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La récupération de service (RS) constitue l’un des pans de la littérature en marketing des services les plus matures (Kunz & Hogreve, 2011). Malgré 30 années de recherche sur les actions mises en oeuvre par l’entreprise suite à un échec de service, Van Vaerenbergh et Orsingher (2016) identifient deux pistes majeures restant à explorer.

Tout d’abord, le fonctionnement même du système de RS de l’organisation et ses conséquences sur la perception et le comportement du client face à un échec de service restent largement méconnus. La littérature sur le système de RS en est effectivement à ses balbutiements et adopter une approche multi-niveaux – impliquant l’entreprise et ses clients – s’avère indispensable (Van Vaerenbergh & Orsingher, 2016). En effet, dans les recherches en marketing des services, la gestion d’un échec est traitée sous l’angle de la perception du client (via notamment les retours clients), négligeant le prisme organisationnel. Par ailleurs, la RS suite à l’échec d’une innovation semble négligée (Zhu et al., 2013) alors même que la capacité à innover est vitale dans les environnements concurrentiels comme le commerce de détail (Reinartz et al., 2011). Or, à la différence de la littérature en marketing des services, celle en management de l’innovation propose un angle d’analyse organisationnel (Cooper, 2008; Eisenhardt & Tabrizi, 1995). Dès lors, la littérature en marketing des services gagnerait à intégrer cette dimension organisationnelle afin d’entrer dans la boîte noire de la RS pour décrypter la manière dont l’entreprise apprend de ses retours clients. Le travail séminal d’Eiglier et Langeard (1987) sur la servuction souligne effectivement l’importance d’étudier le système d’organisation interne (ou « back office ») pour mieux comprendre le processus de fabrication d’un service, et notamment l’interaction entreprise/client dans la durée. S’intéresser à la partie non visible par le client permet également d’évaluer les répercussions de la RS en termes de satisfaction et de comportements post-échec.

En outre, Van Vaerenbergh et Orsingher (2016) soulignent quelques manquements méthodologiques dans la littérature sur la RS. En premier lieu, peu d’auteurs se sont intéressés aux comportements réels des clients post-RS. La plupart invite simplement le répondant à imaginer les réactions qu’il pourrait avoir dans le cadre d’expérimentations (Hess et al., 2003; McCollough et al., 2000) et utilise les intentions comme proxy (Zhu et al., 2013). Or, ses réponses à un scénario peuvent différer de ses réactions à un vrai échec de service (Hess et al., 2003). En deuxième lieu, les recherches sont rarement longitudinales. En misant sur une compression du temps (McCollough et al., 2000), celles-ci ne prennent pas en compte les effets cumulatifs liés aux expériences passées du consommateur et se focalisent uniquement sur ses réponses immédiates. Toutefois, à l’instar du processus de RS qui peut s’échelonner dans le temps, les comportements du client doivent, eux aussi, s’apprécier dans la durée (Mattila, 2004). En dernier lieu, il y a peu de recherches qualitatives sur l’échec de service. Or, en vue de concevoir un modèle processuel du phénomène, un tel design semble approprié (Komunda & Osarenkhoe, 2012).

Ces différentes observations légitiment la réalisation d’une recherche à visée compréhensive, appelée de leurs voeux par Weun et al. (2004), et fondée sur l’analyse d’un échec, de sa prise de conscience à ses conséquences à long-terme post-RS sur la relation à l’entreprise. En définitive, cette recherche longitudinale ambitionne d’enrichir la littérature en marketing des services en mobilisant des travaux en management de l’innovation. Elle vise notamment à mieux cerner comment les caractéristiques de l’organisation et son système de RS favorisent le droit à l’erreur que les clients ayant fait un retour négatif accordent in fine à l’entreprise suite à un échec de service. A cette fin, nous avons choisi de nous intéresser au test d’un magasin showroom réalisé par l’enseigne NorthSport, qui constitue un exemple d’innovation de concept d’après la typologie de Dupuis (1998). Malheureusement, ce concept a été un échec, ce qui a conduit l’entreprise a amorcé un processus de RS en vue de reconquérir ses clients insatisfaits.

Au plan méthodologique, ce cas a été étudié, de façon qualitative, en mobilisant 28 entretiens (collaborateurs et clients), 33 questionnaires ouverts adressés à des clients mécontents, ainsi que de nombreuses données secondaires étalées sur la période 2016-2018. En utilisant la méthodologie de Gioia et al. (2013), nous proposons un cadre intégrateur du processus de RS permettant de comprendre ce qui favorise l’octroi d’une seconde chance à l’entreprise par le client.

Revue de la littérature

L’échec de service

Les échecs de service sont souvent appréhendés à travers le prisme du paradigme de la disconfirmation des attentes. Au-delà de l’insatisfaction, un échec de service augmente aussi l’incertitude, qui met à mal la confiance sur laquelle repose la relation qu’entretient le client avec l’entreprise (Rotte et al., 2006). Il peut, en outre, conduire à la défection du client (Knox & Van Oest, 2014) ou à du bouche-à-oreille négatif (Weun et al., 2004). Plus précisément, la disconfirmation négative apparaît lorsque la performance délivrée est en deçà de la zone de tolérance, définie comme l’écart entre les attentes concernant la norme de service jugée comme étant adéquate et celle souhaitée (Michel, 2001; Parasuraman, 2004).

Sur ce point, une hypothèse parfois formulée dans la littérature est qu’un client initialement satisfait a une zone de tolérance plus grande qu’un nouveau client (Michel, 2001). Ses expériences antérieures jouent alors le rôle de tampon, à savoir que la relation existante avec l’entreprise atténue les conséquences de l’échec (Hess et al., 2003; Tax et al., 1998). D’autres auteurs font toutefois valoir que les expériences positives et un engagement accru de la part du client ont, au contraire, tendance à augmenter ses attentes et de facto l’impact d’un échec de service (Grégoire & Fisher, 2008; Hedrick et al., 2007). Afin de clarifier ce point, nous nous inscrivons dans la perspective de Fournier et Mick (1999), selon lesquels les travaux sur les échecs de service devraient prendre en considération les expériences passées et, ainsi, dépasser l’optique transactionnelle de la satisfaction pour intégrer son caractère dynamique.

Bien que l’insatisfaction post-échec de service puisse donner lieu à des réactions émotionnelles fortes (Balaji et al., 2017; Smith & Bolton, 2002), elle n’est pas toujours facilement détectable par l’entreprise contrairement à un retour produit qui se manifeste par la restitution de l’achat (Thouvenot et al., 2012). En effet, la plupart des clients mécontents ne prennent pas la peine de se plaindre (Michel et al., 2009; Tax & Brown, 1998). La fidélisation des clients suppose pourtant de favoriser l’expression de l’insatisfaction et de la traiter afin de s’améliorer (Sabadie et al., 2017). Dans cette perspective, les réseaux sociaux ont réduit les barrières au comportement de plainte et sont des canaux incontournables pour traiter les retours clients (Schaefers & Schamari, 2016).

Là encore, le rôle modérateur des expériences passées sur la relation entre insatisfaction et attitude à l’égard des plaintes reste peu clair à ce jour (Rotte et al., 2006). Pour y remédier, il nous semble que les répercussions d’un échec de service doivent, elles aussi, s’apprécier de façon longitudinale afin de mieux comprendre comment l’entreprise peut les gérer.

