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Longtemps négligée, la dimension sociétale prend aujourd’hui une importance particulière dans le contexte tunisien surtout après la révolution de janvier 2011. Si la responsabilité sociétale se limitait avant la révolution à la protection de l’environnement, aujourd’hui ce n’est plus le cas (Ben Boubaker et al., 2009). Les entreprises tunisiennes, qui sont généralement des PME, sont confrontées à des pressions sociétales intenses émanant de plusieurs parties prenantes autrefois négligées en raison de la faible menace qu’elles représentent (GIZ, 2012). Face à un tel constat, ces PME ont été obligées à s’engager dans une démarche sociétale en mettant en oeuvre les réponses sociétales adaptées (Boutiba et al., 2016; Chtourou et Triki, 2017).

En ce sens, il existe plusieurs modèles de réponse sociétale conçus le plus souvent dans les pays développés (Ackerman et Bauer, 1976; Murray, 1976; Szczanowicz et Saniuk, 2016). Toutefois, un manque a été constaté concernant l’étude des réponses sociétales apportées par les entreprises dans les pays émergents et essentiellement la Tunisie surtout après la révolution de 2011 (Boutiba et al., 2016; Ghozzi-Nekhili et al., 2015). Comme l’affirment Ghozzi-Nekhili et al., (2015), le chantier RSE est devenu énorme pour les entreprises tunisiennes après la révolution.

Ceci ne constitue pas une tâche facile puisque d’une part les parties prenantes exigent une réponse rapide et les entreprises manquent souvent d’expérience dans ce domaine d’autre part. À ce sujet, Boutiba et al. (2016) mettent en évidence l’existence de confusions pratiques liées à la démarche sociétale chez les dirigeants des entreprises tunisiennes. Ainsi, il s’avère qu’ils sont tenus de surmonter plusieurs défis afin de satisfaire les attentes de leurs parties prenantes au sein d’un environnement caractérisé par de fortes pressions.

C’est dans ce cadre que s’inscrit cette recherche qui vise un double objectif. Le premier est d’identifier la nature des réponses sociétales apportées par les PME tunisiennes après la révolution de 2011. Le second est d’analyser la manière dont elles les développent et les mettent en oeuvre au sein d’un environnement qui exige une réaction rapide.

La présente recherche est composée de trois parties. La première partie présente les fondements théoriques et l’évolution du concept de la responsabilité sociétale de l’entreprise. La deuxième est consacrée à la partie méthodologique. La présentation et la discussion des résultats sont effectuées au sein de la troisième partie.

De la RSE à la réponse sociétale

Bowen (1953) constitue l’un des premiers auteurs qui a proposé une définition de la notion de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). Selon lui, repris par Gond et Mullenbach-Servayre (2004, p. 97), « le concept de la RSE renvoie à l’obligation, pour les hommes d’affaires, de mettre en oeuvre les politiques, de prendre les décisions et de suivre les lignes de conduite qui répondent aux objectifs et aux valeurs considérées comme désirables par notre société ». Cette définition demeure vague et ambigüe laissant le champ libre à diverses interprétations. En effet, les obligations sont nombreuses et imprécises. De même, les objectifs et les valeurs évoluent et diffèrent d’une société à une autre (Matten et Moon, 2008).

Face à ces difficultés, plusieurs définitions ont été proposées afin de préciser davantage ce concept (Ackerman et Bauer, 1976; Carroll, 1979; Wood, 1991). L’un des problèmes majeurs relevé est l’identification des types d’actions qui s’inscrivent dans le cadre de la RSE. Par exemple, Friedman (1970) retient uniquement les actions économiques. Alors que, Carroll (1979) identifie les actions économiques, légales, éthiques et philanthropiques.

Les théories de la RSE

D’un point de vue théorique, quatre théories peuvent expliquer l’orientation RSE adoptée par les entreprises à savoir la théorie des parties prenantes (Freeman, 1983), la théorie néo-institutionnelle (Meyer et Rowan, 1977), la théorie de la dépendance envers les ressources (Pfeffer et Salancik, 1978) et la théorie entrepreneuriale (Spence et al., 2007).

Selon la théorie des parties prenantes, l’entreprise est tenue de satisfaire les attentes des parties prenantes. Celles-ci sont définies comme un individu ou un groupe qui peut affecter ou peut être affecté par la réalisation des objectifs de l’organisation (Freeman, 1983). Ainsi, selon cette théorie, la performance sociétale passe par la satisfaction des attentes des parties prenantes (Clarkson, 1995).

Quant à la théorie néo-institutionnelle, développée par Meyer et Rowan (1977) puis par DiMaggio et Powell (1983), tente d’expliquer les facteurs qui poussent les entreprises à adopter les mêmes normes, structures et pratiques afin d’assurer leur légitimité. Au sein d’un environnement institutionnalisé, les entreprises tentent d’accroître leur degré de légitimité par l’adoption de nouvelles pratiques. Ainsi, celles qui fournissent des degrés élevés de légitimité sont davantage mises en oeuvre par les entreprises. Selon cette théorie, trois facteurs peuvent expliquer l’adoption d’une démarche sociétale en vue de préserver la légitimité : l’isomorphisme coercitif (pressions sociétales), l’isomorphisme mimétique (imitation) et l’isomorphisme normatif (professionnalisation).

