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Afin de soutenir leur dynamique économique et d’accroître la qualité de vie de la population, les grandes villes s’engagent dans le développement d’écosystèmes de la mobilité au sein desquels elles favorisent l’émergence d’une variété d’innovations (Benevelo et al., 2016, Zygiaris, 2014). Ces innovations s’inscrivent dans une logique de restructuration des transports et impliquent la coopération de nombreux acteurs (Spickermann et al., 2014) : opérateurs de réseaux, gestionnaires d’équipements urbains, collectivités locales, utilisateurs, producteurs de services, gestionnaires de données de mobilité et start-ups dont l’émergence est soutenue (Benevelo et al., 2016, Attour, Rallet, 2014). Ces start-ups, impliquées dans des dynamiques d’innovation collectives, font face à des problématiques de protection de leur innovation (Ben Letaifa, Rabeau, 2012, Chesbrough, 2003).

Les recherches consacrées à la protection de l’innovation se sont essentiellement focalisées sur les grandes entreprises (Vahter et al., 2013) et ont mis l’accent sur le rôle du brevet (Grzegorczyk, 2020, Pathak, Muralidharan, 2020, Attour, Ayerbe, 2015). Les stratégies de protection de l’innovation mises en oeuvre par les start-ups sont quant à elles peu étudiées et appellent à de plus amples recherches (Hogenbuis et al., 2016, Kohler, 2016, Weiblen, Chesbrough, 2015). Cette recherche propose d’y contribuer, dans le contexte d’un écosystème de la mobilité. Ce contexte présente des caractéristiques spécifiques susceptibles d’influencer les stratégies de protection de l’innovation des start-ups. Alors que la littérature est centrée sur les écosystèmes orchestrés par des acteurs privés (Azzam et al., 2017, Leten et al., 2013, Isckia, 2011, Iansiti, Levien, 2004), les écosystèmes de mobilité sont orchestrés par des collectivités publiques et ont une forte dimension territoriale. Ces spécificités sont relevées dans la littérature (Zygiaris, 2013), mais leur influence sur les stratégies de protection de l’innovation des start-ups n’est pas étudiée. Nous adoptons une définition large de la notion de start-up, comme jeunes entreprises innovantes, qui n’ont pas nécessairement une haute intensité technologique ou un fort potentiel de croissance, contrairement à la manière dont elles sont parfois caractérisées dans la littérature (Weiblen, Chesbrough, 2015). Par ailleurs, ces start-ups présentent une grande diversité et leurs innovations répondent à une pluralité de problématiques : pollution, fluidité du trafic, sécurité, temps et coûts de transfert, attractivité de la ville, développement économique (Benevelo et al., 2016). Leurs caractéristiques propres influencent également les stratégies de protection de l’innovation (Thomä, Bizer, 2013, Fréchet, Martin, 2011).

L’objectif de ce papier est de caractériser l’influence des facteurs de contingence propres aux start-ups et propres à l’écosystème de la mobilité sur leurs stratégies de protection de l’innovation. L’étude de cas d’un écosystème de la mobilité nous conduit à identifier quatre stratégies de protection de l’innovation dépendantes de la taille de l’entreprise, la nature de l’innovation et la concurrence. Par ailleurs, nous caractérisons l’influence des spécificités de l’écosystème de la mobilité (présence d’un orchestrateur public, émergence de l’écosystème et dimension locale) sur le contexte de l’innovation et les stratégies adoptées. L’article présente (1) une revue de littérature sur les modes de protection de l’innovation des petites entreprises et l’influence des facteurs contextuels, (2) la méthodologie et le terrain étudié, (3) les résultats obtenus et (4) la discussion des résultats.

La protection de l’innovation des start-ups : une revue de littérature

Différents modes de protection de l’innovation formels (brevet, droit d’auteur, marque, dessin et modèle, nom de domaine, contrat, licence) et informels (secret, complexité du design, avance technologique, rapidité d’accès au marché, détention d’actifs complémentaires) sont mobilisés par les jeunes entreprises, en fonction de leurs caractéristiques propres et de celles de leur environnement.

Taille de l’entreprise et modes de protection de l’innovation

La littérature relative aux stratégies de protection de l’innovation des petites entreprises met en avant l’influence de la taille de l’entreprise sur la préférence pour des modes informels et sur l’utilisation complémentaire des modes formels et informels (Fréchet, Martin, 2011). Les petites entreprises utilisent plus fréquemment les modes de protection informels de l’innovation tels que l’avance technologique, la complexité du design, le secret ou le développement d’actifs complémentaires qui leur permettent de s’approprier les bénéfices de l’innovation (Thomä, Bizer, 2013, Teece, 1986). Ils sont moins coûteux, plus rapides à mettre en place, plus faciles à inclure dans les routines de l’entreprise et souvent plus efficaces que les modes de protection formels (Teece, 2006, Kitching, Blackburn, 1998), notamment pour la protection des innovations de procédé (Fréchet, Martin, 2011, Graham, 2004). Ces modes de protection informels sont en cohérence avec la logique des petites entreprises qui s’attachent davantage au succès commercial de leur innovation qu’à la protection de leur technologie (Thomä, Bizer, 2013).

L’alternative entre le secret et le brevet a suscité une attention particulière dans la littérature, soulignant les limites du brevet pour les petites entreprises (Teixeira, Ferreira, 2019, Thomä, Bizer, 2013, Fréchet, Martin, 2011, Leiponen, Byma, 2009, Arundel, 2001). Il est trop technique, peu efficace et nécessite des ressources financières et des compétences juridiques trop importantes pour le déposer et faire valoir leurs droits devant les tribunaux (Corbel, Reboud, 2018, Lallement, 2009, Lanjouw, Lerner, 2000, Acs, Audretsch, 1988). Kitching et Blackburn (1998) montrent que les petites entreprises qui utilisent le brevet, le perçoivent davantage comme un outil de dissuasion face à l’imitation, que comme un outil permettant d’obtenir une compensation en cas de préjudice. De plus, les petites entreprises innovantes sont capables de s’adapter très rapidement et donc de générer des améliorations progressives mineures qui ne justifient pas le recours au brevet (Arundel, 2001).

