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Dans un contexte de fortes contraintes, notamment financières, d’accroissement de la demande de services publics, et d’émergence de problématiques, caractérisées, entre autres, par une très forte interdépendance entre acteurs, l’innovation s’impose progressivement dans l’agenda politique et administratif (Bekkers et Tummers, 2018). Celle-ci est souvent présentée comme la principale voie d’amélioration de l’efficacité et de l’efficience de l’action publique (Damanpour et Schneider, 2006; De Vries et al., 2018), mais aussi comme un vecteur de qualité des services publics (Jung et Lee, 2016). En témoignent les multiples rapports consacrés à ce sujet récemment, tant au niveau de l’État que sur le plan local, ainsi que les divers dispositifs et programmes destinés à encourager et à diffuser l’innovation publique (Arundel et al., 2015). Dans ce contexte, les innovations publiques locales, qui sont généralement polymorphes ou multidimensionnelles en étant organisationnelle, technologique ou de gouvernance (Vries et al., 2016) sont aujourd’hui largement privilégiées par les collectivités locales afin de gérer la crise des finances publiques locales.

Néanmoins, si les différentes catégories d’innovation publique locale se développent, peu d’études analysent de manière spécifique les déterminants propres à chacune d’entre elles ainsi que ceux qui leur sont communs. Or, l’enthousiasme suscité autour de ce mouvement et les espoirs placés dans les innovations publiques contrastent avec les résultats obtenus. Un certain nombre de recherches (Moynihan 2006; Van Dooren et Thijs 2010) font en effet état d’un taux d’échec ou d’insatisfaction importants en ce qui concerne des innovations managériales de type management par la performance. Bien que plébiscitées, ces innovations ont du mal à s’implanter et produire des résultats significatifs au sein du secteur public. La compréhension des facteurs d’adoption et de diffusion des innovations publiques locales est d’autant plus importante que, comme nous le montrons par la suite, les recherches dans ce domaine sont (1) relativement rares, notamment en ce qui concerne les études empiriques (Lewis et al., 2018), (2) qu’elles conduisent à des résultats contradictoires ou non conclusifs (Acker et Bouckaert, 2018) et (3) qu’elles ont tendance à se limiter à l’analyse d’une seule ou d’un nombre réduit de catégories de déterminants (Berry, 1994; Damanpour et Schneider, 2008), ou d’innovations (Walker, 2006; Damanpour, 1991).

En outre, les caractéristiques spécifiques des organisations publiques (spécificités d’organisation, de fonctionnement et de valeurs) suggèrent des conditions de mise en oeuvre distinctes du privé[1] (Birkinshaw et al., 2008), mais aussi des dynamiques d’implantation et de développement différenciées selon les types d’innovation publique qui se distinguent quant à leur objet, leur complexité et leur degré d’ouverture. Ceci est d’autant plus vrai pour les innovations dites locales ou territoriales. Ces innovations, qui sont rarement abordées en tant que telle par la littérature, se distinguent des autres innovations publiques à trois niveaux. Premièrement, elles ont une dimension/empreinte territoriale forte et sont marquées par les caractéristiques spécifiques de leur territoire d’appartenance (Oural, 2015). Deuxièmement, elles sont plurielles et varient fortement en termes de finalité, de portée et de complexité. Troisièmement, leur conception et leur implémentation relèvent dans leur ensemble d’un processus collaboratif et intègrent une diversité de parties prenantes (usagers, associations, autres niveaux administratifs, etc.). Dès lors, l’objectif de cette recherche est d’analyser l’influence potentielle de différents types de déterminants sur les catégories d’innovations publiques locales. La nature spécifique et plurielle des innovations locales ainsi que les limites de la littérature sur ce sujet conduisent à formuler la question de recherche suivante : les déterminants de l’innovation locale varient-ils selon les différentes catégories d’innovations locales ? Et si oui de quelle manière ? A l’instar de Acker et Bouckaert (2017) dans leur étude des conditions de survie de l’innovation publique, nous privilégions une recherche de type exploratoire et structurons notre étude empirique autour d’une question et d’une proposition générale de recherche.

L’originalité de notre recherche réside dans le fait d’associer les trois principales catégories de déterminants de l’innovation avec différentes formes d’innovation publique locale. Pour répondre à la problématique, une étude quantitative menée au niveau national auprès de 118 collectivités locales a permis d’étudier les relations entre les déterminants des innovations publiques locales et le type de l’innovation décrite par les répondants.

Cette recherche revêt un intérêt théorique, en apportant un éclairage sur les phases initiales (l’adoption et l’implémentation) de la dynamique d’innovation au sein du secteur public local. Par ailleurs, elle présente un intérêt pratique et managérial, en identifiant des leviers d’adoption et d’implantation communs mais aussi, et surtout, des leviers spécifiques à chaque type d’innovation.

Cadre de la recherche

Dans un premier temps nous explorons et caractérisons les différentes formes d’innovations publiques locales. Dans un second temps, et en nous appuyant sur le cadre théorique plus général de la dynamique d’adoption et de diffusion des innovations, nous recensons les principales familles de déterminants de l’innovation publique et mettons en évidence les limites de la littérature quant à notre objet de recherche. Cette partie se conclut sur la définition d’une proposition générale et de notre modèle de recherche.

Les différentes formes d’innovation publique locale

Bien que l’innovation soit un concept complexe et polymorphe, elle peut être définie, à l’instar de Rogers (2003) et Damanpour et Schneider (2008), comme un processus conduisant à l’adoption par une organisation de nouvelles idées, pratiques ou comportements.