Alors que la théorie de la dépendance envers les ressources suppose que le besoin de ressources pousse l’entreprise à gérer efficacement les demandes de l’environnement (Pfeffer et Salancik, 1978). Ainsi, sa pérennité est fonction de sa capacité à satisfaire les demandes des groupes de son environnement et essentiellement ses fournisseurs des ressources (Quairel & Auberger, 2005). Ces fournisseurs sont nombreux et chacun apporte une ressource vitale à la survie de l’organisation comme les banques et les clients. L’entreprise devient par conséquent vulnérable et contrôlée par son environnement. Ainsi, elle serait amenée à négocier les ressources avec ses fournisseurs en essayant de satisfaire leurs attentes (Mathieu et Reynaud, 2005). À défaut de réponses jugées acceptables par ses fournisseurs, l’entreprise risque d’être privée des ressources nécessaires à son fonctionnement.

Si les trois théories supposent que les origines de l’engagement sociétal sont essentiellement externes, la théorie entrepreneuriale s’intéresse à l’entrepreneur comme étant la principale source des actions organisationnelles (Spence et al., 2007). En effet, celles-ci sont le reflet des croyances, des valeurs et de la personnalité du propriétaire-dirigeant (Ben Boubaker et al., 2009). Ainsi, l’entrepreneur tend à devenir un écopreneur considéré comme un entrepreneur motivé par le respect des principes éthiques (Dixon et Clifford, 2007).

Les spécificités de la RSE dans les PME

Les théories citées précédemment tentent d’expliquer, d’une façon générale, les raisons pour lesquelles les entreprises s’engagent dans une démarche sociétale. Toutefois, un tel engagement est influencé par les spécificités de l’entreprise comme la taille. En effet, par rapport aux grandes entreprises (GE), les PME sont supposées être plus impliquées dans la RSE en raison de leur forte sensibilité envers les parties prenantes (Laudal, 2011). Ce constat peut être expliqué à travers la notion de proximité (Torrès, 2015). En effet, le système d’information externe des PME est essentiellement informel reposant sur la proximité géographique avec les intervenants. Ainsi, celles-ci deviennent plus sensibles à toute revendication sociétale que les GE. Elles cherchent à préserver leur légitimité surtout qu’elles sont supposées être vulnérables en raison de leur petitesse (Torrès, 2015).

Pour les PME, la RSE nécessite des ressources, parfois considérables, qui dépassent généralement leur capacité. C’est pourquoi Lepoutre et Heene (2006) supposent que le manque des ressources constitue pour les PME un frein à l’engagement sociétal. Comme conséquence, ces PME ne réagissent pas favorablement à toutes les parties prenantes (Graafland et al., 2003). Au contraire, elles ciblent celles qui sont qualifiées de définitives caractérisées par l’urgence de la réponse, le pouvoir et la légitimité (Mitchell et al., 1997). En plus, certaines actions sociétales génèrent des bénéfices à long terme qui sont difficilement adoptées par les PME dont leur horizon temporel est le court terme (Torrès, 2015).

L’approche managériale de la RSE

Ces actions sociétales s’inscrivent dans le cadre de l’approche managériale de la RSE. Développée par Ackerman et Bauer dans les années 1970, cette approche vise à analyser le processus de mise en oeuvre des pratiques en matière de RSE (Acquier et Aggeri, 2015). Ces RS sont généralement le fruit d’un processus qui peut durer plusieurs années (Ackerman et Bauer, 1976; Murray, 1976). En plus, le développement de telles RS fait appel à des ajustements stratégiques et opérationnels. Comme le soulignent Acquier et al. (2011), la mise en oeuvre d’une démarche sociétale n’exige pas uniquement l’engagement des dirigeants. Certes, ces derniers jouent un rôle important dans la conception et la diffusion d’une telle démarche. Toutefois, l’engagement des cadres intermédiaires est nécessaire afin de l’opérationnaliser.

Dans ce sens, Ackerman et Bauer (1976) supposent que le développement d’une RS est fonction du cycle de maturité des demandes sociétales. Ainsi, ils distinguent 3 phases. La première phase se caractérise par un faible signal de la part des parties prenantes. Le problème sociétal existe mais la mobilisation des parties prenantes demeure faible. Ainsi, la RS ne peut se développer qu’à travers une démarche volontaire. Au sein de la deuxième phase, les parties prenantes commencent à s’intéresser à l’enjeu sociétal. Ainsi, plusieurs questions commencent à se poser : quelles sont les parties prenantes impliquées, quelles sont les réponses apportées, comment obliger les entreprises à changer leurs comportements vis-à-vis de cet enjeu ? Ce n’est qu’à la troisième phase que le problème commence à se structurer et à être maîtrisé. Des solutions sont développées et de nouvelles normes et/ou des lois sont instaurées modifiant ainsi le comportement des entreprises. Ainsi, les RS développées au sein de la troisième phase sont généralement de type réactif.

