jugement, débouchant sur la décision elle-même (Dillern, 2021; Schwartz, 2016).

Les jugements éthiques sont des croyances sur la justesse morale d’une action (Hunt et Vitell, 1986). Ils diffèrent d’un individu à l’autre selon leur niveau de développement moral cognitif (Kohlberg, 1971), selon les chartes appliquées dans leur organisation (Kefi et Sarr, 2014) ou leur force morale (Hannah, 2011). Il s’agit d’une caractéristique personnelle alors que le jugement est également orienté vers les processus selon Reidenbach et Robin (1990). L’évaluation morale constitue un élément clef de plusieurs modèles de prise de décision éthique (Dubinsky et Loken, 1989; Ferrell et al., 1989; Hunt et Vitell, 1986). La relation entre les situations dilemmes rencontrées et les jugements éthiques s’appuie en grande partie sur les conclusions de Hunt et Vitell (1986). Une fois qu’un individu reconnaît un dilemme éthique, il l’évalue en termes de considérations à la fois déontologiques et téléologiques (Hunt et Vitell, 1986; Rallapalli et al., 1998). Ce sont alors les valeurs et les croyances des individus qui sont mobilisées pour juger la situation qui se présente à eux (Alsaad, 2021).

Cette revue de la littérature met en exergue le fait que le jugement intègre plusieurs composantes, croyances et valeurs, qui sont mobilisées voire confrontées par les individus pour mieux appréhender les conséquences de la prise de décision. Or jusqu’à présent, aucune étude académique n’a investigué de façon analytique les relations entre les différentes composantes du jugement éthique mobilisées par les professionnels lors d’une prise de décision en situation dilemme. Si plusieurs recherches académiques ont utilisé des enquêtes par questionnaires et des traitements statistiques (Barnett et Valentine, 2004; Husser et al., 2019; Valentine et Godkin, 2019), des construits philosophiques normatifs (Reidenbach et Robin, 1990) ou encore le construit de l’importance perçue d’un problème éthique (Robin et al., 1996; Haines et al., 2008), aucune n’a analysé les oppositions, les condensations, les associations, les valorisations des croyances et des conséquences pour mieux appréhender la complexité de la phase du jugement en matière de prise de décision éthique des professionnels en situation dilemme. C’est justement ce que propose l’étude empirique présentée ici, à partir d’une analyse de contenu qualitative de type structural (Barthes, 1981) menée auprès de 172 professionnels des achats qui ont été confrontés à des scenarios dilemme dans des contextes professionnels.

Méthodologie de recherche mobilisée

Notre recherche s’appuie sur une démarche qualitative conduite auprès de 172 professionnels du secteur des achats afin de comprendre leurs jugements face à des situations de dilemme éthique. Après avoir présentés les cinq scenarios retenus dans l’étude, nous détaillons les différentes méthodes d’analyse des données qualitatives.

Constitution des scenarios

Les questions des dilemmes et de la prise de décision éthique ont été abordées dans la littérature américaine à partir de tests projectifs et de scenarios « contextualisés », notamment dans le domaine du marketing (Barnett et Valentine, 2004). Fritzsche et Becker (1984) ont initié une série de travaux sur l’analyse des comportements et des décisions éthiques à partir de scenarios intéressant 5 situations de dilemme éthique : la coercition et le contrôle, les conflits d’intérêt, l’environnement physique, le paternalisme et l’intégrité personnelle. La méthode des scenarios se décline sous forme de vignettes qui permettent d’appréhender la réalité de l’entreprise en décrivant l’univers de travail habituel des professionnels et les dilemmes éthiques auxquels ils sont confrontés. Cette méthode rend la prise de décision plus réelle pour les répondants.

Dans le cadre de la méthode des scenarios, des vignettes « achats » ont été élaborées.

Les 5 scenarios ont été établis avec l’aide d’un groupe de 7 acheteurs confirmés (plus de 10 ans d’ancienneté dans la fonction logistique) appartenant à des secteurs industriels et commerciaux diversifiés : pétrole et énergie, construction navale, grande distribution, bâtiment et travaux publics, banque et assurance, industrie du luxe.

Les scenarios reçus ont fait l’objet d’une double évaluation :

  • Une évaluation testant la correspondance avec le cadre conceptuel de Fritzsche et Becker (1984). Cette évaluation a été menée par un groupe de 3 chercheurs, l’un appartenant au domaine des sciences de gestion et les deux autres à celui de la psychologie.

  • Une évaluation du réalisme de la situation décrite, menée de façon indépendante par 3 autres acheteurs confirmés (plus de 10 ans d’ancienneté).

Cette double évaluation a permis de choisir les scenarios les plus représentatifs puis de les amender après un pré-test auprès de 4 nouveaux acheteurs. La méthodologie mise en oeuvre a suivi les préconisations de Nillès (2002) et Gueroui (2016) : ancrage théorique, propositions de correspondance avec des scenarios vécus dans le cadre managérial, validation par un groupe d’experts. La présentation des 5 scenarios originaux est détaillée en annexe 3.

Description de l’échantillon

L’objet de la recherche menée est d’analyser les jugements des répondants face aux 5 situations dilemmes définies par Fritzsche et Becker (1984). Les 5 scénarios traitent des thèmes de la coercition et du contrôle, du conflit d’intérêt, de l’environnement physique, du paternalisme et de l’intégrité personnelle.

Ces 5 situations ont été envoyées auprès de 1 032 acheteurs français. Seuls 172 acheteurs ont répondu de façon exhaustive aux cinq scénarios proposés. Il leur a été demandé de formuler un jugement argumenté qualitatif pour chacun des cinq scénarios dilemmes en achat. Les consignes étaient les suivantes : « Que pensez-vous de la situation professionnelle présentée ? », « Veuillez donner les raisons de votre jugement de manière détaillée et argumentée sur la situation professionnelle présentée ». Cette méthode a été mobilisée à de nombreuses reprises dans le cadre de travaux portant sur l’étude de la prise de décision éthique dans le contexte américain (Mc Mahon et Harvey, 2007) et dans le contexte français (Husser et al., 2019; Nilles, 2002).

