Corps de l’article

Dans le prolongement des travaux issus de la théorie des ressources (Wernerfelt, 1984; Barney, 1991), il est admis que les compétences, les connaissances et les capacités individuelles représentent aujourd’hui une nouvelle forme de capital, source de performance et d’avantage concurrentiel (Schuler et MacMillan, 1984; Ulrich, 1991; Wright, McMahan et McWilliams, 1994). Dans ce contexte, l’expérience professionnelle, en tant qu’élément du capital humain (Becker, 1962), peut être source d’avantage concurrentiel. La relation entre l’expérience professionnelle et la performance est, dans ce cas, abordée sous l’angle du développement et de l’accumulation de compétences et de connaissances stratégiques pour l’entreprise. Mais il apparaît également nécessaire d’appréhender cette relation à travers l’étude de l’impact de la diversité en termes d’expérience professionnelle sur les résultats. L’expérience professionnelle est alors considérée comme un élément de la diversité du groupe qui in fine, peut influer la performance (Jackson, May et Whitney, 1995; Pelled, 1996; Harrison, Price et Bell, 1998; Mannix et Neale, 2005).

Les travaux empiriques déjà réalisés sur l’accumulation et la diversité de l’expérience professionnelle ne mènent toutefois pas à de résultats convaincants (Finkelstein et Hambrick, 1996). De plus, dans ces travaux, l’accumulation et la diversité au niveau de l’expérience professionnelle ne sont jamais étudiées conjointement. L’objectif de cet article est d’approfondir l’analyse du lien entre expérience et performance en étudiant de manière conjointe les effets de l’accumulation et de la diversité en expérience professionnelle sur la performance du groupe. Afin d’étudier cet impact le plus précisément possible, l’expérience professionnelle a été appréhendée sous trois perspectives distinctes (Hambrick et Mason, 1984) : général (âge), organisationnel (expérience au sein de l’organisation) et fonctionnel (expérience sur un poste ou une fonction).

La première partie de cette recherche est consacrée à l’examen des recherches passées s’intéressant au lien entre chacune des composantes de l’expérience et la performance, ce qui permet de proposer un ensemble de quatre configurations de groupe envisageables. Dans une deuxième partie, les équipes nationales de football du Brésil ayant participé à quinze coupes du monde sont étudiées afin d’établir un lien empirique entre les configurations mises à jour de manière théorique et la performance des équipes. Enfin, la dernière partie présente les conclusions et les limites de cette recherche ainsi que des pistes de réflexion pour de futurs travaux.

Revue de littérature

La richesse des contributions relatives à l’expérience professionnelle permet de distinguer deux dimensions de l’expérience au niveau du groupe : le niveau d’expérience des membres du groupe et la diversité d’expérience de ces mêmes membres. Parallèlement, le concept d’expérience professionnelle peut être affiné en distinguant trois dimensions ou formes d’expérience individuelle : l’âge, l’expérience au sein de l’organisation et l’expérience sur un poste ou une fonction. En vue d’approfondir l’étude de la relation entre l’expérience professionnelle et la performance du groupe, cette recherche va chercher à analyser la relation entre l’accumulation et la diversité par le biais des trois dimensions de l’expérience et la performance de l’équipe.

Toujours plus, synonyme de toujours mieux ? Accumulation d’expérience professionnelle des membres du groupe et performance

Selon la théorie du capital humain (Becker, 1962), l’expérience professionnelle peut être définie comme une accumulation de compétences, de connaissances et de capacités qui possèdent les mêmes propriétés que d’autres types de capital présents dans l’entreprise (Richter et Schmidt, 2006). Si les travaux empiriques étudiant la relation entre le niveau d’expérience professionnelle et la performance mettent en évidence des résultats variés (Richter et Schmidt, 2006), il n’en reste pas moins intéressant de l’analyser pour chacune des trois dimensions de l’expérience professionnelle.