Quelle que soit la nature de la RS apportée, Ackerman (1973) et Murray (1976) insistent sur le fait que celle-ci soit développée sur une base réflexive et méthodique en ayant une orientation stratégique. Pour cela, Murray (1976) suppose que le développement de ce type de réponse est le fruit d’un processus de changement organisationnel composé de 3 étapes. La première est de nature stratégique; les dirigeants s’engagent dans la responsabilité sociétale en formulant et en communiquant une stratégie sociétale tout en identifiant leurs engagements sociétaux en se basant sur leurs valeurs et les demandes sociétales. Dans la seconde phase, deux démarches sont prévues. La première est technique où les spécialistes essayent d’acquérir les technologies et les compétences nécessaires pour concrétiser la stratégie sociétale développée initialement puisque les dirigeants manquent souvent de compétences dans ce domaine. La seconde démarche est administrative où les responsables procèdent aux changements organisationnels nécessaires. Quant à la troisième étape, elle se résume dans la diffusion de la démarche sociétale dans toutes les fonctions de l’entreprise et son appropriation par les acteurs concernés. Un des problèmes majeurs de la troisième étape réside dans la résistance du personnel.

Si Murray (1976) a conçu cette démarche en analysant le processus de développement de la RS des grandes entreprises (les banques commerciales), les PME peuvent ne pas l’adopter pour diverses raisons. La première raison est relative à la masse critique évoquée par Laudal (2011). Pour lui, en raison de leur taille limitée, les PME auront des difficultés à acquérir des compétences en matière de RSE bien que Baumann-Pauly et al. (2013) supposent que l’intensité de l’engagement sociétal ne dépend pas de la taille. La deuxième raison est attribuée à l’horizon temporel des PME. Comme l’évoque Torrès (2015), les dirigeants des PME focalisent généralement leur attention sur le court terme basé sur la réaction que l’anticipation. Ainsi, développer des orientations sociétales stratégiques préconisées par Murray (1976) devient une tâche difficile pour les PME. La troisième raison est relative aux méthodes de gestion. La démarche proposée par Murray (1976) est basée plutôt sur le système formel des entreprises. Or, les PME se référent généralement à leur système informel (Torrès, 2015). Ainsi, l’engagement sociétal est le plus souvent de type informel fondé sur les relations personnelles établies entre le dirigeant et ses parties prenantes les plus proches (Lee et al., 2016; Coppa et Sriramesh, 2013). La quatrième raison provient des motivations des RS. Pour la PME, ces RS dépendent généralement des valeurs de leurs dirigeants-propriétaires contrairement aux grandes entreprises (Lee et al., 2016).

Si Ackerman (1973) et Murray (1976) avancent l’idée d’une prise en compte de la totalité des demandes sociétales par l’entreprise, Wood (1991) suppose que cela est pratiquement difficile. En effet, l’auteure suggère que la RS est fonction des intérêts des dirigeants envers les parties prenantes qui eux à leur tour sont déterminés par le pouvoir de celles-ci. Les parties prenantes les plus menaçantes pour l’entreprise exigent une réaction rapide de sa part. Dans ce cas, les PME se trouvent favorisées par rapport aux grandes entreprises en raison de leur proximité des systèmes d’information externes (Bon et al., 2015; Baumann-Pauly et al., 2013). En effet, en raison de la proximité des PME à leurs marchés, celles-ci réussissent à détecter rapidement les changements survenus puisque la relation PME-marché se base sur un contact direct et informel.

Bien que les RS soient de diverses natures, leurs logiques de fonctionnement suivent généralement deux orientations : réactive et stratégique (Szczanowicz et Saniuk, 2016; Labbé-Pinlon et al., 2013; Lolita, 2010). La première orientation suppose que l’entreprise réagit aux pressions sociétales en ajustant ses activités et en optant pour des objectifs à court terme. Cette orientation est adaptée à la PME puisque généralement son horizon temporel est le court terme (Torrès, 2015). La seconde orientation se base sur une fixation des objectifs à long terme. Dans ce cas, l’entreprise essaye d’anticiper les revendications sociétales pour développer les RS adaptées.

Toutefois, la manière dont l’entreprise répond aux demandes sociétales dépend de plusieurs facteurs. Pour Frederick (1994), le design organisationnel, les compétences managériales et l’évaluation des retombées économiques des actions sociétales sont des facteurs déterminants. Pour ce qui est du design organisationnel, la mise en oeuvre d’une RS suppose une flexibilité organisationnelle de la part de l’entreprise. Dans ce sens, la PME se trouve en position favorable par rapport à la grande entreprise. Sur ce point, Torrès (2015) évoque la notion de proximité. En effet, la PME dispose de plusieurs types de proximités (spatiale, temporelle, fonctionnelle, etc.) qui ne font qu’augmenter leur degré de flexibilité. Quant aux compétences managériales, la PME trouve des difficultés à les acquérir par rapport à la grande entreprise en raison des ressources limitées (Lee et al., 2016). C’est également le cas pour l’évaluation des retombées économiques des actions sociétales. En effet, les impacts économiques positifs des actions sociétales ne sont généralement perçus qu’à long terme (Lee et al., 2016). Or, l’horizon temporel des PME est généralement le court terme (Russo et Perrini, 2010).

Une fois le concept central de la présente recherche, à savoir la réponse sociétale, a été analysé, il s’agit maintenant d’examiner la nature de cette réponse dans un contexte caractérisé par une effervescence sociétale à savoir le contexte tunisien.

Méthodologie de la recherche

Contexte de la recherche

Suite à la chute du régime en janvier 2011, les revendications sociétales, en provenance de plusieurs parties prenantes (personnel, syndicats, communauté), se sont intensifiées rendant leur négligence une menace réelle pour les entreprises indépendamment de leur secteur d’activité (Chtourou et Triki, 2017). Ces revendications touchent davantage les aspects sociaux surtout avec un taux de chômage de plus de 15 % durant la période 2015-2019 (INS, 2018). Selon la même étude, le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur pour la même période est supérieur à 28 %. À ce sujet, les grèves et les sit-in ont touché plusieurs entreprises privées et publiques. Ainsi, la moyenne du nombre de jours perdus à cause des grèves durant la période 2015-2019 est supérieure à 120000 jours (INS, 2018).