L’étude a été menée de Novembre 2019 à Mars 2020 auprès d’acheteurs en formation continue en intra-entreprise et auprès d’acheteurs professionnels contactés par email.

L’échantillon est présenté en annexe 1. Il met en valeur une variété des répondants en termes d’ancienneté dans la fonction, de secteur d’activité, d’âge, de sexe et de formation. L’ensemble des verbatims utilisés dans le cadre de cette étude est présenté en annexe 2.

Codage des données

Les réponses collectées ont été traitées dans un premier temps avec le logiciel Alceste afin d’accéder rapidement et de manière systématique aux éléments clés des discours. Ce premier traitement d’analyse lexicale sémiologique a permis de générer différentes classes élaborées par proximité d’unités contextuelles d’éléments émergentes (u.c. e. : unit context elements) et des nuages de mots. Ces derniers ont permis de générer une analyse structurale automatique originale (figures 4, 6, 8).

Dans un deuxième temps, la recherche menée a mobilisé la méthodologie de l’analyse structurale initiée par Barthes (1981) afin d’avoir accès aux unités de sens et d’analyser plus en profondeur les dissonances, consonances, disjonctions et oppositions apparues dans les discours relatifs aux jugements des répondants. Ce second temps a été effectué manuellement en double codage par deux chercheurs de façon indépendante car aucun logiciel de traitement qualitatif des données ne propose d’automatiser l’analyse structurale à ce jour.

Analyse lexicale sémiologique à partir du logiciel Alceste 

Le traitement quantitatif de données qualitatives par le logiciel Alceste autorise l’accès systématique à l’information clé par un processus de classification descendante hiérarchique suite à une lemmatisation du corpus. Des catégories ressortent de l’analyse suite à un rapprochement lexical entre mots identifiés comme proches par le logiciel, suite à un comptage du nombre d’u.c. e. et de leur fréquence (Goujon Belghit, 2012).

Nous avons constitué un corpus spécifique à cette étude, séparant les répondants par rapport à leur âge : la vingtaine, la trentaine, la quarantaine et plus de 50 ans

98 % des unités textuelles du corpus ont été classées et 5 catégories émergent.

La figure 2 montre la répartition des u.c. e par catégories ainsi que le profil des répondants et des scénarios associés.

Nous observons que les scénarios sont répartis dans les différentes catégories. Ces dernières sont plutôt homogènes et le critère de l’âge n’est pas discriminant.

Suite à cette analyse systématique de notre corpus, nous avons décidé d’étudier les nuages de mots émergeants par catégorie et de réinvestir ces résultats en appliquant la méthode de l’analyse structurale.

Figure 2

Présentation des classes émergentes obtenues avec le logiciel Alceste

Présentation des classes émergentes obtenues avec le logiciel Alceste

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Mise en oeuvre de l’analyse structurale : selon une approche systématique

Les nuages de mots proposés par le logiciel Alceste montrent les oppositions entre les mots significatifs de chaque classe. C’est à partir de ces résultats que nous construisons nos modèles d’analyse structurale.

Cette méthode d’analyse sémantique revêt différentes formes comme la structure parallèle, la structure hiérarchisée ou la structure croisée.

La structure parallèle se définit comme une mise en relation d’implication réciproque entre deux termes, selon les règles de valorisation de la disjonction (illustration figure 8).

La structure hiérarchisée se construit sur un modèle à plusieurs étages, constitués de disjonctions imbriquées. On considère que la réalité traduite par des termes spécifiques présente le double statut d’inverse (valorisation) et d’axe (relation de disjonction). Les valorisations observées sur un niveau hiérarchique se transmettent aux autres niveaux, selon une règle de hiérarchisation (illustration figure 4).

La structure croisée intervient lorsque la structure hiérarchisée ne s’applique pas, c’est-à-dire qu’aucun terme ayant le double statut d’inverse et d’axe n’est retenu. Une représentation schématique croisée des axes semble préférable, dans laquelle on bâtit un croisement entre deux axes-mères, générant ainsi 4 cadrans. Ces combinaisons émergentes du modèle croisé s’appellent des réalités fécondées. Parmi ces réalités fécondées, il convient de distinguer le nombre de réalités théoriquement possibles, le nombre de réalités prises en compte effectivement par le locuteur et le nombre de réalités manifestes dans le corpus (illustration figure 6).

Dans notre démarche méthodologique innovante, les résultats produits à partir de l’analyse Alceste, et plus particulièrement de l’étude des nuages de mots, plusieurs formes de structures sémantiques émergent. Ces formes sont fonction de la fécondité des relations obtenues entre les termes les plus significatifs. Le tableau suivant détaille les différentes formes émergentes.

Analyse structurale déployée de façon manuelle 

Notre analyse structurale repose dans un premier temps sur deux niveaux d’analyse du récit : les séquences-types et les actants. La séquence-type correspond à une phrase ou à un ensemble de phrases unis entre elles par une relation de solidarité. Une « séquence s’ouvre lorsque l’un de ces termes n’a pas d’antécédent directement solidaire et elle se ferme lorsqu’un autre de ces termes n’a plus de conséquent » (Barthes, 1981 : 19). Les actants sont les personnages qui agissent, interviennent, jouent un rôle dans le récit.

Tableau 1

Présentation des formes d’analyse structurale retenues

Présentation des formes d’analyse structurale retenues

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La recherche menée à propos des acheteurs en situation dilemme a pris comme pivot central les actants cités dans les discours recueillis (acheteurs, donneurs d’ordre, fournisseurs…) pour étudier la narration et les séquences du discours. L’analyse de contenu menée est ensuite enrichie par une décomposition en disjonctions, doubles disjonctions et valorisations.

La relation de disjonction suppose la mise en relation de deux éléments du discours. Cette technique repose sur les postulats de binarité, d’exclusivité et d’exhaustivité de l’unité de discours décrite.

La double disjonction se définit comme la mise en relation de deux paires d’éléments du discours. Cette technique repose sur les postulats de binarité, d’exclusivité et d’exhaustivité d’une double unité de discours décrite.