La récupération de service et ses modalités pratiques

Le paradigme de la disconfirmation des attentes peut également être mobilisé pour comprendre les réactions des clients à la RS (McCollough et al., 2000). Celle-ci peut être vue comme les actions mises en place par une entreprise en réponse à un échec de service (Grönroos, 1988) en vue d’en minimiser les conséquences négatives (Strizhakova et al., 2012). Elle renvoie aussi bien à un résultat qu’à un processus (Tax et al., 1998; Weun, et al., 2004). Le résultat porte sur ce que le client reçoit de l’entreprise, tandis que la dimension processuelle fait référence à la manière dont l’entreprise s’y prend pour gérer l’échec de service.

L’objectif de la RS est d’apporter une réponse rapide aux plaintes des consommateurs (Gelbrich & Roschk, 2011) et de résoudre les problèmes rencontrés lors de la prestation de service afin d’éviter les défections (Halstead et al., 1996). En définitive, l’échec de service se traduit par une première disconfirmation et la RS peut en engendrer une seconde, selon que le client estime (ou non) avoir été traité équitablement suite à son retour négatif (Sabadie et al., 2006; Weun et al., 2004). Une majorité de clients demeure toutefois insatisfaite de la gestion de leurs plaintes (Tax & Brown, 1998).

Une fois de plus, aucun consensus n’existe quant au rôle modérateur des expériences passées sur le lien entre échec et RS. Pour certains auteurs, les attentes en matière de RS semblent d’autant plus importantes pour les consommateurs fidèles ou a minima ceux qui ont déjà eu des expériences antérieures satisfaisantes avec l’entreprise (Karande et al., 2007; Tax et al., 1998) et qui peuvent se sentir trahis en cas de défaillance (Mattila, 2004). D’autres mettent en avant l’importance de l’effet tampon qui amène les consommateurs ayant une relation forte avec une entreprise à être moins exigeants envers elle en matière de compensation (Hess et al., 2003) et à être plus ouverts à n’importe quelle tentative de RS (Grégoire et al., 2009).

La littérature suggère, en revanche, que le degré d’implication du client dans le processus de RS est de nature à influencer son jugement. En effet, la RS peut associer le client; une telle coopération traduisant sa fidélité (Auriacombe et al., 2005). Cette cocréation de la RS (Roggeveen et al., 2012) peut l’amener à croire qu’il reçoit la solution la plus favorable à l’échec rencontré (Cheung & To, 2016; Hazée et al., 2017). Certains clients insatisfaits sont ainsi ravis de pouvoir aider l’entreprise à s’améliorer (Evanschitzky et al., 2011). Une organisation qui offre à ses clients la possibilité de partager leur point de vue avant de prendre une décision est d’ailleurs perçue comme plus flexible (Karande et al. 2007). En outre, il semblerait que la RS conjointe soit davantage pertinente pour les entreprises ayant un faible niveau de capital marque (Hazée et al., 2017).

Dans tous les cas, l’effort de RS (cocréée ou non) a pour objectif de gérer l’impression que le client aura de l’entreprise (Collier et al., 2017; Weiner, 2000). Ce management de l’impression apparaît alors comme un élément clé du processus de RS visant à minimiser les conséquences négatives de l’échec de service.

Les conséquences post-récupération de service

La RS est réussie lorsque l’entreprise parvient à obtenir le pardon du client (Casidy & Shin, 2015; Rotte et al., 2006), à savoir la reprise de ses comportements pré-trahison et la tendance à renoncer à la vengeance et à d’autres modes d’interaction destructifs (Finkel et al., 2002). Une bonne gestion des retours clients négatifs peut ainsi s’avérer rentable pour l’entreprise (Ray & Sabadie, 2011; 2017). En effet, lorsque le problème a été résolu de façon appropriée, l’individu est susceptible d’avoir un taux de satisfaction supérieur à celui qui était le sien avant l’échec de service. Ce phénomène est qualifié de paradoxe de récupération (McCollough et al., 2000).

S’il est clair que l’entreprise peut être pardonnée par le client (Morrison & Crié, 2016), les raisons pour lesquelles il lui accorde une seconde chance restent à ce jour peu étudiées. De surcroît, Parasuraman et al. (1991) suggèrent que la zone de tolérance du client peut varier après un échec de service. En d’autres termes, la qualité de service proposée à un instant t et considérée comme acceptable peut ne plus l’être en t+2 après un échec en t+1. Cette variation possible de la zone de tolérance invite à des recherches compréhensives longitudinales en vue d’en cerner les processus sous-jacents.

Comme nous venons de le voir, les recherches sur la RS placent le client au centre de leurs réflexions. Cette approche ne permet pas de rentrer dans la boîte noire du processus de RS en identifiant les leviers organisationnels à mobiliser pour satisfaire in fine le client initialement mécontent. Pourtant, les travaux entrepris depuis Eiglier et Langeard (1987) soulignent que le « back office » de l’entreprise est un élément fondamental du processus de production d’un service. Mobiliser la littérature en management de l’innovation permet d’adopter une approche multi-niveaux (en l’occurrence individuel et organisationnel) du système de RS en apportant un éclairage organisationnel complémentaire original par rapport aux travaux traditionnels en marketing sur les échecs de service.

Les apports du management de l’innovation à l’analyse du système de récupération

Même si un tournant s’est opéré depuis les années 90 (Djellal et al., 2013), l’étude des conséquences d’une innovation de service reste largement inexplorée (Ordanini & Parasumaran, 2011). Exception faite des travaux de Liao et co-auteurs (Liao & Cheng, 2013; Liao et al., 2015), cette carence est d’autant plus vraie sur la question des échecs en matière d’innovation de service. En effet, la littérature en marketing des services s’est surtout intéressée à des échecs de service du quotidien tels qu’un chèque de banque refusé par erreur (McCollough et al., 2000).

A l’instar de notre recherche, Liao et Cheng (2013) se penchent sur la RS post-échec des clients. Les auteurs ne rentrent toutefois pas dans la boîte noire d’un tel processus et n’abordent pas les dynamiques organisationnelles d’apprentissage post-échec. Pourtant, Liao et al. (2015, p. 834) notent que « l’échec d’une innovation est, avant tout, une question organisationnelle » sans pour autant étudier la récupération des clients. Il paraît finalement intéressant d’adopter une perspective organisationnelle pour analyser le processus de RS.

Pour compléter les travaux en marketing des services à travers une lecture organisationnelle, nous proposons de mobiliser ceux en management de l’innovation, y compris ceux relatifs à des innovations de produits. Ces recherches permettent d’avoir une compréhension plus fine du système de récupération (Van Vaerenbergh & Orsingher, 2016), et notamment de la manière dont les entreprises apprennent en échangeant avec leurs clients (Cooper, 2008; Eisenhardt & Tabrizi, 1995; Lynn et al., 1996). Dans un contexte d’incertitude, l’innovation doit être appréhendée comme un processus itératif, à travers une succession rapide de tests. L’organisation doit faire preuve de flexibilité et s’adapter – en temps réel – aux résultats de ses expériences, notamment en cas d’échecs. La logique de tests permet de prendre conscience des erreurs le plus tôt possible dans le processus d’innovation et favorise un apprentissage organisationnel par essais-erreurs (Eisenhardt & Tabrizi, 1995).