En se focalisant essentiellement sur les avantages et les inconvénients respectifs du brevet et du secret, la littérature souffre d’un manque d’attention accordé à des modes formels et informels de protection plus largement utilisés que le brevet ou le secret, tels que le droit d’auteur, la marque ou les actifs complémentaires (Lallement, 2009). Elle souffre ainsi d’un biais important, qui crée un fossé entre les modèles théoriques et les travaux empiriques (Hall et al., 2014). Certains travaux font cependant exception en adoptant une vision plus large des modes de protection formels et informels de l’innovation et en montrant qu’ils peuvent se renforcer mutuellement pour protéger l’innovation dans les petites entreprises (Amara et al., 2008). Thomä et Bizer (2013) montrent l’utilisation conjointe par les petites entreprises de différents modes de protection informels (secret, complexité du design, accès rapide au marché, avance technologique), dans certains cas, combinées à des modes formels (brevet, droit d’auteur, marque). Le Bas et Szostak (2016) relèvent l’utilisation complémentaire de modes de protection formels et informels dans le cas d’une petite entreprise de télémédecine, qui recourt au brevet, au dessin et modèle, à la marque, au droit d’auteur et utilise également des modes de protection informels. Elle garde secrets ses actifs immatériels essentiels pour protéger son modèle d’affaires face à l’imitation par les concurrents et développe une stratégie de protection numérique des données des patients via l’utilisation du cloud. Dessylas et Sako (2013) montrent, sur le marché de l’assurance, comment une petite entreprise utilise le brevet pour gagner du temps sur ses concurrents et pouvoir ainsi développer des actifs complémentaires lui permettant de se différencier au fil du temps.

Les modes de protection de l’innovation formels comprennent les outils de protection de la propriété intellectuelle, tandis que les modes informels comprennent les mécanismes de protection fondés sur des stratégies et non sur des outils juridiques. Les contrats ne trouvent pas leur place dans cette catégorisation, ce qui conduit selon nous à négliger leur rôle comme mode de protection de l’innovation. En situation de coopération, les contrats explicitent la stratégie de propriété intellectuelle relative à la protection des actifs respectifs et communs (Attour, Ayerbe, 2015). Le recours au brevet ou au secret s’accompagne de contrats qui prévoient des clauses de confidentialité (Martin, Fréchet, 2011). La place du contrat comme mode de protection est différente pour les petites et les grandes entreprises. Si une grande entreprise peut prendre en charge les aspects contractuels qui accompagnent l’utilisation du brevet, des licences, du droit d’auteur, de la marque ou des noms de domaine (Roquilly, 2009), la situation est différente pour une petite entreprise qui ne dispose pas de services juridiques (Kitching, Blackburn, 1998). L’utilisation du contrat par les petites entreprises comme mode de protection de l’innovation reste un sujet peu exploré dans la littérature consacrée à l’utilisation des modes formels et informels. Il nous paraît pourtant important de le prendre en compte dans le contexte d’un écosystème où la dynamique d’innovation repose sur la collaboration des start-ups avec une diversité d’acteurs.

L’influence de la nature de l’innovation et du contexte de l’innovation

La taille de l’entreprise n’est pas le seul facteur qui détermine le choix d’une stratégie de protection de l’innovation. Elle est également influencée par la nature de l’innovation (Fréchet, Martin, 2011, Amara et al., 2008). Au sein d’un écosystème de la mobilité, les start-ups présentent des profils variés, même si beaucoup d’innovations se fondent sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (Benevelo et al., 2017, Aguilera, Rallet, 2016). Dans le domaine des services notamment, toutes les innovations ne peuvent être protégées par le brevet ou le droit d’auteur (Amara et al., 2008). A l’inverse, pour certaines innovations technologiques du secteur de la chimie ou de la pharmacie, le dépôt de brevet apparaît comme une stratégie essentielle de protection de l’innovation même pour les petites entreprises (O’Shea et al., 2005, Cohen et al., 2000), afin de signaler la capacité à innover aux investisseurs et aux banquiers (Chirico et al., 2020, Corbel, Le bas, 2012) et gagner de l’importance sur le marché (Holgersson, 2013). Pour les innovations technologiquement complexes, dans le domaine de l’électronique notamment, les petites entreprises préfèrent utiliser le secret et l’avance technologique (Teece, 1986).

Dans des contextes différents, les entreprises adoptent cependant des stratégies différentes. Ainsi, le brevet est davantage utilisé par les start-ups comme mode de protection de l’innovation lorsque l’invention est issue de la recherche académique (Leiponen, Byma, 2009, Créplet et al., 2007), où les bureaux de valorisation prennent en charge les questions de propriété intellectuelle (Matt, Schaeffer, 2015, Markman et al., 2005). Leiponen et Byma (2009) montrent par ailleurs que les petites entreprises qui utilisent le secret, privilégient l’accès rapide au marché lorsqu’elles sont en situation de dépendance horizontale ou verticale avec un client ou un fournisseur. La taille du marché de l’entreprise est également un facteur de contexte important. Les marchés de petite taille attirent moins de concurrents, les opportunités de profit y étant plus faibles (Fréchet et Martin, 2011). De Vries et al. (2017) mettent en avant l’influence de l’identité des clients, la protection par la marque étant privilégiée par les jeunes entreprises lorsqu’elles sont actives sur des marchés B2C plutôt que B2B. Fauchart et Von Hippel (2008) montrent dans le secteur de la haute cuisine le rôle que jouent les normes sociales partagées au sein de la communauté des chefs. Elles assoient le droit pour un chef d’être reconnu comme l’auteur des recettes qu’il crée.

Le contexte des écosystèmes au sein desquels se développent les start-ups est susceptible d’influencer leurs stratégies de protection de l’innovation. Un écosystème de la mobilité est orchestré par une collectivité, qui assure la coordination d’un ensemble d’acteurs locaux, soutient le développement des start-ups, favorise la diversité, le partage des ressources et la création collective de valeur. Dans la littérature, l’influence de l’orchestrateur sur les stratégies de protection de l’innovation est étudiée dans le cas où l’orchestrateur est une entreprise privée et met en avant le rôle du brevet et des licences. Dans le secteur de l’aérospatial (Azzam et al., 2017) et de la nano-électronique (Leten et al.,  013), les auteurs montrent comment le brevet est utilisé par l’orchestrateur pour assurer la stabilité de l’écosystème. Le développement de plateformes numériques autour desquelles se structurent des dynamiques d’innovation collectives ont suscité de nombreux travaux consacrés au rôle de l’orchestrateur du réseau (Nambisan, 2017, Iansiti, Levien, 2004), qui montrent que les clauses de licences permettent d’ajuster le degré d’ouverture des plateformes (Ayerbe, Azzam, 2015, Muselli, 2008), et conditionnent l’accès aux ressources, l’appropriabilité des rentes de l’innovation et le nombre d’acteurs (Ayerbe, Chanal, 2011). Si l’orchestrateur adopte un comportement peu coopératif et met en oeuvre une politique d’intégration horizontale ou verticale, le contexte est moins favorable au développement des start-ups (Iansiti, Levien, 2004) qui peuvent recourir à des stratégies de protection fondées sur le développement d’actifs complémentaires non imitables (Teece, 2006). L’influence d’un orchestrateur public sur ces stratégies n’est pas abordée dans cette littérature.