La valorisation se définit comme une disjonction spécifique à connotation positive ou négative. Ainsi, quand un locuteur construit une disjonction, il connote souvent un des termes de manière positive, et son inverse de manière négative. Les termes utilisés pour connoter positivement ou négativement une réalité sont appelés indices de valorisation. Les indices de valorisation sont quelquefois disséminés dans tout le texte sous la forme de verbes (préférer, détester, faire,…), d’adjectifs (regrettable, bon,…), d’adverbes (plutôt, mieux,…).

Nous avons ajouté à notre analyse structurale manuelle une catégorie concernant la décision du jugement de la situation présentée (éthique, non éthique ou hésitation) et une autre concernant la philosophie qui guide la personne dans sa posture.

Voici un exemple de l’analyse structurale manuelle extrait du scénario 3. Le répondant est homme âgé de 33 ans, directeur des achats dans le secteur mécanique, électronique, naval et aéronautique qui présente plus de 5 ans d’ancienneté. La séquence retenue est la suivante : « J’approuve ce professionnel mais je pense qu’il est préférable de vérifier le degré de dangerosité de la péremption exposée dans le scénario. En effet, si cette dangerosité est réelle, alors il faut bien entendu rappeler les produits. Par contre, si cela n’est pas avéré, alors je pense qu’il faut laisser les produits sur le marché ». L’actant est l’acheteur. La disjonction concerne le caractère dangereux ou pas des produits mis sur le marché. Nous ne notons pas de double disjonction dans cette séquence. La valorisation est positive car le répondant signale qu’il est préférable d’agir de cette manière. Il juge la situation comme étant non éthique puisqu’il souligne qu’il existe un problème avec les produits et que seul le caractère dangereux doit faire réagir l’entreprise. Il fonde son jugement sur une philosophie utilitariste.

Résultats

Résultats relatifs à l’intégrité des répondants : analyse lexicale

La première classe se rapporte au scénario 3, c’est-à-dire la situation dilemme qui renvoie à l’intégrité personnelle du répondant.

Le scénario 3 demande aux acheteurs s’ils rappellent des produits déjà vendus sur le marché car un risque de non-conformité aux règles de sécurité a été détecté.

La figure 3 montre les nuages de mots émergents pour le scénario 3.

Nous observons que deux termes apparaissent au centre des nuages, il s’agit de « qualité » et de « produit ».

Sur le nuage de mots axé autour du terme « produit », nous identifions le mot « qualité » à gauche de l’axe (premier mot que l’on retrouve aussi dans les mots les plus significatifs de la classe) et « image » à droite de l’axe. Puis autour du nuage de mots axé autour du terme « qualité », nous trouvons le mot « contrôler » à gauche et le mot « problème » à droite. Nous avons retenu les termes les plus proches des mots centraux pour conserver les idées clés qui émergent de manière automatique dans les discours des répondants.

Figure 3

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 1 (scénario 3)

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 1 (scénario 3)

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Ainsi les répondants associent à la notion de « produit » l’image de marque de l’entreprise ainsi que la qualité du produit. Nous construisons une structure hiérarchisée à partir d’une disjonction imbriquée à partir du terme « qualité ». La réalité traduite et reconstruite par ces nuages de mots axés dévoile une relation de disjonction centrée sur le mot central. Les valorisations s’observent à travers des axes directement proposés par le logiciel. Une règle de hiérarchisation émerge puisqu’on retrouve le mot qualité comme terme central d’un nuage de mots, et périphérique de l’autre axe de mots centré sur le terme « produit ». Au vu du scénario 3, il semble plus adapté de commencer l’analyse structurale par « produit » car on interroge les individus sur le produit lui-même.

Les répondants rapprochent de la « qualité » la nécessité d’effectuer des contrôles avec le risque de rencontrer des problèmes ultérieurement.

Résultats relatifs à l’intégrité des répondants : analyse structurale « systématique »

La figure suivante montre la structure hiérarchisée émergente.

Figure 4

Structure hiérarchisée relative au scénario 3 portant sur l’intégrité personnelle

Structure hiérarchisée relative au scénario 3 portant sur l’intégrité personnelle

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Les répondants expriment une nécessité à rappeler les produits étant donné le risque associé à la qualité du produit et les enjeux réputationnels de l’entreprise, « il vaut mieux ne pas prendre de risque car l’image de la société correspond à la qualité des produits fournis » (Entretien 25). Les répondants préconisent « un contrôle qualité supplémentaire » afin de préserver l’image de marque de l’entreprise, « il faut à tout prix éviter un scandale » (E.26). Les professionnels souhaitent préserver l’image de marque de leur entreprise qui dépend des décisions internes car il faut « sauver la réputation de l’entreprise » (E.131). De l’autre côté, il faut « éviter les dégâts avec les clients » (E.130) si la qualité des produits n’est pas suffisante. Finalement, on constate que les répondants oscillent dans leur logique de réflexion sur la problématique éthique entre le souhait de préserver l’entreprise et la volonté de protéger les clients.

Les professionnels interrogés considèrent qu’il est préférable de gérer le risque en interne par des contrôles supplémentaires avant d’alerter le grand public, « tant que le contrôle qualité n’a pas confirmé le rapport du fournisseur, je ne prendrais pas le risque de rappeler la production car les conséquences peuvent être désastreuses pour la société » (E.6). L’information ne sort pas des murs de l’entreprise « nous devons communiquer cette information au service qualité et R&D » (E.76) afin d’éviter les problèmes avec les clients en externe. Ils soulignent l’importance des contrôles afin d’éviter tout problème ultérieur, « nous nous devons de… ne prendre aucun risque » (E.119).

Les acheteurs justifient leurs réponses sur 2 éléments clés. Tout d’abord, ils désignent leur responsabilité en tant que professionnel vis-à-vis de l’entreprise qui les emploie, en interne. Puis, ils considèrent les conséquences de leur décision envers autrui, leurs clients, en externe.

Les approches éthiques des répondants se construisent sur une fondation humaine, profondément utilitariste. En effet, les répondants évaluent les conséquences sociales, réprimant ainsi les décisions allant dans le sens de l’intérêt personnel ou qui ne produisent pas les résultats escomptés.

