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Makers : enquête sur les laboratoires du changement social, Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau, Michel Lallement Seuil Éditeur, 2018[Notice]

  • Frédérick Plamondon

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  • Frédérick Plamondon
    Département des relations industrielles, Université Laval

L’ouvrage cosigné par Berrebi-Hoffmann, Bureau et Lallement, Makers : enquête sur les laboratoires du changement social (2018), s’inscrit dans la foulée de L’âge du faire : hacking, travail, anarchie (2015), avec lequel il entretient d’ailleurs suffisamment de proximité pour qu’on puisse le qualifier de suite ou de « tome 2 ». Les deux ouvrages ont en partage un intérêt porté aux rapports entre la technologie, les mutations des activités productives et le changement social, notamment sur l’émergence de ce que les autrices et l’auteur nomment les makerspaces, des espaces productifs communautaires (EPC) existant à la marge du capitalisme et du salariat et qui ne sont ni des ateliers privés ni des lieux de travail. Les EPC sont des espaces hybrides, des tiers-lieux, animés par une volonté de produire et d’innover en toute autonomie, ce qui implique évidemment de pouvoir choisir le lieu et le temps où se dérouleront l’activité. Cela dit, les EPC ne sont pas complètement autogérés, ils sont des lieux de culture et de production où une certaine mesure de gouvernance verticale est souvent nécessaire. Cette tension entre les activités autonomes et hétéronomes meuble et façonne les rapports sociaux au sein des EPC. Pour Berrebi-Hoffmann, Bureau et Lallement, ces espaces productifs ne peuvent pas être réduits à un effet de mode ni à des clubs sociaux facilitant la participation à un passe-temps. Au contraire, les makerspaces seraient des espaces critiques donnant une voix à ceux et celles souhaitant s’engager dans des activités productrices en toute autonomie. Empruntant la même perspective que Lallement (2015), cette récente contribution est propulsée par plusieurs interrogations : qui sont les makers et que font-ils ? Quels impacts ont et auront leurs activités sur nos sociétés ? De manière plus générale, la popularité grandissante de ces EPC annonce-t-elle des nouvelles formes de rapports productifs ? Le cas échéant, en quoi ces nouvelles formes contribuent-elles à transformer la société ? Dès les premières pages, les chercheurs campent leurs réflexions sur le fond de la révolution numérique et de ses conséquences sur l’ordre productif, mais en attribuant aux makerspaces un caractère singulier. En effet, si ces tiers-lieux alternatifs dépendent souvent des technologies numériques, ils constitueraient néanmoins des innovations sociales. En somme, les makerspaces et leurs habitants, les makers, ne seraient pas nécessairement solubles dans le capitalisme. En ce sens, les EPC pourraient fort bien nous inviter à repenser le capitalisme, ses institutions et les organisations. Dans les deux premiers chapitres, les auteurs s’emploient à définir et à caractériser le mouvement makers. On retrace l’histoire du mouvement jusqu’au 18e siècle, alors que des artisans, les shakers, jettent les bases de la philosophie du faire. Contre le capitalisme industriel, les shakers proposent un modèle coopératif qui repose sur un principe de propriété commune et qui permet de s’extraire de la logique de marché. Outre qu’il se place en porte-à-faux avec le capitalisme, le modèle shakers ne fait pas non plus l’économie de l’esthétisme et de la philosophie, le Beau et le Bien y jouant des rôles importants. En effet, Berrebi-Hoffmann, Bureau et Lallement indiquent que le mode de vie des shakers, entre l’ascèse et l’artisanat, permet à ces derniers de s’émanciper des logiques commerciales et de prétendre à l’autonomie : chez eux, on peut produire de beaux objets tout en oubliant les maux du travail hétéronome, soit de l’activité productive déterminée par le capital et ses représentants. Le projet des shakers rend manifeste une volonté d’émancipation qu’on retrouve aussi chez ceux et celles s’impliquant dans les mouvements Arts & Crafts et Do It Yourself (DIY). Ces mouvements sont aussi des écoles …