Relation entre l’âge des individus et la performance

L’âge est un facteur directement et positivement lié à l’expérience professionnelle (Ali et Davies, 2003). Les recherches s’intéressant à la relation entre l’âge et la performance ont pendant longtemps confirmé les considérations théoriques comme celles du courant decremental theory of aging (Welford, 1965) selon lesquelles les individus plus âgés rencontrent de nouvelles difficultés liées à la diminution de leurs capacités motrices (Giniger, Dispenzieri et Einsenberg, 1983) ou intellectuelles (Salthouse, 1991), autant d’éléments qui peuvent constituer de fortes entraves à la performance individuelle. Comme le rappellent les travaux de Sturman (2003), d’autres auteurs ont développé cette vision négative en soulignant la baisse de l’ambition et de la motivation générale des individus pour mettre en avant l’impact négatif de l’âge sur la performance (Wright et Hamilton, 1978; Rhodes, 1983; Giblin, 1986; Judge et Locke, 1993). La prise en considération de l’environnement du travailleur senior au sein de l’organisation alimente cette relation négative dans le sens où celui-ci lui offre moins d’opportunités comme les formations ou les augmentations qui peuvent être source de performance (Siegel et Ghiselli, 1971; Lawrence, 1988).

Toutefois, certains travaux mettent évidence une relation positive entre l’âge et la performance. A ce titre, il semblerait que l’intelligence cristallisée (Cattell, 1963), c’est-à-dire la capacité à résoudre des tâches faisant appel à des connaissances antérieures, est une caractéristique plus présente chez les personnes âgées (Dixon, Kramer et Baltes, 1985). De même, certains auteurs ont montré que des capacités pragmatiques se développent avec l’âge, compensant ainsi le déclin des capacités physiques et mécaniques (Salthouse, 1995).

Relation entre l’expérience accumulée au sein de l’organisation et la performance

L’expérience accumulée au sein d’une organisation (mesurée par exemple en nombre d’années passées en son sein) peut restreindre la capacité de l’individu à envisager de nouvelles perspectives (Pfeffer, 1983) du fait de la limitation du socle de connaissances individuelles et de la capacité de réflexion à de nouvelles alternatives possibles (Guthrie et Datta, 1997). Toutefois, cette expérience accumulée au sein d’une organisation permet à l’individu d’assimiler des informations relatives à celle-ci qui vont lui permettre non seulement de s’intégrer socialement (Feldman, 1976) mais aussi, d’accroître sa motivation et son investissement organisationnels (Wagner, et Gooding, 1987; Quinones, Ford et Teachout, 1995; Tesluk et Jacobs, 1998).

Relation entre l’expérience accumulée sur un poste ou une fonction et la performance

L’expérience accumulée sur un poste ou une fonction implique « une accumulation de connaissances spécifiques au travail à partir de l’activité, la pratique et la perception des tâches et des devoirs associés à ce travail spécifique[1] » (Sturman, 2003 : p 611). Ce type d’expérience peut être considéré comme un marqueur d’identité qui renseigne sur le type de compétences et de connaissances apportées par l’individu et aux effets propres et distincts de ceux engendrés par l’expérience accumulée au sein de l’organisation (Tesluk et Jacobs, 1998).

Si de nombreuses contributions ont montré que la relation entre l’expérience acquise sur un poste ou une fonction et la performance n’est pas linéaire dans le temps (Schmidt, Hunter et Outerbridge, 1986; Avolio, Waldman et McDaniel, 1990), cette relation est le plus souvent considérée comme positive (Hunter, 1983; Schmidt et al., 1986; Campbell, 1990). La théorie du capital humain et la théorie de l’apprentissage soulignent notamment le fait que l’accumulation d’expérience favorise le développement de connaissances, de compétences et de capacités individuelles et par conséquent, la performance individuelle sur cette fonction (Weiss, 1995; Ehrenberg et Smith, 2000). Toutefois, certains auteurs (Lawrence, 1988; McDaniel, Schmidt et Hunter, 1988; McEvoy et Cascio, 1989) ont montré que l’accumulation d’expérience au niveau du poste ou de la fonction n’engendrait pas une amélioration de la performance. Bien que des gains de performance puissent être réalisés, ils le sont généralement en début de carrière pour ensuite diminuer au fil du temps.

Si l’expérience accumulée au niveau individuel est sans aucun doute une dimension importante du groupe de travail, il est également important de ne pas négliger une autre perspective, la diversité au niveau de l’expérience professionnelle.