Résultats relatifs à l’intégrité des répondants : analyse structurale « manuelle »

L’analyse structurale « manuelle » (annexe 4, résultat 1) montre que les actants sont soit axés sur le fournisseur, l’acheteur ou encore l’entreprise. Ils se positionnent rapidement vis-à-vis de la situation dilemme proposée étant donné qu’au maximum 3 arguments sont avancés pour justifier la posture éthique. Les disjonctions soulignent dans les narrations les réflexions centrées autour des risques encourus par la situation ou encore la notion de responsabilité. La plupart évoque l’importance de la confiance dans le monde des affaires. Certains soulignent qu’il est inutile de « faire du zèle » car il ne faut pas perdre de temps. La diversité des valorisations témoigne de la complexité pour les professionnels de se positionner sur le caractère éthique de la situation dilemme. Cela se retrouve dans leur difficulté à évaluer la situation présentée comme non éthique. Ils s’appuient sur une philosophie utilitariste, d’impartialité, du droit ou du relativisme.

Résultats relatifs aux conflits d’intérêt : analyse lexicale

La classe n° 2 générée par le logiciel Alceste s’intéresse au scénario 2, c’est-à-dire le conflit d’intérêt. Les répondants se positionnent face à une situation où une entreprise sélectionne un hôtel restaurant pour ses tarifs compétitifs mais aussi, et surtout, parce que le propriétaire de l’établissement se révèle être le fils du patron de l’entreprise.

Les réponses, retrouvées dans le nuage de mots, gravitent autour des termes « prestation » et « équivalent ». La figure ci-dessous montre les axes qui ressortent dans les nuages de mots.

Figure 5

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 2 (scénario 2)

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 2 (scénario 2)

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Ces deux nuages de mots montrent une structure de répartition similaire laissant émerger deux axes principaux. Le premier axe (en jaune) montre les avantages perçus dans l’offre, qu’il s’agisse des liens familiaux (fils, société, réaliser, relation) ou de critères normatifs (confiant, condition, raison, choisir, critère). Le second axe (en rouge) dévoile la nature des critères retenus, objectifs à gauche (prix, équivalent, travail, intérêt, décision) ou subjectifs à droite (relation, rester, qualité, service).

Cette configuration laisse émerger une structure croisée en deux axes qui met en exergue les causes et les conséquences du jugement de la situation éthique. L’axe des ordonnées désigne les avantages perçus (les conséquences) et l’axe des abscisses renvoie à la nature des critères retenus (les causes).

Résultats relatifs aux conflits d’intérêt : analyse structurale « systématique »

La figure suivante montre la structure croisée.

La figure laisse émerger 4 quadrants distincts.

Le premier quadrant désigne les situations pour lesquelles les répondants oscillent entre des raisons objectives et le poids de l’importance des relations familiales. Dans cette configuration, le choix proposé dans le scénario semble acceptable puisque « l’approbation se base sur des raisons qui vont au-delà de la relation familiale, il y a des raisons objectives… il n’y pas véritablement de conflit d’intérêts étant donné que le même prix est proposé pour la même prestation, alors pourquoi pas ! » (E.103). Les témoignages considèrent que la procédure appliquée a été la même pour l’ensemble des entreprises, « l’appel d’offre a été le même, la procédure a été loyale et transparente » (E.100). De plus, « le fait qu’il soit le fils de M. Hodouin peut être un gage de confiance » (E.31).

Le deuxième quadrant désigne les situations pour lesquelles les répondants oscillent entre des raisons subjectives et le poids de l’importance des relations familiales. Dans cette configuration, le choix proposé dans le scénario semble inacceptable puisque « dans tous les cas, M. Hodouin ne peut pas être objectif quant à la prestation proposée par son fils » (E.117). En effet, il semble délicat de « mélanger le business et la vie privée » (E.130) car les critères demeurent subjectifs, « il faut un fournisseur neutre sans lien de parenté » (E.120). En effet, ils considèrent les conséquences de ces décisions qui s’appuient sur des liens familiaux, « s’il y a un problème lors de la prestation, cela lui sera directement reproché » (E.117).

Figure 6

Structure croisée relative au scénario 2 portant sur le conflit d’intérêt

Structure croisée relative au scénario 2 portant sur le conflit d’intérêt

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Le troisième quadrant désigne les situations pour lesquelles les répondants oscillent entre des raisons objectives et des conséquences normatives. Dans cette configuration, le choix proposé semble acceptable car « il est en droit de remporter l’appel d’offre étant donné que les prix et les prestations proposées sont équivalents » (E.126). Il faut s’appuyer sur des critères objectifs et s’assurer « que le fournisseur réponde correctement à l’appel d’offre et au cahier des charges » (E.132). Il faut être loyal dans l’approche commerciale et « si cet hôtel reste un prestataire qui remplit les conditions du besoin dans un prix équivalent à celui pratiqué par la concurrence, il n’y a pas de raison de l’écarter » (E.9).

Le quatrième quadrant désigne les situations pour lesquelles les répondants oscillent entre des raisons subjectives et des conséquences normatives. Dans cette configuration, le choix proposé semble inacceptable. Certains répondants affirment être « défavorable à ce type de relation commerciale pour laquelle des conflits d’intérêt peuvent se présenter » (E.116). Ils pressentent que dans le futur, ce type de relations peuvent « engendrer des conflits dans la gestion de la relation » (E.111).

Dans l’ensemble, les répondants s’appuient sur le sentiment de justice comme réponse possible à la situation dilemme présentée dans le scénario. Il est juste de considérer les opportunités commerciales, en fonction de critères objectifs et affectifs, ou il est juste de préserver la neutralité du fournisseur avec lequel on souhaite travailler, en retenant des critères objectifs et normatifs. Pour autant, il n’est pas juste de travailler avec des membres de sa famille en retenant des critères subjectifs.