Plusieurs approches ont été développées à ce sujet. Lynn et al. (1996) parlent de processus « probe and learn », qui consiste pour les entreprises à tirer des enseignements de leurs tests et à modifier leur produit sur la base de ce qu’elles ont appris à travers leurs expériences. En définitive, le succès est le fruit d’un processus long et difficile, sachant que chaque test apporte son lot de connaissances, qui peuvent être incorporées dans l’étape suivante. Cette approche est analogue au modèle stage-gate de Cooper (2008), où chaque étape du processus de développement d’un produit permet de collecter de l’information pour réduire les incertitudes entourant le projet. Cooper (2008, p.224) évoque ainsi une série d’itérations « build-test-feedback-and-revise ». De même, on retrouve ce principe de développement en spirale (ou agile) – à travers des boucles de feedback « build-measure-learn » permettant à l’entreprise de s’ajuster, voire de pivoter suite aux remarques des clients – dans l’approche lean start-up (Ries, 2011). Un élément clé de la démarche de Cooper (2008) par rapport à celle de Lynn et al. (1996) réside dans les points de décision « go/kill » à chaque étape, qui évitent à l’organisation de s’obstiner en cas d’échec (afin de ne pas gaspiller des ressources) et rappellent, là aussi, l’importance du « fail fast » du lean start-up (Ries, 2011). Si le vocable utilisé diffère entre les approches, il ressort que toute entreprise se doit de donner du sens à ses échecs pour progresser.

Partant toutefois du constat que, dans cette littérature, les développements sur la question de l’apprentissage par l’échec se résument souvent à des exemples de lancements de produits ratés s’étant soldés plus tard par des succès commerciaux, Cusin (2009) élabore un modèle théorique de l’apprentissage par l’échec dans un contexte d’innovation de concept. Il propose ainsi une lecture behavioriste du processus d’apprentissage par l’échec intégrant les émotions des collaborateurs. Selon cette approche, « ce n’est pas l’échec stricto sensu qui déclenche l’apprentissage, mais son interprétation par les membres de l’organisation, qui vont développer des idées sur les causes de cet événement » (p. 32). Les leçons tirées de l’échec modifient ensuite les comportements de l’entreprise, à travers l’exécution de nouvelles actions a priori plus adaptées à son environnement.

En mettant en avant l’importance du processus d’interprétation de l’échec, Cusin (2009) suggère l’intérêt de recourir aux travaux sur le sensemaking afin de mieux comprendre le processus d’adaptation de l’organisation face à un échec. En effet, comme le rappellent Porac et Thomas (2002, p. 178), « l’interprétation est l’acte de donner du sens à partir d’indices ambigus et constitue le coeur même du processus de sensemaking ». Ce processus de sensemaking est complété, en amont, par une phase de collecte d’informations (scanning) et, en aval, par une phase d’action (responding) (Daft & Weick, 1984; Hahn et al., 2014). Or, aborder la question du système de RS post-échec à travers le processus de sensemaking constitue une voie non explorée en marketing des services. Les retours clients pourraient alors être envisagés comme un moyen d’alimenter ce sensemaking à travers de la connaissance externe (Chesbrough, 2003; Mina et al., 2014). En effet, dans les processus d’innovation de service, les clients sont envisagés comme des « knowledge providers » (Ordanini & Parasuraman, 2011, p.6). Il s’agirait alors d’étendre la réflexion au-delà des frontières traditionnelles de l’organisation (Chesbrough, 2003; Djellal et al., 2013), soit une approche peu courante dans la littérature sur les entreprises de services (Mina et al., 2014).

En définitive, notre état de l’art parle en faveur d’une analyse des deux extrémités de la dyade entreprise/clients – i.e. multi-niveaux au sens de Van Vaerenbergh et Orsingher (2016) – afin de mieux comprendre le fonctionnement de la boîte noire de la RS. Plus précisément, nous cherchons à comprendre comment les caractéristiques de l’organisation et son système de RS favorisent le droit à l’erreur que les clients ayant fait un retour négatif accordent in fine à l’entreprise suite à un échec de service.

Méthodologie

Appréhender dans la durée le comportement du client face à un échec de service (de sa réaction « à chaud » à son comportement post-RS) constitue, nous l’avons vu, un phénomène encore peu étudié. Yin (2017) souligne l’intérêt, dans pareille situation, de réaliser une étude de cas unique. Dans une démarche compréhensive, nous faisons ainsi le choix d’étudier le lancement d’un nouveau format de vente qui a été source d’insatisfaction pour les clients.

Choix du terrain

NorthSport est une enseigne française de distribution d’articles de sport, dont le premier magasin est né en 1976, à NorthVille. Le 23 janvier 2016, elle décide de renforcer sa politique omnicanale, en testant un concept de magasin showroom dans son point de vente historique. Concrètement, les clients sont accueillis dans une boutique de 1.200 m², dans laquelle ils peuvent visualiser et toucher l’intégralité de l’offre proposée sur le site Internet de l’enseigne, mais pas repartir avec les produits. Munis d’un smartphone, ils sont invités à scanner le QR code des articles qui les intéressent. Ils accèdent alors aux fiches produits (ex. : descriptif, note moyenne, commentaires des clients). Le panier virtuel validé est réglable en caisse, et la livraison de la commande est réalisée sous 48h. L’absence de stocks sur place permet d’appliquer une baisse de prix de 10 % par rapport aux tarifs habituels. Les vendeurs sont aussi libérés de la mise en rayon pour jouer pleinement leur rôle de conseiller.

A l’époque, ce magasin digital est qualifié d’« innovant » par les observateurs (« véritable OVNI », « concept unique en France »), au point que NorthSport recevra le trophée LSA 2016 du cross-canal. Malheureusement, alors que l’expérience client est censée être au coeur du concept, cette expérimentation provoque une déferlante de critiques de la part des clients. Très vite, ceux-ci se détournent de ce magasin showroom. Après quelques ajustements, l’enseigne décide de mettre un terme à ce test et de ré-ouvrir un magasin plus classique dès le 12 novembre 2016.

En définitive, ce cas permet d’étudier en profondeur une innovation de concept au sens de Dupuis (1998), à savoir un nouveau format de vente. Il permet ainsi de comprendre le phénomène de défection des clients vis-à-vis d’un magasin suite à ce qu’ils perçoivent comme un échec de service, puis leur éventuel retour post-RS. Une telle approche permet, dès lors, d’établir dans quelle mesure le client accorde (ou non) une seconde chance à l’entreprise suite à l’échec d’une innovation.

Collecte et analyse des données

Collecte des données

Entre novembre 2017 et mars 2018, nous avons effectué 17 entretiens semi-directifs d’une heure en moyenne auprès de 16 personnes travaillant chez NorthSport et une experte retail ayant réalisé une mission pour l’enseigne (cf. tableau 1).

Tableau 1

Echantillon

Echantillon

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Ces répondants ont été sélectionnés en fonction de leurs connaissances du magasin showroom, de la gestion de la relation client et des innovations digitales. Les entretiens ont été retranscrits et forment un premier corpus de données primaires brutes de 225 pages. En complément, diverses données secondaires ont été collectées : 31 articles de presse (22 pages), 7 billets de blogs spécialisés dans le marketing et les 21 commentaires associés (18 pages), 1.367 commentaires de clients (297 sur Facebook, 104 sur Twitter, 241 sur Google + et 725 sur le site de l’enseigne) et les réponses de NorthSport associées (354 pages). Les commentaires sur Facebook ont ensuite permis d’identifier 173 personnes ayant publié un avis négatif (80 %), 31 neutre (14,4 %) et 12 positif (5,6 %). Ces 173 clients mécontents ont alors été invités à répondre à un court questionnaire (cf. tableau 2).