La situation est devenue davantage compliquée pour les dirigeants avec le poids représenté par les pouvoirs publics aujourd’hui. En fait, après la révolution de janvier 2011, la légitimité des pouvoirs publics est devenue vulnérable (GIZ, 2012). En plus, ces revendications ont été inscrites dans les programmes électoraux des partis politiques. Ainsi, les entreprises tunisiennes sont tenues de gérer par elles-mêmes les revendications sociétales.

Méthode adoptée

En cherchant à analyser en profondeur les RS développées par les entreprises tunisiennes, cette recherche est davantage de nature exploratoire. Par conséquent, la méthode des cas constitue la méthode la plus appropriée (Marshall et Rosmann, 2011). Elle est définie comme une enquête empirique qui étudie un phénomène contemporain dans son contexte réel (Yin, 1989). En optant pour cette méthode, le chercheur tente d’avoir une idée la plus générale possible sur le phénomène étudié.

En adoptant la méthode des cas, aucune limite théorique n’est imposée concernant la taille de la population. À ce sujet, Yin (1989) suppose que le chercheur est tenu de suivre deux principes dans la détermination de la taille de la population : la réplication et la saturation. Pour le premier principe, il s’agit d’étudier au moins deux ou trois cas tout en s’attendant à des résultats semblables. Pour le second principe, le chercheur n’a plus intérêt à investiguer d’autres cas s’il n’est pas en mesure de trouver de nouveaux résultats.

Concernant cette recherche, la population s’est limitée à 10 PME appartenant aux régions de Sfax, Tunis et du Sahel. Ces entreprises ont été choisies en fonction de trois critères. Le premier critère est la taille. Dans le contexte tunisien, le conseil de marché financier considère dans son bulletin N° 2588 du 2006 qu’une PME est toute entreprise dont l’effectif n’excède pas 300 employés et que le montant des actifs immobilisés nets n’excède pas quatre millions de dinars. Afin d’enrichir davantage les résultats, ces cas appartiennent à différents secteurs d’activité. Le second critère est l’acceptation par les dirigeants. La RSE constitue, après la révolution, un sujet sensible pour les entreprises tunisiennes (GIZ, 2012). Le troisième est l’existence de pressions sociétales exercées sur ces PME.

Le tableau 1 ( voir page suivante) récapitule les caractéristiques de la population.

Concernant la collecte des données, Eisenhardt (1989) met l’accent sur le recours à la triangulation afin que les résultats soient plus fiables. Pour elle, le chercheur a la possibilité de recourir à une seule technique de collecte de données. Toutefois, s’il voulait développer de nouvelles théories et aller davantage en profondeur, il est recommandé d’utiliser plus qu’une technique.

Tableau 1

Les caractéristiques de la population

Les caractéristiques de la population

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Dans notre cas, trois techniques ont été utilisées simultanément. La première technique consiste en des entretiens semi-directifs effectués avec les dirigeants et les directeurs de certains services (juridique, environnement, ressources humaines) d’une part et le personnel d’autre part. Au total, 40 entretiens ont été effectués dont la durée varie entre une heure et une heure et demie. Le guide d’entretien utilisé comporte deux thèmes majeurs : les pressions sociétales et les réponses sociétales (voir tableau 2). Ces thèmes ont été développés en fonction des objectifs de la recherche.

La seconde technique est la recherche documentaire. Il s’agit de consulter, dans la mesure du possible, certains documents internes relatifs aux cas étudiés comme les P.V des réunions avec les syndicats. La troisième technique est l’observation passive. Bien que nous ayons eu des difficultés à être acceptés par l’ensemble des dirigeants, certains d’entre eux nous ont autorisé à assister à certaines réunions dédiées aux RS.

L’enquête, réalisée entre 2016 et 2017, a duré pratiquement une année en raison de l’indisponibilité de certains dirigeants et les difficultés d’accès aux documents internes. Le recours à plusieurs sources de données a permis de réaliser les recoupements nécessaires afin de vérifier l’exactitude de certaines informations collectées.

Afin d’analyser les données collectées, la méthode d’analyse de contenu thématique (ACT) est adoptée basée sur le codage des informations collectées. Miles et Huberman (2003) identifient trois types de codage : conceptualisé, enraciné et générique. Si le premier type suppose que le chercheur établit au préalable les thèmes à étudier, le second suppose que ces derniers émergent du terrain. Le troisième type n’est que l’utilisation conjointe des deux premiers. Au sein de cette recherche c’est le codage générique qui est utilisé. Une fois le type de codage est fixé, il s’agit d’identifier l’unité d’analyse. Dans ce sens, nous avons opté pour un groupe de mots. Afin de faciliter l’étape de la codification, nous avons opté pour la codification informatisée en nous basant sur le logiciel NVivo 8.

Tableau 2

La grille du codage

La grille du codage

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Présentation et discussion des résultats

Présentation des résultats

Afin de mieux les clarifier, les résultats sont présentés en se référant au tableau 2 relatif à la grille du codage. En d’autres termes, les verbatim relatifs à chaque catégorie secondaire sont présentés sous forme de tableau afin d’identifier les ressemblances et les différences entre les cas étudiés.