Les recherches portant sur l’innovation publique distinguent trois catégories principales d’innovations dans le secteur public : les innovations de produits/services/politiques, les innovations de process ou organisationnelles, les innovations de gouvernance (Schneider, 2007; Walker, 2006; Derircioglu et Audretsch, 2017). Si les premières ont trait aux outputs de l’action publique, les secondes se rapportent aux modes d’organisation et de production des organisations publiques, alors que les troisièmes se réfèrent principalement à la gestion des relations entre l’organisation publique et ses partenaires dans la mise en oeuvre de politiques publiques.

Néanmoins, les classifications utilisées, bien qu’intéressantes, adoptent, selon nous, une approche trop globalisante, notamment en ce qui concerne les innovations organisationnelles et n’intègrent pas la diversité des innovations locales. Celles-ci regroupent en effet des objets très différents qui ont trait aussi bien à des pratiques et des structures (ou modes d’organisation), qu’à des techniques et procédés organisationnels et managériaux. Ces innovations internes sont d’autant plus importantes au niveau local que les tensions fiscales et financières ainsi que les réorganisations de type mutualisation poussent les collectivités locales à repenser en profondeur leur mode d’organisation et de management.

C’est pourquoi, les innovations organisationnelles peuvent être distinguées en deux catégories génériques : les innovations d’organisation ou de structure, les innovations de techniques et procédés managériaux (De Vries et al., 2016). Ainsi, l’innovation organisationnelle en tant que pratique et objet de recherche fait face à une situation paradoxale dans le secteur public. En effet, bien que représentant une part croissante des innovations publiques locales (Carassus et al., 2015), et malgré son influence positive sur la performance organisationnelle (Gieske et al., 2019), l’innovation organisationnelle a longtemps été considérée comme mineure et secondaire, notamment par rapport aux innovation technologiques qui ont concentré la majorité des recherches. Le cas des innovations organisationnelles est ainsi, selon nous, révélateur des faiblesses des recherches passées portant sur la dynamique d’innovation des organisations publiques à savoir un recours trop important aux cadres théoriques issus du privé, ainsi qu’une absence d’analyse différenciée entre les différentes catégories d’innovations publiques locales[2].

Enfin, une dernière limite de ces classifications peut concerner le manque de prise en compte des innovations relatives à la conception et à la mise en oeuvre des politiques publiques, et plus généralement, à leur gouvernance. En effet, le caractère de plus en plus complexe des enjeux territoriaux combiné à une diminution des ressources financières locales poussent les collectivités locales à repenser et inventer de nouvelles formes de production et de gouvernance des politiques publiques, généralement plus ouvertes et collaboratives (Crosby et al., 2017, Favoreu et al., 2016).

Au regard des développements précédents et en accord avec les typologies d’innovation publique de Walker (2006, 2007), De Vries et al. (2016), Torugsa et Arundel (2016) et de Derircioglu et Audretsch (2017), cinq catégories peuvent être distinguées (tableau 1) : les innovations de services, les innovations organisationnelles de structures, les innovations organisationnelles de techniques/pratiques, les innovations technologiques, les innovations portant sur la gouvernance et la stratégie.

Ainsi ces cinq catégories correspondent à l’ensemble des types d’innovations publiques recensés au sein de la littérature correspondante. Ce paragraphe permet de les recenser, de les définir et de mettre en évidence des caractéristiques propres à chacun d’entre eux. Ces derniers seraient ainsi susceptibles d’induire des facteurs d’adoption et d’implémentation différents. En conséquence, en vue de pallier les limites évoquées précédemment, cette recherche vise à isoler ces cinq types d’innovations publiques locales et à les mettre en relation avec les principales catégories de déterminants identifiées par la littérature et décrites ci-après.

Les déterminants de l’innovation publique locale

L’innovation émane généralement de différentes sources (internes et externes à l’organisation), répond à des besoins, des objectifs et des pressions qui sont souvent variés et spécifiques. C’est pourquoi, elle doit être appréhendée comme un concept multidimensionnel dont la dynamique est influencée par une diversité de facteurs internes et externes à l’organisation (Damanpour et Schneider, 2006). Dans ce sens, les recherches sur les antécédents de l’innovation considèrent généralement trois familles principales de facteurs : les facteurs environnementaux ou contextuels, les facteurs organisationnels, et les caractéristiques intrinsèques de l’innovation.

Tableau 1

Les types d’innovations publiques locales

Les types d’innovations publiques locales

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De plus, au regard de la littérature sur les déterminants de l’innovation et du changement organisationnel, deux approches classiques peuvent être distinguées servant de cadre théorique à notre recherche : l’approche volontariste ou intentionnelle d’une part, qui met l’accent sur la nature intentionnelle, rationnelle et planifiée du changement, et l’approche déterministe ou contrainte d’autre part. Dans le premier cas, l’innovation est portée par un agent du changement (Burke, 2002; Scott, 2001) et constitue une réponse ou un choix stratégique à un problème ou une opportunité organisationnelle. Dans cette configuration, le processus est également fonction des caractéristiques de l’innovation elle-même. Alors que dans le second cas, la dynamique d’innovation est contrainte par des caractéristiques environnementales de type socioéconomiques et par des pressions institutionnelles. On retrouve ici des facteurs traités dans le cadre de la théorie de la contingence et la théorie néo institutionnelle.