Les stratégies de protection de l’innovation des start-ups apparaissent donc influencées à la fois par leurs caractéristiques propres et par le contexte spécifique à l’écosystème de la mobilité. L’objet de cette recherche est de caractériser cette influence au sein d’un écosystème dont l’orchestrateur est public et soutient la création et le développement de start-ups aux profils multiples, pour favoriser l’émergence d’une diversité d’innovations.

Méthodologie et présentation du terrain

Présentation de l’écosystème

Afin d’appréhender les logiques qui guident les stratégies de protection de l’innovation des start-ups proposant des services innovants dans le domaine de la mobilité, nous avons mené une étude qualitative fondée sur l’étude du cas d’un écosystème de mobilité (Siggelkow, 2007, Yin, 1983). Le cas étudié a une valeur instrumentale (Stake, 1998), dans le sens où notre objectif n’est pas de décrire tous les aspects de la réalité observée, mais de l’utiliser comme un champ d’observation afin d’identifier et de comprendre les fondements des stratégies de protection adoptées par les start-ups. Nous avons choisi le cas de l’écosystème de la mobilité urbaine de la ville de Strasbourg, qui peut être considéré comme un idéal type (Yin, 1994), dans le sens où cette ville a été pionnière, depuis les années 1990, dans l’introduction d’innovations liées à la mobilité urbaine avec le souci de développer l’intermodalité pour fluidifier les flux et limiter la place des voitures au centre de la ville.

La ville de Strasbourg est intégrée dans une aire urbaine de près de 800 000 personnes en 2020, qui comprend 33 autres communes. Elle s’appelle l’Eurométropole depuis 2015. Un tramway mis en service en 1994 et a accueilli 325 000 voyageurs par jour en 2019. Une très large piétonisation du centre-ville contribue à faire de Strasbourg une ville où la part modale de la marche est l’une des plus élevées de France. L’Eurométropole a développé des services de voiture et de vélo partagés et possède le premier réseau cyclable de France avec 600 kms de pistes. A l’échelle régionale, une partie des acteurs de la mobilité est impliquée dans le Pôle de Compétitivité « Véhicule du Futur », qui compte près de 400 entreprises adhérentes. Son rôle est d’animer un cluster dont la vocation est de favoriser l’émergence de projets d’innovation autour des modes de transport. Les mobilités innovantes, et plus particulièrement les ITS (Intelligent Transportation Systems) sont identifiées comme un secteur à fort potentiel de développement économique dans la feuille de route de Strasbourg à l’horizon 2030.

La ville et la région sont engagées depuis les années 2000, et d’une manière plus appuyée depuis les années 2010, dans le développement d’un écosystème entrepreneurial qui favorise le développement de projets autour de la mobilité. Un incubateur régional, des espaces de co-working, des lieux de créativité et d’expérimentation existent dans la ville pour favoriser l’émergence de projets entrepreneuriaux. La ville est l’acteur central de l’écosystème et mène une politique volontaire d’open data pour nourrir les projets d’innovation. Elle s’implique dans l’organisation d’événements autour des projets entrepreneuriaux, ainsi que la création de dispositifs de soutien aux start-ups. Elle poursuit un double objectif par rapport à la mobilité : favoriser le développement économique en répondant aux besoins des entreprises et favoriser le report modal de la voiture vers les transports en commun et la mobilité douce. Ce double objectif se traduit au niveau de l’organisation de l’Eurométropole, par deux axes de soutien aux projets entrepreneuriaux. L’un plus centré sur l’automobile et le transport sur route en lien avec les initiatives du Pôle Véhicule du Futur, l’autre plus centré sur le report modal du véhicule individuel vers les transports en commun et les solutions de mobilité douce. Ces deux axes peuvent entrer en contradiction et contribuent à la complexité des problématiques liées à la mobilité.

Un nombre important d’acteurs sont parties prenantes des questions de mobilité au niveau local : des entreprises industrielles, des entreprises de transport qui ont une mission de service public, des start-ups, des intermédiaires d’innovation, des acteurs institutionnels et politiques et une présence académique forte avec une université de réputation internationale de 53 000 étudiants. Ces différents acteurs interagissent et collaborent pour produire des innovations autour de la mobilité. La multiplicité des parties prenantes répond à la multiplicité des modes de transport recherchée à travers le développement de l’intermodalité et au double objectif que poursuit une ville dans le développement d’un écosystème de la mobilité : favoriser le développement économique de la ville et améliorer le bien-être des personnes, en fluidifiant les déplacements et en favorisant les mobilités non polluantes.

Les entretiens réalisés et le traitement des données

Des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de start-ups et de différents acteurs de l’écosystème de la mobilité à Strasbourg (entreprises publiques de transport, entreprises privées impliquées dans le pôle de compétitivité, et cabinet de conseil en propriété intellectuelle, intermédiaires d’innovation, acteurs institutionnels locaux, cf Tableau 1), afin de comprendre le fonctionnement de l’écosystème de la mobilité et de partager leurs perceptions des problématiques relatives aux stratégies de protection de l’innovation (King, 2004, Kvale, 1983).

Deux phases de collecte des données ont été réalisées. La première a été réalisée en mars et avril 2018 auprès de quatre co-fondateurs de start-ups, trois employés d’entreprises de taille intermédiaires, quatre employés d’intermédiaires d’innovation, et deux acteurs institutionnels. La seconde a été menée en juillet et août 2019 auprès de cinq co-fondateurs de start-ups, deux employés d’ETI, deux employés d’intermédiaires d’innovation, et un acteur institutionnel. L’ensemble des entretiens d’une durée comprise entre vingt minutes et une heure et trente minutes a été enregistré et entièrement retranscrit.

Les informations recueillies auprès d’acteurs intermédiaires et institutionnels ainsi que l’accès à des sources d’information complémentaires et la participation à des événements organisés autour de la mobilité et de l’entrepreneuriat (Tableau 2), nous ont permis d’identifier l’ensemble des start-ups de l’écosystème strasbourgeois dans le domaine de la mobilité. A chaque entretien nous avons demandé aux personnes de nous orienter vers d’autres start-ups. Au fil du temps plus aucune que nous n’avions déjà identifié ne nous a été indiquée. Nous avons contacté dix start-ups et neuf ont accepté de nous accorder un entretien.

