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Dans l’exercice de son travail, l’individu est au coeur d’un système d’attentes plus ou moins explicites : les siennes, et celles émises par l’organisation en provenance de son supérieur hiérarchique, de ses collègues, de ses collaborateurs, etc. Royal et Brassard (2010, p. 27) définissent ainsi les tensions de rôle comme un « sentiment qu’éprouve une personne dans une situation où il lui est difficile, voire impossible, de répondre à toutes ces attentes de façon satisfaisante tant à ses yeux qu’aux yeux des personnes qui les formulent ».

La notion de tensions de rôle, qui renvoie à une littérature abondante et ancienne (e.g. House et Rizzo, 1972; Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek, 1964; Rizzo, House et Lirtzman, 1970), fait l’objet d’un nouveau regain depuis les années 1990 dans la recherche francophone (e.g. Borgi, 2002; Brunel et Grima, 2010; Commeiras, Loubes et Fournier, 2009; Grima, 2000, 2004ab; Loubes, 1997; Rivière, Commeiras et Loubes, 2013; Royal et Brassard, 2010). Ce fort engouement est à la mesure des enjeux que le conflit, l’ambiguïté ou encore la surcharge de rôle sous-tendent d’un point de vue managérial. En effet, le contexte actuel de pression économique et de transformations organisationnelles ravive les tensions de rôle au travail dont de nombreuses études (Fisher et Gitelson, 1983; Jackson et Schuler, 1985; Van Sell, Brief et Schuler, 1981) ont montré les effets négatifs tant sur le plan organisationnel (e.g. absentéisme, départ volontaire) qu’individuel (insatisfaction au travail, réduction de l’implication, renforcement du stress, etc.). De même, la surcharge de rôle est associée à des conséquences négatives, notamment pour l’individu (e.g. burnout, stress) (Surana et Singh, 2013).

Malgré cette littérature foisonnante, notamment sur la nature, les antécédents et les conséquences des tensions de rôle, un paradoxe important demeure. Alors que l’approche conceptuelle des tensions de rôle repose sur une vision multidimensionnelle du construit Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek (1964), l’échelle de mesure (Rizzo, House et Lirtzman, 1970) utilisée dans plus de 85 % des recherches (Van Sell, Brief et Schuler, 1981; Fisher et Gitelson, 1983; Jackson et Schuler, 1985) est unidimensionnelle et ne permet pas de rendre compte des fondements conceptuels dont elle découle (Breaugh, 1986; Harris, 1991; Jackson et Schuler, 1985; Kelloway et Barling, 1990; King et King, 1990; Perrot, 2000; Tracy et Johnson, 1981). Outre les limites associées à la formulation des items (Tracy et Johnson, 1981; Mac Gee et al, 1989), le manque de considération de la nature protéiforme des tensions de rôle explique sans doute les nombreuses contradictions des résultats des études qui s’y rapportent (Jackson et Schuler, 1985; Fisher et Gitelson, 1983; Tracy et Johnson, 1981; King et King, 1990; Miles, 1976; Perrot, 2000). Comme le souligne la méta-analyse d’Örtqvist et Wincent (2006), les conflits, l’ambiguïté et la surcharge de rôle ont pourtant des effets différenciés sur les comportements et attitudes au travail (e.g. engagement organisationnel). Certains chercheurs considèrent même que la fréquence de l’utilisation passée de cette échelle est aujourd’hui la principale justification de son utilisation (Perrot 2000).

Par ailleurs, les quelques approches multidimensionnelles des tensions de rôle (e.g. Breaugh et Colihan, 1994; Chonko, Howell et Bellenger, 1986; Perrot, 2000; Sawyer, 1992) ne se recoupent que partiellement et restent très spécifiques au terrain d’étude. L’utilisation de concepts différenciés ruine les efforts de généralisation en ne permettant pas la cumulation des recherches dans ce domaine.

