Résumés
Résumé
Les travaux sur l’innovation collaborative suscitent l’intérêt croissant de nombreux académiques, professionnels et responsables politiques. Ce concept, pourtant proche de celui bien connu d’innovation ouverte, reste peu exploré dans la littérature. Il est en effet question de s’intéresser davantage aux approches relationnelles entre les organisations au détriment d’une approche plus rationnelle et normative. Sous l’angle des paradoxes que suscitent la mise en oeuvre de l’innovation collaborative dans différents contextes, nous mettons en lumière divers questionnements associés à cette notion (création de valeur, pratique des PME, organisation interne/externe, espaces ouverts de collaboration, technologies numériques et politiques publiques). Notre objectif est d’offrir de nouvelles perspectives de recherche représentant un renouvellement des premières vagues des recherches sur l’innovation ouverte
Mots-clés :
- innovation collaborative,
- paradoxes,
- mise en oeuvre,
- innovation ouverte
Abstract
The concept of collaborative innovation is attracting growing interest from many academics, professionals and policy makers. Although close to the well-known concept of open innovation, this concep remains little explored in the literature. Indeed, the topic is to focuse more on relational approaches between organisations then to a more rational and normative approach. From the point of view of the paradoxes arising from the implementation of collaborative innovation in different contexts, we highlight various issues associated with this concept (value creation, SME practice, internal/external organisation, open collaborative spaces, digital technologies and public policies). Our aim is offering new research perspectives representing a renewal of the first waves of research on open innovation
Keywords:
- collaborative innovation,
- paradoxes,
- implementation,
- open innovation
Resumen
El concepto de innovación colaborativa está atrayendo un interés creciente de muchos académicos, profesionales y responsables políticos. Aunque cercano al conocido concepto de innovación abierta, este concepto sigue siendo poco explorado en la literatura. De hecho, el tema es centrarse más en los enfoques relacionales entre organizaciones y luego en un enfoque más racional y normativo. Desde el punto de vista de las paradojas que surgen de la implementación de la innovación colaborativa en diferentes contextos, destacamos varias cuestiones asociadas a este concepto (creación de valor, práctica de las PYMES, organización interna/externa, espacios abiertos de colaboración, tecnologías digitales y políticas públicas). Nuestro objetivo es ofrecer nuevas perspectivas de investigación que representen una renovación de las primeras oleadas de investigación sobre la innovación abierta
Palabras clave:
- innovación colaborativa,
- paradojas,
- implementación,
- innovación abierta
Corps de l’article
Depuis quelques années, les appels en faveur d’un véritable management stratégique de la mise en oeuvre du modèle d’innovation collaborative se sont multipliés (Cassiman et Veugelers 2002). De récentes statistiques montrent que 78 % des entreprises américaines et européennes pratiquent de façon croissante l’innovation ouverte (Chesbrough et Brunswicker 2013). Selon Demil et Lecoq (2012) et Ketchen et al. (2007), l’innovation collaborative peut se définir comme la création de l’innovation au-delà des frontières de la firme et à travers le partage d’idées, de connaissances, d’expertise et d’opportunités. Pour Davis et Eisenhard (2011), l’innovation collaborative s’appuie sur les relations inter-organisationnelles dédiées au développement conjoint de l’innovation intégrant une approche collaborative qui implique la combinaison de connaissances, technologies et autres ressources à travers les frontières organisationnelles. Dans la même lignée, l’AFNOR (2014) considère l’innovation collaborative comme une façon de faire émerger, initier ou faire aboutir des projets d’innovation conjoints. A la lumière de ces définitions, les chercheurs mettent en avant le fait que les concepts d’innovation ouverte et collaborative sont très similaires, à l’exception des formes particulières d’acquisition qui ne sont pas de réelles collaborations (Dahlander et Gann, 2010). Dans un livre blanc sur l’innovation collaborative, Demil et Lecoq (2012) concluent d’ailleurs que l’innovation collaborative est généralement assimilée à l’innovation ouverte.