Nos données ont été analysées au fur et à mesure des entrevues, permettant une prise de recul, qui a conduit à des entretiens complémentaires et à un codage systématique thématique autour des modes de protection de l’innovation, des caractéristiques propres à l’entreprise et de l’influence de l’écosystème. Ce codage a conduit à structurer l’ensemble de nos données autour des principales thématiques identifiées : les modes de protection de l’innovation employés, l’influence des facteurs propres à l’entreprise et l’influence des caractéristiques de l’écosystème.

Présentation des start-ups

Nous avons interrogé les fondateurs des start-ups impliquées dans des projets d’innovation de services autour de la mobilité. Les entreprises étudiées ont moins de 10 ans et au moment des entretiens certaines étaient devenues des PME (Tableau 3).

Résultats

Les résultats de la codification des données figurent dans le tableau 4, qui présente les thèmes auxquels se rattachent l’ensemble des verbatims.

Les stratégies de protection de l’innovation adoptées par les start-ups

Les start-ups rencontrées utilisent une variété de modes formels (droit d’auteur, enveloppe Soleau, contrats de collaboration, contrats commerciaux, conditions générales d’utilisation et de vente) et informels de protection de l’innovation (rapidité d’accès au marché, secret, avance technologique, mouchards) (Tableau 5). Les fondateurs de start-ups que nous avons rencontré, ont fait la distinction au cours des entretiens, entre les modes principaux et les modes complémentaires ou accessoires de protection de l’innovation.

Seules deux start-ups parmi les neuf étudiées placent les modes formels au centre de leur stratégie de protection de l’innovation. Les sept autres utilisent principalement des modes de protection informels.

Les stratégies fondées sur l’utilisation principale de modes formels de protection

Le droit d’auteur

Le seul mode de protection formel utilisé de manière principale est le droit d’auteur. Les start-ups qui y recourent sont Cityquizz et Lignes de ville, qui produisent des contenus culturels. Il est associé aux conditions générales de ventes signées avec les plateformes de diffusion de leurs applications. Elles constituent une preuve d’antériorité relative aux contenus créés, qui pourrait être utilisée pour se défendre si ces contenus étaient copiés à des fins commerciales sans autorisation. Les fondateurs de ces deux entreprises évoluent dans un milieu artistique et l’utilisation de ce mode de protection est habituel pour eux.

« Tous les textes que j’écris sont protégés à l’INPI (…) pour l’application c’est dans les conditions générales d’utilisation et condition générales de vente, il y a un copyright automatique, à partir du moment où on travaille avec Apple ou Google »

Cityquizz

« Tous les contenus que l’on fait sont protégés par le droit d’auteur puisqu’on signe des contrats avec des questions de droit d’auteur »

Lignes de ville

Cityquizz et Lignes de ville sont relativement à l’abris d’une concurrence directe. D’une part, les services qu’ils proposent sont spécifiques au contexte local et d’autre part, leurs clients sont des acteurs publics (Eurométropole et CTS) qui les soutiennent dans leur démarche entrepreneuriale pour dynamiser l’écosystème de la mobilité. Les deux start-ups ne protègent pas le concept sur lequel repose leur innovation, mais uniquement le contenu artistique qu’elles créent.

L’absence des autres modes formels de protection

Les trois start-ups qui pourraient recourir au dépôt de brevet pour protéger une invention ne l’utilisent pas (Knot, Pollem) ou de manière très accessoire et non stratégique (Synovo). Les fondateurs de ces trois start-ups, ainsi que ceux de Freshmile et Oxycar, soulignent l’inadéquation du brevet aux problématiques de protection de l’innovation des start-ups et identifient deux raisons principales (Tableau 7). Premièrement, le dépôt de brevet et son utilisation défensive sont trop coûteux pour une start-up, ce qui le rend inutile. Deuxièmement, le temps du dépôt de brevet est très long. Le temps est un facteur primordial dans le succès des start-ups, qui ont besoin d’accéder rapidement au marché (Oxycar, Prendsmaplace, Knot) et dont la technologie évolue très rapidement (Freshmile, Pollem).

Tableau 1

Acteurs de l’écosystème rencontrés

Acteurs de l’écosystème rencontrés

* Pour des raisons de confidentialité le nom de cette entreprise est fictif.

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Tableau 2

Sources d’information complémentaires

Sources d’information complémentaires

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Tableau 3

Présentation des start-ups interrogées

Présentation des start-ups interrogées

† Red revolver est le nom de l’entreprise qui porte le projet Lignes de ville

†† Strataggem est le nom de l’entreprise qui porte le projet Pollem

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Tableau 4

Codification des données

Codification des données

Tableau 4 (suite)

Codification des données

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Tableau 5

Modes de protection de l’innovation formels et informels adoptés par les start-ups

Modes de protection de l’innovation formels et informels adoptés par les start-ups

* ERP : Enterprise Resource Planning est un progiciel de gestion intégré

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Tableau 6

Les déterminants de l’utilisation des modes formels de protection de l’innovation

Les déterminants de l’utilisation des modes formels de protection de l’innovation

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Tableau 7

Les limites du brevet comme mode de protection de l’innovation des start-ups

Les limites du brevet comme mode de protection de l’innovation des start-ups

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Au-delà de l’absence d’utilisation du brevet, aucune des start-ups interrogées n’utilise les modes de protection formels que sont la marque, les dessins et modèles, ou le nom de domaine.

La protection par le contrat

Lorsque les start-ups collaborent (Lignes de ville, Oxycar, Freshmile) ou mettent en place des relations commerciales avec des grandes entreprises (Oxycar, Catdata), elles ne recourent au contrat pour protéger l’innovation, que dans des conditions en adéquation avec leur besoin de flexibilité et d’indépendance. Les contrats très formalisés et élaborés par les services juridiques des grandes entreprises leur apparaissent comme des freins au développement de l’entreprise et non comme des outils de protection de l’innovation. Les fondateurs des start-ups avancent trois raisons principales (Tableau 8) : la première est le besoin d’agilité des start-ups qui suppose de ne pas trop figer les actions futures et de ne pas rendre la start-up dépendante de la grande entreprise par des contrats rigides; la deuxième est le besoin de rapidité, incompatible avec le processus lourd de contractualisation des grandes entreprises; la troisième est le déséquilibre entre la puissance juridique de la grande entreprise et celle de la start-up.