Résultats relatifs aux conflits d’intérêt : analyse structurale « manuelle »

L’analyse structurale « manuelle » (annexe 4, résultat 2) montre que les actants sont soit neutres, soit axés sur le fournisseur, ou encore l’acheteur. Ils se positionnent rapidement vis-à-vis de la situation dilemme proposée étant donné qu’au maximum 3 arguments sont avancés pour justifier la posture éthique. Les disjonctions soulignent dans les narrations les réflexions centrées autour des enjeux économiques et celles guidées par le « coeur ». La plupart évoquent la nécessité pour un professionnel d’être impartial, exemplaire, non impliqué afin d’éviter les risques. Certains s’appuient dans leur argumentation sur une double disjonction en soulignant les risques associés à la situation mis en perspective avec la situation de favoritisme induite dans le scénario. Les valorisations sont plutôt négatives car le professionnel se doit d’être exemplaire. Pour autant, la plupart des répondants éprouvent des difficultés à percevoir le caractère non éthique de la situation dilemme. Ils s’appuient sur une philosophie du droit, de l’impartialité ou encore de l’idéalisation.

Résultats relatifs à la coercition : analyse lexicale

La classe n° 3 correspond au scénario 1 qui traite de la problématique de la prise de décision sous la contrainte et le pouvoir d’autrui.

Les répondants jugent la pertinence de l’intervention d’un supérieur hiérarchique dans la décision de l’acheteur de retenir un distributeur, prétextant qu’il s’agit déjà d’un client de l’entreprise important.

Les nuages de mots proposés par le logiciel gravitent autour des mots « transport » et « inc », comme le montre la figure suivante. Nous considérons que le nuage de mots généré autour du terme « inc » n’est pas suffisamment pertinent et nous préférons nous concentrer sur celui orienté autour du terme « transport ». Deux éléments clés se détachent dont la notion d’« approbation » (approbation, hiérarchie, faire, intérêt), en bas du nuage de mots, et celui de « choisir » en haut de l’axe (choix, choisir, relation, proposition).

Figure 7

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 3 (scénario 1)

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 3 (scénario 1)

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Résultats relatifs à la coercition : analyse structurale « systématique »

La figure suivante présente la structure parallèle construire à partir de l’analyse des éléments de résultat.

Les acheteurs considèrent que le libre arbitre prime, « je pense qu’on devrait pouvoir garder son indépendance de choix » (E.87). Par contre, beaucoup estiment que le supérieur hiérarchique détient le réel pouvoir, « je demanderai des explications à mon hiérarchique pour comprendre ses motivations et les enjeux » mais « ce dernier détiendrait le pouvoir » (E.70).

Figure 8

Structure parallèle relative au scénario 1 portant sur la coercition et le contrôle

Structure parallèle relative au scénario 1 portant sur la coercition et le contrôle

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Les réponses s’orientent vers des tentatives de justifier la prise de position du supérieur, « si la société… est un client clef, la stratégie est peut-être de renforcer les relations commerciales » (E.61) pour expliquer le choix de se soumettre à la décision imposée par la hiérarchie.

D’autres répondants, au contraire, considèrent qu’il est primordial en tant que professionnel de conserver leur libre arbitre, « je désapprouve parce que je pense qu’on devrait pouvoir garder notre indépendance de choix » (E.88).

Certains répondants tentent de concilier leur libre arbitre avec l’impératif perçu de respecter les ordres de la hiérarchie, « dans le monde de l’entreprise, il n’est pas rare de se retrouver confronté à des stratégies politiques difficiles à comprendre… Deux options sont envisageables : essayer de faire comprendre son choix aux décideurs politiques…. Et d’apprécier les conséquences si ce fournisseur n’était pas choisi » (E.132).

Les répondants considèrent qu’ils doivent trancher pour décider du bon prestataire de transport entre l’approbation et la soumission à l’autorité ou alors appliquer leur libre arbitre.

Bien entendu, ces résultats présentent les mêmes limites que celles déjà observées notamment par Milgram (1963) lorsqu’il a mené son expérience dans les années 60 pour évaluer le degré d’obéissance des individus soumis à une autorité légitime. Sur la base du déclaratif, les personnes estiment qu’elles s’émancipent de cette autorité alors qu’en réalité, plus de 60 % des participants se plièrent aux consignes malgré leur caractère amoral. Il explique que l’obéissance constitue un pilier de la structure de la vie sociale car un système d’autorité correspond à une exigence de toute vie communautaire pour bien fonctionner. L’obéissance renvoie à un mécanisme psychologique qui permet de conduire une action individuelle à converger vers un objectif politique.

Ces constats ramènent à un ajustement social en fonction des liens d’autorité.

Résultats relatifs à la coercition : analyse structurale « manuelle »

L’analyse structurale manuelle (annexe 4, résultat 3) montre que les répondants tendent à être neutres ou à se positionner comme acheteur. Ils se confrontent à leur supérieur hiérarchique ou à leur fournisseur. Ils décident rapidement puisque le nombre d’arguments avancés oscille entre 1 et 3. Les arguments avancés soulignent que ces pratiques s’inscrivent dans les règles de l’art même s’il s’agit d’un passe-droit du supérieur hiérarchique, et donc d’une forme d’abus d’autorité. De plus, ils considèrent que le manager dispose d’une vision d’ensemble, exhaustive du business. Certains estiment que cette intervention s’inscrit dans une démarche politique. Les disjonctions soulignent dans les narrations les éléments clefs des discours qui structurent les justifications produites par les acheteurs. Ils évoquent les effets de balance entre les opportunités et les risques. Les valorisations associées à ces disjonctions sont plutôt positives. En réalité, ces valorisations positives illustrent parfaitement les justifications produites par les répondants vis-à-vis de l’attitude de leur supérieur hiérarchique, qui dispose de plus d’informations. Dans l’ensemble, les répondants considèrent que la situation présente un problème éthique et s’appuient sur une vision majoritairement utilitariste pour justifier leur posture.

Résultats relatifs au paternalisme : analyse lexicale

La classe n° 4 reprend le scénario 4 qui concerne le paternalisme. Les répondants s’expriment autour des enjeux de la décision d’investissement dans une nouvelle machine afin d’augmenter les gains de production et de limiter les accidents au travail. Toutefois, l’investisseur hésite car ces avantages dépendent du temps de production disponible. Le décideur doit trancher entre l’autonomie individuelle et les intérêts de cet investisseur.

La figure suivante montre que les nuages de mots sont centrés autour des termes « taux » et « accident ».

