Corps de l’article

Introduction

La globalisation a conduit les firmes multinationales (FMN) à adopter des dynamiques d’innovation différentes de celles, traditionnelles, consistant à diffuser les innovations du centre vers les filiales. En effet, les FMNs se sont installées dans des pays de plus en plus nombreux et diversifiés et ont développé des produits plus adaptés aux spécificités des différents marchés afin de renforcer leur implantation. Dès lors, les recherches en management international (Bartlett et Goshal, 1989; Kogut et Zander, 1993; Birkinshaw, Hood et Jonsson, 1998; Gupta et Govindarajan, 2000; Frost et Zhou, 2005; Meyer, Mudambi et Narula, 2011; Mayrhofer, 2011) ont modélisé la FMN comme un réseau global et différencié de filiales interdépendantes. Dans ses travaux les plus récents, Govindarajan (2011) étudie des processus où les innovations sont d’abord développées spécifiquement pour les filiales dans les marchés émergents et sont, dans un second temps, adoptées par les marchés historiques de l’entreprise. Ces processus qualifiés de reverse innovation ou innovation inversée se situent à l’opposé du modèle traditionnel.

Sans nous focaliser spécifiquement sur les pays émergents, nous nous intéressons dans cet article aux déploiements d’innovations entre les filiales de la FMN et aux dispositifs organisationnels de nature à les favoriser. Nous proposons la notion de déploiement et non celle de diffusion ou de transfert pour mettre l’accent sur le caractère évolutif de l’innovation lorsqu’elle est commercialisée successivement dans différents pays et sur sa nécessaire adaptation aux différents contextes locaux. Nous définirons le déploiement d’innovation inter-filiale comme l’enchaînement des commercialisations d’une innovation par des filiales situées dans des contextes locaux différenciés, et nécessitant à chaque fois son adaptation. Cette conception du déploiement est cohérente avec les travaux qui soulignent les limites des stratégies globales en matière de produit et insistent sur le paradoxe entre adaptation locale et intégration globale (Forsgren 1997).

Pour analyser ces déploiements, nous adopterons la perspective de la firme, basée sur les ressources et les connaissances (Cantwell, 1989; Kogut et Zander, 1993). Selon cette perspective, le développement, le transfert et l’exploitation des connaissances au sein de la FMN par ses différentes entités sont les principales sources de son avantage compétitif. Les filiales se caractérisent par un double encastrement : externe qui leur permet de tirer parti des connaissances situées dans leur environnement local (universités, fournisseurs, clients, réseaux de distribution) et interne qui leur permet de bénéficier des compétences développées au sein de la FMN par les autres filiales ou le centre (Figueiredo, 2011; Meyer et al. 2011). Les travaux relevant de cette perspective se sont intéressés aux transferts de connaissances entre filiales et notamment aux transferts d’innovations (Gupta et Govindarajan 2000; Doz et al. 2001; Frost et Zhou, 2005, etc). Les travaux récents de Tallman et Chacar (2011) les complètent en proposant un modèle théorique de transfert de connaissances tacites qui sont souvent identifiées comme l’une des source de l’avantage concurrentiel de la firme.

Dans cet article, nous caractériserons les dispositifs mis en place pour soutenir le déploiement d’innovations inter-filiales afin de discuter le modèle théorique proposé par Tallman et Chacar et de préciser les conditions de sa mise en oeuvre.

L’originalité de notre travail consiste à situer l’analyse au niveau de l’innovation et de ses commercialisations successives et non au niveau des filiales, du siège ou des brevets qui sont les manières les plus fréquemment adoptées pour étudier les transferts de connaissances et d’innovations dans la FMN.

Notre recherche s’appuie sur l’analyse approfondie d’une FMN à fort ancrage technologique et scientifique présente dans plus de 80 pays dont l’internationalisation est ancienne. Cette méthodologie est adaptée pour construire une meilleure compréhension de processus de déploiements qui ont été peu étudiés jusqu’alors.

De manière inductive et à partir de l’analyse comparée de cinq déploiements d’innovation, nous avons souligné quatre facteurs qui les différencient par l’ampleur géographique et le rythme : (i) l’existence d’un champion du déploiement de l’innovation qui pilote son développement et sa première commercialisation, consolide les compétences au fur et à mesure du déploiement et incarne l’innovation, (ii) l’établissement de relations de co-développement avec des partenaires équipementiers locaux s’appuyant sur des relations préexistantes nouées par la filiale et capitalisant sur les précédents partenariats noués avec des équipementiers par d’autres filiales pour cette même innovation, (iii) la constitution d’un réseau fédérant les différents experts locaux ayant été impliqués dans la mise en oeuvre de l’innovation pour leur filiale et ayant des expertises soit sur la technologie soit sur le marché de l’innovation et l’animation de ces réseaux par le champion du déploiement transversalement aux filiales, et enfin (iv) le profil de la première filiale dans laquelle est commercialisée l’innovation et sa capacité à mobiliser des ressources et expertises techniques et marché suffisantes pour mettre au point l’innovation et l’adapter aux premiers clients. Nous confronterons ces résultats empiriques au cadre théorique de Tallman et Chacar (2011) afin de le discuter et d’en préciser les conditions de mise en oeuvre.

L’article se décompose de la manière suivante : nous commencerons par situer notre question de recherche en présentant la littérature sur le management de l’innovation dans la FMN et notamment le modèle de Tallman & Chacar. Nous préciserons le contexte de la recherche, le choix des déploiements d’innovations étudiés ainsi que la démarche adoptée pour recueillir les données et les analyser. Nous présenterons alors les facteurs qui sont ressortis de la comparaison des cas et nous discuterons ces résultats empiriques en relation avec la littérature afin de mettre en lumière les implications théoriques.

Revue de la littérature

Plusieurs perspectives théoriques coexistent dans l’étude des FMNs : la théorie de la contingence, la théorie des réseaux, la théorie de l’agence et la théorie des ressources et des compétences (Andersson et Holm 2010). Le transfert des innovations inter-filiales a principalement été analysé sous l’angle des facteurs qui favoriseraient ou empêcheraient le transfert des connaissances entre les différentes entités de la FMN (Szulanski, 1996; Gupta et Govindarajan, 2000). Nous adopterons donc la perspective fondée sur les connaissances. Selon cette perspective, la raison d’être des FMNs, et la source de leur avantage compétitif est de créer, transférer, recombiner et exploiter les connaissances à travers les différentes filiales situées dans des contextes géographiques différents (Doz & Prahalad, 1981; Bartlett et Goshal, 1989; Cantwell, 1989; Kogut et Zander, 1993). Cette perspective souligne les encastrements multiples de la FMN dans différents contextes (Meyer et al., 2011). Les filiales jouent en cela un rôle central puisqu’elles accèdent à la connaissance située dans leur environnement local, l’internalisent, l’exploitent et la transmettent via des liens internes formels ou informels à la FMN. Elles ont un « double encastrement » ou un « réseau dual » : dans leur environnement local (encastrement externe) et au sein de la FMN (encastrement interne) (Meyer et al., 2011; Figueiredo, 2011). Selon McCann & Mudambi (2005), les filiales peuvent transférer les connaissances acquises aux autres entités de la FMN et/ou intégrer et combiner cette connaissance avec la leur propre et celle acquise via les autres entités de la FMN. Les filiales articulent ainsi deux rôles : le rôle traditionnel ou historique d’exploitation des connaissances de la FMN, qui proviennent du centre ou des autres filiales, et un rôle de création de connaissances nouvelles (Cantwell & Mudambi, 2005).