Ainsi, dans le secteur public, la majorité des recherches se sont focalisées sur les déterminants organisationnels ou environnementaux (Damanpour et Schneider 2008; Walker, 2006; Moynihan 2006, Bernier et al., 2015). Dans ce sens, Damanpour et Schneider (2006) ont mis en évidence l’influence positive des facteurs environnementaux de type croissance économique et démographique, taille du territoire et richesse fiscale sur la décision d’innovation des gouvernements locaux. Ces travaux s’inspirent alors du courant de la contingence qui considère l’innovation comme étant une adaptation des structures de l’entreprise à des modifications environnementales. En conséquence, celle-ci apparait comme une réponse à des enjeux en termes d’opportunités ou de menaces de développement (Walker, 2006, 2007). Au sein de cette catégorie de facteurs environnementaux, de nombreuses recherches, s’inspirant des théories néo-institutionnelles (DiMaggio et Powell, 1983; Weiltz et Shenhav, 2000), se sont ainsi concentrées sur la caractérisation de l’influence des pressions institutionnelles et du contexte politique sur les choix d’innovation. Dans ce cadre, la quête de légitimité et les phénomènes de mimétisme expliqueraient en grande partie la dynamique d’innovation au sein du secteur public.

Par ailleurs, un second groupe de recherches (Damanpour, 1991; Walker, 2007) s’est intéressé à l’influence d’une diversité de caractéristiques organisationnelles, dont la taille, la nature de la structure (organique ou mécaniste), la communication, les ressources, les relations intra organisationnelles, ou l’intégration. Au sein de cette catégorie de déterminants, le rôle et les caractéristiques des managers et des leaders politiques et administratifs ont fait l’objet d’analyses plus poussées (Damanpour et Schneider 2008). Ces dernières ont alors permis de mettre en évidence leur influence différenciée sur la dynamique d’innovation des organisations publiques.

Enfin, plus récemment, des recherches ont porté sur l’analyse de l’influence des caractéristiques perçues de l’innovation sur son processus d’adoption et de diffusion au sein du secteur public (Boyne et al., 2005; Damanpour et Schneider, 2008). En cela, ces recherches s’inspirent des travaux de Rogers (2003), et mettent en évidence l’influence de cinq catégories d’attributs de l’innovation sur son rythme d’adoption et de diffusion : l’avantage relatif, la compatibilité, la complexité, la possibilité d’essai et le caractère observable de l’innovation. Ainsi, plus l’innovation est perçue comme conférant un avantage relatif élevé, comme étant compatible avec les valeurs de l’organisation, et comme pouvant être essayée et observée avant d’être utilisée, plus sa diffusion sera rapide. Damanpour et Schneider (2008) mettent également en évidence l’influence sur la dynamique d’innovation d’attributs tels que le coût de l’innovation, sa complexité et son impact ou avantage.

En synthèse nous présentons ces trois grandes familles de déterminants dans le tableau 2 ci-dessous.

Tableau 2

Les types de déterminants des innovations publiques locales

Les types de déterminants des innovations publiques locales

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Les limites des recherches actuelles : une approche globalisante et indifférenciée de l’innovation publique

Les recherches sur les déterminants de l’innovation publique présentent au regard de notre objet de recherche trois limites principales. La première d’entre-elles, et la plus importante à nos yeux, tient au fait qu’elles adoptent une approche globalisante et indifférenciée du concept d’innovation publique. Ainsi, sous ce terme sont généralement regroupées une diversité d’innovations qui varient fortement quant à leur nature, leur finalité et leur ampleur. Dans ce sens, la recherche de Acker et Bouckaert (2018) sur les facteurs explicatifs de la survie des innovations publiques est illustrative de cette conception indifférenciée. En effet, si cette recherche intègre et distingue dans sa partie empirique différents types d’innovation publique (administrative, technologique, de gouvernance), elle n’en adopte pas moins une approche globalisante dans ses analyses, ses résultats et dans les implications théoriques et managériales qui en découlent. Il en va de même des travaux de Torugsa et Arundel (2016) sur les innovations publiques interdépendantes, de ceux de Dermircioglu et Audretsch (2017) sur les conditions d’innovations des organisations publiques australiennes ou bien encore des recherches de Lewis et al. (2018) sur la capacité d’innovation de trois métropoles européennes. Ainsi, dans la plupart des cas cités dans cette étude, le concept d’innovation qui est retenu est un agrégat d’innovations marketing, organisationnelle, de service et de gouvernance.

A l’inverse, certaines recherches tendent à généraliser leurs observations sur la base d’analyses ne prenant en compte qu’une seule catégorie d’innovation, généralement de type managérial. Il en va ainsi de travaux de Berry (1994) et de Damanpour et Schneider (2008). Enfin, la troisième limite tient au fait de ne considérer qu’un seul type de déterminant, le plus souvent de type organisationnel ou environnemental à l’instar de Walker (2006) et de Damanpour (1991).

Ainsi, l’absence de véritable conceptualisation de l’innovation publique[3], qui conduit à adopter une conception homogène et indifférenciée, est d’autant plus problématique qu’un certain nombre de recherches mettent l’accent sur les spécificités de certaines catégories d’innovations publiques, suggérant ainsi des conditions d’adoption et d’utilisation différentes. Dans ce sens, les études de Damanpour (2014) et de Tether et Tajar (2008) soulignent les différences profondes existant entre les innovations organisationnelles et les innovations techniques. En effet, la nature tacite des connaissances liées aux innovations organisationnelles (Birkinshaw et al., 2008), leur identification à des individus et donc leur moindre transférabilité, leur caractère systémique (leur influence et leurs ramifications sur d’autres éléments organisationnels), leur impact sur le système social de l’entreprise (Damanpour, 2014) sont autant d’éléments qui rendent leur condition d’implantation et de diffusion plus complexes que les innovations technologiques. Aussi, cette dernière caractéristique – la nature systémique - serait l’une des spécificités fondamentales des innovations organisationnelles. Effectivement, alors que les transformations des innovations technologiques concernent majoritairement le système technique de l’organisation, les innovations organisationnelles génèrent des évolutions profondes des modes de fonctionnement, des relations entre individus, et plus généralement, des interactions sociales internes. De ce fait, en réinterrogeant non seulement les pratiques mais aussi les valeurs et les représentations associées aux routines organisationnelles (Ayerbe et Fonrouge, 2005), ces innovations sont susceptibles de heurter et de remettre en cause le système de normes et de règles sociales en vigueur au sein de l’organisation. Ce risque de confrontation avec le système social interne est d’autant plus élevé dans le secteur public que lesdites innovations puisent leur fondement dans le secteur privé et dans les principes du New Public Management, et qu’elles remettent en cause le mode de fonctionnement bureaucratique et hiérarchique traditionnel, ainsi que les comportements et les routines organisationnelles qui y sont associés (la stabilité, le respect de la règle, etc.)[4].