Tableau 2

Questions posées aux clients insatisfaits du magasin showroom

Questions posées aux clients insatisfaits du magasin showroom

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Nous avons obtenu 33 réponses (taux de réponse de 19,1 %) (10 pages). Parmi ces clients insatisfaits de NorthSport, 11 ont ensuite accepté d’être sollicités en vue d’un bref entretien par téléphone, d’une durée de 6 à 7 minutes (23 pages après retranscription).

Ce design de recherche, combinant entretiens auprès de collaborateurs et données collectées auprès de clients, nous permet d’adopter une approche multi-niveaux du système de RS telle qu’appelée de leurs voeux par Van Vaerenbergh et Orsingher (2016). Les auteurs soulignent effectivement l’intérêt des recherches ayant trait à la manière dont le processus de RS, se produisant au niveau organisationnel, affecte les perceptions au niveau individuel des employés (ex. : engagement) et/ou des clients (ex. : satisfaction).

Analyse des données

Pour traiter nos données empiriques, nous avons utilisé la méthodologie de Gioia et al. (2013). Selon cette démarche, le codage de 1er rang vise à rendre compte du discours des personnes interrogées, en occultant la littérature. Ainsi, une première lecture de nos 652 pages de données, nous a permis de générer des items pour chaque nouvelle idée repérée (49, au total). Le codage de 2nd rang agrège ces différents items, à travers deux niveaux d’abstraction successifs, en mobilisant cette fois‑ci la théorie. A cette fin, nous avons constitué une liste de 91 concepts clés issus de la littérature en marketing des services[1], dans laquelle nous avons puisé certains codes de 2nd rang, tels que l’échec de service, la RS, l’attachement ou le management de l’impression. En revanche, l’idée d’intégrer des concepts comme le cadre culturel, le sensemaking, les ajustements, ainsi que la distinction entre droit à l’erreur interne et externe, ont émergé de l’analyse des données empiriques. Le tableau 3 montre finalement comment cette démarche abductive nous a conduit à multiplier les allers-retours entre la théorie et les données pour passer de 49 items de 1er rang à 15 thèmes de 2nd rang, puis à 5 dimensions agrégées de 2nd rang.

Une fois notre ‘grille Gioia’ établie, nous avons procédé au codage de nos données empiriques. Le fichier comprenant les verbatim, classés selon l’arborescence du tableau 3, nous a permis de rédiger nos résultats. Grâce à cette approche, nous avons généré un modèle conceptuel de l’attribution, par le client, d’une seconde chance à une entreprise suite un échec de service (cf. figure 1).

Résultats empiriques

Cadre culturel

L’innovation est un « pilier » de NorthSport qui expérimente régulièrement sur différents fronts pour améliorer la qualité de la relation avec ses clients (ex. : marques propres, pratiques managériales). En l’occurrence, l’entreprise s’inscrit dans une logique de « test and learn ». Elle accepte que toutes ses initiatives ne soient pas couronnées de succès, mais part du principe qu’elles permettent toujours de tirer des enseignements pour continuer à progresser. Nous retrouvons ici la notion de « droit à l’erreur », qui fait partie des valeurs promues par la direction. L’enseigne revendique d’ailleurs une démarche d’innovation itérative (en faisant fréquemment référence à la méthode lean start-up), notamment en confrontant le plus tôt possible ses idées à la réalité de ses clients, quitte à y renoncer rapidement si ces derniers sont insatisfaits. Le magasin showroom testé, baptisé « Osons », apparaît, à ce titre, comme une émanation directe de la transformation digitale amorcée par l’entreprise depuis quelques années. Ce concept innovant visait à combiner les atouts du e-commerce avec ceux du magasin physique.

Au quotidien, la culture de l’innovation de l’enseigne se manifeste par une forte implication des collaborateurs, leur responsabilisation apparaissant comme le pendant du droit à l’erreur affiché par NorthSport. En pratique, l’innovation vient donc souvent du terrain. Certes, l’idée d’un magasin showroom a été initiée par le Président du conseil de surveillance, mais toute l’équipe de NorthVille a participé à la définition et à la construction de la stratégie commerciale. L’approche collaborative de NorthSport permet ainsi au personnel de s’approprier plus facilement les expérimentations. En effet, selon la perspective de l’enseigne, l’expérience client, suite à une innovation, ne peut être améliorée que si les vendeurs sont convaincus par cette initiative et en deviennent « lesambassadeurs ». Le crédo de NorthSport « employee first, customer second » résume cet état d’esprit. Lors du test de NorthVille, les vendeurs appréciaient le fait d’être « délestés de la mise en rayon et de la gestion des stocks » et de prendre part à un projet visant à réfléchir au « magasin de demain ». Cet accent mis sur « le plaisir au travail » se traduit par la place de n°1, en 2018, au classement Great Place to Work (catégorie entreprises françaises de plus de 5000 salariés).

Tableau 3

Structure des données selon la méthodologie Gioia et al. (2013)

Structure des données selon la méthodologie Gioia et al. (2013)

Tableau 3 (suite)

Structure des données selon la méthodologie Gioia et al. (2013)

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Le fait d’avoir des employés épanouis contribue à la dernière facette du « cadre culturel » de l’enseigne : la satisfaction client. D’ailleurs, le système de primes des vendeurs se fonde à 50 % sur la satisfaction client et à 50 % sur le chiffre d’affaires. La philosophie de l’enseigne s’illustre aussi symboliquement par la mention inscrite sur leur badge : « Sportifs satisfaits, c’est mon métier ». Dans cette optique, NorthSport met notamment l’accent sur la collecte d’avis clients afin d’améliorer ses produits et services. Tous les produits des marques propres dont la note est inférieure à 3/5 (pour un minimum de 25 votes en 12 mois) sont, par exemple, retirés de la vente. Ils seront remis en rayon uniquement après amélioration. D’une façon plus générale, NorthSport affirme que 98,4 % des avis négatifs sont traités en leur apportant des « réponses personnalisées ». L’entreprise ne se cantonne donc pas à rechercher la satisfaction mais gère aussi l’insatisfaction.

Relations avec l’entreprise

En 2018, NorthSport est élu enseigne préférée des Français. Cette excellente réputation est liée, non seulement au « très bon rapport qualité-prix » des produits, mais aussi à « lasympathie » et « ladisponibilité » des vendeurs. L’une des forces de l’enseigne est ainsi de disposer de « conseillers sportifs passionnés », capables de renseigner les clients sans les « tromper ». Elle véhicule de ce fait une image de « proximité avec les clients ». D’ailleurs, parmi les plus « fidèles » d’entre eux, certains ont construit des « liens affectifs » avec les vendeurs. D’une façon plus générale, l’attention et le soin portés aux utilisateurs ont fait naître, au fil du temps, un véritable « attachement à la marque » au point que les clients donnent parfois le sentiment que les magasins leur appartiennent (ex. : « MON magasin » – en majuscules dans le commentaire d’une cliente sur le site Internet de l’enseigne). Signe de ce « lien émotionnel » entre l’enseigne et ses clients, le champ lexical de l’affection est omniprésent dans les données collectées.