L’objectif de cette note de recherche est de mieux comprendre la nature multidimensionnelle des tensions de rôle. Pour y parvenir, une synthèse des formes de tensions de rôle présentes dans la littérature en management est d’abord présentée. Dans un second temps, une grille d’analyse transverse est proposée, à partir de dimensions des tensions de rôle extraites de la littérature. Cette grille d’analyse fait l’objet d’une discussion dans la dernière partie de cette note de recherche.

Les formes de tensions de rôle identifiées dans la littérature

À la suite de ces travaux fondateurs, proposant un socle théorique multidimensionnel des tensions de rôle, quelques recherches constituent un premier pas pour tenter de reconnaître leur nature protéiforme. Comme évoqué précédemment, la notion de tensions de rôle regroupe les concepts de conflits, d’ambiguïté, et de surcharge de rôle, dont différentes facettes ont été identifiées dans la littérature.

Les différentes formes de conflits de rôle

Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek (1964) et Katz et Kahn (1966) définissent les conflits de rôle comme l’occurrence simultanée d’au moins deux demandes incompatibles relatives au travail demandé. Ils identifient quatre types de conflits de rôle : les conflits intra-émetteur, inter-émetteurs, inter-rôles et les conflits personne-rôle. (1) Un conflit intra-émetteur fait référence au fait de percevoir des attentes incompatibles d’un même émetteur de rôle. (2) Un conflit inter-émetteur se produit lorsque ces attentes conflictuelles sont exprimées par plusieurs émetteurs de rôle. (3) Le conflit inter-rôle apparaît lorsqu’un même individu doit tenir plusieurs rôles et perçoit des demandes incompatibles associées à ces différents rôles. (4) Lorsque la personne focale est soumise à des attentes de rôle qui entrent en contradiction avec ses besoins ou ses valeurs personnelles, elle est en situation de conflit personne-rôle.

Depuis l’ouvrage fondateur de Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek (1964), plusieurs travaux ont souligné la nature multidimensionnelle des conflits de rôle. Le tableau 1 ci-dessous permet d’offrir une synthèse des différentes formes de conflits de rôles identifiées dans la littérature, en se focalisant sur les recherches abordant la nature plurielle du construit.

De la même manière, plusieurs facettes de l’ambiguïté de rôle ont été identifiées dans la littérature, dont nous rendons compte dans le tableau 1 ci-après.

Les différentes formes d’ambiguïté de rôle

Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek (1964) définissent l’ambiguïté de rôle comme la résultante directe d’un décalage entre l’information disponible et l’information requise pour l’exercice du rôle par la personne focale. Les auteurs identifient deux formes d’ambiguïté de rôle : (1) l’ambiguïté de rôle concernant la tâche et (2) celle associée à la dimension socio-émotionnelle.

L’ambiguïté de rôle liée à la tâche désigne « un manque d’information concernant les définitions de l’emploi, ses objectifs et les moyens autorisés pour sa mise en oeuvre » (p. 94). Cette première forme se divise en trois sous-dimensions : (1a) l’ambiguïté concernant ce qui est requis – il s’agit de l’incertitude relative à l’étendue des responsabilités (cela inclue les droits, les devoirs associés à la position); (1b) l’ambiguïté concernant la manière dont ces responsabilités doivent être tenues – il s’agit donc de l’ambiguïté au regard des moyens mis en oeuvre pour répondre à la finalité de l’emploi; (1c) et enfin, l’ambiguïté qui a trait à l’ordre de priorité selon lequel la personne focale doit répondre aux attentes des émetteurs de rôles.

Tableau 1

Formes de conflits de rôles identifiées dans la littérature

Formes de conflits de rôles identifiées dans la littérature

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L’ambiguïté de rôle dite socio-émotionnelle fait référence à la performance de rôle. Les auteurs distinguent implicitement deux formes d’ambiguïté socio-émotionnelle. (2a) La première renvoie à la manière dont la personne focale est évaluée (quels types de comportements sont récompensés, sanctionnés, la nature des récompenses et sanctions, leur occurrence) (p. 23). Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek (1964) évoquent également (2b) l’incertitude relative aux conséquences potentielles de la performance ou de la non-performance de la personne focale, tant pour elle-même que pour ses émetteurs de rôle et l’organisation en général.