Par ailleurs, plusieurs auteurs évoquent les spécificités de certaines innovations. C’est le cas, selon Walker (2006), des innovations de gouvernance qui portent sur les modes de définition et d’implantation dépendant de facteurs qui généralement échappent à l’organisation et se situent en dehors de celle-ci. Ces innovations, qui réinterrogent des processus de décision publique, principalement caractérisés par leur complexité et leur degré d’ouverture, se heurteraient à un certain nombre de freins et de blocages internes liés au management de la diversité des parties prenantes. Aussi, pour Torugsa et Arundel (2016) les innovations stratégiques et technologiques se situent en amont des innovations organisationnelles et sont souvent des déclencheurs ou des vecteurs de ces dernières. Enfin, selon Walker (2006), les innovations de services publics ne peuvent se comprendre et s’analyser qu’à travers les relations qu’elles entretiennent avec les usagers. Cette caractéristique implique une intégration de ces derniers lors du processus d’adoption et de diffusion de l’innovation et font du management des interactions et de la participation un facteur clé de succès.

FIGURE 1

Modèle de recherche

Modèle de recherche

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C’est pourquoi, face aux spécificités de chaque type d’innovation publique locale nous pouvons supposer que les déterminants des innovations varieront selon les catégories d’innovations publiques considérées, comme l’illustre notre modèle de recherche (figure 1). En effet, les limites de la littérature et des recherches actuelles (exposées précédemment) nous poussent à nous interroger sur l’influence potentielle de trois types de déterminants (environnementaux, managériaux, et propres à l’innovation) sur l’adoption et l’implantation de cinq catégories d’innovations publiques locales et à tester, dans une démarche exploratoire, la proposition suivante : les catégories génériques de déterminants de l’innovation publique ont une influence différenciée selon la catégorie d’innovation publique locale considérée.

Methodologie et resultats obtenus

Au cours de cette seconde partie, nous confrontons notre cadre d’analyse au terrain public local, à travers la proposition de recherche formulée précédemment. Pour ce faire, nous présentons d’abord la démarche de cette recherche. Ensuite, une seconde sous-partie est dédiée à l’exposé des résultats quantitatifs descriptifs, avant les résultats des trois catégories de déterminants en fonction des cinq types d’innovations publiques locales identifiés.

Une méthodologie quantitative

Pour répondre à notre problématique, nous avons eu recours à un questionnaire national, adressé à des managers territoriaux. Le terrain de recherche est ainsi constitué d’une base de données d’emails de responsables de structures publiques françaises (des collectivités locales et des SDIS notamment), à qui nous avons proposé de répondre à un questionnaire disponible en ligne. Ce dernier comportait une partie signalétique, une partie sur la présentation de l’innovation étudiée, puis une troisième partie sur la mise en oeuvre et ses déterminants[5]. Envoyé en juin 2017, le questionnaire a permis de collecter 118 réponses complètes sur l’ensemble des déterminants des innovations publiques locales. Le tableau 3 expose les caractéristiques des répondants et des innovations pour les questionnaires complets.

Tableau 3

Description des répondants et des innovations

Description des répondants et des innovations

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Ainsi, les répondants représentent chaque strate de l’administration locale française, à des échelles distinctes et des fonctions différentes, ce qui permet de construire une étude représentative des pratiques d’innovation publique locale. On note que la part des acteurs politiques est faible par rapport aux répondants administratifs, ce qui peut entrainer des opinions orientées sur les questions de leadership.

Les échelles de mesure portant sur les trois types de déterminants identifiés dans la littérature (déterminants internes à la collectivité, environnementaux, et endogènes à l’innovation) ont été testées auprès de 8 collectivités pour apprécier les construits. Les items des échelles de mesures des différents construits sont donnés dans l’annexe 1. L’analyse factorielle montre que les items appartiennent bien à une même composante et valide la segmentation en trois types de déterminants.

Nous avons par la suite étudié les liens entre chacun de ces trois déterminants et les cinq types d’innovations publiques locales identifiées dans la littérature (tableau 1) en recourant aux régressions logistiques multinomiales[6]. Il ne s’agit pas d’utiliser la structure du modèle de régression fourni par le logiciel (en l›espèce SPSS) mais d’identifier l’influence de chaque déterminant sur chaque type d’innovation à partir du Bêta attendu[7] (libellé exp(b), dans le tableau dont un extrait est proposé en annexe 2).

Dans ce cadre, nous présentons les statistiques descriptives pour chacun des déterminants identifiés, puis les statistiques compréhensives du phénomène étudié (tableaux des paramètres des régressions), avant de discuter les résultats qui mettent en avant des facteurs communs mais aussi spécifiques à chaque type d’innovation locale.

Les statistiques descriptives des déterminants

Les statistiques des déterminants des différentes formes d’innovations publiques locales sont présentées dans le tableau 4 ci-dessous.