Les contrats de collaboration ne sont pas totalement absents, mais ils n’interviennent que dans un deuxième temps, une fois que la confiance existe entre les parties. Lignes de ville a d’abord bénéficié d’une collaboration informelle avec la CTS. Une convention n’a été signée que lorsqu’elle est devenue nécessaire, afin que la start-up puisse bénéficier d’un soutien financier de la part de cette entreprise publique. Oxycar a pu collaborer de manière informelle avec de grandes entreprises pour expérimenter son concept, mais rencontre en revanche plus de difficultés pour nouer des partenariats commerciaux formels avec elles, car l’élaboration des contrats implique différents niveaux de décision et prennent du temps. Si le contrat de collaboration est utilisé avec prudence par les start-ups, les contrats commerciaux, plus standards, sont en revanche largement présents comme outils de protection de l’innovation (tableau 9). Les contrats signés avec les plateformes de diffusion des applications comportent des conditions générales de vente qui permettent d’apporter la preuve d’antériorité lorsque le droit d’auteur est utilisé. Par ailleurs, ces contrats formalisent la relation avec l’utilisateur final. Ils sécurisent ainsi la captation de la valeur par la start-up, de sorte que la viabilité de l’innovation soit assurée. De manière similaire, les contrats de licence sur les logiciels protègent la capacité des start-ups à capter la valeur de leur innovation.

Tableau 8

Le rôle des contrats

Le rôle des contrats

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Les stratégies fondées sur l’utilisation principale de modes de protection informels

Nous avons identifié trois stratégies fondées sur l’utilisation principale de trois modes informels de protection de l’innovation, qui sont la rapidité d’accès au marché, l’avance technologique et le secret (Tableau 9).

Le choix du mode de protection principal adopté par les start-ups dépend de la nature de l’innovation, de la situation concurrentielle et du marché spécifique. Dans certains cas, les modes de protection principaux s’accompagnent de modes de protection complémentaires, informels ou formels.

Rapidité d’accès au marché : nature de l’innovation et concurrence

Oxycar, Knot et Prendsmaplace proposent des services de mobilité fondés sur le partage et mettent en avant l’importance de la rapidité d’accès au marché comme stratégie de protection de l’innovation (Tableau 10). La rapidité est centrale, d’une part en raison de l’importance du volume d’utilisateur, dans la compétition sur les marchés fondés sur le partage de services et d’autre part, en raison de la concurrence entre start-ups pour entrer avant les concurrents dans les écosystèmes locaux. Le marché est potentiellement ouvert à d’autres concurrents qui peuvent s’implanter localement et seuls ceux qui auront suffisamment d’utilisateurs survivront. Les start-ups sont donc engagées dans une course de vitesse, pour nouer des partenariats locaux et augmenter le nombre d’utilisateurs.

Les start-ups utilisent d’autres modes de protection de l’innovation plus accessoires pour elles. Oxycar utilise le droit d’auteur associé à l’enveloppe Soleau, afin de pouvoir apporter la preuve de l’antériorité de la création. La démarche à effectuer est rapide et peu coûteuse. Cet outil peut donc être facilement mobilisé et donc utilisé, même lorsqu’il n’a pas une importance stratégique. La protection de l’innovation de Prendsmaplace repose également de manière accessoire sur le secret en ne divulguant pas les méthodes employées pour référencer le service et gagner en visibilité, cet aspect étant crucial dans une compétition fondée sur le volume d’utilisateurs.

Tableau 9

Les modes informels de protection de l’innovation – Verbatims

Les modes informels de protection de l’innovation – Verbatims

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Tableau 10

Les déterminants de l’utilisation principale de modes informels de protection de l’innovation

Les déterminants de l’utilisation principale de modes informels de protection de l’innovation

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L’avance technologique : technologie émergente

Pour Freshmile et Pollem l’avance technologique est le principal mode de protection de l’innovation utilisé vis-à-vis des concurrents, qui sont des grandes entreprises innovantes. Les innovations de Freshmile et Pollem reposent sur des technologies émergentes et leur avantage concurrentiel tient à leur agilité et à leur capacité à maintenir leur avance technologique sur ces grandes entreprises, dont les processus très structurés sont plus rigides. Pollem et Freshmile coopèrent avec ces grandes entreprises. Le fondateur de Freshmile souligne que, pour les technologies émergentes telles que les bornes de recharge des véhicules électriques, les acteurs du marché national voire européen sont peu nombreux et la réputation est très importante. Elle constitue également une forme de protection contre des comportements déloyaux qui amèneraient leurs auteurs à s’exclure progressivement du cercle des acteurs dominants. Le secret est également utilisé de manière complémentaire par les deux entreprises même s’il n’est pas au centre de leur stratégie de protection, du fait de la rapidité d’évolution des technologies.

Le secret : les marchés de niche

Pour Synovo et Catdata, les marchés occupés sont des marchés de niche, détectés par les fondateurs des entreprises grâce à leurs activités professionnelles dans le domaine de la gestion du transport sanitaire pour l’un et dans l’industrie automobile pour l’autre. Ils sont à l’abris de la concurrence par la nature même du marché, très spécialisé, petit et qui demande une compétence pointue. Synovo et Catdata ne cherchent pas à se protéger du risque d’imitation, mais à se protéger de l’utilisation de leurs données sans contrepartie financière de la part de leurs clients au-delà de la durée des contrats de licence. Ainsi, les données de Synovo sont stockées et sécurisées dans le Cloud et Catdata a installé un mouchard qui lui permettrait de détecter une utilisation de ses données alors que la licence n’aurait pas été renouvelée. Le fondateur de Catdata précise cependant que ce problème ne s’est jamais présenté, ses clients sont de grandes entreprises connues et elles ne prendraient pas le risque de nuire à leur réputation en pillant une start-up.

De manière complémentaire à cette stratégie fondée sur la préservation de la valeur de son produit, Synovo a déposé un brevet portant sur une méthodologie de développement d’algorithme innovante. Elle ne lui accorde cependant pas de valeur stratégique en tant qu’outil de protection, même si elle l’utilise comme argument commercial. Le brevet a été déposé pour valoriser le travail d’un chercheur académique auprès de son institution et ce n’est pas l’entreprise qui a financé le dépôt de brevet. Ces deux entreprises n’ont pas non plus de stratégie d’utilisation de la complémentarité des modes de protection formels et informels.

L’influence de l’écosystème sur l’exposition au risque

Un écosystème orchestré par une collectivité

L’orchestrateur public joue un rôle de régulateur de la concurrence dans l’écosystème. Il sélectionne et accompagne les projets qu’il soutient via des concours de start-ups ou par des accords commerciaux avec certaines start-ups, ce qui protège l’entrée du marché et influence l’intensité de la concurrence venant de l’extérieur de l’écosystème. Au sein de l’écosystème, pratiquement toutes les entreprises ont bénéficié, sous diverses formes, du soutien d’acteurs publics pour créer leur entreprise ou expérimenter leur application (Tableau 11).