Comme le souligne un collaborateur, une telle relation à l’enseigne explique la tolérance dont celle-ci bénéficie a priori lorsqu’elle s’engage dans des projets qui s’avèrent infructueux : « Je pense que la relation de confiance est tellement bonne avec les clients (…) que si jamais on est clair sur ce que l’on veut essayer, ils sont prêts à pardonner. ». Selon cette perspective, la seule limite possible à l’expérimentation est de ne pas « trahir la promesse » de l’enseigne, en restant cohérent avec les « valeurs » qu’elle prône (ex. : transparence, éthique).

FIGURE 1

Modèle de l’attribution d’une seconde chance après un échec de service

Modèle de l’attribution d’une seconde chance après un échec de service

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Echec de service

Lorsque NorthSport commence à communiquer, en décembre 2015, sur son concept de magasin showroom, plusieurs clients se déclarent intrigués, voire enthousiastes. D’autres saluent cette « belle prise de risque ». Malheureusement, la déception des clients face à cette innovation est à la hauteur de l’attachement qu’ils portent à l’enseigne. Ainsi, l’expérience client se révèle « désastreuse » et « irritante ». Plusieurs sources de « frustration » sont, à ce titre, relevées à l’issue de la visite : le fait de repartir les mains vides, la nécessité de se déplacer plusieurs fois, l’impossibilité d’essayer certains produits (disponibles en une seule taille), le parcours en labyrinthe, les problèmes techniques liés au système de vente, etc. En outre, cette expérimentation n’est pas en phase avec l’image de NorthSport. En particulier, les deux déplacements minimums rendent l’argument de la baisse de prix fallacieux et sont peu respectueux de l’environnement. De même, les caisses automatiques ainsi que l’absence de gestion des stocks et de mise en rayon font craindre pour l’emploi des équipes. A l’époque, les clients sont surtout « déroutés » par ce concept, qui ne répond plus à leurs attentes. Pour faire réagir l’enseigne, certains Internautes n’hésitent pas à appeler au « boycott » du magasin. D’autres se contentent d’exprimer leurs « regrets » (ex. : « l’ancien magasin nous manque ») et demandent un « retour en arrière » rapide (ex. : « on a tellement hâte »).

Quoiqu’il en soit, l’agacement des clients se répercute sur le personnel, si bien que l’expérience collaborateur se révèle très négative. En effet, les vendeurs se rendent rapidement compte que le magasin ne convient pas. Du fait de la « liberté de parole » dont ils jouissent et de leur forte implication, ils font remonter les retours négatifs. Pour autant, chaque jour, ils doivent faire face au courroux et aux insultes des utilisateurs. Peu à peu, le désabusement et la souffrance des vendeurs contribuent à renforcer la colère de certains clients à l’encontre de l’enseigne.

Symbole du vif mécontentement des clients, la note moyenne du magasin sur Facebook, passe de 4,50/5 (en 2015) à 1,27/5 (en 2016). Inévitablement, cette insatisfaction entraîne une véritable « désaffection des clients sur ce magasin » et « un effondrement du chiffre d’affaires » (environ - 80 % par rapport à 2015). Dans la plupart des commentaires postés sur les réseaux sociaux, les clients affichent leur intention de ne plus jamais retourner à NorthVille. Du fait de cette perte massive de clients, l’échec commercial du magasin est jugé incontestable par les collaborateurs de l’entreprise, qui parlent rétrospectivement de « fiasco » ou de « plantage complet », même s’ils soulignent que la déconvenue est contingentée à un seul magasin.

En définitive, l’échec de service peut s’appréhender ici comme la conjonction d’expériences clients et collaborateurs négatives, couplée à une désertion des clients. En pratique, la « rupture » s’est faite toutefois sous deux formes. Certains clients ont pris l’habitude de se rendre dans d’autres NorthSport de l’agglomération, quitte à allonger leur trajet. D’autres utilisateurs, en revanche, se sont tournés vers le concurrent le plus proche géographiquement.

Plutôt que d’abandonner le magasin de NorthVille sans fournir d’explications, de nombreux clients décident de poster un commentaire sur Internet afin de donner du sens à leur défection, alimentant ainsi le sensemaking de l’entreprise. A titre d’illustration, le nombre d’avis émis sur la page Facebook du magasin passe de 11 en 2014 et 2 en 2015 à 122 en 2016. Néanmoins, les clients diffèrent dans leur mode de communication :

  • Ainsi, certains se contentent d’alimenter le « bad buzz », en se montrant extrêmement virulents vis-à-vis du concept (ex. : « débile », « bidon ») et/ou des personnes à l’origine du projet (ex. : « grands malades »). La complainte des clients est alors purement destructive et ne s’accompagne pas d’éclaircissements sur leur avis négatif. Une telle véhémence semble être à rapprocher de l’attachement initial à l’enseigne : « Comme on a des gens passionnés, ils sont passionnément déçus (…). Une enseigne qui ne véhicule rien, tout le monde s’en fout », souligne un collaborateur de NorthSport.

  • D’autres clients prennent le temps de justifier précisément les motifs de leur rupture vis-à-vis du magasin dans une logique de cocréation. Ainsi, certains n’hésitent pas à rédiger des messages de 10-12 lignes pour faire part de leurs réflexions. Là aussi, l’attachement à NorthSport semble motiver un tel feedback : « Comme ça ne me correspondait pas, j’ai vraiment été frustrée. Et c’est pour ça que j’ai fait le commentaire. Parce que c’est une enseigne que j’aime bien, donc il fallait que je m’exprime ! ». Nous faisons donc apparaître ici un lien entre, d’un côté, la qualité des relations entre l’enseigne et ses clients et, de l’autre, la quantité et la nature des retours clients.

Processus de récupération et d’apprentissage par l’échec

L’interprétation de ces retours est riche d’enseignements pour l’enseigne. Conformément à sa logique de test and learn, elle n’a jamais envisagé son nouveau concept comme quelque chose de « figé ». Au contraire, sa volonté était clairement affichée de « faire évoluer » le magasin showroom à travers les avis clients. « Bâtissons ensemble le magasin de demain » pouvait-on effectivement lire sur les murs du point de vente. Ce parti pris a d’ailleurs été rappelé sur les réseaux sociaux afin de renvoyer l’image d’une entreprise proche de ses clients et capable de se remettre en question (ex. : « nous avons conscience que ce modèle n’est pas parfait (…) nous avons la volonté de le faire évoluer, de vous écouter et d’apporter chaque jour les améliorations nécessaires »). En l’occurrence, la direction du magasin a opéré des micro-ajustements, en réintroduisant – un à deux mois après l’ouverture – du « stock de consommables » (ex. : balles de tennis, chambres à air). Par la suite, davantage de références ont été proposées au fil du temps pour permettre aux clients d’essayer les produits dans la taille de leur choix.

Le chiffre d’affaires, la persistance des attaques contre le point de vente et les injonctions répétées à « abandonnerde toute urgence » cette expérience incitent toutefois la direction à renoncer à son magasin-test avant qu’il ne soit trop tard. En définitive, moins de dix mois après l’ouverture, l’enseigne pivote en redevenant un magasin « plus traditionnel ». Deux changements apparaissent toutefois : 1) la focalisation sur les marques propres et 2) l’accent sur mis sur les expériences sportives (ex. : installation de paniers de basket). Là encore, NorthSport communique en faisant son mea culpa et en soulignant sa non-obstination, ainsi que sa capacité à rebondir vite pour satisfaire ses clients.