Tableau 4

Description des réponses sur les déterminants[8]

Description des réponses sur les déterminants8

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Les résultats mettent en évidence que si des facteurs de contexte ou d’environnement peuvent expliquer l’adoption d’une innovation publique locale, ils n’apparaissent pas influents pour nos répondants. A l’inverse, des facteurs internes, notamment les leadership administratif et politique, ont une influence relativement plus importante, et les facteurs spécifiques à l’innovation obtiennent les résultats les plus élevés.

Nous cherchons désormais à spécifier l’influence de ces critères pour chacun des types d’innovations publiques locales identifiés dans la revue de littérature.

Des influences différenciées entre les types d’innovation et les trois catégories de déterminants

En nous appuyant sur l’étude des bêtas obtenus par les régressions multinomiales entre le type principal d’innovation (variable dépendante nominale en 5 modalités) et les trois familles de déterminants mobilisées antérieurement (variables explicatives mesurées sur une échelle de Likert en 5 points), nous détaillons nos résultats déterminants par déterminants, par ordre croissant en fonction de leur importance globale. Ainsi, les résultats obtenus laissent percevoir toutefois des degrés d’influence plus ou moins forts à l’intérieur de chaque déterminant.

Les liens entre déterminants environnementaux et innovations publiques locales

Nous commençons par l’analyse de l’influence des déterminants environnementaux pour les cinq types d’innovations publiques locales identifiés (tableau 5).

Premièrement, pour les innovations de service, nous relevons l’importance de facteurs concernant le contexte public local et la situation sociale, alors que la situation géographique et démographique, ainsi que le contexte culturel ne semblent pas influencer ce type d’innovation. Ensuite, les innovations organisationnelles-structurelles apparaissent dépendre du contexte public local, mais aussi des facteurs géographiques et démographiques du territoire. En revanche, les pressions normatives ne paraissent pas influencer ces innovations. A l’inverse, ce dernier facteur joue un rôle important pour les innovations organisationnelles-pratiques. En effet, les contraintes institutionnelles règlementaires (normes, réformes, etc.) influencent fortement l’adoption et la mise en oeuvre de ces dernières innovations. Par ailleurs, les innovations technologiques sont elles aussi fortement déterminées par les pressions normatives, et de manière moins marquée, par la situation sociale et le contexte local culturel. Enfin, pour les innovations stratégiques et de gouvernance, le facteur géographie et démographie du territoire est celui qui semble le plus influençant. De manière moins importante, ces innovations sont également caractérisées en partie par le contexte public local, l’implication du milieu associatif, culturel et citoyen et l’influence d’autres organisations.

Tableau 5

Synthèse des paramètres de régression relativement aux déterminants environnementaux[9][10]

Synthèse des paramètres de régression relativement aux déterminants environnementaux910

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Au global, la variable « contexte public local » (reposant sur un critère financier) apparait relativement importante dans les innovations, hormis les innovations technologiques. De plus, la variable « pressions normatives » est particulièrement importante pour les innovations organisationnelles-pratiques et les innovations technologiques.

Les liens entre les déterminants internes et les innovations publiques locales

Dans un second temps, nous avons analysé l’influence des déterminants internes sur chaque type d’innovations (tableau 6).

Ainsi, nos résultats montrent, tout d’abord, pour les innovations de services, des déterminants internes significatifs liés aux ressources mobilisées (à un niveau mitigé), ainsi que la structure de pilotage et le poids d’un leader administratif (à un niveau plutôt important), alors que le leader politique aurait un rôle plutôt réduit dans ce type d’innovation.

Ensuite, en ce qui concerne les innovations organisationnelles, certains facteurs sont significatifs à la fois pour les innovations orientées structure et celles focalisées sur les pratiques, comme les ressources mobilisables, la culture de l’organisation, ou encore la dynamique organisationnelle. En revanche, les innovations organisationnelles de type structurel présentent la spécificité de connaître une forte influence du leadership administratif.

Concernant les innovations technologiques, elles apparaissent elles aussi marquées par l’importance de l’implication d’un acteur administratif (DGS, DGA, etc.), mais également, dans une moindre mesure, par un facteur lié à la dynamique organisationnelle, c’est à dire à l’expérience de la collectivité liée à des innovations antérieures.

Enfin, les innovations stratégiques et de gouvernance paraissent influencées par des déterminants liés à la culture organisationnelle et la quantité de ressources. L’expérience en matière d’innovation, le leadership administratif et l’existence d’une structure de pilotage constituent également des déterminants de ces innovations mais de manière plus mesurée.

Globalement, la quantité de ressources mobilisables et le leader administratif se retrouvent dans une majorité des innovations identifiées. Nous notons aussi que la culture apparait déterminante pour les innovations stratégiques et de gouvernance, et dans une moindre mesure pour les deux types d’innovations organisationnelles. Par ailleurs, la dynamique organisationnelle apparaît dans quatre types d’innovations mais pour un niveau mitigé, ce qui confirme la faible moyenne et l’écart-type obtenu avec les statistiques descriptives. Ce facteur ferait alors référence a un caractère très contingent de l’innovation publique locale.

Tableau 6

Synthèse des paramètres de régression relativement aux déterminants internes

Synthèse des paramètres de régression relativement aux déterminants internes

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Tableau 7

Synthèse des paramètres de régression relativement aux déterminants endogènes (caractéristiques de l'innovation)

Synthèse des paramètres de régression relativement aux déterminants endogènes (caractéristiques de l'innovation)

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Les liens entre les déterminants endogènes et les innovations publiques locales

Nos derniers résultats compréhensifs s’intéressent à l’influence des déterminants endogènes, qui sont les plus importants d’un point de vue descriptif, sur les différents types d’innovations publiques locales (tableau 7).

Comme le suggéraient les résultats des statistiques descriptives, nos analyses font état de l’influence importante de plusieurs déterminants intrinsèques aux innovations. Plus précisément, concernant les innovations de service, tout d’abord, les déterminants mis en évidence sont la frugalité, l’adaptabilité, et dans une moindre mesure les avantages relatifs, la complexité et l’observabilité de l’innovation.