Tableau 11

Acteurs publics ayant apporté un soutien aux start-ups

Acteurs publics ayant apporté un soutien aux start-ups

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La figure 1 représente les liens entre les start-ups et les acteurs publics de l’écosystème qui leur ont apporté une aide dans le processus de création d’entreprise par des conseils et informations (incubateur, CTS, French Tech, pôle de compétitivité), une aide financière (notamment l’Eurométropole qui apporte un soutien financier de 20 000 € aux lauréats du concours Tango&Scan), en leur permettant de mener des expérimentations (SNCF, Université, Eurométropole) ou de bénéficier de leur puissance de communication (Eurométropole, CTS, SNCF, French Tech).

Les fondateurs/fondatrices des différentes start-ups se connaissent entre eux/elles. Ils/elles se rencontrent lors d’événements destinés à animer l’écosystème entrepreneurial (événements organisés par l’incubateur régional, le pôle de compétitivité ou l’Eurométropole, concours annuel de start-ups Tango&Scan organisé par l’Eurométropole, apéros entrepreneurs mensuels). Ils peuvent développer des relations fondées sur la confiance et coopérer de manière informelle, sans recourir à des accords contractuels ou à des outils formels de protection de l’innovation.

Figure 1

Les acteurs publics de l’écosystème en lien avec les start-ups

Les acteurs publics de l’écosystème en lien avec les start-ups

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L’enjeu est d’entrer dans l’écosystème pour bénéficier de ces soutiens. Au sein de l’écosystème les acteurs n’ont pas de relations fortement concurrentielles. Ils peuvent en revanche être menacés par de nouveaux entrants, même si l’orchestrateur public dispose de leviers qui régule cette concurrence externe potentielle. Le contexte de l’écosystème n’a cependant pas la même influence pour toutes les start-ups et deux cas de figure sont à distinguer, selon qu’elles s’adressent au marché local de la mobilité, ou au marché national. Au sein d’une ville les parties prenantes sont très nombreuses et le développement de l’écosystème de la mobilité répond à deux objectifs différents : d’une part créer des solutions alternatives à la voiture pour améliorer le bien-être des habitants et d’autre part renforcer l’attractivité de la ville pour les entreprises dans une perspective de stimulation de l’activité économique.

« C’est la différence de vision par rapport à mes collègues du développement économique, leur rôle c’est d’apporter un soutien pour faire du business pour les entreprises là où nous on est vraiment d’abord sur une question d’usagers. »

Eurométropole, direction de la mobilité et des espaces naturels

Tableau 12

Le soutien des acteurs publics – Verbatims

Le soutien des acteurs publics – Verbatims

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Un premier type de start-ups propose des innovations favorisant le développement de solutions de mobilité alternatives à l’automobile au sein de la ville, articulées autour des transports en commun. Elles s’adressent à un marché local sur lequel le potentiel de profit est peu important. Sans le soutien des acteurs publics de l’écosystème la plupart d’entre elles ne se seraient pas créées. Pour elles, l’orchestrateur joue un rôle de régulateur de la concurrence en choisissant les acteurs qui entrent dans le système. Un deuxième type de start-ups propose des innovations fondées sur des technologies émergentes et leurs marchés sont nationaux ou internationaux. La plupart d’entre elles ont bénéficié du soutien de l’écosystème entrepreneurial lors de leur création (incubateur, prix, support de communication, aide des entreprises matures locales), mais ont évolué très vite après leur création sur des marchés concurrentiels nationaux ou internationaux et non uniquement sur le marché local de la mobilité. Ce n’est plus l’écosystème local qui les protège, mais les barrières à l’entrée sur des marchés de niche (Synovo, Catdata) ou leur avance technologique et la réputation pour les technologies émergentes (Freshmile, Pollem).

Un écosystème en émergence

Le degré de maturité de l’écosystème est également un élément qui influence la pression concurrentielle et l’exposition au risque de l’innovation. En phase de développement de l’offre de services de mobilité alternatifs, différents besoins de mobilité non satisfaits ouvrent des opportunités aux start-ups. Dans une logique d’intermodalité, elles proposent des services de mobilité complémentaires, notamment entre services liés aux transports en commun (CTS, SNCF), à la voiture et à la mobilité douce (trottinette, vélo ou marche à pied). Il pourrait y avoir une concurrence entre des services de mobilité substituables, mais les start-ups n’ont pas exprimé d’inquiétude par rapport à cette concurrence, qui est faible dans cet écosystème en émergence où chacun trouve sa place.

« Savoir articuler du transport de tram là où il y a de la densité de population qui le justifie et après des transports à la demande avec des bus qui font presque des trajets de taxi, voir des taxis qui remplacent des bus mais qui fonctionnent comme des bus. Tout est encore à inventer. »

Élue de l’Eurométropole, en charge de la mobilité
La dimension locale de l’écosystème de la mobilité

Les start-ups rencontrées sont toutes présentes sur un marché de taille relativement réduite, parce qu’ils sont locaux ou parce qu’ils répondent à un besoin très spécifique. Les quatre start-ups qui proposent des innovations liées à l’automobile, sont sur des marchés de niche en lien avec le transport individuel (véhicule électrique, transport sanitaire, gestion des pièces de rechange, capteur de pollution). Les cinq autres start-ups apportent des innovations qui favorisent le report modal, du véhicule individuel vers l’utilisation des transports en commun et l’adoption de solutions alternatives (Cityquizz, Lignes de ville, Knot, Oxycar, Prendsmaplace). Elles se sont développées dans l’écosystème local et ont bénéficié de différents soutiens (Tableau 11 et Figure 1), ce qui permet de développer une confiance entre les acteurs qui se connaissent, mais implique également que leurs marchés sont de petite taille, ce qui les protège d’une concurrence directe qui serait attirée par les opportunités de profit. Elles envisagent toutes de se déployer dans d’autres villes. Cependant, les services qu’elles proposent doivent être adaptés pour chaque nouvelle implantation : nouveaux contenus artistiques pour Cityquizz et Lignes de ville, nouvelle analyse des déplacements des salariés pour chaque entreprise pour Oxycar, nouveaux partenariats locaux avec les collectivités et les grandes entreprises locales à mettre en place pour Knot et Prendsmaplace. Ainsi, même si ces entreprises étendent leur marché, elles restent systématiquement sur des marchés locaux de petite taille, soutenus par les acteurs publics de l’écosystème. Pour ces entreprises, les problématiques de développement de partenariats commerciaux sont alors plus centrales que les problématiques de protection de l’innovation vis-à-vis de concurrents.