Pressions sociétales

La catégorie principale « pressions sociétales » est scindée en 3 catégories secondaires : sources de pressions sociétales, intensité de pressions sociétales et formes de pressions sociétales. Concernant la première catégorie secondaire, sources de pressions sociétales, les verbatim correspondants sont récapitulés dans le tableau suivant :

Tableau 3

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « sources de pressions sociétales »

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « sources de pressions sociétales »

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Aujourd’hui, l’environnement des PME tunisiennes est devenu très hostile. Non seulement les pressions sociétales sont devenues très intenses, mais de nouvelles sources de pressions se sont développées. Le mouvement syndical est devenu aujourd’hui un effet de mode. Pratiquement, toutes les entreprises ont enregistré la création de syndicats. Dans la majorité des cas, ce mouvement constitue pour les dirigeants une menace.

Toutefois, certains dirigeants (cas 1et 7) supposent que ce mouvement dispose d’un effet positif. Si pour la plupart des PME enquêtées la création de syndicats était à la demande des employés, pour d’autres elle était sollicitée par les dirigeants eux-mêmes.

Pour les dirigeants des cas 1 et 7, la création d’un syndicat au sein de leurs entreprises permet de mieux organiser les demandes sociétales. En d’autres termes, les dirigeants refusent de discuter avec les employés individuellement, un seul interlocuteur est accepté à savoir le syndicat.

En plus des syndicats, l’enquête montre l’émergence d’autres parties prenantes externes auparavant négligeables comme les chômeurs et la communauté voisine. Les jeunes chômeurs diplômés se sont organisés au sein d’une association revendiquant leur droit au travail. Alors que la communauté voisine, composée par les résidents près de l’entreprise, revendique une participation dans le développement régional ainsi que sa priorité dans le recrutement.

Bien qu’il existe plusieurs sources de pressions, l’enquête montre qu’elles ne représentent pas le même degré de menace comme le montre le tableau suivant :

Tableau 4

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « Intensité des pressions sociétales »

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « Intensité des pressions sociétales »

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L’enquête montre que face à la montée du mouvement syndical, un nouveau problème est apparu au sein de certaines PME enquêtées : le pluri syndicalisme. Après la révolution, plusieurs organisations syndicales ont été créées. Ainsi, les dirigeants sont tenus parfois de faire face à deux syndicats appartenant à deux organisations syndicales différentes. Par conséquent, les dirigeants étaient obligés de gérer, en plus des revendications sociétales, les tensions entre les syndicats.

Bien que la loi autorise les entreprises, en cas de pluri syndicalisme, à négocier avec le syndicat le plus représenté, l’analyse montre que les dirigeants (cas 9 et 10) optent pour la discussion conjointe avec les deux syndicats.

En plus de l’émergence de nouvelles parties prenantes, l’enquête montre que les pouvoirs publics ne représentent plus une menace réelle pour les entreprises. Selon les propos des dirigeants, les pouvoirs publics ne sont plus menaçants comme ils étaient avant la révolution. Leur pouvoir s’est affaibli et les entreprises sont appelées à s’arranger directement avec les syndicats sans la participation des organismes gouvernementaux.

Comme conséquence, l’enquête montre que les formes de pressions étaient diverses engendrant pour certaines entreprises des pertes considérables comme le montre le tableau 5 à la page suivante.

Le tableau ci-dessus montre que les entreprises enquêtées ont fait l’objet de grèves de la part de leurs employés causant un arrêt de la production. La durée de ces grèves varie entre 1 jour et 8 mois.

Si la reprise était facile pour certains cas, elle ne l’était pas pour d’autres. En effet, les dirigeants du cas 6 affirment qu’il a fallu deux mois d’entretien pour reprendre l’activité. En plus, les dirigeants du cas 1 mettent l’accent sur la difficulté de préserver les clients. En enregistrant un arrêt de 5 mois, les clients étrangers du cas 1 ont été obligés de se diriger vers d’autres pays, essentiellement le Maroc, pour s’approvisionner. Pis encore, les dirigeants du cas 8 affirment qu’ils ont dû payer des pénalités de retard aux clients étrangers pour ne pas avoir respecté les délais de livraison. En plus des grèves, certaines entreprises enquêtées ont fait l’objet de sit-in de la part de la communauté voisine.

Concernant la nature des revendications sociétales, la plupart des répondants affirment qu’elles sont essentiellement sociales. Elles se résument dans l’augmentation des salaires, la titularisation et le recrutement. Toutefois, certaines entreprises enquêtées ont fait l’objet de pressions environnementales surtout pour les entreprises polluantes (cas 2 par exemple).

L’enquête montre aussi qu’après la révolution, les pouvoirs publics ont été substitués par d’autres parties prenantes, comme la communauté et les associations écologiques, en matière de pressions écologiques. En plus, de la réduction de la pollution, certaines parties prenantes, notamment la communauté, ont réclamé le versement d’une compensation en contrepartie de la pollution générée et même la fermeture du site.