Figure 9

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 4 (scénario 4)

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 4 (scénario 4)

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Ces deux nuages de mots montrent une structure de répartition similaire laissant émerger deux axes principaux. Le premier axe (en jaune) montre les coûts associés au jugement éthique, en fonction qu’il s’agisse d’un coût (baisse, réduire, coût) ou d’une opportunité de rendement (rendement, permettre, prix, machine). Le second axe (en rouge) dévoile les risques associés à la situation dilemme avec à gauche, les risques (chuter, accident, risque) et à droite de l’axe la nécessité d’investir (augmenter, productif, important, sécurité).

Cette configuration laisse émerger une structure croisée en deux axes qui met en exergue sur l’axe des ordonnées les coûts perçus (les causes), c’est-à-dire les raisons évoquées pour assoir le jugement éthique. Sur l’axe des abscisses qui renvoie aux risques (les conséquences), les répondants s’expriment sur les conséquences de leur jugement éthique.

Résultats relatifs au paternalisme : analyse structurale « systématique »

La figure suivante montre la structure croisée, orientée autour de l’axe de l’abscisse qui concerne les risques ou la décision d’investir et sur les ordonnées, les coûts ou au contraire le rendement associé à la décision.

Figure 10

Structure croisée relative au scénario 4 portant sur le paternalisme

Structure croisée relative au scénario 4 portant sur le paternalisme

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Quatre stratégies émergent du modèle : le modèle gagnant (Q4), le modèle perdant (Q1), le pari « avec garanti » (Q2) et le pari « sans filet » (Q3).

Le quadrant 1 illustre la décision du « no go » apparaît lorsque les risques et le coût associé à l’investissement sont estimés trop importants, « si l’utilisation de la machine est trop faible, l’investissement risque de ne pas être rentable » (E.61).

Le quadrant 2 désigne la situation dans laquelle les acheteurs mise sur un pari. Ils espèrent un retour sur investissement, « si le rendement est supérieur et le taux de sécurité est en hausse, il est intéressant d’investir » (E.92).

Le quadrant 3 illustre la situation qui consiste à parier sans filet. Les avantages perçus semblent intéressants, notamment sur les conditions de travail, « on n’a jamais rien sans rien et je ne sais pas, si cet investissement permet d’augmenter considérablement la sécurité des employés, je trouverai des partenaires » (E.46).

Le quadrant 4 correspond à la décision du « go ». L’investissement assure un rendement, « même si le taux d’occupation n’est que de 70 %, le rendement supérieur et le taux d’accident du travail inférieur, quoi qu’il arrive, l’entreprise sera gagnante » (E.76).

Les résultats montrent que l’éthique trouve une finalité dans une tentative de rationalisation de la décision, ce qui ne va pas dans le sens de Haidt (2001) qui intègre nos émotions dans notre posture morale.

Cette matrice renvoie à la complexité de la posture éthique des professionnels qui oscillent entre l’approche utilitariste du jugement éthique puisque l’évaluation s’effectue en termes de moyens disponibles (Pastin, 1986), selon l’approche Kantienne, ou en fonction des conséquences (Brady et Wheeler, 1996).

Résultats relatifs au paternalisme : analyse structurale « manuelle »

L’analyse structurale « manuelle » (annexe 4, résultat 4) montre que les actants sont plutôt neutres et qu’ils se positionnent rapidement vis-à-vis de la situation dilemme puisqu’au maximum, 4 arguments sont avancés. La narration se structure par des disjonctions centrées sur les notions de productivité, de risque, de rentabilité, d’investissement ou encore de pratiques scandaleuses. Ils avancent des doubles disjonctions lorsqu’ils mettent en perspective les logiques de productivité avec les risques d’accident. Dans l’ensemble, les répondants estiment que la situation est éthique et ils ancrent leur réflexion dans une philosophie fortement utilitariste.

Résultats relatifs à l’environnement physique : analyse lexicale

La classe n° 5 reprend le scénario 5 et traite de l’environnement physique. Les acheteurs se positionnent face à une décision d’investissement dans une nouvelle ligne de production afin de rester compétitif mais cela comporte un risque de pollution.

Les nuages de mots, présentés dans la figure suivante, tournent autour des termes « norme » et « pollution ».

Figure 11

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 5 (scénario 5)

Nuage de mots généré par Alceste pour la classe n° 5 (scénario 5)

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Nous construisons une structure hiérarchisée à partir d’une disjonction imbriquée à partir du terme « pollution ». Une relation de disjonction centrée sur « pollution » émerge de ces nuages de mots. Les valorisations sont proposées de manière systématique par le logiciel Alceste. La règle de hiérarchisation s’appuie sur le terme de « pollution » car il apparaît comme élément périphérique du premier nuage de mots et central dans l’autre. Au vu du scénario 5, il semble logique de commencer la structure hiérarchisée par le mot « Norme » qui engage les répondants à juger la situation dilemme.

La figure suivante montre la structure hiérarchisée émergente.

Figure 12

Structure hiérarchisée relative au scénario 5 portant sur l’environnement physique

Structure hiérarchisée relative au scénario 5 portant sur l’environnement physique

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Résultats relatifs à l’environnement physique : analyse structurale « systématique »

Les répondants évoquent la nécessité de « trouver une solution alternative dans le respect des normes » (E.51). Le respect des normes permet de préserver les intérêts de l’entreprise et de diminuer la pollution par la mise en place « d’un plan d’action pour ramener la pollution en dessous du seuil de la norme légale » (E.23).

Ils soulèvent un « gros dilemme, entre perdre en innovation ou respecter la réglementation à la lettre au risque de nuire à l’image de la société » (E.57).

Les acheteurs suggèrent de promouvoir les intérêts de l’entreprise et d’engager en parallèle des négociations avec les autorités afin de retarder la mise en application des règles en termes de pollution, « l’optimal étant de travailler avec les autorités locales pour obtenir une dérogation sur une période » (E.14). La valeur associée au respect ou à la transgression de la règle permet aux répondants de se positionner par rapport aux enjeux de pollution présentés dans le scénario, « si le non-respect de la norme de pollution comporte un risque de pénalités financières par les autorités locales, alors je désapprouve mais si les pénalités ne sont que symboliques, alors j’approuve » (E.2).