Deuxièmement, en ce qui concerne les deux innovations de nature organisationnelle, comme précédemment, certains facteurs paraissent communs à ces deux types d’innovations, tels que les avantages relatifs fournis par les innovations, ou encore leur caractère complexe. En revanche, d’autres déterminants sont exclusifs à l’une de ces deux formes d’innovations. D’une part, l’innovation organisationnelle orientée structure se caractérise de manière spécifique par des déterminants liés à sa compatibilité, c’est à dire l’adéquation de l’innovation avec les valeurs et les pratiques de la collectivité, ainsi que par le caractère adaptable de l’innovation en fonction des besoins des agents. D’autre part, l’innovation organisationnelle focalisée sur les pratiques se distingue par des déterminants liés à la dimension frugale de l’innovation, permettant de faire mieux avec moins, mais aussi de façon moins importante par le caractère observable de l’innovation permettant aux agents d’en connaître les résultats attendus. En complément, nous pouvons souligner que la complexité de ce type d’innovation, lorsqu’elle est perçue comme faible, apparaît comme un facteur important d’engagement.

Ensuite, les innovations technologiques dans le secteur public local semblent dépendantes de facteurs propres liés à l’adaptabilité, à la nature simple ingénieuse et peu coûteuse (caractère frugal), ainsi qu’au degré de complexité perçu par les acteurs. Pour finir, les innovations stratégiques et de gouvernance dépendent, elles, de l’avantage relatif qu’elles procurent, de leur capacité à être observées afin de permettre la compréhension de leurs résultats, ainsi que de leur adaptabilité mais de façon plus mesurée.

Au total, nous retrouvons l’importance du déterminant « avantages relatifs », influant pour les innovations organisationnelles, de services, stratégiques et de gouvernance, même s’il n’est que peu influant dans les innovations technologiques. De plus, quatre types d’innovations parmi les cinq admettent des déterminants relatifs au caractère collectif (compatibilité, adaptabilité) de l’innovation. Enfin, le critère frugal apparaît relativement influant puisque l’économie de moyens associée au développement de l’innovation serait importante selon les répondants dans trois catégories d’innovations. Ce résultat peut être mis en parallèle avec la moyenne élevée obtenue par les items « ressources mobilisées » en déterminant interne à la collectivité et « contexte financier local » en déterminant externe (tableau 4). Dans ce sens, la dimension financière semble importante dans les trois types de déterminants d’innovations avec des particularités pour l’innovation publique locale de type technologique qui semble moins concernée.

Par la suite, nous proposons une synthèse et une discussion de ces résultats au regard de la littérature mobilisée.

Discussion : synthèse et implications de l’étude

Notre étude porte sur l’influence de trois types de déterminants identifiés dans la littérature sur plusieurs catégories d’innovations publiques locales. En cela nos travaux représentent un apport vis-à-vis des recherches existantes (Torugsa et Arundel, 2016; Damanpour et Schneider, 2006; Dermircioglu et Audretsch, 2017, Arundel et al, 2015) qui privilégient une approche globale et uniforme de l’innovation. Notre objectif était de contribuer à une meilleure connaissance de la diffusion des différentes catégories d’innovations publiques locales en nous situant sur les phases initiales du processus et sur leurs antécédents.

En synthèse, le tableau 8 ci-dessous présente les résultats obtenus pour les cinq catégories d’innovations managériales identifiées dans la littérature. Celui-ci nous permet, d’une part, de mettre en exergue des déterminants communs à plusieurs types d’innovations, et d’autre part, de pointer des déterminants apparaissant plutôt comme spécifiques. Par ailleurs, notre étude soulève aussi des questionnements émergent liés à des influences opposées de certains facteurs d’une innovation à l’autre, ou encore à des déterminants qui ne semblent influencer aucune des innovations publiques locales. Nous discutons ces points par la suite.  

Tableau 8

Synthèse des déterminants pour l'adoption et la mise en oeuvre des innovations étudiées

Synthèse des déterminants pour l'adoption et la mise en oeuvre des innovations étudiées

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Les déterminants communs aux innovations publiques locales

En premier lieu, nos résultats indiquent l’importance de certains facteurs communs pour plusieurs innovations développées au sein du secteur public local. Dans ce sens, le facteur « contexte public local » est identifié comme un déterminant important pour les innovations organisationnelles et de services. En effet, les collectivités locales évoluent dans un univers particulièrement contraint et changeant, les poussant à adopter des innovations en vue d’améliorer l’efficacité et l’efficience de l’action publique (Damanpour et Schneider, 2006), mais aussi de promouvoir la qualité des services publics (Boyne et al, 2005; Jung et Lee, 2016). En revanche, en matière de technologies tout comme pour la stratégie et la gouvernance, nous constatons la moindre importance de ce facteur, plutôt conjoncturel. D’une part, les innovations technologiques sont soumises à des pressions normatives, puisqu’elles peuvent être poussées par des injonctions étatiques, des réformes, ou des normes (comme la dématérialisation de la facturation par exemple). D’autre part, les innovations stratégiques et de gouvernance sont davantage impactées par les ressources et les caractéristiques territoriales.