Suite à cette première conceptualisation, plusieurs travaux ont souligné la nature multidimensionnelle de l’ambiguïté de rôle. Le tableau 2 ci-après permet d’en offrir une synthèse.

Si les travaux consacrés à l’analyse des conflits et de l’ambiguïté de rôle ont permis d’en identifier plusieurs facettes potentielles dans des contextes organisationnels différents, la surcharge de rôle apparaît comme un concept unidimensionnel simple.

La surcharge de rôle

Lorsque les attentes perçues par la personne focale excèdent le temps (French et Caplan, 1972; Barnett et Baruch, 1985; Rapoport et Rapoport, 1976) et les ressources (Loubes, 1997) dont cette dernière dispose, c’est la notion de surcharge de rôle qui est avancée.

Comme le souligne King et King (1990), le concept de surcharge de rôle fait débat. Alors que les travaux les plus anciens considèrent que ce construit correspond à une combinaison des conflits inter-émetteurs et personne-rôle (Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek, 1964), ou à une facette spécifique des conflits de rôles (e.g. Behrman et Perreault, 1984; Miles, 1976; House, Schuler, et Levanoni, 1983; Perrot, 2000), les recherches plus récentes l’appréhendent comme une forme de tensions de rôle particulière (e.g. Commeiras, Fournier et Loubès 2009, 2003; Elloy et Smith, 2003; Kelloway et Barling, 1990; Lush et Serpkenci, 1990; Lush et Jaworski, 1991; Newton et Jimmieson, 2008; Örtqvist et Wincent, 2006).

Tableau 2

Formes d’ambiguïté de rôle identifiées dans la littérature

Formes d’ambiguïté de rôle identifiées dans la littérature

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Les échelles de mesure de la surcharge de rôle reposent toutes sur une conception unidimensionnelle du construit (e.g. Beehr, Walsh et Taber, 1976; Newton et Keenan, 1987; Bacharach, Bamberger et Conley, 1991; Shultz, Wang et Olsen, 2010).

Proposition d’une grille d’analyse multidimensionnelle des tensions de rôle

Deux éléments se dégagent de notre revue de littérature. En premier lieu, si les formes de tensions de rôle mobilisées par les auteurs sont hétérogènes, deux dimensions communes peuvent en être dégagées : celle liée à la nature des attentes, et celle liée à leur objet.

La nature des tensions de rôle

L’identification des différentes formes de tensions de rôle (conflits, ambiguïtés, surcharge) nous permet tout d’abord de constater que toutes mettent en exergue la notion d’attentes de rôles. Ces attentes de rôle peuvent conduire à des tensions qui sont de quatre natures différentes.

Une première catégorie de tensions de rôle regroupe les conflits intra-émetteur, inter-émetteurs et inter-rôles suggérés par Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek (1964). En effet, dans tous les cas, les définitions de ces facettes spécifiques ont en commun de porter sur l’existence de contradictions entre les attentes émises par un ou plusieurs émetteurs de rôles vers la personne focale. Ces tensions correspondent dans le tableau 1 aux conflits inter-émetteurs de Johnson et Graen (1973) et aux multiples combinaisons de conflits impliquant pour une population de vendeurs les attentes des managers des ventes, de l’organisation, des clients, et de la famille (Ford, Walker et Churchill, 1975). Les conflits vie professionnelle/vie personnelle entrent également dans cette catégorie, puisqu’ils naissent de la contradiction entre les attentes de la famille et celles du travail, mettant l’individu qui ne peut répondre à ces différentes attentes, en situation de tension psychique.