Si différentes approches ont été développées pour étudier le concept d’innovation ouverte, l’angle de l’innovation collaborative reste encore peu exploré dans la littérature. Cet angle d’analyse met davantage l’accent sur une approche relationnelle entre les organisations au détriment de l’approche rationnelle et normative souvent déployée par les chercheurs. Cette perspective nous amène dès lors à inscrire le concept d’innovation ouverte dans de véritables écosystèmes composés d’un ensemble complexe de réseaux d’innovation (réseaux d’alliance, communautés, clusters, plateformes, Fab Labs, etc.). Ainsi, en réponse à l’appel des chercheurs de se concentrer sur la mise en oeuvre de l’innovation ouverte dans cette prochaine décennie (West et al., 2014), nous souhaitons contribuer à la lignée de travaux qui prennent en compte les spécificités de ces réseaux d’innovations divers (types d’acteurs en relation, fonctionnement, gouvernance, résultats des collaborations). L’accent porte précisément sur la mise en oeuvre de l’innovation collaborative (West et al. 2014; Fixari et Pallez 2014; Goglio-Primard et Crespin-Mazet 2015) et aborde des perspectives à la fois scientifiques et managériales (West et al. 2014; Fixari and Pallez, 2014; Goglio-Primard and Crespin-Mazet, 2015).
L’analyse de l’innovation collaborative propose un renouvellement du concept de l’innovation ouverte par rapport à la première vague de travaux. Comme l’indique Huizingh (2011) dans son article « Open Innovation : state of the art and future perspectives », la compréhension de l’ouverture repose sur l’étude des pratiques (« Open Innovation practices ») qui sont liées à la question de « comment procéder » (« how to do it »). A ces questions s’ajoute l’interrogation sur les acteurs de l’innovation collaborative, « qui pratique l’innovation collaborative ? ». La plupart des travaux se sont intéressés au développement de l’innovation ouverte par les multinationales et les industries matures alors que son appropriation à travers les approches collaboratives passe par un éventail d’acteurs bien plus large et diversifié (les startups et les PME, les sociétés de service, les institutions, les acteurs publics) en prenant en considération le contexte technologique et économique. Une dernière interrogation s’impose pour traiter largement du sujet : « où est développée l’innovation collaborative ? », ce qui nous amène à nous intéresser aux spécificités du contexte.
Ce sont ces questionnements, finement articulés, qui sont adressés ici à la communauté académique internationale, afin d’apporter également des cadres concrets d’analyse aux professionnels à travers ce numéro thématique de la revue Management international.
L’objectif de ce numéro thématique est donc d’explorer cette diversité de contextes en mettant en lumière les paradoxes auxquels les firmes, les institutions et les individus sont confrontés. Plusieurs questionnements associés à différentes thématiques s'imposent dans cet exercice.
L’équilibre entre création et acquisition de valeur à travers la collaboration : quels sont les modèles d’affaires émergents ?
Dans le cadre du modèle d’innovation ouverte, le modèle d'affaire joue deux fonctions essentielles :
permettre la création de la valeur (à l’intérieur de l’organisation mais aussi en utilisant les ressources externes pour amplifier la valeur créée)
favoriser la capture de valeur (en licenciant les technologies qui sortent du coeur de métier afin de les rentabiliser).
Toutefois de multiples paradoxes et questionnements restent quant aux choix des modèles d'affaires adéquats en prenant en compte les droits de propriété intellectuelle (DPI) (Ayerbe et Chanal, 2011) et les multiples intermédiaires (Leroux et al. 2014). Quels sont les paradoxes des modèles d'affaires dans des contextes économiques différents ? Quels sont les stratégies privilégiées par les GE et PME ?
Les paradoxes auxquels font face les PME : quelles modalités de collaboration spécifiques ?
La majorité des études sur l’innovation ouverte se sont intéressées aux processus dans les entreprises de grande taille, généralement des multinationales (Chesbrough and Brunswicker 2013). Paradoxalement, les PME ont très peu soulevé l’intérêt de la communauté académique (Gassmann, Enkel, et Chesbrough 2010), alors même qu’elles ont beaucoup à gagner de ces approches ouvertes et collaborative dans la mesure où leurs ressources et leurs capacités commerciales sont limitées (Huizingh 2011). Pour autant, les rares études sur le sujet confirment l’importance des PME dans le paysage de l’innovation collaborative (Bianchi et al. 2011; Spithoven, Clarysse, et Knockaert 2011). Les très petites entreprises pratiquent en effet de façon croissante et intensive des activités d’innovation collaborative afin de pallier les inconvénients liés à leur taille, ce que l'on appelle selon certains auteurs « liability of smallness » (Gassmann, Enkel, et Chesbrough 2010; Van de Vrande et al. 2009). Comment les PME parviennent-elles à construire et maintenir des réseaux d’innovation collaborative malgré leurs ressources limitées ? Quelles sont les stratégies et les pratiques mises en oeuvre par les PME pour profiter des avantages de l’innovation collaborative ?