Ensuite, au sein de la catégorie des déterminants internes aux organisations, le facteur « leader administratif » intervient dans trois types d’innovations publiques locales (organisationnelles-structure, de services, et technologiques), et l’item « ressources mobilisables » est présent dans les deux autres formes d’innovations. Ces résultats vont dans le sens de la littérature particulièrement riche sur le rôle et l’action des leaders, comme des acteurs du changement (Walker, 2006) capables également de mobiliser et d’organiser les ressources autour d’une innovation (Howell et Shea, 2001). Notre étude confirme aussi l’importance d’un leadership de type technico-administratif et vont dans le sens des travaux de Bryson et Roering (1988) et de Carassus et al. (2014) sur le leadership administratif. Ces résultats inscrivent ces déterminants dans une approche volontariste du changement et de l’innovation publique (Damanpour et Schneider, 2008; Elenkov et al., 2005). Ainsi, la diversité des freins[11] à l’innovation et au changement dans le secteur public (Bartoli, 2015; Boukamel et Emery, 2018) expliquerait le rôle clé et l’importance de cet acteur.

Enfin, des facteurs propres aux innovations paraissent déterminants pour plusieurs catégories d’innovations publiques locales, à savoir la perception de l’avantage que ces dernières procurent et l’adéquation de l’innovation avec les valeurs de la collectivité. Nous rejoignons dans ce sens Boyne et al., (2005), ou encore Damanpour et Schneider (2008), qui soulèvent l’importance des caractéristiques perçues de l’innovation sur son adoption et sa diffusion. De surcroit, le caractère frugal des innovations revêt un caractère important, ceci semble aller dans le sens du déterminant « contexte financier local » évoqué précédemment, puisque ces deux facteurs ressortent pour les innovations de services, et organisationnelles-pratiques. Effectivement, les collectivités locales sont amenées à privilégier une ingénierie spécifique d’innovation, ayant un impact minime sur les ressources à engager (Radjou et al., 2013), pour « faire mieux avec moins ». Pour finir, nous constatons la nécessité de prévoir l’adaptabilité des innovations, notamment pour celles de services, organisationnelles-structures ainsi que technologiques. En effet, l’interprétation et l’adaptation des changements par les acteurs qui en sont les destinataires a fait l’objet d’une littérature riche, questionnant les modalités d’appropriation des changements (De Vaujany, 2006).

Des facteurs spécifiques à certains types d’innovations

Par ailleurs, des déterminants paraissent influencer spécifiquement certaines innovations publiques locales. D’abord, les innovations de services sont les seules à dépendre de la situation sociale (pauvreté, inégalités, tensions sociales, etc.). La dimension territoriale est en effet beaucoup plus marquée pour des innovations qui sont en prise directe avec les besoins et les demandes des usagers. De plus, de manière spécifique, ce type d’innovation dépend de la mise en place d’une structure de pilotage dédiée. Dans ce sens, de plus en plus de collectivités locales sont engagées dans des démarches d’interactions et de co-développement des services publics avec les citoyens/usagers/parties prenantes, dans le cadre d’une gouvernance collaborative et ouverte (Chia et al., 2008). Ceci confirme les analyses de Walker et al. (2002) sur les spécificités des innovations de services publics liées aux interactions entretenues, lors de la mise en oeuvre, avec des acteurs externes. Ainsi, une structure de pilotage dédiée semble être un facteur clé dans le management des interactions, et dans la capacité de l’organisation à générer une innovation collaborative en lien avec le milieu local.

Deuxièmement, concernant les innovations organisationnelles-structures, nous constatons des déterminants spécifiquement liés à la situation géographique et démographique du territoire, ou encore à la compatibilité de l’innovation avec les valeurs de la collectivité. Les efforts de mutualisation, de regroupement de ressources, de réorganisation de services et de directions territoriales, opérés par certaines collectivités afin de lutter contre la dispersion de moyens et les effets de doublons (Marcou, 2015), pourraient expliquer le poids de ces facteurs démographiques et géographiques. De plus, il semble que la mise en oeuvre d’innovations organisationnelles liées à de nouvelles structures, soient logiquement assez dépendantes des caractéristiques, des pratiques et des valeurs d’une organisation.

En matière d’innovations organisationnelles focalisées sur les pratiques, nous relevons des spécificités liées aux pressions normatives et coercitives, mais aussi à l’importance d’une culture interne favorable à la prise de risque, l’initiative et la créativité. Ce dernier déterminant semble en effet important pour ce type d’innovation, fondé sur les techniques managériales et les pratiques de gestion. Aussi, les logiques de mimétisme, d’influence normative et de pressions institutionnelles (DiMaggio et Powell, 1983; Weiltz et Shenhav, 2000), semblent pousser à l’adoption de ces innovations. De même, les innovations technologiques sont également influencées positivement par les contraintes institutionnelles réglementaires (réformes, normes). Ces résultats vont dans le sens des travaux de Moon (2002) et de ceux de Meijer et Bolivar (2015) qui mettent en avant les effets de mimétisme, les logiques de rhétorique et les pressions normatives associés au développement du e government, de la digitalisation des services publics et de la smart city.

En ce qui concerne la cinquième catégorie, les innovations stratégiques et de gouvernance, nous avons mis en évidence des déterminants spécifiques liés aux caractéristiques démographiques et géographiques de l’environnement local et à l’observabilité de l’innovation. Effectivement, l’importance des ressources et des expertises que nécessitent ce type d’innovations font qu’elles sont souvent associées à des collectivités de grande taille. Ainsi l’environnement et les caractéristiques du territoire semblent déterminer en partie la capacité d’innovation des collectivités locales dans ce domaine, tout comme la possibilité pour les acteurs locaux de percevoir les résultats attendus de la mobilisation de technologies innovantes.