Tout en s’inscrivant dans cette perspective théorique, différents travaux empiriques et théoriques ont caractérisé des obstacles aux transferts de connaissances entre filiales.

Un premier ensemble de travaux insiste sur les difficultés liées aux transferts de connaissances tacites et complexes (Doz et al. 2001; Szulanski, 1996). Un second ensemble de travaux souligne un paradoxe entre la spécificité des connaissances développées par les filiales en tirant parti de leur contexte local et l’utilisation large de ces connaissances par une grande variété de filiales, paradoxe inhérent au modèle de la FMN présenté précédemment (Forsgren, 1997). Ainsi, Zhou & Frost (2003, 2005) ont montré que la distance géographique ou culturelle entre les filiales, l’hétérogénéité des stratégies des filiales, les mesures de contrôle mises en place par le centre sont autant de facteurs de nature à limiter les transferts de connaissance. Au contraire, l’existence d’activités conjointes entre filiales apparaissent les faciliter.

Des approches théoriques de nature à surmonter ces difficultés ont aussi été développées. Tallman et Chacar (2011) se sont intéressés à la manière selon laquelle des connaissances tacites, implicites et ancrées localement peuvent être transférées entre entités de la FMN. Ils proposent un modèle qui s’appuie sur la notion de communautés de pratiques et l’étendent. Selon Brown et Duguid (1991), les communautés de pratique sont des groupes localisés et focalisés réunissant des acteurs qui partagent des connaissances. Tallman et Chacar (2011) soulignent trois types de réseau d’acteurs qui présentent des similarités avec la notion de communautés de pratiques en ce qu’ils permettent des échanges de connaissances entre leurs membres sans que celles-ci soient nécessairement complètement codifiées.

Le premier type qualifié de CoP (Community of Practices) par les auteurs (équipes projets, groupes de techniciens, de chercheurs, etc) réunit des membres appartenant à l’entreprise, géographiquement proches et partageant un ensemble de pratiques. Ils appartiennent en général à une même filiale. Le deuxième type, les NoP (Local Network of Practices) réunissent des acteurs de l’entreprise et de son environnement qui tous sont géographiquement proches. Ainsi une filiale via ses membres participe à plusieurs NoPs au sein desquels des connaissances tacites circulent directement.

Le troisième type, les INoP (Internal Network of Practice) sont composés d’acteurs internes à la firme qui partagent un ensemble de pratiques mais sont répartis dans différentes zones géographiques. Les INoPs aident à développer des répertoires communs de connaissances et de routines permettant la circulation des connaissances tacites.

La Figure N°1 schématise comment ces réseaux s’articulent et facilitent le transfert de connaissances tacites entre filiales.

Figure 1

Transfert des connaissances explicites et tacites entre les filiales d’une FMN adapté de Tallman & Chacar (2011)

Transfert des connaissances explicites et tacites entre les filiales d’une FMN adapté de Tallman & Chacar (2011)

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Si Tallman et Chacar ont abordé les difficultés de transferts de connaissances entre filiales en s’intéressant aux connaissances tacites, d’autres auteurs ont mis en avant un paradoxe : theadvantage paradox (Forsgren 1997). Plus la variété des contextes locaux est grande, plus les filiales développent des connaissances spécifiques à ces contextes et plus l’exploitation de ces connaissances sera difficile au niveau de la FMN dans son ensemble. Ainsi, Meyer et al. (2011) considèrent que l’encastrement externe est une épée à double tranchant. Kotabe et al. (2007) suggèrent qu’il y aurait un niveau optimal de diversité des connaissances acquises localement au-delà duquel il y aurait des negative marginal returns compte tenu des coûts élevés de communication et de coordination nécessaires pour intégrer ces connaissances au sein de la FMN. Le paradoxe mis en avant au niveau des connaissances se retrouve au niveau des innovations : les filiales peuvent développer des innovations adaptées au contexte local (Birkinsaw & Hood, 2001; Phene et Almeida, 2008) et les transférer aux autres filiales de la FMN (Kotabe et al. 2007; Ciabuschi, Forsgren & Martín, 2011). Or plus ces innovations seront adaptées localement, moins elles seront exploitables au niveau de l’ensemble de la FMN. Deux courants coexistent : l’un met en avant la nécessité d’arbitrer entre ces deux encastrements plaçant les FMNs au centre d’un dilemme (Gammelgaard & Pedersen, 2010) et l’autre préconise une conciliation entre ces deux encastrements (Dellestrand et al. 2011). Ce dernier courant peut être rapproché des travaux sur l’organisation ambidextre qui considèrent que les dynamiques d’apprentissage par exploration et par exploitation doivent être menées de front (O’Reilly & Tushman, 2004).

Les travaux de Tallman et Chacar (2011) synthétisent les résultats de multiples travaux, cependant ils ne positionnent pas leur modèle par rapport au paradoxe mis en évidence ci-dessus. De plus aucune analyse empirique n’est développée à l’appui du modèle. De même les travaux qui préconisent de concilier l’encastrement externe (adaptation locale) et l’encastrement interne (partage des connaissances et intégration) ne précisent pas les modalités le permettant.

Question de recherche

Afin de dépasser le paradoxe entre ancrage local et intégration globale, nous proposons d’éclairer des modes de conciliation de ce double encastrement. En suivant Tallman et Chacar (2011), nous retenons un niveau d’analyse micro par rapport à la filiale et nous focaliserons ainsi sur l’innovation. Nous proposons comme objet d’analyse le déploiement d’innovation inter-filiale. Notre hypothèse est que les innovations diffusent rarement telles quelles de filiale en filiale et qu’une adaptation au contexte local qu’il soit réglementaire, de marché ou technologique est le plus souvent nécessaire. Comme le souligne la sociologie des innovations, l’adoption d’une innovation passe souvent par son adaptation (Akrich, et al. 1990). Nous définissons donc le déploiement d’innovation inter-filiale comme l’enchaînement des commercialisations d’une innovation par des filiales situées dans des contextes locaux différenciés nécessitant à chaque fois son adaptation.

Notre travail vise à répondre aux questions suivantes. Quelles modalités seraient de nature à concilier un fort ancrage local et une intégration globale ? A quel niveau structurer des dispositifs contribuant à ce double encastrement et de nature à surmonter le paradoxe mis en avant et autour de quels objets ?

Pour ce faire, nous chercherons à mettre en lumière des facteurs de nature à soutenir le déploiement d’innovations inter-filiales à partir de l’analyse du cas d’une entreprise multinationale. Nous proposons de confronter ces facteurs induits à partir de ce matériau empirique au modèle théorique de Tallman et Chacar (2011) afin de le discuter et d’en préciser les conditions de mise en oeuvre.

Méthode et terrain de recherche

Pour explorer cette question de recherche nous avons analysé des processus de déploiements d’innovations au sein d’une FMN qui constitue un contexte particulièrement pertinent comme nous le montrerons ci-dessous. Nous présenterons également brièvement la méthode de recueil et de traitement des données.