Le succès est-il dans la différence ? diversité en expérience professionnelle et performance

Les organisations comme les groupes de travail sont rarement homogènes (Dameron et Joffre, 2007). Une grande diversité au niveau de caractéristiques telles que le sexe, l’âge ou l’ancienneté peut exister entre les membres d’un groupe. La diversité est alors appréhendée comme une séparation, une variété ou une disparité relative à un ou plusieurs éléments de la diversité d’un groupe (Harrison et Klein, 2007). Afin d’étudier de manière plus précise cette relation et compte tenu de la difficulté d’obtenir des résultats significatifs, cet article s’intéresse plus particulièrement à la diversité en terme d’âge, d’expérience au sein de l’organisation et d’expérience au niveau du poste ou de la fonction.

Relation entre la diversité au niveau de l’âge des individus et la performance

L’âge, comme l’origine ethnique ou le genre, est un élément de la diversité biodémographique, non lié au poste ou à la fonction et dont l’incidence de sa diversité au sein d’un groupe sur ses résultats fut largement étudiée (Richard, Kochan et McMillan-Capehart, 2002). L’hétérogénéité en âge des membres d’un groupe a longtemps été perçue comme un frein à la performance. De nombreuses contributions empiriques et théoriques ont enrichi cette vision pessimiste en insistant notamment sur les difficultés de communication et d’intégration sociale (Rhodes, 1983; Zenger et Lawrence, 1989; Tsui, Egan et O’Reilly, 1992; Horwitz, 2005) ainsi que sur l’accroissement du taux d’absentéisme et du turnover impliquant une performance du groupe plus faible (Wagner, Pfeffer et O’Reilly, 1984; Jackson et al., 1991).

Parallèlement à l’émergence d’un besoin accru du maintien des seniors en activité dans certains pays, le thème de la diversité en âge au sein d’une équipe a progressivement bénéficié d’une représentation beaucoup plus optimiste. La compatibilité des jeunes et des moins jeunes sur des tâches différentes (Hambrick et Mason, 1984; Hambrick, 1994) et les effets positifs issus de l’hétérogénéité en âge de l’équipe (l’enrichissement des perspectives, des expériences au sein du groupe, l’amélioration de la qualité des décisions) contribuent à l’établissement d’une relation positive entre ce type de diversité et la performance (Cox et Blake, 1991; Pelled, 1996).

Relation entre la diversité au niveau de l’expérience au sein de l’organisation et la performance

La diversité de ce type d’expérience a déjà fait l’objet de nombreuses contributions empiriques aux résultats contrastés. Les effets négatifs de cette hétérogénéité sont majoritairement ressentis en termes de communication interne (O’Reilly et al., 1993; Horwitz, 2005), de résolution de conflits, de cohésion sociale (O’Reilly, Caldwell et Barnett, 1989) et de turnover (McCain, O’Reilly et Pfeffer, 1983).

Pour autant, la diversité en expérience au sein de l’organisation apporte de nouvelles perspectives à l’équipe de travail et ainsi, engendre des effets positifs sur la performance de ce groupe (Horwitz, 2005). En effet, l’équipe diversifiée est plus disposée à s’engager dans de nouvelles stratégies, à faire face aux changements organisationnels et à faire preuve d’une plus grande flexibilité (Katz, 1982; Dutton et Duncan, 1987; Boecker, 1997). Aussi, d’autres travaux ont amené de nouveaux résultats confirmant l’incidence positive de cette diversité sur la qualité des débats et sur le processus de prise de décision dans une équipe de top-managers (Simons, Pelled et Smith, 1999).

Relation entre la diversité au niveau de l’expérience sur un poste ou une fonction et la performance

L’expérience propre à une fonction, c’est-à-dire le nombre d’années passées à accomplir les tâches attachées à cette fonction, confère à l’individu une certaine expertise, une spécialisation et des connaissances spécifiques au domaine concerné. Comme pour la majorité des autres éléments de la diversité, les résultats relatifs à la nature des effets de cette diversité sur la performance du groupe sont variés. Les préjudices de l’hétérogénéité de l’équipe de travail sur son fonctionnement et ses résultats peuvent être nombreux : émergence de conflits, difficultés de communication, de coordination (Ancona et Caldwell, 1992) et de partage d’une même compréhension des tâches (Dougherty, 1992; Fiol, 1994).