De même, une deuxième catégorie de tensions de rôle émerge autour d’un socle de définition commun qui renvoie à l’existence d’attentes de l’organisation en conflit avec celles de l’individu (personne focale). C’est le cas du conflit individu-rôle initialement suggéré par Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek (1964). Au regard des recherches identifiées dans le tableau 1, cette catégorie renvoie aux conflits d’attentes entre la personne focale et tout ou partie de son ensemble de rôles formé par les pairs, le supérieur hiérarchique, les collègues, la famille et les clients (Chonko, Howell et Bellenger, 1986; Johnson et Graen, 1973; Perrot, 2000). Il s’agit également des conflits entre la personne focale et la nature de son travail (Chonko, Howell et Bellenger, 1986; Perrot, 2000), ou son environnement organisationnel (Perrot, 2000).

La troisième catégorie de tension apparaît en présence d’attentes ambigües. Il s’agit naturellement de l’ambiguïté de rôle, que celle-ci émane d’émetteurs internes (e.g. Chonko, Howell et Bellenger, 1986; Johnson et Graen, 1973; Ford, Walker et Churchill, 1975; Rhoads, Singh et Goodell, 1994) et/ou externes à l’organisation (e.g. Chonko, Howell et Bellenger, 1986; Ford, Walker et Churchill, 1975; Rhoads, Singh et Goodell, 1994; Rhoads, Singh et Goodell, 1994), comme le suggèrent les travaux recensés dans le tableau 2.

Enfin, une quatrième catégorie de tensions de rôle se rapporte aux attentes excessives. Considérée parfois comme une forme particulière de conflit de rôle (Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek, 1964; Perrot, 2000), la surcharge de rôle est aujourd’hui largement considérée comme une forme de tensions de rôle à part entière (e.g. Newton et Jimmieson, 2008; Örtqvist et Wincent, 2006).

L’analyse des concepts de conflits de rôles, d’ambiguïté de rôle, et de surcharge de rôle nous permet donc de distinguer quatre catégories de tensions de rôle liées à quatre catégories d’attentes « en tension », distinctes selon leur nature. Les tensions de rôle peuvent ainsi renvoyer à des attentes contradictoires entre elles, à des attentes enconflit avec celles de l’individu, à des attentes ambigües ou à des attentes excessives.

Une deuxième dimension permet de caractériser les tensions de rôle selon leur objet. Elle s’intéresse à la composante du rôle sur laquelle porte la tension.

Les objets de tensions de rôle

Une lecture intégrative des travaux consacrés à l’ambiguïté de rôle nous permet d’identifier trois objets distincts : (1) la définition du rôle, (2) la manière d’atteindre les résultats (3) l’évaluation des résultats.

La définition du rôle renvoie à l’étendue des responsabilités (Beauchamp et al, 2002; Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek, 1964; Katz et Kahn, 1966; Sakires, Doherty et Misener, 2005; Sawyer, 1992) et aux objectifs attribués à son exercice (Sakires et al, 2005; Sawyer, 1992).

La manière d’atteindre les résultats désigne les méthodes et les procédures de travail (Breaugh et Colihan, 1994; Sawyer, 1992), les ressources allouées (Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek, 1964; Katz et Kahn, 1966), ou encore la planification des étapes de réalisation du travail (Breaugh et Colihan, 1994; Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek, 1964; Katz et Kahn, 1966; Sakires, Doherty et Misener, 2005; Sawyer, 1992).

Enfin, l’évaluation des résultats renvoie à la manière dont l’évaluation est effectuée (Beauchamp, Bray, Eys et Carron, 2005; Breaugh et Colihan, 1994; Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek, 1964; Katz et Kahn, 1966; Sakires, Doherty et Misener, 2005; Sawyer, 1992) ou à ses conséquences en matière de rétribution/non rétribution (Beauchamp, Bray, Eys et Carron, 2005; Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek, 1964; Katz et Kahn, 1966; Sakires, Doherty et Misener, 2005). La classification de Singh et Rhoads (1991) est écartée de l’analyse. Cette dernière, qui distingue au niveau de chaque facette l’émetteur de l’ambiguïté de rôle, et pour chacune des facettes, l’objet sur lequel repose cette ambiguïté (e.g. flexibilité, travail, promotion pour la facette organisation) s’avère peu généralisable. En effet, le contenu est rattaché à un émetteur, qui lui même, est contingent au contexte organisationnel de l’étude.