Des résultats émergents contre intuitifs

Pour finir, cette étude soulève certains questionnements. En premier lieu, il apparaît que l’influence de certains facteurs soit différenciée selon les innovations (influence nulle ou influence forte). En effet, ce phénomène émerge de l’analyse des résultats des déterminants endogènes. Dans ce sens, les facteurs « observabilité » et « frugalité » obtiennent un niveau 1 pour certaines innovations et un niveau 4 pour d’autres. De même, les facteurs « avantages relatifs » et « compatibilité » ont un niveau 2 pour des innovations et un niveau 4 pour d’autres. Cette spécificité nous parait importante à souligner pour les recommandations managériales découlant de notre étude. Ainsi, pour les innovations organisationnelles de type structure, les déterminants « observabilité » et « frugalité » n’ont pas d’influence, mais l’observabilité sera importante pour une innovation stratégique, et la frugalité influencera favorablement les innovations technologiques.

En second lieu, nous revenons sur la faible importance de facteurs qui ne semblent que peu influant sur les innovations publiques locales. C’est notamment le cas de déterminants à dimension plutôt politique, que sont le contexte politique, l’influence des réseaux, ou bien le leadership politique, dont les résultats étaient plutôt faibles dans les statistiques descriptives (tableau 3). De surcroît, les régressions n’ont pas fait apparaître d’influence que ce soit pour le contexte politique ou bien les réseaux, et mentionnent une faible influence du leadership de type politique. Si cette faible influence du leadership politique dans tous les types d’innovations publiques locales, peut paraître surprenante, elle peut trouver son explication à la fois dans la faible part d’acteurs politiques dans les répondants à notre étude, mais aussi dans l’avènement de processus de plus en plus collaboratifs et ouverts associés à ces formes d’innovations. La conduite des démarches stratégiques territoriales, et plus généralement le management stratégique public, reposent en effet de moins en moins sur un leader public unique ou une organisation publique pivot, mais de manière croissante sur des réseaux collaboratifs intra et inter organisationnels (Crosby et al., 2017) et sur un leadership partagé.

Conclusion

Cette recherche permet à la fois de conforter et de préciser notre proposition selon laquelle les catégories de déterminants ont une influence différenciée sur les types d’innovations publiques locales. Jusqu’à présent, peu de recherches ont abordé l’ensemble des déterminants de l’innovation publique. Pour celles qui l’ont fait, elles n’ont toutefois pas permis de mettre en perspective ces déterminants avec la diversité des innovations publiques locales.

Ainsi, cette recherche revêt un intérêt théorique, en apportant un éclairage sur les facteurs d’adoption propres aux différents types d’innovations publiques locales. De plus, nous distinguons au sein des catégories de déterminants, des facteurs spécifiques conduisant à une analyse plus détaillée des antécédents de l’innovation publiques locales. Sur le plan managérial, des préconisations prenant la forme de facteurs clés de succès, peuvent être mis en avant selon les innovations identifiées, afin de guider les collectivités locales dans les étapes d’adoption et de mise en oeuvre de leurs innovations. En effet, en complément d’une ingénierie simple et peu coûteuse (caractère frugal), et du développement d’un leadership administratif, certaines préconisations apparaissent comme spécifiques aux innovations développées. De surcroît, la communication sur les différentes caractéristiques de l’innovation -notamment en termes de finalités et d’avantages - s’avère fondamentale afin de réduire les barrières et oppositions au changement. Ainsi, au regard de cette étude et s’agissant des innovations de services, nous pouvons par exemple préconiser aux organisations publiques locales d’engager des processus de gouvernance collaboratifs et ouverts, ou encore de développer leur appréhension des besoins sociaux. Nous pouvons aussi recommander, pour les innovations organisationnelles-pratiques, de veiller à développer la capacité de la collectivité à promouvoir une culture d’innovation, permettant aux agents de prendre des risques et des initiatives.

Notre recherche témoigne des spécificités de l’innovation publique qui s’expriment à travers le poids de déterminants qui aident à dépasser les barrières ou les freins propres au changement dans le secteur public. Ainsi, l’importance du leadership administratif s’expliquerait par la nécessité de lutter contre des freins culturels et comportementaux, caractéristiques du secteur public (Boukamel et Emery, 2018), et des rigidités structurelles et organisationnelles liées au modèle bureaucratique. Les dispositifs de pilotage s’avèrent déterminants pour gérer la complexité d’un processus d’innovation qui inclut une diversité de parties prenantes et qui, à l’instar des processus de décision publique, est largement ouvert sur son environnement. Sur cette thématique, des études qualitatives pourraient se concentrer sur la caractérisation de la nature de l’influence de ces déterminants sur les barrières à l’innovation publique. Ainsi, des prolongements pourraient porter sur les stratégies et les actions mises en place par les leaders afin de modifier les freins culturels et comportementaux. Il serait aussi intéressant d’étudier l’influence de dispositifs tels que les laboratoires d’innovation sur la capacité d’innovation des agents publics et sur le développement d’une ambidextrie organisationnelle.

Au-delà de ces intérêts scientifiques et managériaux, cette étude présente toutefois certaines limites. En effet, notre recherche exploratoire ne constitue qu’une première appréhension des liens entre déterminants et types d’innovations publiques locales. Aussi, les résultats se fondent sur les perceptions des répondants des impacts de chaque déterminant. De plus, nous nous sommes concentrés ici sur les phases d’adoption et de mise en oeuvre des innovations, ce qui pourra nous amener, dans le futur et à l’instar de Birkinshaw et al. (2008), à analyser l’influence des facteurs que nous avons identifiés sur d’autres étapes du cycle de vie d’une innovation, notamment celles de l’institutionnalisation et de l’appropriation, voire de l’abandon.

Enfin, une recherche longitudinale de type qualitatif permettrait d’introduire une dimension historique et d’entrer dans le détail du processus d’adoption et de diffusion des innovations publiques locales. Ce type d’étude permettrait ainsi d’appréhender et d’explorer les interactions et les complémentarités susceptibles d’exister entre les différents types d’innovations publiques (Favoreu et al., 2018).