Cependant, d’autres perspectives permettent d’entrevoir ce type de diversité comme un levier d’efficacité et d’efficience et donc de performance du groupe de travail (Bantel, 1994). De nombreux facteurs tels qu’une plus grande réactivité (Eisenhardt et Tabrizi, 1995), une meilleure gestion budgétaire, une plus grande capacité d’action (Hambrick, Cho et Chen, 1996) et de prise de décisions stratégiques des membres de l’équipe (Lant, Milliken et Batra, 1992) justifient cette relation positive.

Accumulation d’expérience vs. diversité d’expérience du groupe : Etude croisée

Après avoir considéré les effets respectifs du niveau et de la diversité de l’expérience professionnelle, il est nécessaire d’étudier ces deux éléments de manière simultanée. En s’intéressant aux conséquences de l’accumulation et de la diversité de manière indépendante, la littérature montre qu’il n’existe aucun consensus sur l’impact que peuvent avoir ces deux variables sur la performance du groupe.

Un groupe peut être composé d’individus possédant un niveau d’expérience professionnelle plus ou moins élevé. Si tous les individus possèdent le même niveau (groupe de débutants dans lequel tous les membres ne possèdent aucune expérience significative ou groupe d’experts dans lequel tous les membres possèdent beaucoup d’expérience par exemple), la diversité est faible. En revanche, si le niveau des membres au sein d’un même groupe n’est pas le même pour tous, la diversité en termes d’expérience peut croître. En croisant un niveau d’expérience faible ou fort avec un degré de diversité faible ou fort, il est possible d’obtenir quatre groupes types. La figure 1 représente ces quatre groupes.

Figure 1

Typologie de groupes en fonction de l’accumulation et de la diversité d’expérience

Typologie de groupes en fonction de l’accumulation et de la diversité d’expérience

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Le groupe 1 correspond à un groupe possédant un faible niveau d’expérience global mais à l’intérieur duquel il existe une diversité entre les membres. Des membres possédant un certain niveau d’expérience cohabitent avec des membres ne possédant aucune expérience. Ce groupe correspond au cas où quelques individus expérimentés encadrent un nombre important d’individus sans expérience. Le groupe 2 possède un fort niveau d’expérience global. Ce niveau est, à l’instar du groupe 1, très hétérogène puisqu’il est composé pour une part d’experts (individus possédant le niveau d’expérience le plus élevé) et pour une autre part, de débutants. Compte tenu du niveau d’expérience élevé du groupe, le nombre d’individus expérimentés est supérieur au nombre d’individus sans expérience. Dans ce groupe, les individus expérimentés forment les quelques individus inexpérimentés. La diversité en termes d’expérience au niveau du groupe est par conséquent très élevée. Le groupe 3 est composé d’individus possédant tous un niveau d’expérience faible. Dans ce cas, le degré de diversité est donc nul. Il s’agit là d’un groupe de débutants. Enfin, le groupe 4 inclut des membres possédant tous un niveau identique d’expérience élevé. Le degré de diversité est également nul dans ce groupe. Il s’agit là d’un groupe d’individus particulièrement expérimentés pouvant être qualifiés d’experts.

Alors qu’il est possible d’anticiper des effets tant positifs que négatifs de l’expérience sur le niveau de la performance, et ceci tant au niveau de l’accumulation qu’au niveau de la diversité, il apparaît particulièrement difficile de prédire un lien particulier entre chacune des quatre configurations mises en évidence et un niveau de performance. Pour cela, les performances de plusieurs groupes présentant des caractéristiques différentes en termes d’expérience doivent être étudiées.

Étude empirique

Cette recherche repose sur l’étude de l’équipe nationale de football du Brésil. En effet, l’analyse des différentes équipes ayant participé aux coupes du monde de football organisées par la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) permet de s’intéresser à l’impact du niveau et de la diversité de l’expérience au sein d’un groupe sur la performance.

Les équipes de football en tant que groupe de travail

Un groupe de travail peut être défini comme un ensemble d’individus qui se voient eux-mêmes et qui sont vus par les autres comme une entité sociale, interdépendants de la réalisation des tâches en tant que membres du groupe, encastrés dans des systèmes sociaux plus larges et dont les résultats individuels affectent d’autres personnes (Hackman, 1987). A la vue de cette définition, les équipes de football constituent un cas de groupe de travail particulièrement intéressant en raison du poids de la performance individuelle sur la performance globale.