Le tableau 3 offre une synthèse de la littérature sur l’ambiguïté de rôle autour des trois catégories d’objets identifiés.

Tableau 3

Les différentes facettes de l’ambiguïté de rôle selon leur objet

Les différentes facettes de l’ambiguïté de rôle selon leur objet

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Grille d’analyse transverse des tensions de rôle

Si la dimensionnalité des conflits de rôle renvoie à des attentes en tensions de nature différente, l’analyse de la dimensionnalité de l’ambiguïté de rôle renvoie quant à elle à trois objets de tensions différenciés. Nous proposons de croiser ces deux dimensions (nature et objets) caractéristiques des attentes de rôles en tension, afin de construire une grille d’analyse multidimensionnelle des tensions de rôle.

Les trois catégories d’objets sur lesquels portent les attentes en tension peuvent, a priori, être identifiées pour toutes les formes de tensions de rôle. Nous postulons ainsi que les attentes conflictuelles entre elles, en conflit avec celles de l’individu ainsi que les attentes ambiguës et excessives peuvent concerner des objets distincts du rôle : sa définition, la manière de l’exercer ou son évaluation. La dimension « objet » permet ainsi d’englober les différentes formes de tensions de rôle identifiées dans la littérature sans s’enliser dans l’identification d’émetteurs, distinction non généralisable, car fortement contingente au contexte d’étude. Elle permet, de surcroît, d’affiner la définition et la compréhension des tensions de rôle, puisqu’elle souligne qu’une tension de même nature peut porter sur des objets différents. Cette distinction semble faire sens dans la mesure où de nombreux items, tentant d’appréhender les conflits de rôle, ou la surcharge, évoquent déjà ces différents objets (e.g. Beehr, Walsh et Taber, 1976; Rizzo, House et Lirtzman, 1970).

Au croisement de ces quatre natures et trois objets, nous définissons donc douze formes de tensions de rôle. Le tableau 4 ci-dessous synthétise la grille d’analyse proposée.

Afin d’illustrer chaque forme de tensions de rôle identifiée, nous avons emprunté des verbatim publiés dans les recherches de Djabi (2014)[1]. Nous proposons de les présenter dans le tableau 5 ci-après selon la même grille d’analyse, donnant ainsi une illustration empirique à notre proposition conceptuelle afin d’en faciliter la compréhension.

En conclusion, nos analyses précédentes ont ainsi permis d’identifier deux dimensions communes aux différentes formes de tensions de rôle, qui sont la nature et l’objet des attentes en tension. Nous postulons que les différentes natures de tensions de rôle – attentes conflictuelles entre elles, en conflit avec celle de la personne focale, attentes ambiguës, attentes excessives – peuvent être distinguées en fonction de l’objet sur lequel porte la tension – la définition du rôle, la manière de l’exercer, ses résultats –.

Discussion

Cette note de recherche avait pour ambition d’étudier la multi-dimensionnalité des tensions de rôle. Elle a donné lieu à la proposition d’une grille d’analyse suggérant, au croisement des quatre natures et trois objets de tensions de rôle, douze formes singulières de tensions de rôle.

Sur le plan théorique, cette note de recherche offre deux principales contributions.

En premier lieu, le recensement des formes de tensions de rôle présentes dans la littérature met en lumière leur caractère multidimensionnel. Nous réaffirmons ainsi que le large recours à l’échelle unidimensionnelle de Rizzo, House et Lirtzman (1970) masque cette nature protéiforme, alors même que la différenciation de plusieurs formes de tensions de rôle était soulignée dans les fondements théoriques du concept développé par Kahn, Wolfe, Quinn et Snoek (1964).