En résumé, NorthSport a veillé à manager l’impression laissée aux clients suite à l’échec de NorthVille, non seulement en répondant à la plupart des retours négatifs, mais aussi en montrant les leçons tirées de ce test. En particulier, tout en soulignant son sens de l’innovation, l’enseigne a pris acte que « le concept ne convenait pas » aux clients, réutilisant cette tournure plusieurs fois sur les réseaux sociaux. De façon analogue, la « frustration » ressentie par les clients a été admise publiquement. Plus encore, l’enseigne n’a pas hésité à présenter ses excuses pour la mauvaise expérience que ses clients avaient vécue. L’idée centrale étant ici de communiquer positivement suite à l’échec et de convaincre de sa capacité d’apprentissage. Le directeur de l’entreprise avait toutefois conscience qu’au-delà de cet effort rhétorique, il était nécessaire de « rebooster » le personnel – en se déplaçant plusieurs fois dans le magasin et en les exonérant de toute responsabilité – pour que celui-ci renvoie l’image « souriante » et « dynamique », à laquelle les clients sont attachés et ainsi garantir le succès du management de l’impression.

En synthèse, le processus de RS se joue donc en trois temps distincts une fois que l’entreprise a pris conscience de son échec : d’abord l’interprétation des retours clients négatifs, ensuite la réponse de l’organisation (ajustements puis pivot), et enfin la valorisation externe de cet effort d’adaptation lié à l’apprentissage post-échec.

Conséquences post-récupération

En novembre 2016, la nouvelle du retour d’un magasin « normal » est source d’une grande satisfaction pour les clients ayant « déserté » le magasin showroom. Plusieurs saluent une « excellente initiative » de la part de l’enseigne, qu’ils n’hésitent pas à remercier, voire à féliciter, d’avoir fait « machine arrière ». Certains se réjouissent aussi du comportement « courageux » de NorthSport, qui s’est montré capable de « reconnaître ses erreurs » et a fait preuve de « réactivité ». Cette « transparence » et cette « sincérité », suite à ce test raté, semblent finalement de nature à préserver le lien entre l’enseigne et ses clients. « Ça n’a pas dégradé l’image que je me faisais de NorthSport, au contraire ! Ils ont su réagir assez vite et s’adapter au fait que ça ne plaisait pas. » note un client. A travers sa bonne gestion de l’échec (ex. : ajustements immédiats, fermeture rapide, communication authentique), NorthSport a ainsi mis en lumière la « tradition d’écoute du client » qu’elle revendique. Cette innovation infructueuse a donc finalement « renforcé le lien de proximité » avec certains clients qui se sont sentis « entendus » et « compris ».

En termes de comportement post-récupération, les clients sont revenus massivement dans le magasin de NorthVille, si bien que six mois après le déménagement, le point de vente avait récupéré 80 % de son chiffre d’affaires[2]. Les clients s’exprimant sur les réseaux sociaux sont ainsi, dans une large majorité, revenus « avec plaisir ». Certains affirment être profondément attachés aux produits de l’enseigne, à ses prix bas, ainsi qu’à la qualité des relations avec les vendeurs. A titre d’illustration, parmi les 33 clients ayant répondu à notre questionnaire, seulement deux déclarent ne plus retourner à NorthVille. Le tableau 4, ci-dessous, offre ainsi deux exemples emblématiques de la manière dont les retours clients (sur Facebook) ont évolué dans la durée.

Certains clients se sont toutefois accoutumés à d’autres magasins NorthSport de l’agglomération. Enfin, suite à cet échec, une petite minorité de clients a pris l’habitude d’aller chez la concurrence. Cette « reconquête » incomplète explique ainsi que le magasin de NorthVille n’avait toujours pas retrouvé 100 % de son chiffre d’affaires début 2018.

Quoiqu’il en soit, la plupart des clients semble avoir « pardonné » à NorthSport son « égarement » de quelques mois, qu’ils ont tendance à dédramatiser a posteriori (ex. : « il n’y a pas eu mort d’hommes »). Loin des messages caustiques postés initialement, certains clients saluent même rétrospectivement « l’audace » de NorthSport, considérant que la capacité d’innovation est une « force » dans une entreprise et que le nouveau concept a eu le « mérite d’être testé ». En définitive, le magasin showroom a certes été perçu, à l’origine, comme allant au-delà de la zone de tolérance des clients; ceux-ci considérant que la « promesse » de l’enseigne n’avait pas été tenue. Pour autant, la majorité d’entre eux accorde in fine une seconde chance à l’enseigne.

Tableau 4

Exemples emblématiques de trajectoires clients, de l'échec de service à ses conséquences post-récupération

Exemples emblématiques de trajectoires clients, de l'échec de service à ses conséquences post-récupération

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Un tel constat accrédite la thèse d’un droit à l’erreur externe, qui se manifeste concrètement par une satisfaction des clients face à un processus de RS jugé réussi et par la reprise de leurs comportements initiaux. Ce droit à l’erreur externe se trouve facilité par la relation forte des clients avec l’enseigne. Pour autant, leur zone de tolérance semble avoir été réduite suite à cette expérience ratée. Désormais, une minorité d’entre eux se montre effectivement vigilante face à d’éventuelles modifications du magasin, exhortant parfois l’entreprise à ne plus changer (ex. : « j’espère que vous resterez comme ça »). Très vite, certains clients ont, par exemple, noté – avec regret – que la gamme de produits était moins importante qu’avant, seules les marques propres étant désormais proposées dans le magasin de NorthVille.

Discussion

Le modèle théorique présenté en figure 1 permet de comprendre la manière dont le système de RS favorise le droit à l’erreur que les clients accordent à une entreprise suite à un échec de service. Plus spécifiquement, le processus de RS commence dès la prise de conscience de l’échec (à travers les retours sous toutes leurs formes) par un processus de sensemaking, et se poursuit jusqu’à l’observation et l’analyse des comportements clients post-RS. Les flèches entre le triptyque « échec de service », « processus de récupération et d’apprentissage par l’échec » et « conséquences post-récupération » symbolisent la dimension temporelle du modèle. Il ne peut pas y a avoir de processus de RS sans échec, mais un échec peut ne pas déboucher sur une RS. A l’inverse, une telle RS, si elle échoue, peut ne pas réussir à satisfaire les clients et à les faire renouer contact avec l’entreprise après une rupture de la relation. Le cadre en pointillés entourant le triptyque sus-évoqué traduit l’idée que chacune des étapes de la séquence peut être influencée par – mais également influence – les relations unissant l’enseigne à ses clients. De son côté, le cadre culturel affecte chacune de ces étapes en offrant un contexte favorable à la RS.