Dans ce contexte, le choix des joueurs et tout particulièrement l’arbitrage entre jeunesse et expérience, est crucial. Compte tenu de la dimension physiologique liée à l’activité sportive, les jeunes joueurs possèdent un avantage physique sur leurs aînés. En revanche, du fait de leur jeune âge, les joueurs disposant des meilleures conditions physiques sont également ceux qui possèdent le moins d’expérience. A ce propos, le choix de se concentrer sur la coupe du monde de football permet de se focaliser un peu plus encore sur cet arbitrage. D’une part, compte tenu du nombre important de matchs à jouer dans un laps de temps relativement court, les coupes du monde de football mobilisent des joueurs au meilleur de leur forme physique. D’autre part, la participation à la coupe du monde de football, comme toute compétition de haut niveau, requiert une certaine expérience de la part des joueurs. En effet, ce type d’événements étant si particulier, il est important de disposer de joueurs qui en connaissent les rouages et les pièges à éviter.

Réaliser une étude empirique à partir d’équipes de football peut sembler considérablement réducteur étant donnée la spécificité du groupe considéré. Toutefois, les recherches académiques menées à partir de données empiriques issues du monde du sport ont débuté dès les années cinquante et sont désormais courantes (Dobson et Goddard, 2001). Hormis les avancées faites en économie du sport, les chercheurs ayant recours à ce type d’études mettent en avant la disponibilité et l’accessibilité des données, qu’il s’agisse des caractéristiques individuelles ou encore des niveaux de performance des équipes de sport professionnelles. L’étude de ces équipes permet d’étudier un grand nombre d’éléments clefs des organisations comme la hiérarchie, le travail d’équipe ou la prise de décision stratégique (Wolfe et al., 2005). De ce fait, les équipes de sport peuvent devenir des laboratoires idéaux pour la vérification empirique des hypothèses dont la confrontation à la théorie s’avère complexe dans d’autres contextes (Dobson et Goddard, 2001). A titre d’exemple, Staw et Hoang (1995) ont offert la première étude quantitative s’intéressant aux effets des coûts cachés à travers l’étude des joueurs de basketball aux Etats-Unis. D’autres auteurs se sont intéressés à cette même source de données empiriques pour étudier la théorie de l’équité (Harder, 1992), le leadership (Pfeffer et Davis-Blake, 1986), le statut organisationnel (Washington et Zajac, 2005) ou encore la dynamique concurrentielle (Kilduff, Elfenbein et Staw, 2010). Les équipes automobiles de NASCAR (Bothner, Kang et Stuart, 2007), les équipes de baseball (Harder, 1992) ou celles de hockey (Day, Sin et Chen, 2004) ont également été utilisées pour l’analyse de certains phénomènes organisationnels.

Le fait de considérer une équipe de football comme un groupe de travail présente toutefois certaines spécificités propres au domaine sportif, qui rendent difficile la généralisation de l’étude à des contextes de travail plus traditionnels. Tout d’abord, notons que l’âge et l’expérience au sein de l’organisation sont considérés dans cette étude comme des facteurs indépendants. En effet, il n’existe pas un lien direct entre la sélection pour une équipe nationale de football et une sélection en coupe du monde et l’âge. Si certains joueurs connaissent le plus haut niveau dès le plus jeune âge (autour de 20 ans) pour ne plus le quitter, d’autres intègrent l’équipe nationale plus tard. Mais cette indépendance entre l’âge et l’expérience n’est pas la norme dans des secteurs professionnels plus classiques. En effet, le plus souvent, l’ancienneté (et par conséquent l’âge) sur un poste dans une entreprise ou dans un secteur d’activité détermine le niveau de responsabilités du salarié. Le choix des variables doit donc être adapté en fonction du contexte pour des recherches futures. Leur interdépendance peut également, dans certains cas, être remise en question.