Les paradoxes organisationnels de la collaboration : comment associer les processus internes et externes ?
Nous nous intéressons ici aux paradoxes générés par la dynamique interne de l’innovation collaborative et ses perspectives (Vanhaverbeke, W., West, J., Chesbrough, H., 2014). Comment les managers relèvent les défis de la collaboration pour organiser l’innovation ouverte ? Quel rôle jouent les différentes fonctions de l’entreprise (non seulement la R&D mais aussi la RH, les fonctions achats et production ou encore les systèmes d’information) ?
Les paradoxes liés aux espaces ouverts de collaboration : quel équilibre entre engagement individuel et retombées collectives ?
Les Open Labs (Fab Labs, Living Labs, hackerspaces / makerspaces, TechShops), sont un phénomène actuel et croissant dans différents pays (Futuris, 2016). Soutenus par un processus ouvert, les relations collaboratives sont souvent spontanées, itératives et émergentes et se placent au centre de la transformation actuelle de modalités et de pratiques d’innovation. Comment sont gérés les paradoxes entre la passion des makers et la dimension économique de l’innovation ? Quel équilibre trouver entre l’individualisme et la dimension collective de la collaboration dans ces espaces ? Quels modèles d'affaires et gouvernance de ces espaces favorisent la collaboration autour de concepts d’innovation ?
D’autres multiples questionnements offrent des perspectives de recherche sur les paradoxes de l’innovation collaborative :
Le paradoxe entre l’ouverture et la fermeture : quelle la gestion de la propriété intellectuelle dans la collaboration ?
Dans leur article sur les paradoxes de l’ouverture pour l’innovation, Laursen et Salter (2014) mettent en avant le difficile équilibre à trouver entre l’ouverture nécessaire à l’émergence, la création d’innovations et protection des connaissances nouvellement créées. Les auteurs insistent notamment sur la nécessité de mieux examiner les relations entre stratégie d’appropriation, ouverture et stock de la propriété intellectuelle. Cependant, le management desDPI, et en particulier des brevets, est au coeur de l’opposition entre modèles d’innovation collaborative et fermé. Dans ses travaux pionniers, Chesbrough (2006) insiste en effet sur les licences de brevets comme mécanisme fondamental pour gérer l’ouverture dans le cadre des trois processus essentiels, l’inside-out process (ou out-bound), l’outside-in process (ou in-bound) et le coupled process (Enkel et al., 2009). L’intérêt de la protection ne réside pas dans la détention de droits en soi, mais dans la capacité de la firme à gérer les DPI dans le cadre des processus de collaboration différents. Quelles stratégies de DPI dans les process inside-out ou outside-in ? Quels liens organisationnels entre les départements PI, R&D et Stratégies pour gérer cette intégration des DPI dans les process ? Quelles sont les pratiques des entreprises en termes de DPI dans les modèles collaboratifs ?
Les technologies numériques et de fabrication : quel rôle dans la création de nouveaux paradoxes ou de nouvelles opportunités d’ouverture ?
La digitalisation dans les organisations, et plus particulièrement, le développement de technologies de fabrication (imprimantes 3D, fraiseuses numériques, découpeuses laser, etc.) est un moteur du changement des modalités et des processus de collaboration dans le domaine de l’innovation. Leur expansion internationale en témoigne (Gershenfeld N.A. 2005; Menichinelli et al., 2015). Quelles sont les opportunités de collaboration générées par ces technologies ? Comment la collaboration favorise l’innovation à travers ces technologies ? Quels paradoxes émergent de l’appropriation hétérogène de ces technologies ?
Les paradoxes générés par les politiques publiques d’innovation : quels effets régionaux ?