Tableau 5

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « formes de pressions sociétales »

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « formes de pressions sociétales »

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Afin d’enrichir les résultats de l’enquête, nous avons voulu identifier la vision des employés envers les pressions sociétales. Ces derniers supposent que la révolution a constitué une occasion précieuse afin de réclamer leurs droits. Ils supposent que leurs revendications sont légitimes et conformes à la législation en vigueur (cas 9 et 5). Toutefois, cet avis n’est pas toujours partagé par les dirigeants qui supposent que les employés exagèrent dans leurs revendications et profitent des circonstances pour gagner le maximum.

Pour ces dirigeants, ces revendications sont au-delà de la capacité de leurs entreprises. Ils supposent que la baisse du pouvoir des organismes gouvernementaux en plus de la montée du mouvement syndical sont les causes principales de ce constat.

Réponses sociétales

Selon la grille du codage, la catégorie principale « réponses sociétales » renferme trois catégories secondaires : nature de la RS, mode de développement de la RS et résultats de la RS.

Concernant la première catégorie secondaire, le tableau ci-dessous présente les verbatim correspondants :

Tableau 6

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « nature de la RS »

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « nature de la RS »

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Face à ces pressions intenses revêtant diverses revendications, toutes les PME enquêtées ont mis en oeuvre des actions sociétales. Les RS développées sont essentiellement de nature sociale. Le recrutement et les augmentations salariales constituent les principales réponses. Cela n’exclut pas que certains cas étudiés ont développé des actions environnementales afin de limiter la pollution générée par leur activité économique.

Mais ce qui est à remarquer c’est que certains dirigeants admettent l’utilité des RS apportées. Toutefois, ils supposent qu’elles interviennent au mauvais moment puisque leurs entreprises passent par des périodes de difficultés économiques suite à la révolution.

Afin de développer les RS adaptées, les PME enquêtées ont adopté deux démarches différentes comme le montre le tableau suivant :

Tableau 7

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « mode de développement de la RS »

Les verbatim relatifs à la catégorie secondaire « mode de développement de la RS »

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La première démarche est le développement des RS sans une négociation préalable avec les parties prenantes intéressées. Lors d’une réunion consacrée aux revendications sociétales, les dirigeants du cas 4, 2 et 5, par exemple, ont refusé la participation des parties concernées (le personnel) à ladite réunion pour deux raisons majeures. La première raison est que la rapidité exigée de la réponse suppose une conception unilatérale. La seconde raison est que certains dirigeants supposent que le fait d’impliquer le personnel dans la conception des RS affecte négativement l’image de l’entreprise.

Uniquement 3 entreprises ont adopté la deuxième démarche totalement différente de la première basée sur une négociation avec les parties prenantes afin de développer les RS. Ces PME se sont engagées dans des réunions avec plusieurs parties prenantes essentiellement les syndicats et la communauté. L’objectif est de parvenir à un terrain d’entente entre les deux parties. Toutefois, ces réunions n’ont pas été toujours positives. Comme le montrent les propos (cas 8 et 9), la recherche d’un compromis entre les parties prenantes et l’entreprise a constitué une tâche difficile. Comme l’affirment plusieurs dirigeants, la concrétisation de certaines revendications sociétales était impossible. De ce fait, il a fallu parfois que certaines parties prenantes diminuent leur niveau d’exigence.

Pour certaines entreprises (cas 7 et 8), un programme de RS sur plusieurs années a été mis en oeuvre. Leurs dirigeants admettent la nécessité d’un tel programme vu les ressources limitées de leurs entreprises.

Toutefois, bien que le pouvoir des organismes gouvernementaux ait enregistré une baisse considérable après la révolution, certaines PME enquêtées (cas 7 et 9) ont exigé leur présence dans toute discussion avec les parties prenantes. Pour ces PME, la présence des pouvoirs publics constitue une garantie de l’application des mesures décidées. Toutefois, pour le cas 10, certaines parties prenantes ont jugé que les actions sociétales acceptées initialement sont loin de leurs attentes malgré la présence des pouvoirs publics.

Bien que toutes entreprises aient procédé à des RS, leurs résultats étaient mitigés comme le montre le tableau 8 à la page suivante.

En effet, pour plusieurs entreprises, les RS développées n’ont pas fourni le résultat escompté. Pour certaines entreprises, malgré les augmentations salariales accordées, celles-ci n’ont pas été, selon le personnel, conformes à la réglementation en vigueur.

Tableau 8

Les verbatim relatifs à la catégorie « résultat de la RS »

Les verbatim relatifs à la catégorie « résultat de la RS »

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Si certaines parties prenantes ont accepté ces RS initialement, elles les ont critiqués ensuite demandant leur révision. De même, plusieurs entreprises ont jugé qu’une révision des RS développées initialement est nécessaire puisqu’elles dépassent leur capacité.

Ainsi, le personnel a été obligé d’entrer en grève pour négocier de nouveau avec la direction générale. Cette période de grève a duré presque 4 mois afin que les parties concernées réussissent à trouver des solutions jugées acceptables et durables.

Aussi, l’enquête montre que plusieurs entreprises qui se sont engagées dans un processus de négociation avec les parties concernées (cas 7 par exemple) n’ont pas enregistré des grèves contrairement à celles qui ont développé des RS unilatéralement.