Le contexte de la recherche

La recherche s’est déroulée dans le contexte d’une FMN leader mondial des gaz pour l’industrie agissant dans le monde entier. L’entreprise produit du gaz, assure son conditionnement et sa distribution auprès d’une très grande diversité de marchés organisés en divisions. La recherche a été menée au sein d’une division caractérisée par une grande diversité de clients industriels : alimentaire & pharmacie, matériaux & énergie, automobile, technologie & recherche et artisans, etc. L’entreprise a une structure décentralisée avec des filiales nombreuses (plus de 80) et autonomes en matière de décisions stratégiques, de lancement d’innovation et d’allocation de ressources. Plusieurs sources d’innovation coexistent au sein de cette FMN : la R&D corporate avec 5 centres de recherche répartis sur divers continents et les filiales qui peuvent développer des innovations pour mieux répondre aux besoins de leurs clients et/ou tirer profit de pôles technologiques locaux. Les innovations développées par la R&D corporate ont vocation à être commercialisées par un grand nombre de filiales. Celles développées localement à l’initiative d’une filiale peuvent être commercialisées dans d’autres filiales situées dans d’autres zones géographiques. Ces innovations sont de différents types : innovations produits (nouvelles molécules); innovations process (améliorations du conditionnement et de la distribution); innovations applications qui sont des solutions comprenant un équipement spécifiquement adapté au processus industriel d’un client utilisant le gaz et lui permettant d’améliorer ses performances (voir encart pour un exemple de déploiement d’une innovation application). Dans l’innovation d’application, l’entreprise mobilise à la fois des connaissances sur le gaz (production, transport, etc) et des connaissances sur l’outil industriel du client (l’équipement et le process) qui utilisera ce gaz.

Le cas de cette entreprise est particulièrement pertinent pour notre question de recherche. On peut parler d’échantillonnage théorique, dans la mesure où cette entreprise constitue un cas emblématique ou révélateur (Yin, 2003). En effet, l’entreprise se caractérise par une multiplicité de sources d’innovation internes et par une multiplicité de contextes locaux très spécifiques. Les filiales sont autonomes et très ancrées localement. Les innovations d’application impliquent souvent des connaissances tacites, complexes et fortement encastrées notamment dans le contexte du marché local (aussi bien auprès des clients que des équipementiers qui fabriquent les outils qui utilisent le gaz).

Alors que les procédés de surgélation dans l’industrie alimentaire utilisent majoritairement des techniques ne nécessitant pas de gaz, cette solution constitue un nouveau débouché pour l’azote liquide. Sans nécessiter l’identification de molécules nouvelles, c’est une innovation pour l’entreprise car il s’agit d’identifier les bons dosages et les bons mode de mélange. La mise au point de cette innovation a conduit à travailler conjointement avec le client industriel de l’agroalimentaire et avec le partenaire industriel produisant les mélangeurs. Elle nécessite des connaissances à la fois sur le gaz et sur le processus industriel agroalimentaire. Après une phase d’industrialisation chez un client, un guide de référence décrivant la solution et ses caractéristiques a été établi. Cependant pour chaque client une mise au point est nécessaire en fonction des tailles de mélangeurs qui seront utilisés, des matières à enrober et du produit d’enrobage. La mise en place de la solution chez un client nécessite donc plusieurs jours de présence d’experts de l’entreprise pour conduire des essais de mise au point sur la ligne de production. Cette innovation a émergé dans une filiale en réponse à des demandes spécifiques et a été largement commercialisée dans cette filiale et dans d’autres situées dans d’autres pays.

Recueil et analyse des données

Dans le but de mettre en lumière les facteurs qui soutiennent le déploiement inter-filiale des innovations, nous avons étudié plusieurs cas de déploiement sur lesquels l’entreprise avait un certain recul et nous les avons comparés. Cette approche est adaptée pour développer une compréhension d’un phénomène peu étudié (Einsenhardt, 1989). Les cas analysés (innovations déployées) se situent au sein d’une branche d’une entreprise permettant ainsi selon Yin (2003) de contrôler les variables externes et de se concentrer sur les variables qui caractérisent plus spécifiquement le phénomène à l’étude.

Les innovations qui ont été analysées ont été identifiées après une première série d’entretiens avec des responsables de l’entreprise (marketing, ingénierie et R&D) aussi bien au centre que dans certaines filiales. Elles ont également été choisies avec l’aide du comité de pilotage de la recherche composé des chercheurs et de six personnes de la firme : la direction de la division, un directeur de centre de recherche, le directeur produits et marchés de la division, le responsable du réseau d’experts techniques, le directeur marketing d’une filiale importante en taille de marché et enfin le directeur de la R&D et de l’innovation au niveau groupe. Il est à noter que les membres qui composaient ce comité, bien que principalement situés au niveau groupe, avaient eu des expériences importantes en filiale dans leur parcours professionnel et pouvaient à ce titre éclairer aussi nos analyses en plus des interviews menées.

Cinq innovations ont été choisies. Le but était de rechercher une certaine variété des situations sur les critères suivants : l’origine de l’innovation, le type de l’innovation, l’ampleur géographique du déploiement mesurée par le nombre de filiales et sa durée mesurée selon deux phases[2]. (cf. Tableau N°1 pour une présentation des cas selon ces critères). Une brève présentation des innovations est fournie en annexe.

L’ampleur géographique des déploiements d’innovations analysés varie entre 4 et 27 filiales. Il en est de même de la durée de déploiement (entre 2 et 8 ans pour les 4 premières filiales puis des rythmes très variés entre 23 filiales en 14 ans et 3 en 12 ans). Les cas varient également par la durée de développement (conception et développement industriel) : quelques mois pour l’une et jusqu’à 9 ans pour une autre (cf. Figure N°2). Même si les innovations analysées ont rencontré un succès commercial variable, elles ont toutes été effectivement commercialisées et ne sont pas restées au stade de prototype ou de projet de recherche.

Il apparaît du tableau, de la figure et des entretiens que les déploiements des innovations Ax, Ap et T sont plus performants que ceux de Cr et Ad.

Le recueil des données s’est fait principalement par entretiens semi-directifs[3]. L’objectif était de retracer le développement et le déploiement de l’innovation. Ainsi environ 120 entretiens semi-directifs d’une durée moyenne d’1h30 ont été menés avec les principaux acteurs impliqués, dans chaque déploiement soit environ 15 acteurs par innovation. Les acteurs sont, selon les cas, le chercheur (R&D centrale), l’expert en ingénierie, le responsable marketing de la division, le responsable marketing de la première filiale et des suivantes, le chef de projet au niveau des filiales, le business developer ou le vendeur des filiales, les fabricants de l’outil ou équipementiers pour les innovations applications, etc.

Tableau 1

Les caractéristiques des innovations déployées et analysées

Les caractéristiques des innovations déployées et analysées

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Figure 2

Caractéristiques des déploiements d’innovations analysées

Caractéristiques des déploiements d’innovations analysées

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Il a été demandé aux interviewés de retracer les grandes phases de développement et de déploiement, d’identifier les principales ressources impliquées (matérielles et humaines) et de souligner selon eux les fonctionnements qui ont contribué aux succès de l’innovation ou qui ont cruellement manqué.

Pour aider et guider les interviewés, deux grilles d’entretien ont été mobilisées : une grille interne à la firme qui s’est dotée depuis quelques années déjà d’un processus de développement très structuré comprenant trois grandes phases chronologiques (la conception, le développement industriel et le déploiement) et d’une grille d’entretien fondé sur les travaux de Clark & Wheelwright (1993) sur le développement de nouveaux produits qui met l’accent sur les acteurs impliquées et l’organisation adoptée pour le projet. Des comptes rendus des entretiens étaient systématiquement envoyés aux interviewés pour validation.