Les avantages de l’ouverture et de la collaboration pour l’innovation n’ont pas échappé à la sphère publique. De nombreuses initiatives publiques visant à soutenir l’innovation collaborative ont été lancées dans les années 1990 tout d’abord, puis de façon plus intense dans les années 2000 à travers la politique de clusters d’innovation. Visant à rassembler sur un même territoire des entreprises, des universités, des laboratoires de recherche afin de stimuler l’innovation collaborative (Sölvell, Lindqvist, Ketels 2003; Depret, Hamdouch 2009; Fixari, Pallez; 2014), ces initiatives n’ont cependant pas toutes réussi à générer des dynamiques suffisantes et pérennes pour co-créer de la valeur et de nouvelles connaissances entre acteurs. Quel rôle est de la gouvernance des clusters pour engager l’innovation collaborative ? Quelles pratiques sont mises en oeuvre pour favoriser la création et l’appropriation de nouvelles connaissances au sein de ces espaces collaboratifs ?
En conclusion, ces paradoxes nous amènent à constater que la mise en oeuvre de la collaboration dans le domaine de l’innovation demeure un challenge pour les organisations dans leur stratégie compétitive. La portée académique managériale de ce dossier thématique est assurée par les recherches dans des secteurs et des contextes organisationnels différents qui s’intéressent à la mise en oeuvre concrète du concept de l’innovation collaborative.
Parties annexes
Bibliographie
- AFNOR (2014). Management de l’innovation - Guide de mise en oeuvre d’une démarche d’innovation ouverte. Fascicule de documentation FD X 50-272.AFNOR January.
- Cassiman, B. and Veugelers R. (2002). « R&D cooperation and spillovers : some empirical evidence from Belgium ». American Economic Review, 116984.
- Chesbrough, H. and Brunswicker S. (2013). Managing open innovation in large firms. Fraunhofer Verlag.
- Dahlander L. and Gann D. (2010). “How open is innovation ?” Research Policy 39, pp. 699-709.
- Davis and Eisenhard (2011), Rotating leadership and Collaborative innovation : Recombination processes in symbiotic relationships, Administrative Science Quarterly June 2011 56 : 159-201.
- Demil, B. and Lecocq. X. (2012). “Innovation Collaborative et Propriété Intellectuelle - Quelques Bonnes Pratiques (Annexe).” INPI.
- Depret, M-H. and Hamdouch. A. (2009). « Quelles politiques de l’innovation et de l’environnement pour quelle dynamique d’innovation environnementale ? » Innovations 29 (1) : 127.
- Fixari, D. and Pallez. F. (2014). « Bonnes et mauvaises complexités : des illusions d’optique ? Le cas des écosystèmes d’innovation ». Annales des Mines - Gérer et Comprendre 2 (116) : 1729.
- Futuris (2016), Livre Blanc des Open Labs. Gershenfeld N.A. (2005). Fab : the comming revolution on your desktop-from personal computers to personal fabrication, Basic Books.
- Gassmann, O., Enkel, E. and Chesbrough. H. 2010. « The future of open innovation ». R&d Management 40 (3) : 21321.
- Goglio-Primard, K. and Crespin-Mazet. F. (2015). « Organizing Open Innovation in Networks -- the role of boundary relations. » Management International 19 : 13547.
- Huizingh, E. (2011). « Open innovation : State of the art and future perspectives ». Technovation 31 (1) : 29.
- Ketchen, D. J, Duane I. and Snow. Ch. (2007). “Strategic Entrepreneurship, Collaborative Innovation, and Wealth Creation.” Strategic Entrepreneurship Journal 1 (3-4) : 371–85.
- Li-Ying, J. & Wang, Y. (2014). Find Them Home or Abroad ? The Relative Contribution of International Technology In-licensing to “Indigenous Innovation” in China, Long Range Planning,http://dx.doi.org/10.1016/j.lrp.2014.03.00
- Sölvell, Ö., Lindqvist, G. and Ketels.Ch. (2003). « The Cluster Initiative Greenbook ». Édité par Örjan Sölvell, Göran Lindqvist, et Christian Ketels, no 28/08/2011. http://www.cluster-research.org/dldocs/GreenbookSep03.pdf.
- West, J., Salter,A., Vanhaverbeke, W. and Chesbrough. H. (2014). « Open Innovation : The next Decade ». Research Policy 43 (5) : 80511.