Discussion des résultats

A la lumière de l’enquête, il est évident que l’environnement a complétement changé pour les PME tunisiennes. Non seulement les pressions sociétales se sont intensifiées, mais leurs sources sont devenues nombreuses. En plus, la nature même des revendications a changé. Avant la révolution, les demandes sociétales se résumaient généralement à la réduction de la pollution (Ben Boubaker et al., 2009). Aujourd’hui, l’intérêt des parties prenantes s’est porté sur les revendications sociales. Ce changement est expliqué essentiellement par le développement du mouvement syndical. Comme l’affirment Chtourou et Triki (2017), les RS des entreprises tunisiennes en période de post révolution sont plutôt de nature sociale, orientées vers les parties prenantes primaires à savoir les employés, qu’environnementale.

En effet, avant la révolution, les pressions sociales étaient négligeables. Cela n’implique pas que les problèmes sociaux n’existaient pas. Au contraire, les employés souffraient de plusieurs problèmes. Toutefois, le mouvement syndical était peu développé en raison des pressions politiques (GIZ, 2012). Une fois le régime politique renversé, la Tunisie a enregistré un développement du mouvement syndical. Face à un tel contexte, les entreprises tunisiennes sont confrontées à une nouvelle situation où elles ont perdu leurs repères (Boutiba et al., 2016).

Malgré cela, les PME enquêtées ont réagi rapidement pour contrecarrer ce mouvement syndical. Cette rapidité de réaction constitue une caractéristique des PME. Pour Lee et al. (2016), les systèmes d’information des PME sont simples rendant leurs propriétaires-dirigeants plus proches physiquement de leur environnement. Cela, leur permet de détecter rapidement les changements de l’environnement et de réagir en conséquence.

Toutefois, la nature de la réaction était différente. En effet, les PME ont adopté deux approches différentes lors du développement des RS. La première, que nous appelons l’approche tactique, se base sur une réaction rapide sans aucune vision stratégique. À travers cette approche, les PME cherchent à manipuler les parties prenantes avec le minimum de ressources consenties afin de réduire le plus rapidement les pressions sans prévoir les conséquences des RS développées. Généralement, les dirigeants de ces PME adoptent une vision philanthropique caractérisée par la recherche de satisfaction des attentes des parties prenantes et la minimisation des actions sociétales perçues essentiellement comme des charges (Quazi et O’Brien, 2000). Comme le démontrent Konrad et Linnehan (1995), une pression externe sur l’organisation fait généralement modifier positivement ses actions basées sur le sociétal que l’économique. Ces résultats confirment ceux aboutis par Chtourou et Triki (2017) qui supposent que la vision philanthropique est la plus adoptée dans le contexte tunisien caractérisée par une corrélation négative entre les RS et la performance financière.

L’adoption de l’approche tactique par les PME peut être expliquée essentiellement par trois facteurs. Le premier facteur est que les PME admettent difficilement que les actions sociétales peuvent avoir des retombées économiques positives (Laudal, 2011). Ceci est renforcé par le manque de ressources des PME. Le deuxième facteur est lié à la vision des dirigeants. Ces derniers, qui sont dans la plupart des cas des propriétaires, privilégient la pérennité de leurs entreprises à la croissance (Aka et Labelle, 2010). Ainsi, ils ont tendance à gérer le plus rapidement les risques détectés. Le troisième facteur réside dans l’horizon temporel des PME qui est le plus souvent le court terme basé sur la réaction plutôt que l’anticipation (Torrès, 2015).

Si ces entreprises ont réussi à réduire les pressions sociétales au début, elles ont enregistré ensuite plusieurs problèmes sociétaux. Cela implique que les RS développées initialement étaient en-dessous des attentes des parties prenantes concernées. Par conséquent, il a fallu que ces PME acceptent de discuter avec leurs parties prenantes afin de trouver des solutions satisfaisantes pour les deux parties prenantes.

La seconde approche, que nous qualifions de stratégique, se base sur une vision à long terme. Elle a pour objectif d’établir des relations durables et plus au moins satisfaisantes entre l’entreprise et ses acteurs sociétaux à travers une collaboration dans la conception et la mise en oeuvre des RS. Dans ce sens, Lotila (2010) suppose que les entreprises ne peuvent négliger leurs parties prenantes dans la formulation des RS. Si elles les ignorent, elles risquent d’être affectées dans leur fonctionnement. Ainsi, les dirigeants de ces entreprises s’inscrivent davantage dans une logique d’entrepreneuriat sociétal. Avec ce type d’entrepreneuriat, ces derniers essayent de promouvoir des valeurs sociétales à l’échelle de la société où le profit ne constitue pas l’objectif principal (Sud et al., 2009).

Ainsi, cette approche se base d’une part sur une vision stratégique et d’autre part sur une proximité physique entre l’entreprise et ses parties prenantes. Cette proximité constitue une des caractéristiques de la PME et permet au dirigeant-propriétaire d’entrer en contact direct avec les parties prenantes (Torrès, 2015).

Cette approche stratégique peut s’inscrire dans le cadre d’une vision moderne envers la RSE caractérisée par la concrétisation de la logique gagnant-gagnant (Quazi et O’Brien, 2000). En effet, les dirigeants tentent de satisfaire les attentes des parties prenantes en mettant en oeuvre des actions sociétales rentables. C’est à travers la négociation avec ces parties que les dirigeants réussissent à définir ces actions. Selon l’approche entrepreneuriale, ce type de dirigeant est qualifié d’écopreneur (Dixon et Clifford, 2007). Mobilisé par une démarche citoyenne, ce type d’entrepreneur est motivé par des objectifs économiques, environnementaux et sociaux tout en ayant une vision claire dirigée vers le long terme et en développant un dialogue avec les parties prenantes concernées (Kirkwood et Walton, 2010).