Discussion

L’étude de l’écosystème de la mobilité que nous avons menée fait apparaître que les modes de protection de l’innovation adoptés par les start-ups sont fortement liés à la taille de l’entreprise, la nature de l’innovation et l’intensité de la concurrence. Nous identifions quatre stratégies de protection de l’innovation (Tableau 13).

Le droit d’auteur est utilisé pour les applications à contenu culturel ou artistique qui ne sont pas sur un marché concurrentiel, la rapidité d’accès au marché pour les start-ups qui proposent des services de partage et sont potentiellement en concurrence avec d’autres start-ups, l’avance technologique pour les start-ups qui proposent des services liés à des technologies émergentes et la protection des données par rapport au client pour les start-ups qui fournissent des services fondés sur le traitement de données sur des marchés de niche (Tableau 13).

Tableau 13

Quatre stratégies de protection de l’innovation par les start-ups dans un écosystème de la mobilité

Quatre stratégies de protection de l’innovation par les start-ups dans un écosystème de la mobilité

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Certaines start-ups adoptent des modes de protection complémentaires, qui ont alors un caractère accessoire. Leurs stratégies de protection de l’innovation ne se fondent pas sur une utilisation forte de la complémentarité des modes de protection telle que celle décrite par Le Bas et Szostak (2016) ou Dessylas et Sako (2013) et justifiée lorsque l’innovation est fortement exposée au risque (Martin, Fréchet, 2011). Dans l’écosystème de la mobilité, la dimension locale du marché, la présence d’une collectivité comme orchestrateur et la volonté de développer l’écosystème sont des facteurs qui atténuent l’exposition au risque (figure 2).

L’appartenance à l’écosystème devient ainsi une stratégie de protection de l’innovation, d’une part parce qu’elle permet de bénéficier d’un contexte favorable au développement de l’innovation (incubateur, soutien par le biais de concours, apport de ressources matérielles, communication de la part des partenaires, appartenance à une communauté d’entrepreneurs) et d’autre part parce que la collectivité régule la concurrence et contribue à créer un climat de confiance qui favorise la mise en oeuvre de coopérations relativement informelles, c’est-à-dire sans contrat de collaboration long à négocier qui inhiberait la flexibilité des start-ups. Du fait de la dimension locale de l’écosystème et de son caractère émergent, les acteurs sont peu nombreux et se connaissent tous, ce qui renforce le développement de la confiance et favorise ces collaborations informelles entre acteurs.

Dans le cas des innovations fondées sur des technologies émergentes qui conduisent au développement d’écosystèmes d’innovation spécifiques, nous avons pu mettre en évidence le rôle des normes de comportement comme outil de protection de l’innovation, dans un contexte technologique très différent de celui étudié par Fauchart et Von Hippel (2008). Les acteurs, peu nombreux, se connaissent tous et collaborent de manière informelle pour que les start-ups gardent leur agilité. Si l’un d’eux adopte un comportement qui nuit à sa réputation, les autres acteurs de l’écosystème en ont connaissance. Or, au sein d’un écosystème d’innovation, l’innovation repose sur des processus collectifs et la collaboration d’acteurs complémentaires, ce qui est une forte incitation à ne pas adopter de comportements perçus comme déviants qui pourraient conduire à une forme d’exclusion. Dans un écosystème plus mature où les acteurs sont plus nombreux et ne se connaissent pas tous, ce phénomène de réputation est atténué.

Outre l’influence de l’écosystème sur les stratégies adoptées, notre recherche apporte de nouvelles évidences empiriques quant aux limites des approches focalisées sur l’alternative entre le brevet et le secret, qui négligent les stratégies fondées sur la combinaison de différents modes formels et informels de protection de l’innovation (Le Bas, Szostak 2016, Hall et al., 2014, Lallement, 2009, Leiponen, Byma, 2009, Arundel, 2001). Notre recherche souligne par ailleurs les limites des approches focalisées sur l’alternative entre modes formels et informels de protection (Fréchet, Martin, 2011). Elles introduisent un biais qui conduit à ignorer les stratégies fondées sur la combinaison de modes de protection uniquement formels ou uniquement informels (par exemple la combinaison de l’avance technologique, du secret et de la création d’actifs complémentaires).

Figure 2

Facteurs déterminant le choix des stratégies de protection de l’innovation des start-ups

Facteurs déterminant le choix des stratégies de protection de l’innovation des start-ups

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Notre recherche montre également que le fait d’aborder la question de la protection de l’innovation uniquement dans une perspective de protection contre l’imitation par les concurrents (Porter, 2008, Teece, 2006) ne permet pas de saisir pleinement la diversité des méthodes utilisées par les start-ups pour protéger leur innovation. L’innovation constitue le coeur de l’activité des start-ups et la protection vis-à-vis des clients qui pourraient capter la valeur de l’innovation est importante. Dans le domaine du logiciel, la protection contre une utilisation non rémunérée du produit est une problématique stratégique importante (Muselli, 2008). Dans un écosystème de la mobilité, beaucoup d’innovations reposent sur des applications et des logiciels (Aguilera, Rallet, 2016). La protection des données y est essentielle, pour des questions de confidentialité mais également pour assurer la viabilité du modèle économique des start-ups. Des dispositifs tels que les mouchards intégrés dans les logiciels, ou l’utilisation du cloud pour sécuriser les données (Le Bas, Szostak, 2015) s’ajoutent aux modes informels de protection de l’innovation plus traditionnels.

La distinction entre modes formels et informels se fonde sur le critère du recours aux outils de la protection de la propriété intellectuelle, à savoir le brevet, la marque, le droit d’auteur, les dessins et modèles. Or, les modes formels de protection de l’innovation ne se limitent pas à ces outils. Ils incluent également une diversité de contrats qui participent à la protection de l’innovation, en particulier au sein d’un écosystème d’innovation où les collaborations entre acteurs sont au coeur de la dynamique (Attour, Ayerbe, 2015). Nos cas montrent qu’au-delà des contrats de coopération, les contrats de vente et les contrats de travail constituent des outils formels de protection de l’innovation. Dans les start-ups, l’innovation et les activités commerciales de l’entreprise sont menées par les fondateurs qui remplissent toutes les fonctions. Ils ont une vision plus globale de leurs relations avec les partenaires externes, qui les conduit à intégrer une grande diversité d’outils dans leurs stratégies de protection de l’innovation.