Le recueil des données a duré une année et a également consisté en la collecte de documents relatifs aux innovations et disponibles en interne à l’entreprise (études techniques, études de marché, brevet, contrat avec le client et l’équipementier, etc) et en externe sur l’innovation (publications, etc.). Le défi d’une telle analyse est qu’elle doit porter sur des innovations passées mais cependant relativement récentes[4] pour pouvoir interroger les acteurs qui sont encore dans l’entreprise. Elle s’appuie sur des données recueillies a posteriori. Ces biais ont été compensés d’une part par la multiplicité des acteurs interviewés permettant la triangulation des données, et d’autre part par l’analyse de documents et par les restitutions au comité de pilotage dont les membres connaissaient les innovations étudiées et pouvaient apporter des éléments complémentaires ou contradictoires.

Sur la base de ces données, des monographies ont été établies pour chaque déploiement retraçant aussi bien la phase de développement, d’industrialisation et de commercialisation de l’innovation dans la première filiale que son transfert et son adaptation aux différents contextes des autres filiales qui l’ont adopté. Les cinq monographies ont été établies progressivement et diffusées aux principaux protagonistes.

La lecture répétée et comparée des monographies (Langley, 1999) a permis de proposer des facteurs jugés critiques compte tenu de leur importance et de leur fréquence dans les trajectoires de déploiements analysées. Neuf facteurs ont ainsi été progressivement proposés dans un premier temps. Ces facteurs ont été discutés régulièrement lors des comités de pilotage de la recherche. Une consolidation en quatre facteurs clés est proposée dans la suite du texte.

Analyse comparée de cinq déploiements d’innovations

La comparaison des innovations analysées nous conduit à mettre en avant quatre facteurs qui apparaissent comme ayant contribué au déploiement. Ces facteurs coexistent avec d’autres présents dans tous les cas étudiés comme, des référentiels décrivant l’innovation, des argumentaires de vente, des documentations techniques et des brevets. Ces dispositifs de codification des connaissances sont intervenus plus ou moins rapidement dans le processus de déploiement sans que l’on puisse inférer de conclusions de portée générale quant à leur impact sur ce processus. Nous verrons que les facteurs clés qui ressortent des cas étudiés renvoient davantage à des modalités de transfert de connaissances tacites et ancrées dans les contextes locaux des déploiements.

On insistera d’abord sur des facteurs qu’on peut relier à l’importance d’un fort ancrage local dans la réussite des déploiements avant de souligner des facteurs de nature à faciliter l’intégration globale.

Facteur N°1 : La présence d’un champion du déploiement qui incarne l’innovation

Dans tous les cas étudiés, la mise en place de l’innovation à l’échelle industrielle auprès du premier client a impliqué au moins un acteur, ayant la compétence de mise au point de la solution innovante et l’expertise de conception et/ou ayant le réseau en interne pour mobiliser les expertises pertinentes lorsque des spécialités de pointe centralisées en R&D étaient utiles. Cet acteur a été amené à s’impliquer à plein temps sur le projet chez le premier client pendant une durée variant de quelques semaines à quelques mois. Selon la complexité technique des innovations ces acteurs clés de l’intégration du produit chez le client ont été impliqués sur ces projets à hauteur de 30 à 100 % de leur temps en moyenne et ont assumé dans cette phase un rôle de chef de projet.

Pour chacune des innovations analysées, le nom de cet acteur est revenu de manière récurrente dans les propos des interviewés au sujet de cette innovation. Il incarnait en quelque sorte l’innovation. Ces acteurs avaient formellement un périmètre d’action qui se limitait aux premières commercialisations. Pourtant, il est apparu qu’ils ont eu un rôle bien au-delà. Ainsi, les entretiens soulignent qu’ils ont contribué à faire connaitre l’innovation dans d’autres filiales. Nous les qualifierons de champions du déploiement de l’innovation. Leur rôle de pionnier en matière de réalisation à taille industrielle d’une solution les a conduits à développer une proximité avec le client. Du fait des adaptations qui leur ont été demandées, ils ont construit une compréhension fine de l’intérêt que le client associe à l’innovation et des dimensions qu’il valorise particulièrement.

Ces champions sont venus en appui aux filiales qui ont adopté l’innovation commercialement mais également techniquement. En effet, la disponibilité de l’expertise technique est apparue comme une ressource critique dans le déploiement de ce type d’innovation nécessitant des ajustements chez le client.

Ces champions maîtrisent ainsi différents volets : l’expertise technique, la compréhension du contexte du client, le modèle économique, etc.

Sans cet expert, capable de prescrire la solution par rapport à la demande spécifique du client qui est par essence customisée, aucune affaire ne pourrait aboutir

Responsable de filiale

Je suis guidée par ma passion pour cette innovation, c’est mon bébé : certes je me sens parfois isolé à l’intérieur mais je suis soutenu dans mon combat en faveur de cette innovation par des acteurs extérieurs : les équipementiers et les clients eux-mêmes. Je suis également encouragé par le constat que les machines installées fonctionnent bien et que la demande est de plus en plus forte.

Champion d’une innovation

MY est en support technique pour les filiales : quand elles ont une question, elles reviennent vers lui pour demander dans cette configuration, pour ce type de situation combien ça va consommer ? et MY continue à développer la V3 en parallèle

Responsable de filiale

Chercheur spécialisée dans le domaine, FH est parti l’innovation sous le bras la vendre aux différentes filiales via ses contacts personnels

Cette figure, à elle seule, ne permet pas d’expliquer les différences dans l’étendue des déploiements entre les cas analysés. Il faut y ajouter un facteur complémentaire que nous développerons plus bas : la capacité de cet acteur à construire et animer des réseaux de compétences propres à l’innovation transversalement aux filiales. Tout en incarnant l’innovation au niveau global de la FMN, ce champion a un ancrage local fort au niveau du lieu de la première commercialisation et au niveau des différents contextes locaux de déploiements.

Facteur N°2 : Un enchainement de relations de co-développement avec des partenaires qui accompagne le déploiement de l’innovation

L’entreprise s’est engagée dans des démarches de co-développement avec des équipementiers qui conçoivent et construisent les outils industriels adaptés lorsque les innovations mettent en oeuvre des procédés industriels innovants chez le client. Dans tous les cas d’innovation application étudiés, il y a eu des changements d’équipementiers au cours du déploiement et le recours à différents partenaires localisés dans les pays du déploiement.

Dans le cas Cr, où l’entreprise a cherché à ce que le partenaire initial l’accompagne sur une zone géographique éloignée de sa base historique mais constituant une opportunité de croissance très intéressante pour celui-ci, le déploiement n’a pas été un succès.

Au contraire dans le cas Ax, il y a eu des accords successifs avec différents équipementiers locaux, petits quand il s’agissait des premiers exemplaires de machines, avec des équipementiers plus importants quand la solution paraissait stabilisée, ces accords ont finalement été dénoncés pour d’autres en fonction des zones géographiques dans lesquelles l’innovation était déployée.