Tableau 4

Proposition d’une grille d’analyse des tensions de rôle

Proposition d’une grille d’analyse des tensions de rôle

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En second lieu, la grille de lecture nature/objet offre également une révision et un développement plus précis des différents construits composant les tensions de rôle. Au regard des quatre natures de tensions de rôle mises en avant - les attentes contradictoires entre elles, les attentes en contradiction avec celles de l’individu, les attentes ambiguës et les attentes excessives -, nous postulons, dans la lignée des travaux de Newton et Jimmieson (2008) et Örtqvist et Wincent (2006), que les attentes excessives constituent une forme de tension de rôle à part entière, plutôt qu’une forme de conflit de rôle. Nous avançons également l’idée selon laquelle les attentes inter-émetteurs, intra-émetteurs et inter-rôles sont de même nature et renvoient toutes à des attentes contradictoires entre elles du point de vue de la personne focale. À partir de la littérature sur l’ambiguïté de rôle, trois objets de tensions de rôle sont également identifiés : la définition du rôle, la manière d’atteindre les résultats et leur évaluation. Cette distinction par « objet », étendue aux différentes natures de tensions de rôle, semble pertinente dans la mesure où les attentes contradictoires entre elles, en contradiction avec celles de l’individu et les attentes excessives portent elles aussi sur des « contenus » différenciés du travail. Alors que les approches multidimensionnelles définissent les tensions de rôle selon des contextes spécifiques (e.g. Beauchamp, Bray, Eys et Carron, 2005; Chonko, Howell et Bellenger, 1986; Perrot, 2000), la transversalité de cette grille d’analyse nature/objet lui confère un potentiel de généralisation analytique.

Sur le plan managérial, le développement d’une grille d’analyse théorique n’a pas, par nature, d’implication forte. Pour autant, étant donné les effets négatifs des tensions de rôle, tant sur le plan organisationnel (e.g. absentéisme, départ volontaire) qu’individuel (insatisfaction au travail, réduction de l’implication, renforcement du stress etc.) (Rivière, Commeiras et Loubes, 2013), cette réflexion présente un intérêt non négligeable pour les praticiens, et notamment dans le cadre de la prévention des risques psycho-sociaux de leurs collaborateurs. Si certaines méthodes de diagnostic (ex. Working Conditions and Control Questionnaire) tentent clairement d’identifier des tensions de rôle (ex. Je reçois des ordres contradictoires; Je suis tiraillé(e) entre des personnes ayant des attentes différentes par rapport à mon travail), les entreprises ne disposent pas encore d’outils leur permettant d’identifier de manière efficace celles ressenties par leurs équipes. Le développement d’un outil différenciant douze formes de tensions de rôle permettrait aux praticiens de détecter avec précision les tensions ressenties par leurs collaborateurs et de définir des pratiques managériales plus adaptées pour les prévenir, les réduire ou, tout au moins, accompagner les conséquences qu’elles suscitent.

Tableau 5

Verbatim illustratifs de la grille d’analyse des tensions de rôle issus des travaux de Djabi (2014)

Verbatim illustratifs de la grille d’analyse des tensions de rôle issus des travaux de Djabi (2014)

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Au-delà des verbatim illustratifs, le manque de validation empirique de la grille d’analyse proposée présente la principale limite de ce papier. Cette note de recherche, constitue, à ce stade, un premier pas vers la construction d’une échelle de mesure en phase avec les différentes dimensions de tensions de rôle identifiées. La construction d’une telle échelle offrirait une alternative méthodologique qui permettrait d’outrepasser les critiques nombreuses associées à la nature unidimensionnelle des tensions de rôle proposée dans l’échelle de Rizzo, House et Lirtzman (1970) (e.g. Breaugh, 1986; Harris, 1991; Jackson et Schuler, 1985; Kelloway et Barling, 1990; King et King, 1990; Perrot, 2000; Tracy et Johnson, 1981). La construction et la validation d’une telle échelle permettrait de réduire l’écart entre la construction des items et la base théorique dont ils se réclament.

Il serait également intéressant d’explorer les effets de contingence organisationnelle sur les formes de tensions de rôle ressenties. De même, l’étude différenciée des antécédents et conséquences des formes de tensions de rôle constituerait une voie de recherche prometteuse. Enfin, une étude longitudinale permettrait d’étudier la fréquence et l’évolution de chacune des tensions de rôle au fil du temps.