Les contrats de coopération sont utilisés d’une manière spécifique. Alors qu’ils sont des outils formels de protection des partenaires contre les comportements opportunistes (Attour, Ayerbe, 2015), ils ne sont signés dans nos cas, qu’une fois que les acteurs se connaissent bien et ont développé une confiance, ce qui est contraire aux théories relatives à l’accumulation de rentes relationnelles, qui permettent au contraire aux acteurs d’alléger les contrats au fur et à mesure où la confiance se développe (Dyer, Singh, 1998). Cette pratique souligne la limite des contrats comme outil formel de protection et montre l’importance des modes de coordination informels entre les acteurs. Les contrats, comme les brevets, sont inadaptés au besoin d’agilité des start-ups et au déséquilibre du rapport de force entre ces dernières et les grandes entreprises. Que les modes de protection mobilisés soient formels ou informels, ils doivent être rapides à mettre en place pour les start-ups, ne pas entraver leur agilité et être compatibles avec les moyens financiers dont elles disposent. De ce fait, le brevet est effectivement peu utilisé (Thomä, Bizer, 2013, Kitching, Blackburn, 1998). Dans le seul cas de brevet que nous avons rencontré, sa fonction n’est pas de protéger l’innovation, mais de signaler l’activité inventive de chercheurs académiques à leur université qui utilise le nombre de brevets déposés comme un des indicateurs de performance (Mailhot et al., 2007). Dans le monde académique, où le brevet est associé à la création de start-ups par les chercheurs (Schaeffer et al., 2020, Matt, Schaeffer, 2015, Markman et al.., 2005), les barrières à l’utilisation du brevet sont plus faibles, le délai de dépôt de brevet étant compatible avec celui de la publication (Fabrizio, Di Minin, 2008) et le coût du brevet étant supporté par l’université et non par la start-up.

Conclusion

Cette recherche nous a permis d’identifier les facteurs propres à un écosystème de la mobilité et à ses start-ups, qui influencent les stratégies de protection de l’innovation qu’elles adoptent. Les facteurs propres aux start-ups, qui influencent le choix des modes principaux de protection de l’innovation, sont la taille de l’entreprise, la nature de l’innovation et de la concurrence. Nous avons identifié quatre familles de stratégies en fonction des modes principaux de protection de l’innovation adoptés. Ces stratégies reposent essentiellement sur des modes informels de protection de l’innovation. Pour les modes formels, le droit d’auteur est mobilisé pour les innovations à contenu culturel; le brevet n’est utilisé qu’à titre accessoire, à l’initiative d’une université, comme indicateur de performance de ses activités de valorisation de la recherche; le contrat de collaboration est utilisé avec prudence par les start-ups, qui s’appuient en revanche sur les contrats commerciaux et les contrats de travail, souvent oubliés par la littérature en tant qu’outils de protection de l’innovation.

Les facteurs propres à l’écosystème de la mobilité qui influencent les stratégies de protection de l’innovation des start-ups sont la problématique de la mobilité, le caractère territorialisé de l’écosystème, la présence d’un orchestrateur public et le degré de maturité de l’écosystème. La problématique de la mobilité oriente la nature des innovations. L’ensemble des facteurs identifiés influence à la baisse l’exposition au risque de la start-up, par leur effet sur la taille des marchés, l’intensité de la concurrence et le rôle des phénomènes de réputation qui favorisent la coopération. La diminution de l’exposition au risque réduit le recours à l’utilisation de modes complémentaires de protection de l’innovation. Compte tenu de l’influence de l’écosystème sur une moindre exposition aux risques des start-ups, l’entrée dans un écosystème local apparaît en elle-même comme un mode de protection de l’innovation à considérer parmi les autres.

Les préconisations managériales auxquelles nous conduisent ces résultats s’adressent aux grandes et aux petites entreprises impliquées dans des écosystèmes d’innovation territorialisés. Une stratégie de protection de l’innovation doit prémunir l’entreprise du risque d’imitation par les concurrents, mais également du risque de captation de la valeur créée par les clients, surtout pour les innovations fondées sur des technologies de l’information et de la communication. Par ailleurs, dans un écosystème où l’innovation est collective, les risques associés à la coopération avec des partenaires d’innovation et des partenaires commerciaux sont centraux. La protection de l’innovation relève plus largement d’une problématique de protection du modèle d’affaires de l’entreprise. La réflexion qui guide le choix d’une stratégie de protection de l’innovation efficace repose sur la prise en compte d’une diversité de parties prenantes internes et externes à l’entreprise, impliquées dans tout le processus d’innovation, depuis sa conception jusqu’à sa commercialisation. De nombreux leviers d’action peuvent être mobilisés pour protéger l’innovation : propriété intellectuelle, stratégie commerciale, marketing d’innovation, contrats internes à l’entreprise, contrats avec les partenaires externes, réputation, coopération, choix de l’écosystème local. Leur diversité et la possibilité de les utiliser de manière complémentaire ouvrent un large éventail de stratégies. Ces stratégies doivent être élaborées en cohérence avec les partenaires, notamment dans le cas des coopérations entre start-ups et grandes entreprises. L’utilisation des modes formels de protection de l’innovation par les grandes entreprises ne doit pas nuire à l’agilité des start-ups. Plus spécifiquement, des contrats de collaboration trop rigides et trop formalisés nuisent à la coopération. Ils entravent le rythme de l’innovation et l’agilité de la start-up. Le risque de procédures trop formelles est de perdre les bénéfices de la collaboration avec une start-up innovante. Une des conditions de cet assouplissement est une responsabilisation des cadres intermédiaires, qui leur permet de prendre l’initiative de s’engager dans des interactions avec des start-ups et de développer des relations fondées sur la confiance.

Cette recherche comporte des limites qui constituent des pistes pour de futures recherches. Une analyse fondée sur une approche longitudinale constitue l’une de ces pistes, afin d’intégrer des critères de performance à l’analyse des stratégies de protection de l’innovation, mais également de considérer l’évolution des stratégies de protection adoptées dans la durée. Par ailleurs, la comparaison d’un écosystème de la mobilité avec d’autres écosystèmes, plus matures, plus grands ou consacrés à d’autres thématiques de l’innovation urbaine telles que l’habitat ou le tourisme, constitue également un prolongement dont l’intérêt serait d’affiner la caractérisation de l’influence conjuguée des facteurs propres aux écosystèmes d’innovation urbains et propres à l’entreprise, sur les stratégies de protection de l’innovation adoptées. Au-delà de la caractérisation des stratégies de protection de l’innovation, ces prolongements contribueraient à la compréhension de la manière dont un ensemble d’écosystèmes se superposent, se renforcent ou entrent en compétition au sein des territoires.