Il ressort que l’implication d’un partenaire ayant à la fois des relations établies avec la filiale qui développe l’innovation et une forte présence auprès des clients ciblés est un facteur clé de réussite des premières commercialisations. La proximité des équipes, la confiance entre le client et le partenaire industriel favorisent la mise au point de l’innovation. Cependant, les équipementiers n’ont pas forcément la même stratégie de croissance que l’entreprise et peuvent hésiter à l’accompagner dans le déploiement de l’innovation dans d’autres filiales situées dans d’autres pays. Les intérêts respectifs du partenaire et de l’entreprise peuvent également diverger surtout sur les durées qui caractérisent les déploiements étudiés. Il apparaît que les déploiements dans de nouvelles filiales nécessitent souvent d’identifier de nouveaux partenaires ayant une forte implantation locale plutôt que d’inciter un partenaire à s’investir dans des zones géographiques qui ne sont pas dans ses priorités stratégiques. On voit alors l’importance des compétences locales d’identification et de développement de relations avec des équipementiers au niveau de la filiale. Il semble que les compétences accumulées dans l’entreprise ont permis de faire les co-développements avec de nouveaux partenaires de nature à soutenir le déploiement. Un tel schéma de co-déploiement avec les équipementiers suppose alors une contractualisation et des accords de confidentialité tenant compte de cette multiplicité d’accords sur différentes zones géographiques. Ainsi, la propriété industrielle et la contractualisation avec les partenaires équipementiers est apparue beaucoup plus critique dans la réussite des déploiements que les brevets sur l’innovation elle-même.

Enfin, l’analyse des cas met en évidence que privilégier d’emblée des partenaires multinationaux ne s’est pas avéré fructueux, sans doute du fait des tailles et spécificités des marchés visés et de leur grande segmentation.

L’absence de partenariat contraignant entre le premier équipementier et l’entreprise nous a permis de gagner 4 ventes en Allemagne et 1 vente en Suède : ce sont des pays qui préféraient travailler avec un équipementier allemand

Responsable de filiale qui a adopté l’innovation

La technologie a pu être mise en oeuvre par 2 partenaires différents ce qui a permit d’élargir le champ des clients potentiels qui sont la plus part du temps amené par le partenaire

Responsable de filiale qui a adopté l’innovation

Facteur N° 3 : Constitution et animation de réseaux d’experts techniques et de réseaux de business développeurs par innovation

On l’a souligné déjà, la commercialisation d’une innovation notamment lorsqu’il s’agit d’une innovation d’application (cf. encart plus haut), nécessite des mises au point chez le client. Le déploiement de l’innovation dans de nouvelles filiales a conduit des experts localisés à proximité géographique de la filiale à intervenir pour mettre en oeuvre l’innovation chez les clients et l’adapter à leurs besoins spécifiques. Si l’on compare les déploiements d’innovations réussis (Ax) par rapport aux autres (Cr et Ad), il ressort que la capacité qu’ont eue les experts locaux à interagir étroitement avec le champion du déploiement et les autres experts ayant préalablement contribué au déploiement de la même innovation à travers le monde semble avoir été déterminante.

Ils ont pu alors bénéficier de la capacité de compréhension que ces derniers avaient développée au fur et à mesure des installations auprès de clients, avoir leur soutien sur des problèmes de mise en oeuvre particulièrement délicats et être accompagnés dans leur montée en compétence. L’accès à ces experts est passé souvent par le champion qui a contribué à l’émergence et la vitalité de ce réseau d’experts locaux permettant une entraide directe entre les membres.

Ce réseau d’experts permet d’inscrire la dynamique de constitution de compétences qui se développe au fil des commercialisations au niveau d’un collectif. Or une fois l’innovation largement commercialisée dans une filiale, l’expérience accumulée devient moins nécessaire pour cette filiale alors qu’elle est particulièrement précieuse pour une autre où débuterait la commercialisation. La dimension collective de la compétence est importante aussi du fait que les déploiements s’échelonnent souvent sur plus d’une dizaine d’années. Compte tenu de cette échelle de temps, la question du turn-over et de la transmission de leurs compétences est centrale. Ainsi pour le cas Ad dont le déploiement s’est échelonné sur plus de 10 ans, une anticipation des départs des experts de l’entreprise a pu être organisée et une transmission de compétences assurée.

Il est à noter enfin que la constitution d’un tel réseau suppose de pouvoir s’appuyer dans les filiales ou à proximité géographique de celles-ci, sur des acteurs ayant la disponibilité et la capacité d’acquérir les compétences requises.

Au-delà de la structuration d’un réseau d’experts techniques de l’innovation, la constitution d’un réseau de business developers et d’équipes commerciales est apparue également important. Il permet d’échanger des connaissances sur les types de clients, les atouts de l’innovation, la manière de la présenter et de mettre en avant la maîtrise de l’entreprise pour que le caractère innovant soit perçu comme un élément de différentiation pour le client industriel et non comme un risque. Ces réseaux ne sont pas les seules ressources dont disposent les acteurs locaux pour connaitre l’innovation et construire un argumentaire commercial. Comme indiqué précédemment, chaque innovation donne lieu à un guide de référence dans lequel sont consignées les principales caractéristiques (technico-économiques, réglementaires, de marché, etc). Il apparait cependant que ces réseaux informels ont été un moyen crucial pour s’approprier ces guides de référence.

Pour cette technologie, il y a à la fois la compréhension du rôle des gaz, mais aussi du rôle du matériau et c’est ce que les gens ont le plus de mal à comprendre : pour l’opinion commune, un plastique est un plastique alors qu’en fait il existe de très nombreux matériaux différents. Cela signifie que chaque fois qu’il y a un client avec un nouveau matériau, il y a un nouveau réactif dans le système dont il faut tenir compte : c’est pourquoi chaque installation est customisée. De plus, la chimie de l’adhésif apporté jouera un rôle prépondérant sur le choix de la chimie que le client peut opérer sur le film qui elle-même dépendra des gaz achetés, des conditions opératoires. Un business développeur classique ayant de nombreuses technologies à maîtriser et ne restant que 3 ans sur des innovations d’un marché donnée, ne peut pas assurer un tel métier, qui est très spécialisé, en si peu de temps, il ne peut pas bien connaître le métier du client.

Champion d’une innovation

Dans les cas Ax et Ap qui se caractérisent par l’étendue du déploiement la plus importante (plus de 15 filiales), le champion a assumé un rôle d’animation inter-filiales autour de « son » innovation alors même que le cadre de son intervention était initialement plus limité. Ainsi les personnes interrogées ont insisté sur le rôle de formateur qu’avait eu le champion dans le cas Ax, sur le rôle d’animateur du réseau international d’experts, réunissant annuellement les experts, faisant circuler entre eux les problèmes rencontrées, les exigences spécifiques de certains clients ainsi que les réponses apportées et favorisant un climat d’entraide.

Il est à noter que d’autres réseaux d’experts existent dans la firme : ils sont généralement organisés autour de thématiques et de spécialisations disciplinaires. Ici les réseaux sont organisés autour de l’innovation elle-même et l’animation en est assurée par le champion et non par un acteur central du corporate. Il semble que c’est la compétence acquise sur l’innovation qui a conféré au champion la légitimité et la capacité d’animation.

William a commencé à travailler sur le projet aux US en 2008. Il a travaillé sur phase de test du prototype, la première version. Son rôle est d’entraîner les autres et d’avoir un reporting des données

Des événements ont été organisés une ou deux fois par an par le champion réunissant les experts techniques, les équipementiers et les vendeurs ». Les acteurs rencontrés membres de ce réseau nous ont tous indiqué l’importance du « face à face » dans ce genre de réunions où des connivences se nouent, très bénéfiques pour faciliter les échanges entre les différents acteurs et les différentes fonctions concernées par l’innovation.