Cette négociation avec les parties prenantes est soulignée par Ackerman et Bauer (1976) dans la seconde phase du cycle de maturité des demandes sociétales. Pour eux, cette négociation se fait entre les acteurs concernés et les spécialistes nommés par la direction qui se trouvent face à un dilemme. En effet, les parties prenantes reprochent aux spécialistes d’être lents. Alors que ces derniers sont accusés de la part des autres membres de l’organisation de s’engager dans des actions sociétales sans prendre leur engagement.

À la lumière des résultats de l’enquête, nous pouvons supposer que les PME tunisiennes en période de post révolution adoptent deux comportements différents dans le développement de leurs RS avec des résultats différents comme le montre la figure 1 à la page suivante.

Les apports de ce modèle sont au nombre de trois. Le premier est que ce dernier est spécifique aux PME. Partant du fait que l’horizon temporel des grandes entreprises est le long terme, celles-ci adoptent davantage une démarche sociétale proactive que réactive (Torrès, 2015). Ceci n’est pas généralement le cas pour les PME. En raison de leurs ressources limitées et de leur horizon temporel, qui est le court terme, les PME s’orientent plus vers une démarche réactive. Le modèle proposé s’inscrit dans cette logique de réactivité puisque les RS développées sont conditionnées par les pressions sociétales. Ces PME ont réussi à surmonter le manque des ressources dans leur démarche sociétale. Ainsi, la vision des dirigeants joue un rôle décisif, plus que les ressources, dans l’engagement sociétal.

Le second apport réside dans le contexte. Le présent modèle a été développé à l’issu d’une étude empirique réalisée dans un contexte caractérisé par de fortes pressions sociétales. Comme l’a démontré l’enquête, les pressions sont tellement intenses que les entreprises ne peuvent les négliger. Ainsi, ces PME sont tenues non seulement de développer de nouvelles RS mais aussi de détecter en permanence toute nouvelle demande formulée par leurs parties prenantes.

Figure 1

Processus de développement des RS

Processus de développement des RS

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Le dernier apport de ce modèle est relatif à l’implication des parties prenantes. Ce modèle insiste sur le rôle joué par les parties prenantes dans la conception et l’exécution d’une démarche sociétale. Ainsi, ce modèle ne fait que renforcer les idées développées par Ackerman et Bauer (1976) et par Lotila (2010) qui supposent le recours à une démarche méthodique et réfléchie dans la conception des RS. Cette interaction est bénéfique pour les deux parties. Ceci permet d’aboutir à des RS réalisables par l’entreprise et acceptables par la société. Certes, l’aboutissement des RS n’est pas une tâche aisée pour les entreprises surtout si l’Etat manque de pouvoir par rapport aux autres parties prenantes.

En plus de ces apports, cette recherche renforce l’idée que la négligence des revendications sociétales n’est pas sans conséquence pour l’entreprise. Avec l’hostilité de l’environnement tunisien, les pressions peuvent affecter négativement et rapidement les entreprises. Ainsi, elles sont tenues de gérer efficacement ces revendications même si elles sont parfois non conformes à la réglementation puisque le recours aux pouvoirs publics peut s’avérer inefficace.

Une dernière contribution qui peut être développée est que les sources des pressions sociétales ne sont pas statiques. En effet, l’enquête montre que les sources de pressions sociétales ont changé après la révolution. En prenant l’exemple du syndicat, il est évident que la nature de l’environnement évolue. Cela requiert de la part des dirigeants une analyse périodique de l’environnement afin de détecter tout changement potentiel.

Conclusion

L’analyse des RS développées par les entreprises tunisiennes dans un contexte de post révolution a constitué l’objectif de cette recherche. L’étude menée sur 10 entreprises montre que les RS développées sont essentiellement de nature sociale. En raison des pressions intenses de la part des employés et des syndicats, la majorité des RS développées touchent les aspects sociaux. Alors que les aspects environnementaux sont peu évoqués. Ainsi la situation s’est complétement inversée après la révolution.

L’analyse des mécanismes de développement de ces RS nous a permis de proposer un modèle de développement des RS caractérisé par deux approches. Une première approche qualifiée de tactique suppose une formulation des RS sans prendre en considération les parties prenantes de l’entreprise. Toutefois, les RS développées dans le cadre de cette approche ont peu de chances d’alléger les pressions sociétales puisqu’elles ne sont pas le fruit d’une négociation avec les parties prenantes. La seconde approche est qualifiée de stratégique suppose une interaction entre l’entreprise et ses parties prenantes dans le développement des RS. Cette interaction a abouti à une réduction des pressions sociétales.

Comme toute recherche, celle-ci n’échappe pas à certaines limites. La première est que le modèle développé nécessite d’être validé. Ainsi, une recherche future sur une population plus large serait nécessaire afin de tester le modèle proposé. La seconde est que cette recherche s’est limitée uniquement à des zones côtières. Or les premières étincelles de la révolution se situent à l’intérieur du pays où les pressions sociétales sont plus intenses. Par conséquent, une analyse des RS développées par les entreprises se situant dans ces régions serait souhaitable en vue de comparaison avec les régions côtières. La troisième est que les propos des personnes enquêtées sont parfois traduits de l’arabe ce qui peut causer des biais d’interprétation.