Le droit à l’erreur externe expliqué par le système de récupération : une lecture organisationnelle longitudinale

Parmi les conséquences possibles de la RS, nous mettons en évidence l’existence d’un droit à l’erreur externe qui, à notre connaissance, n’était qu’implicite dans la littérature. La prise de risque a, en effet, toujours été postulée comme étant fondamentale en management de l’innovation (Cooper, 2008; Lynn et al., 1996) sans pour autant s’intéresser en profondeur à la réaction des clients face à un échec. L’existence de ce droit à l’erreur accordé par les clients à l’entreprise s’inscrit dans le prolongement des travaux en marketing des services sur le pardon (Casidy & Shin, 2015; Morrison & Crié, 2016; Rotte et al., 2006) et vient compléter la littérature sur l’apprentissage organisationnel ayant étudié la question du droit à l’erreur interne accordé aux salariés (Cusin, 2011). Ce droit à l’erreur externe doit être appréhendé dans la durée afin d’intégrer les conséquences à long terme du processus de RS. En effet, un client peut faire le choix de mettre un terme à sa relation avec une enseigne (ou un magasin) à un instant t, mais revenir par la suite sur sa décision. Un des apports théoriques de cette recherche est ainsi de souligner l’épaisseur temporelle de ce droit à l’erreur externe. Il ne semble toutefois pas automatique et ne s’obtenir qu’en cas de gestion favorable de chacune des dimensions du système de RS.

Le sensemaking et sa valorisation externe au coeur du processus de récupération

Le processus de sensemaking apparaît comme un élément important d’une RS réussie. Il s’appréhende comme la séquence de trois processus principaux que sont le balayage (scanning), l’interprétation (interpreting) et la réponse (responding) (Daft & Weick, 1984; Hahn et al., 2014). Le balayage implique la collecte d’informations et est un préalable à toute interprétation et action. L’entreprise prend ainsi conscience de l’échec par diverses sources d’informations, aussi bien internes qu’externes (ex. : retours financiers, retours clients, retours collaborateurs). L’interprétation renvoie à l’acte de donner du sens aux informations collectées. Une fois les données analysées, il convient d’agir sur cette base en procédant à des micro-ajustements, voire en pivotant, en prenant soin de communiquer autour de ces actions de réponse. Nos résultats confirment ainsi l’importance de la flexibilité au niveau d’un projet (Cooper, 2008; Eisenhardt & Tabrizi, 1995; Ries, 2011) et soulignent que les retours, notamment clients, constituent un élément clé du processus d’apprentissage par l’échec, qui occupe lui-même une place centrale dans le processus de RS. Une prise de conscience rapide de l’échec et une capacité accrue à lui donner du sens (Cusin, 2009) semblent pouvoir permettre à l’entreprise de s’adapter plus promptement, en vue de conserver ou reconquérir ses clients insatisfaits.

Ce principe de développement agile, qui se retrouve dans la démarche « probe and learn » (Lynn et al., 1996), la boucle de feedback « build-measure-learn » (Ries, 2011) ou bien encore la série « build-test-feedback-and-revise » (Cooper, 2008), doit ensuite être valorisé aux yeux des clients et des collaborateurs à travers le management de l’impression (Collier et al., 2017; Weiner, 2000).

Le cadre culturel comme facilitateur du système de récupération

Van Vaerenbergh et Orsingher (2016) soulignent l’intérêt d’une analyse multi-niveaux en termes de système de RS sans pour autant définir précisément ce que recouvre ce concept. Nous le définissons comme « la manière dont l’entreprise va s’appuyer, de façon plus ou moins rapide, sur son cadre culturel (culture de l’innovation, implication des collaborateurs et culture de la satisfaction client) et sur sa relation avec ses clients pour prendre conscience de l’échec, lui donner du sens, s’adapter et valoriser a posteriori cet apprentissage en vue d’obtenir une seconde chance. »

Un tel système est lié au « cadre culturel » de l’entreprise. Cette notion se rapproche de celle de culture d’entreprise (Thévenet, 1993). Elle est néanmoins plus restrictive dans la mesure où elle se limite à l’innovation et aux rapports de l’entreprise aux parties prenantes clés, à travers trois dimensions interdépendantes que sont la culture de l’innovation, l’implication des collaborateurs et la culture de la satisfaction client. Si chacun de ces points a fait l’objet de recherches spécifiques, notre travail permet de proposer un cadre intégrateur. Tout d’abord, le droit à l’erreur interne (Cusin, 2011; Edmondson, 2011) encourage l’innovation, mais dédramatise aussi l’échec lorsqu’il survient. Il permet ainsi à l’entreprise d’amorcer plus rapidement et sereinement une RS. En définitive, l’existence d’un droit à l’erreur interne semble favoriser le droit à l’erreur externe. Par ailleurs, l’implication des collaborateurs encourage ces derniers à partager sans crainte un feedback négatif en vue de faciliter les adaptations liées à l’expérience malheureuse (Karlsson & Skålén, 2015). Ceci est rendu possible par l’atmosphère de sécurité psychologique dans laquelle ils se trouvent (Edmondson, 2011). Enfin, la culture de la satisfaction peut influencer la relation à l’enseigne. Celle-ci se doit, en l’occurrence, d’encourager les clients à exprimer leur insatisfaction et saisir cette opportunité pour les fidéliser (Sabadie et al., 2017; Thouvenot et al., 2012).

Le rôle joué par les relations a l’entreprise en cas d’échec de service

La littérature en marketing des services met en exergue le rôle modérateur des expériences passées sur les conséquences d’un échec sur les clients (Grégoire & Fisher, 2008; Hedrick et al. 2007), la propension de ceux-ci à se plaindre (Rotte et al., 2006), ou encore leurs attentes en termes de RS (Grégoire et al., 2009; Hess et al., 2003; Mattila, 2004). Pour autant, les auteurs ne sont pas unanimes sur ces questions. Notre analyse qualitative longitudinale d’un cas unique ne prétend pas apporter une conclusion tranchée sur tous ces points mais se positionne dans les débats.

Une incidence sur la sévérité perçue de l’échec

Tout d’abord, nous suggérons que lorsque les expériences passées avec l’enseigne sont bonnes, le niveau d’attente des clients augmente, si bien qu’ils sont d’autant plus déçus en cas d’échec de service. Nos résultats s’inscrivent dans la lignée de ceux de Grégoire et Fisher (2008) ou Hedrick et al. (2007) tout en les complétant. En effet, nous établissons que les clients ne sont pas attachés uniquement à l’enseigne stricto sensu, mais aussi à ses vendeurs. Dès lors, lorsque l’échec de service place ces derniers en situation de souffrance (ex. : conflit de loyauté entre, d’un côté, la volonté de ne pas trahir la confiance des clients et, de l’autre, le souci de s’impliquer dans la réussite de l’enseigne), l’expérience client est détériorée encore plus significativement. Un tel ressenti renforce alors la sévérité de l’échec aux yeux des clients. Ce résultat va à l’encontre des conclusions de Liao et al. (2015), selon lesquels les interactions des clients avec les employés peuvent compenser un échec de service. Enfin, soulignons que malgré le lien d’attachement vis-à-vis des vendeurs, notre article insiste aussi sur le pragmatisme des clients, qui restent très sensibles à la qualité et au prix des produits.

Une volonté de donner du sens à l’échec et une vigilance accrue

Notre recherche souligne tout d’abord que les retours clients suite à un échec peuvent être directs ou indirects via le personnel en contact. En outre, nous suggérons ici que de bonnes relations avec l’enseigne sont a priori susceptibles de favoriser le comportement de plainte, traditionnellement considéré comme faible dans la littérature (McCollough et al., 2000; Michel et al., 2009; Tax & Brown, 1998). Autrement dit, l’attachement à l’enseigne, résultant de l’accumulation d’expériences positives, incite les clients à se plaindre en cas d’échec de service.