Les répondants évoquent les théories des droits et renvoient à l’application de la procédure. De plus, ils s’alignent avec la philosophie de Kant puisque les conséquences importent, non pas à l’échelle de l’entreprise mais de la société.

Résultats relatifs à l’environnement physique : analyse structurale « manuelle »

L’analyse structurale « manuelle » (annexe 4, résultat 5) montre que les actants sont moins neutres que dans les scénarios précédents. Ils intègrent le fournisseur, l’entreprise, les autorités locales ou encore l’acheteur. Ils se positionnent moins rapidement sur la situation dilemme proposée étant donné qu’on obtient jusqu’à 6 pour justifier la posture éthique. Les disjonctions soulignent dans les narrations les réflexions centrées autour du respect des normes et des risques encourus. Il faut informer les autorités locales pour éviter que des pratiques non éthiques se répandent. Les valorisations varient d’un répondant à l’autre montrant que la réflexion conduite autour de la situation présentée est ressentie de manière différente. Pour autant, la plupart des répondants perçoivent clairement le caractère non éthique de la situation dilemme. Ils s’appuient sur une philosophie du droit, de l’impartialité ou encore de l’utilitarisme.

Nos résultats mettent en valeur 8 éléments clés. Tout d’abord, le besoin pour les répondants de confronter leur jugement avec leur propre système de valeur (protéger l’entreprise, l’environnement ou le client) ou avec des considérations déontologiques ou théologiques (situation jugée plus ou moins acceptable). Ensuite ils soulignent les conséquences des situations présentées (image de l’entreprise, santé des clients). Ils valorisent majoritairement positivement leur jugement selon leur capacité à détecter le caractère non éthique de la situation. Dans l’ensemble, les acheteurs considèrent que cela fait partie de la vie professionnelle et ne sont pas choqués par les dilemmes proposés sauf quand cela concerne l’environnement. Généralement, les répondants ne s’engagent pas dans leur décision de jugement. Les actants mentionnés par les acheteurs sont majoritairement neutres (il, ils, on). On pourrait s’attendre à les trouver comme actants principaux de même que les fournisseurs et les clients. Les résultats montrent que les individus réagissent différemment en fonction de leurs points de référence, leurs expériences passées ou leur degré de développement moral. Cela se retrouve dans leur argumentation : la qualité des arguments avancés diffèrent selon les professionnels ou tous les répondants ne se situent pas au même endroit dans les structures en croix. Nos résultats ne détectent pas d’émotion ou d’affect dans les réponses même lorsque la situation envisage des liens familiaux et donc des relations personnelles. En général, le nombre d’arguments avancés par les répondants demeure limité à 2 ou 3 par situation. Cela montre qu’ils se positionnent rapidement par rapport au dilemme présenté. Finalement, la nature des situations influence les points précédents du jugement éthique puisque nous retrouvons 5 classes issues de l’analyse Alceste.

Ces résultats engagent une discussion autour de la posture éthique des acheteurs confrontés à ces 5 situations dilemmes.

Discussion

Les résultats de cette étude complètent la littérature sur le jugement éthique de trois manières différentes (sur l’absence d’émotion, la rapidité du jugement et la contingence), confirment ou 4 éléments clés (la confrontation, les conséquences, la valorisation et les qualités de l’individu) et infirme le degré d’engagement dans la population des acheteurs.

Le tableau suivant montre les apports de la recherche menée.

Tableau 2

Les fondements clés de la littérature du jugement éthique

Les fondements clés de la littérature du jugement éthique

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La confrontation à la littérature

La confrontation avec un raisonnement philosophique apparaît comme un élément clé de compréhension du jugement éthique des professionnels (Fritzsche et Becker, 1984, Jones, 1991; Reidenbach et Robin, 1990). Nos résultats confirment la littérature car nos répondants s’appuient majoritairement sur la philosophie utilitariste ou de la justice comme élément socle de leur jugement éthique. Leur approche demeure très pragmatique, très orientée sur les pratiques commerciales, ce qui est cohérent avec la société capitaliste. Les professionnels jugent en fonction d’un ratio qui met en perspective les coûts et les opportunités, les causes et les conséquences. Il est effectué plus ou moins consciemment afin de déterminer la situation qui correspond le mieux avec les intérêts de la société (Reidenbach et al., 1991). La philosophie utilitariste consiste à juger une situation qui offre le plus grand bien pour le plus grand nombre (Sheppard et Fennel, 2008). Cela se retrouve dans la volonté de se mettre aux normes d’une société, de préserver la qualité des produits proposés aux clients ou de protéger l’environnement. La philosophie liée au droit et à l’idéalisme apparait dans le jugement des répondants mais de façon très limitée.

Ensuite nos résultats soulignent l’importance des conséquences dans leur jugement éthique. Les professionnels intègrent dans leur jugement les conséquences de leurs décisions ou de leur inaction. Ils considèrent qu’une action inefficace aura des conséquences négatives et inversement, une action pertinente engendre nécessairement des conséquences favorables (Reidenbach et al., 1991). Les professionnels évaluent essentiellement les risques internes, en termes de conséquences sur l’image de leur entreprise, ou externes, principalement en termes de conséquences sur la qualité de leurs relations avec leurs clients. Ils oscillent entre conséquences interpersonnelles, liées à la qualité des relations familiales, ou normatives, liées à la nécessité d’agir en conformité avec les normes, les règles. Ils jugent souvent les situations dilemmes proposées en termes d’opportunités commerciales potentielles.

Les valorisations renvoient au jugement favorable ou défavorable des professionnels confrontés à des situations dilemmes. Ces valorisations consistent à confronter les situations à une échelle de valeurs, de préférences. Elles s’identifient dans les discours par des disjonctions (Reidenbach et Robin, 1990). Les résultats soulignent la diversité des valorisations ce qui indique qu’il n’existe pas de consensus dans le jugement des répondants face à la diversité des situations dilemmes proposées. Il est intéressant de souligner que malgré le caractère immoral des situations professionnelles adressées dans les scénarios, il n’existe pas de consensus dans le jugement des professionnels. Ils ne sont pas choqués par les dilemmes.