GC a créé un club innovation Ap dans lequel il faisait venir tous les interlocuteurs ayant un lien avec le projet, depuis l’équipe R&D jusqu’aux vendeurs sur le terrain. Le principe de ce club était un séminaire associé à une activité de loisir pour faciliter les échanges informels (réunions de 2h de travail intensif suivies d’un golf de 2h) pour activer et faire vivre un réseau Ap

Facteur N°4 : Profil des premières filiales qui adoptent l’innovation

L’analyse des cas étudiés montre certaines récurrences dans l’enchaînement des filiales qui déploient l’innovation. Ainsi certaines filiales apparaissent souvent parmi les premières à commercialiser l’innovation. Il s’agit souvent de filiales historiques, qui ont une forte présence sur leurs marchés, et une taille importante. Soit elles sont le premier pays dans laquelle une innovation conçue par la R&D corporate est commercialisée. Soit elles ont elles-mêmes développé une innovation qui s’est déployée ultérieurement dans d’autres filiales. Les caractéristiques de ces filiales qui permettent d’expliquer cette forte implication dans l’innovation sont d’une part, des effectifs et des compétences importantes liés à un chiffre d’affaires lui aussi important et d’autre part, la présence de longue date de l’entreprise dans ces pays. Ces filiales ont alors plus de flexibilité pour dédier temporairement un acteur qui peut devenir champion de l’innovation et achever son développement local. On notera également une proximité géographique avec les centres R&D corporate, les services centraux et ces filiales qui facilitent la communication et la connaissance des innovations.

Ce projet a eu pour terrain de jeu et pays lanceur la France depuis le début, tout le développement marketing y a été fait ….. la France a toujours été motrice dans ce projet, d’ailleurs la première solution a été livré à ….

chef de projet

comme personne ne s’en occupait entre 2009 et 2010, il y a eu des problèmes ils ont changé de fournisseur et renégocié le contrat, ils ont perdu la connaissance du coté américain, le projet a donc du être arrêté. C’était mal parti c’est pour cela qu’on parle d’un redéploiement

Il y avait déjà des compétences en interne dans cette filiale. De plus, ce business est énorme aux Etats Unis : c’est l’endroit où il y avait le plus de maturité sur le projet

Ce qu’on a essayé de faire c’est de déployer aux US, c’était le champion country, l’objectif était de satisfaire complètement les gens là-bas, avoir un taux d’acceptance intéressant, et ensuite dire voilà ça marche aux US donc on déploie partout. Cette démarche n’était pas forcément la bonne : peut être que le choix du pays champion n’était pas forcément adapté, la difficulté venait de l’infrastructure disponible pour accompagner une telle solution, car après avoir commercialisé aux US, nous avons eu de gros problèmes l’année suivante et cela c’est lié d’après MM à la spécificité de la filiale. Peut-être qu’en France on n’aurait pas forcément été confrontés à ce genre de problème. Néanmoins, quand on choisit un pays champion, c’est une décision multi-variables

Au contraire, les filiales plus récentes, dont la position sur le marché est moins bien établie, dont la taille est encore modeste sont apparues parmi les dernières à adopter les innovations. Si la faible disponibilité de ressources et d’expertises pour commercialiser les innovations issues de la R&D corporate semble expliquer cette observation empirique, on peut s’interroger pour savoir si l’organisation actuelle ne limite pas l’émergence d’innovations qui seraient particulièrement adaptées aux marchés de ces filiales. Par ailleurs une certaine compétition entre filiales peut aussi se présenter.

Pour cette innovation, l’idée vient de l’analyse de la concurrence allemande qui a conduit à l’émergence de cette technologie. En parallèle des solutions différentes continuent à être développées en France, en Suisse et en Suède. La France devait permettre l’industrialisation de la solution

Normalement il y avait 3 pays champions, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis, mais le pays le plus actif était la France pour des raisons historiques, géographiques, de proximité avec la R&D, pratiques en somme : le marché français a été attaqué, il fallait réagir aux concurrents

Discussion

Nous avons conduit une analyse empirique de déploiements d’innovations dans une FMN définis comme l’enchaînement des commercialisations d’une innovation par des filiales situées dans des contextes locaux différenciés nécessitant à chaque fois son adaptation. Le choix d’un tel objet et niveau d’analyse constitue une originalité de ce travail qui contraste ainsi avec des recherches se situant pour la plupart au niveau du projet, des filiales ou du centre.

Les innovations analysées se sont appuyées sur des relations privilégiées développées avec des clients et des partenaires locaux comme les équipementiers, et ont également mobilisé des connaissances développées et maîtrisées en central dans les centre de R&D (non location bound knowledge (Rugman et al., 2011) ou des connaissances constituées lors des commercialisations successives et partagées entre filiales. Ces déploiements sont donc révélateurs d’un fonctionnement de la FMN conforme au modèle du double encastrement.

Dans tous les déploiements étudiés, des démarches visant à codifier les connaissances qui sous-tendaient les innovations ont été développées afin de faciliter les transferts. Nous considérons donc que ce sont plutôt les dynamiques de transfert de connaissances non complètement codifiées qui sont spécifiques aux déploiements les plus larges. Nous rejoignons donc Tallman et Chacar (2011) qui insistent sur la complémentarité entre transfert de connaissances codifiées et transfert de connaissances non codifiées et qui se focalisent principalement sur le second type.

De manière inductive et à partir de l’analyse comparée de cinq déploiements, nous avons souligné quatre facteurs qui différencient les déploiements en fonction de leur ampleur géographique et de leur rythme : (i) l’existence d’un champion du déploiement de l’innovation qui pilote son développement et sa première commercialisation, consolide les compétences au fur et à mesure du déploiement et incarne l’innovation, (ii) l’établissement de relations de co-développement avec des partenaires équipementiers locaux s’appuyant sur des relations préexistantes nouées par la filiale et capitalisant sur les précédents partenariats noués avec des équipementiers par d’autres filiales pour cette même innovation, (iii) la constitution d’un réseau fédérant les différents experts locaux ayant été impliqués dans la mise en oeuvre de l’innovation pour leur filiale et ayant des expertises soit sur la technologie soit sur le marché de l’innovation et son animation par le champion du déploiement transversalement aux filiales, et (iv) le profil de la première filiale dans laquelle est commercialisée l’innovation et sa capacité à mobiliser des ressources et expertises techniques et marché suffisantes pour mettre au point l’innovation et l’adapter aux premiers clients.

Tableau 2

L’occurrence des facteurs selon les cas analysés

L’occurrence des facteurs selon les cas analysés

NP : non pertinent

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Nous allons discuter ces facteurs et les mettre en perspective par rapport à la littérature existante. Ils peuvent être rapprochés du modèle théorique de Tallman & Chacar (2011). Ainsi, nous le discutons et précisons ses conditions de mise en oeuvre.

Dans leur modèle, ces auteurs insistent sur trois composantes contribuant aux transferts de connaissances dans la FMN : les communautés de pratiques (CoPs) dans les filiales, les réseaux locaux autour de ces communautés de pratiques (NoPs) tissés par les filiales avec leur environnement et les réseaux de pratiques inter-filiales (INoPs) fédérant des membres partageant des pratiques et dispersés géographiquement.

Notre premier facteur met en avant le rôle d’un acteur, le chef de projet local qui pour la première commercialisation de l’innovation coopère à la fois avec les premiers clients, le premier équipementier et les équipes de R&D (lorsque l’innovation provient du centre). Ce rôle et l’équipe qu’il coordonne peut être rapproché de la CoP, celle-ci est ici réduite à un petit nombre d’acteurs ayant un rôle d’architecte de l’innovation et combinant des connaissances sur les usages, la technologie et ses caractéristiques économiques.