L’équipe nationale de football du Brésil

L’équipe de football du Brésil a été formée en 1914. Il s’agit de la sélection qui a remporté le plus de coupes du monde (1958, 1962, 1970, 1994 et 2002) et de la seule équipe nationale à avoir participé à toutes les coupes du monde. Compte tenu du niveau de cette équipe, ne pas remporter la coupe du monde est une sous-performance. Le but de la sélection est donc clair et partagé par l’ensemble des joueurs : gagner la coupe. Enfin, la sélection nationale du Brésil est l’équipe de football la plus médiatisée au monde. Il est par conséquent aisé de trouver des informations à son sujet et ainsi, multiplier les sources de données (Yin, 1994).

Collecte des données

Afin de reproduire le plus fidèlement possible la réalité de l’équipe sur le terrain, l’équipe de chaque coupe du monde a été étudiée à travers l’ensemble des équipes présentées durant les matchs de cette même coupe du monde. Par exemple, ce n’est pas la composition des 23 joueurs présentés pour jouer la coupe du monde de 2006 qui a été analysée mais la composition des 5 équipes du Brésil présentées lors des 5 matchs joués lors de cette compétition. Compte tenu de leur forme particulière (tant sur le déroulement que sur le nombre de participants), les quatre premières coupes du monde (1930, 1934, 1938 et 1950) ont été exclues de l’analyse. Ainsi, nous avons porté notre attention sur la composition de quinze équipes nationales du Brésil sur les dix-neuf ayant participé aux dix-neuf coupes du monde de football, ce qui représente au total la composition de 83 équipes du Brésil. L’étude empirique comporte par conséquent trois niveaux d’analyse (figure 2) : le joueur étant au moins entré sur un terrain lors d’une coupe du monde[2], l’équipe du Brésil jouant l’un des matchs d’une des coupes du monde étudiées (ensemble des joueurs ayant disputé ce match) et la sélection du Brésil présentée pour une coupe du monde (ensemble des équipes ayant été alignées lors d’une même coupe du monde).

Figure 2

Différents niveaux d'analyse

Différents niveaux d'analyse

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Les données ont été récoltées à partir de sources secondaires. Les archives du quotidien brésilien O Globo ont constitué la principale source d’informations. Les données ont été recoupées à travers les bases de données du site sambafoot.com, spécialisé dans le football brésilien et celles de la Fédération Française Internationale de Football (FIFA). Les histoires des coupes du monde de football (Rollin, 1990; Glanville, 1997; Betts, 2006; Clemente, 2007) ainsi que les documents concernant chaque coupe du monde ont également enrichi les données secondaires collectées.

Variables utilisées

Afin de pouvoir étudier les effets croisés de l’accumulation et de la diversité en termes d’expérience professionnelle, il est nécessaire d’opérationnaliser les concepts centraux à travers des variables adaptées. Pour cela, des variables ont été choisies afin d’appréhender les trois dimensions de l’expérience étudiées ainsi que le concept de diversité. Des variables de performance et de contrôle ont également prises en compte.

Mesures de l’expérience

Des variables proxies ont été utilisées afin d’appréhender les trois dimensions de l’expérience professionnelle prises en compte.

La dimension âge est mesurée en jours (QA). Les joueurs de football débutent leur apprentissage et leur carrière à des âges très proches. Les centres de formation recrutent les jeunes joueurs au même âge. Il est donc possible d’affirmer que plus un joueur est âgé, plus il a de l’expérience. De plus, il n’est pas possible d’arrêter son activité pendant un certain temps pour la reprendre ensuite. Il n’est pas possible non plus de devenir joueur de football professionnel après avoir réalisé une première carrière dans un autre domaine. Seules les blessures peuvent écarter momentanément les joueurs de football de leur activité. Un joueur de football de 30 ans a, par conséquent, plus d’expérience dans le football qu’un joueur de 20 ans.

Afin de mesurer le niveau d’expérience au sein de l’organisation à savoir l’équipe nationale du Brésil, le nombre de matchs joués sous les couleurs de la sélection nationale a été retenu (QCM). Cet indicateur est plus révélateur de l’expérience au sein du groupe que le simple nombre de sélections qui peut être très éloigné du nombre de matchs joués. Le nombre de matchs joués en équipe nationale n’est pas corrélé à l’âge puisqu’il est possible d’intégrer cette équipe dès son plus jeune âge ou après avoir longuement fait ses preuves.