Le degré d’engagement ou d’identification renvoie selon Jones (1991) à la capacité des professionnels à se conformer à la morale dans leur jugement. Cette variable évalue la qualité du jugement sur des situations potentiellement non éthiques. Nos résultats indiquent que les répondants éprouvent en grande majorité des difficultés à identifier le caractère immoral des situations présentées. Pour autant, lorsque la situation implique des conséquences environnementales, notamment un risque de pollution, alors les professionnels perçoivent le caractère non éthique.

Les qualités de l’individu selon Jones (1991) renvoient à leurs points de référence qui marquent leur posture éthique. Les résultats montrent que les répondants adoptent la posture du professionnel distancié comme référence pour juger la situation présentée. Ils soulignent également que certaines pratiques sont scandaleuses, estimant qu’elles n’ont pas leur place si l’on travaille sérieusement. Jones (1991) indique que les professionnels s’appuient sur leurs propres expériences pour juger une situation, ce que nous retrouvons dans nos résultats. Le degré de développement moral cognitif (Kohlberg, 1971) influence le jugement des acheteurs qui oscillent entre nécessité de se conformer aux ordres de la hiérarchie ou capacité à exercer leur libre arbitre, en particulier dans le scénario 1.

Les apports de la recherche

Les résultats apportent trois éléments nouveaux qui n’apparaissent pas dans la littérature. Il s’agit de la rapidité du jugement éthique, de l’absence d’émotion ou d’affect et des facteurs de contingence.

La rapidité du jugement éthique s’évalue par le temps consacré pour considérer la situation présentée. Les répondants jugent généralement rapidement les situations dilemmes présentées, ils soulignent qu’il ne faut pas perdre de temps. Cela se retrouve dans le nombre d’arguments avancés pour justifier leur jugement. Pour autant, dans le dernier scénario qui concerne la préservation de l’environnement, les professionnels se positionnent moins rapidement car ils intègrent davantage de variables dans leur raisonnement comme la pollution, la possibilité de négocier avec les autorités locales ou encore le respect des normes.

Les facteurs de contingence désignent la nature de la situation. Ce critère se retrouve dans la manière dont le logiciel a traité automatiquement nos données, répartissant de manière automatique les 5 scénarios dans 5 catégories clairement différenciées. Cette analyse textuelle laisse émerger 5 univers de référence distincts dans lequel les professionnels jugent les situations présentées. Le postulat de base consistait à intégrer la variable de l’âge comme élément discriminant mais les résultats soulignent que le facteur contingent est prépondérant. Plusieurs éléments ressortent comme les coûts associés à la situation dilemme, le respect des normes ou l’importance des relations interpersonnelles. De plus, les professionnels appuient leur jugement sur des raisons objectives et subjectives pour décrypter la situation présentée. Cela montre que la situation proposée aux répondants influence les points précédents comme fondement de la structuration du jugement éthique.

Conclusion

Cette recherche aboutit à plusieurs apports théoriques. Le jugement éthique des professionnels se structure autour de 8 variables principales. Les 5 premières se retrouvent dans la littérature dont la confrontation, les conséquences, la valorisation, l’engagement et les qualités de l’individu. Les résultats de l’étude soulignent la nécessité d’ajouter la rapidité du jugement, l’absence de l’affect et les facteurs de contingence. Ces trois éléments nouveaux soulignent l’importance de la méthodologie retenue par le chercheur pour évaluer le jugement éthique des professionnels étant donné que les scénarios plongent les répondants dans des univers de référence spécifiques. Les jugements s’appuient sur un nombre limité d’arguments en fonction du temps consacré pour considérer la situation présentée.

Cette recherche présente des apports d’ordre méthodologique en opérant une analyse sémantique grâce à l’étude du nuage de mots par analyse structurale générée par un logiciel d’analyse lexicale. Cette méthode permet d’apporter des éléments de compréhension des résultats générés de manière automatique pour affiner l’analyse des jugements portés par les professionnels confrontés à des scénarios. La combinaison des méthodes d’analyse (la méthode des scénarios, l’analyse lexicale, l’analyse sémantique et l’analyse structurale) apporte un niveau de compréhension affiné du corpus traité.

De plus, cette recherche apporte des pistes d’améliorations des pratiques managériales concernant la nécessité d’intégrer l’éthique dans leur univers de référence. Ces travaux montrent qu’il ne suffit pas de former sur l’éthique de manière générale mais qu’il est nécessaire de cerner les différentes situations professionnelles potentiellement immorales. En effet, chaque situation génère un univers de référence spécifique et il n’existe pas de solution générique pour éviter les comportements non éthiques, potentiellement dangereux en termes de corruption, d’image de marque ou de relations avec les parties prenantes externes comme les clients, les fournisseurs, les autorités locales, etc. Nos résultats soulignent la nécessité d’intégrer dans les modules de formations sur le jugement éthique les travaux de Fritzsche et Becker (1984) ainsi que ceux de Jones (1991) pour présenter une variété de situations.

Ces dimensions offrent aux cadres des références théoriquement ancrées et pratiquement avérées pour prendre du recul sur le jugement des situations dilemme et de le relier à leurs valeurs personnelles et communément partagées, aux conséquences du jugement ainsi qu’à sa portée et sa relativité face aux normes prônées par l’entreprise et l’espace de quotidienneté de travail.

Les résultats de notre recherche présentent plusieurs limites inhérentes aux méthodes de recherche qualitative comme la subjectivité des répondants, l’interprétation des résultats par les chercheurs ou encore le caractère généralisable de la connaissance apportée (Husser et al., 2014). Des tests quantitatifs classiques tels que le locus of control, la désirabilité sociale, la force de l’égo du modèle de Schwartz (2016) ou encore le courage moral (Hannah et al., 2011) permettraient d’apporter des éléments complémentaires. Des études quantitatives auprès de professionnels des achats permettraient de compléter cette étude en intégrant les concepts précités. L’intérêt consiste à isoler certains facteurs par des techniques d’analyse quantitatives pour identifier les déterminants clés qui fondent le jugement éthique.