Les deux premiers facteurs mis en avant, à savoir le chef de projet local coopérant avec les premiers clients et le co-développement avec un équipementier local, peuvent être rapprochés des NoPs. En effet, même lorsque l’innovation a été conçue dans les services de R&D centraux et s’appuie sur des développements de connaissances internes à l’entreprise, les cas étudiés montrent la nécessité d’une mise au point de l’innovation chez les premiers clients et d’échanges directs entre le chef de projet, les équipes R&D et les premiers clients. Ce travail conjoint conduit à développer une proximité de nature à permettre des échanges de connaissances non complètement codifiées et explicitées comme par exemple celles portant sur l’intérêt que le client voit dans l’innovation et sur les principaux obstacles à son adoption. Cette proximité qui résulte de la participation à un projet conjoint a également une dimension spatiale dans la mesure où il y a co-présence de ces acteurs. Notre matériau empirique met en évidence également que les relations de la filiale avec le premier client sont souvent fortes et anciennes, ce qui facilite un travail en confiance. Ces différentes caractéristiques nous conduisent à rapprocher ce groupe d’acteurs (chef de projet local, premiers clients, soutiens dans la filiale) de la notion de NoP en ce qu’il traverse les frontières de l’entreprise, présente un fort ancrage local et s’adosse sur une réalisation menée en collaboration.

De même, la relation instaurée avec l’équipementier, dont on a souligné qu’elle était plus performante pour le déploiement lorsqu’elle était nouée avec un équipementier local avec lequel la filiale a développé des coopérations de longue date, peut être rapprochée du NoP qui dans ce cas associe non pas des clients privilégiés mais des équipementiers et la filiale. Ainsi la première commercialisation de l’innovation s’appuie sur ces relations privilégiées préexistantes et vient les renforcer par le travail commun qui contribue à développer et échanger des connaissances.

Le troisième facteur mis en avant, à savoir le réseau constitué entre les experts locaux qui déploient l’innovation dans différents pays, nous semble correspondre à la notion d’INoP. Il apparaît absolument crucial dans la réussite des déploiements, d’autant que la dimension collective de la compétence constituée s’inscrit dans ce réseau multi-localisé plus que sur une équipe locale dont on a vu que, dans l’entreprise étudiée, elle se réduisait souvent à une personne dans une localisation.

Nous schématisons à travers la figure N°3, les rapprochements entre les éléments mis en avant dans notre analyse et le modèle de Tallman & Chacar (2011).

Au-delà de ces proximités, notre analyse nous conduit à souligner des phénomènes dont ce modèle rend mal compte, à le discuter et à en préciser les conditions de mise en oeuvre. Nous les articulerons autour de trois thèmes : la différenciation des filiales et la contribution de la R&D corporate dans les dynamiques de transfert de connaissances tacites, le rôle du champion du déploiement comme condition d’émergence et de fonctionnement d’INoP et enfin, la contribution de l’écosystème au déploiement des innovations entre filiale.

Le modèle de Tallman et Chacar donne à toutes les filiales un rôle similaire et en particulier ne fait pas référence aux fonctions R&D corporate. Nous mettons en évidence au contraire que la première filiale qui finalise le développement de l’innovation avec un premier client a un rôle particulier. Par ailleurs, lorsque l’innovation a été préalablement développée dans la R&D centrale, la CoP ou équipe projet en charge de la mise au point avec les premiers clients associe des acteurs de cette R&D pour permettre les échanges de connaissances non complètement explicitées. Le chef de projet local de la filiale pionnière prend ensuite le rôle clé de champion du déploiement de l’innovation dans les autres filiales. Enfin, il ressort de l’ensemble des innovations étudiées que certaines filiales sont plus souvent pionnières que d’autres : ce sont généralement les grandes filiales situées dans les pays dans lesquels se trouvent les centres de R&D. Ce résultat rejoint les travaux mettant en évidence des filiales spécifiques appelées les super-star subsidiaries qui contribuent sur une longue période au renouvellement stratégique et technologique de la multinationale (Blomkvist et al. 2010, 2012). Distinguer des types de filiales différents peut constituer une réponse au paradoxe entre adaptation locale et intégration globale et un mode de conciliation de ces deux logiques (Forsgren et al. 1997). Certaines filiales prendraient plus spécifiquement un rôle d’intégrateur de connaissances externes et globale dans la FMN : celles pouvant constituer une CoP autour de l’innovation et bénéficier de NoP denses. Ces filiales peuvent aussi être caractérisées par la faible distance au centre qu’il s’agisse de distance culturelle, institutionnelle, ou de risque (Schwens et al., 2011). Au-delà de la filiale pionnière, les filiales suivantes dans lesquelles sont commercialisées une innovation (les 5 à 10 premières filiales) et leur enchaînement peut aussi avoir un impact important sur la dynamique de déploiement. Cette caractérisation plus fine des trajectoires des filiales et de leur capacité de mise au point des innovations constitue un axe de recherche que nous poursuivons (Guerineau et al. 2014). Une telle approche conduit à articuler les nombreux travaux qui ont adopté la filiale comme unité d’analyse avec notre travail qui met en avant le niveau du déploiement.

Figure 3

Rapprochement des facteurs favorisant le déploiement d’innovations et du modèle théorique de Tallman & Chacar (2011)

Rapprochement des facteurs favorisant le déploiement d’innovations et du modèle théorique de Tallman & Chacar (2011)

-> Voir la liste des figures

Ainsi, le modèle proposé par Tallman et Chacar (2011) pourrait ne concerner qu’un type de filiales et non l’ensemble des filiales de la FMN. Dans le contexte actuel, qui se caractérise par une croissance rapide dans des zones géographiques dans lesquelles les FMN occidentales étaient jusqu’alors moins développées, la question de l’évolution des filiales reconnues comme superstar subsidiaries et des conditions permettant à une filiale d’accéder à un tel rôle est cruciale. Une conception différenciée des filiales nous semble de nature à mieux formuler les challenges liés à cette évolution géographique des marchés.

Tallman et Chacar (2011) soulignent le fait que les INoPs émergent difficilement spontanément par opposition aux réseaux locaux NoPs. Nos résultats confortent cette affirmation puisque dans trois cas sur cinq, l’absence d’un tel réseau semble avoir limité l’ampleur du déploiement. Notre analyse nous conduit à préciser des conditions de nature à soutenir l’émergence de ces réseaux en introduisant le rôle de champion du déploiement. Cet acteur développe en tant que chef de projet ses connaissances sur l’innovation lors de la première commercialisation qui est ancrée dans un contexte local, et devient l’animateur du réseau interne (INoP) en fédérant des experts de l’entreprise répartis dans les différentes filiales et ayant contribué à la mise en oeuvre de l’innovation pour ces filiales. Nous avons souligné ses compétences et le rôle de « personnification » et d’incarnation de l’innovation qu’il prend et semblent fonder la légitimité de cet acteur à fédérer ce réseau multi-local. Nous avons également précisé les actions qu’il entreprend et sont de nature à faire fonctionner ce réseau multi-localisé à la manière d’une communauté de pratiques. Nous allons le différencier d’autres rôles identifiés dans la littérature et qui peuvent sembler similaires.