Au-delà d’une dimension purement quantitative (en termes de nombre de retours négatifs), notre recherche montre que l’intensité de la relation a également des répercussions sur le comportement de plainte au plan qualitatif. Les clients attachés à l’enseigne s’avèrent ainsi être plus enclins à s’inscrire dans une optique de cocréation de la RS (Roggenveen et al., 2012) en expliquant les raisons de leur insatisfaction et en proposant des pistes d’amélioration. En définitive, là où Cusin (2009) établit un lien négatif entre émotions des collaborateurs et apprentissage organisationnel, nous suggérons ici l’existence d’un lien positif entre émotions des clients et apprentissage organisationnel. Par ailleurs, il s’avère qu’en s’immisçant dans le processus de sensemaking de l’entreprise et en lui explicitant ses erreurs, les clients jouent le rôle de sense-givers (Gioia & Chittipeddi, 1991). Nos résultats suggèrent finalement que la RS conjointe est un enjeu majeur pour toutes les entreprises et non pas uniquement celles à faible capital marque (Hazée et al., 2017).

Cette recherche montre également qu’en cas de relation forte entre l’enseigne et ses clients, l’attente de ces derniers à la suite d’un échec de service ne se limite pas à des compensations financières (Roschk & Gelbrich, 2014; Tax & Brown, 1998). En effet, ils souhaitent avant tout que l’entreprise ne s’obstine pas (Cooper, 2008), mais prenne au contraire en compte leurs remarques pour progresser. De ce fait, ils sont vigilants quant à la capacité de l’entreprise à écouter, à apprendre et à intégrer rapidement leurs feedbacks dans les ajustements qu’elle opère (Cooper, 2008; Eisenhardt & Tabrizi, 1995; Ries, 2011). Par extension, il apparaît qu’une des clés de la perception positive des clients est de leur faire savoir que l’organisation s’est adaptée grâce à leurs commentaires, idéalement en personnalisant les réponses (Simon & Tossan, 2018). De même, nos résultats laissent entendre qu’adopter une posture empreinte d’humilité (ex. : excuse, mea culpa, retour en arrière) contribue à la bonne impression laissée aux clients (Collier et al., 2017; Weiner, 2000). En d’autres termes, la gestion de la plainte du client permet de « réenchanter » la relation qui le lie à l’entreprise (Ray & Sabadie, 2011).

Une modification de la zone de tolérance

Enfin, nous montrons que même si, au départ, la qualité de la relation a un impact plutôt négatif sur la perception de l’échec, les clients se révèlent in fine prêts à faire preuve de tolérance vis-à-vis de l’enseigne (Michel, 2001; Parasuraman, 2004) si celle-ci se montre réactive dans sa RS. Notre article laisse toutefois à penser que le droit à l’erreur externe est volatil. En effet, à l’instar de Parasuraman et al. (1991), nous soulignons que la zone de tolérance des clients peut varier après un échec, et notamment se réduire. Ceci suggère une forme de fragilisation de la relation à l’enseigne. Même lorsque la RS est réussie, un échec de grande ampleur laisse un souvenir négatif, qui rappelle le trauma d’innovation que vivent les salariés suite à un échec commercial auquel ils ont été associés (Cusin, 2009; Välikangas et al., 2009). Il convient ainsi de ne pas avoir une lecture naïve du droit à l’erreur, qui n’est pas assimilable à un droit à l’oubli (Rotte et al., 2006).

Conclusion

A travers cet article, nous cherchons à identifier dans quelle mesure les caractéristiques de l’organisation et son système de RS favorisent le droit à l’erreur que les clients accordent in fine à l’entreprise suite à un échec de service. Pour ce faire, nous nous sommes intéressés au cas de l’échec d’un magasin showroom lancé par un distributeur d’articles de sport en adoptant une perspective nouvelle liant les aspects internes et externes de la RS.

L’étude de cas réalisée nous a permis d’élaborer un modèle théorique du système de RS mettant en lumière la manière dont l’entreprise obtient un droit à l’erreur de la part des clients. Cette recherche longitudinale contribue ainsi à enrichir la littérature en marketing des services. La mobilisation des travaux en management de l’innovation confère une dimension organisationnelle à notre modèle. Le fait d’étudier conjointement « back » et « front office » (Eiglier & Langeard, 1987) nous a permis de mieux entrer dans la boîte noire du système de RS (Van Vaerenbergh & Orsingher, 2016). D’un point de vue théorique, l’analyse multi-niveaux effectuée souligne que les retours clients – en alimentant le sensemaking de l’organisation – jouent un rôle central dans le processus d’apprentissage par l’échec, qui est lui-même indissociable de la réussite de la RS. Enfin, il ressort qu’un cadre culturel tourné vers l’innovation, l’implication des collaborateurs et la satisfaction client, combiné à une RS bien orchestrée et à des relations fortes avec les clients, facilitent l’obtention d’un droit à l’erreur externe suite à un échec de service.

D’un point de vue managérial, nos résultats invitent les entreprises à ne pas hésiter à innover dès lors qu’elles sont à même de pivoter rapidement en cas d’échec. En outre, conformément à la littérature existante en marketing des services, la RS post-échec semble être plus efficace lorsqu’elle est cocréée avec les clients (Roggeveen et al., 2012; Cheung & To, 2016; Hazée et al., 2017) et les collaborateurs. La collecte, mais surtout la prise en compte de leurs retours, constituent à ce titre un enjeu majeur. Dès lors, essuyer des critiques alors même que l’innovation est à l’origine destinée à satisfaire les clients, n’est pas forcément à interpréter comme un signal négatif. Elles peuvent au contraire traduire tout l’attachement des clients à l’enseigne (Grégoire et al., 2009).

Cet article n’est toutefois pas exempt de limites dans la mesure où il ne porte que sur une seule entreprise et sur un seul type d’innovation ayant échoué. Il pourrait être intéressant de dupliquer l’analyse à d’autres enseignes, innovations et secteurs d’activité. En outre, le fait d’interroger les clients à froid ne permet pas d’avoir d’indications sur leur état d’esprit au moment de leur visite et de la rédaction de leur(s) avis sur les réseaux sociaux. Un biais de rationalisation explique sans doute le détachement de certains clients par rapport à leurs commentaires initiaux indiquant la fin sans sommation de leur relation avec l’enseigne.

Pour reprendre l’ouvrage d’Hirschman (1970), notre recherche porte sur les clients mécontents ayant pris la parole (voice) avant de se détourner temporairement de celle-ci (exit). En ce sens, il pourrait être intéressant de comprendre comment le processus de RS peut affecter les clients ayant rompu avec l’enseigne sans le faire savoir. De nouveaux travaux pourraient également chercher à déterminer s’il existe des profils de clients selon leur perception de l’échec de service, leur implication dans le processus de RS et leurs comportements post-RS. Enfin, soulignons que l’enseigne NorthSport a inauguré dans un autre pays, en février 2019, un nouveau magasin test reprenant quelques innovations initiées dans celui de NorthVille. Sur un plan organisationnel, ce cas amène à se demander dans quelle mesure une entreprise est capable de capitaliser sur son échec de service à plus long terme, en faisant notamment le tri entre les idées innovantes qu’elle doit abandonner et celles pour lesquelles elle doit persévérer pour améliorer l’expérience client.