Les travaux en management de l’innovation distinguent différents rôles contribuant au développement des innovations et mettent en avant des réseaux d’acteurs qui peuvent contribuer ponctuellement par leurs compétences aux processus de conception. Cependant ces auteurs n’étudient pas spécifiquement le caractère international des innovations. Ainsi les rôles de « champion », de « chef de projet » et de « boundary spanner » ont été caractérisés (Midler, 1993; Tushman et Nadler 1986; Howell & Higgins, 1990). Le « champion » véhicule et promeut une vision de l’innovation et de son potentiel très largement dans l’organisation et cela malgré les oppositions que celle-ci suscite. Il est un soutien aux équipes projet car il contribue à surmonter les oppositions par sa force de conviction. Le « chef de projet » situe son action non sur la communication d’une vision, mais sur la réalisation des différentes activités permettant à cette vision de se concrétiser, il définit, répartit et coordonne le travail de l’équipe. Le boundary spanner est capable en partant des questions posées par une fonction ou une entité de l’entreprise de les reformuler pour que d’autres fonctions ou entités puissent apporter les éléments de réponse, il peut également guider ses interlocuteurs vers les services dans lesquels ils trouveront les compétences pour répondre à leurs questions.

L’importance des réseaux d’acteurs dans les processus d’innovation et la capacité qu’ils offrent d’accéder à des connaissances reparties ont été également souligné notamment par Hargadon et Sutton (1997). Obstfeld (2005) distingue deux comportements pour mettre à profit ces réseaux d’acteurs. Le premier consiste pour l’animateur du réseau à mettre en relation directement les acteurs grâce à sa capacité à comprendre les problèmes rencontrés par l’un et les compétences de l’autre, il est qualifié de « tertius iungens ». Le second comportement consiste pour l’animateur à se positionner comme un point de passage obligé apportant les réponses fournies par un expert de son réseau aux questions soumises par un autre acteur sans que ces deux personnes aient l’occasion d’interagir directement, il est qualifié de « tertius gaudens ». Le premier comportement apparait plus propice à l’innovation.

Compte tenu de notre focalisation sur le déploiement d’innovation, nous mettons en évidence un rôle spécifique qui emprunte à ces catégories tout en s’en distinguant. Le « champion du déploiement » cumule un rôle de « chef de projet » limité à la première filiale puis un rôle de « champion » dans un second temps en communiquant une vision du potentiel à l’international de l’innovation et un rôle de « boundary spanner » spécifiquement focalisé sur le déploiement de cette innovation et exercé en animant un réseau d’experts géographiquement dispersés et en développant un comportement de type tertius iungens.

Enfin, nous avons souligné l’importance du choix d’un équipementier soit plus généralement d’un complémenteur. Dans le cas étudié, l’implantation internationale de l’équipementier n’apparait pas de nature à faciliter le déploiement. Pour autant, un équipementier comme un client ayant une structure de multinationale par ses INoP respectifs pourraient influencer le déploiement international d’une innovation dans des secteurs qui présenteraient des caractéristiques différentes de celui étudié. On peut faire l’hypothèse d’une facilitation de circulation de connaissances dans la firme grâce à l’existence de ces réseaux chez les partenaires extérieurs. Nous n’avons pas pu approfondir cette hypothèse sur notre cas. Ce type de transfert de connaissances est peu mis en évidence par la modélisation proposée par Tallman et Chacar. Un tel axe de recherche permettrait de discuter les travaux sur l’émergence d’écosystèmes et leur rôle dans l’innovation (Adner, 2006; 2012; Adner & Kapoor, 2010). Il conduirait à confronter une conception d’écosystème localisé, cohérente avec le modèle de Tallman et Chacar (2011) où le déploiement d’innovation nécessite de fédérer localement dans chaque filiale l’écosystème approprié à l’innovation à une conception d’écosystème global spécifique à une innovation et non à une géographie.

Conclusion

Les recherches en management international (Bartlett et Goshal, 1989; Kogut et Zander, 1993; Birkinshaw, Hood et Jonsson, 1998; Gupta et Govindarajan, 2000; Frost et Zhou, 2005; Meyer, Mudambi et Narula, 2011; Mayrhofer, 2011) ont modélisé la FMN comme un réseau global et différencié de filiales interdépendantes. Ces filiales réalisent un double encastrement : externe qui leur permet de tirer parti des connaissances situées dans leur environnement local (universités, fournisseurs, clients, réseaux de distribution) et interne qui leur permet de bénéficier des compétences développées au sein de la FMN par les autres filiales ou en central (Figueiredo, 2011; Meyer et al. 2011). Afin de dépasser le paradoxe entre adaptation locale et intégration globale souligné notamment par Forsgren (1997), nous nous sommes intéressés aux déploiements d’innovations entre filiales de la FMN. Notre hypothèse est que les innovations ne se transfèrent pas et ne diffusent pas telles quelles mais nécessitent des adaptations locales. La notion de déploiement d’innovations inter-filiale que nous avons proposée met l’accent sur l’enchaînement de ces adaptations au fur et à mesure des commercialisations dans les filiales. Sur la base de l’analyse approfondie et comparée de cinq déploiements d’innovations au sein d’une FMN, nous avons souligné de manière inductive quatre facteurs qui favorisent ces déploiements.

Ainsi, nous apportons quatre contributions : (i) nous proposons la notion de déploiement pour souligner le caractère évolutif des innovations et les adaptations au fur et à mesure de leur transfert inter-filiale, (ii) cette notion nous permet de construire une démarche empirique et d’adopter un niveau d’analyse micro rarement considéré dans la littérature en management de l’innovation dans les FMNs qui adopte généralement le niveau de la filiale ou du siège. Ce faisant nous explorons l’apport d’une telle perspective, (iii) nous discutons le modèle théorique et conceptuel de Tallman et Chacar (2011) qui se sont intéressés conjointement au transfert des connaissances explicites et tacites/enracinés dans la FMN en mobilisant la notion de communauté de pratiques et enfin (iv) nous précisons les conditions de mise en oeuvre de ce modèle en proposant des modalités d’animation des réseaux internes de la FMN avec la figure du « champion du déploiement » de l’innovation.

Notre recherche a une portée managériale car les facteurs mis en avant sont autant de points de vigilance pour les différentes entités de la FMN, que ce soit le centre ou les filiales. Ces facteurs de nature à favoriser le déploiement des innovations mettent en avant trois axes d’approfondissement : l’importance de compétences locales (compétences techniques pour l’adaptation aux spécificités locales, compétences business et de relation avec les clients et des compétences de collaboration avec des équipementiers qui complètent l’innovation offerte), la structuration de communautés de pratiques de l’innovation internes à la FMN (inter-filiales) soulignant le caractère fédérateur de l’innovation et l’importance de son incarnation et, enfin le rôle spécifique de la première filiale en sa qualité de lanceur et de passeur de l’innovation. Une extension de ce travail, qui est en cours, porte spécifiquement sur les trajectoires de déploiement empruntées à partir d’une caractérisation plus fine de ces filiales lanceurs.

D’autres recherches pourraient explorer le caractère contingent de ces résultats et mettre en relation les caractéristiques des filiales lanceurs, le type d’innovation à déployer et la vitesse de déploiement.

Les limites de la recherche correspondent à celles relevant d’une méthodologie fondée sur l’analyse de cas a posteriori en s’appuyant sur des entretiens ainsi que des documents datant du développement et de la commercialisation de l’innovation. Le fait de se focaliser sur une entreprise unique permet de contrôler les sources de variété mais appelle à dupliquer des recherches de ce type afin de s’affranchir des spécificités du secteur.