Enfin, l’expérience des individus au niveau du poste ou de la fonction fut évaluée par le nombre de matchs déjà disputés par le joueur en coupe du monde (QSEL). En effet, il est considéré ici que le poste ou la fonction spécifique étudiée repose sur la participation du joueur à la coupe du monde. Il s’agit d’un poste particulier car, même si cela nécessite des compétences proches de celles mobilisées lors de l’activité en club, il est nécessaire d’en développer de nouvelles pour accéder à la compétition mondiale.

Dans le contexte de la coupe du monde de football, cet indicateur n’est pas lié à l’âge car il est possible d’avoir joué très jeune une ou deux coupes du monde ou d’avoir attendu un âge avancé pour connaître sa première expérience au plus haut niveau. Cet indicateur n’est également pas systématiquement corrélé au nombre de matchs joués sous le maillot de l’équipe nationale. D’une part, compte tenu d’événements extérieurs (blessures, etc.), des joueurs peuvent être appelés à rejoindre l’équipe au dernier moment et d’autre part, il n’existe pas de nombre minimum de matchs requis sous le maillot de l’équipe nationale pour pouvoir participer à une coupe du monde.

Aussi, en retenant le nombre de matchs effectivement joués en coupe du monde, nous évitons d’accorder trop de poids aux joueurs ayant déjà été sélectionnés dans des coupes du monde sans en avoir jamais eu l’expérience véritable, du moins sur le terrain. De plus, le nombre de matchs effectivement joués est une variable qui s’avère être moins binaire que le nombre de coupes du monde concourues. Bien qu’adapté aux objectifs de l’étude, il convient de souligner une limite de cet indicateur. En termes d’expérience acquise en coupe du monde, il est possible que certains matchs (la finale, par exemple) apportent plus d’expérience aux joueurs que d’autres matchs (matchs de poules). Or, il est considéré ici que tout match en coupe du monde accroît l’expérience fonctionnelle de la même manière.

Afin de mesurer le niveau d’expérience d’une équipe pour un match, nous avons considéré la somme des expériences individuelles pour chacune des dimensions étudiées. Pour ce qui est de l’indicateur d’expérience au niveau de la sélection, il repose sur le calcul de la moyenne d’expérience pour chacune des dimensions, réalisé à partir des moyennes d’expérience de toutes les équipes ayant participé à une même coupe du monde.

Mesure de la diversité

Le concept de diversité est un concept central dans les recherches s’intéressant au monde économique (Stirling, 1998). Des disciplines telles que l’écologie, la physique, les sciences de la vie ou les sciences sociales ont proposé un ensemble d’indicateurs plus ou moins proches relatifs à ce construit (Stirling, 2007). Puisque cette recherche s’intéresse à des variables quantitatives considérées de manière continue (les différents types d’expérience), la diversité est ici mesurée par le biais du coefficient de variation (c’est-à-dire le rapport entre l’écart type et la moyenne) de chaque dimension de l’expérience professionnelle. Notons que cet indicateur de diversité est traditionnellement retenu pour appréhender la diversité au niveau de l’expérience dans les travaux en sciences de gestion (Allison, 1978; Pelled, Einsenhardt et Xin, 1999). Les coefficients de variation des âges (DA), du nombre de match joués sous le maillot de l’équipe nationale (DCM) et du nombre de coupes du monde jouées au préalable pour les 75 équipes (DSEL) ont été calculés. La mesure de la diversité propre à chaque dimension au niveau de la sélection repose sur la moyenne des coefficients de variation obtenus pour chacune des équipes mobilisées pour une coupe du monde donnée. Le calcul est donc réalisé pour chacune des trois dimensions de la diversité en expérience.

Variables de performance

L’objectif de l’équipe nationale du Brésil en coupe du monde est in fine, de remporter la coupe. Le premier critère de performance est l’accès en finale et surtout, la victoire de l’équipe. Mais ce simple critère, compte tenu de sa nature dichotomique, ne permet pas de mener l’analyse la plus fine possible. C’est la raison pour laquelle trois critères de performance différents ont été retenus.

Tout d’abord, la distance parcourue dans l’épreuve (définie par le rapport entre le nombre de matchs gagnés dans la compétition et le nombre total de matchs qu’il est nécessaire de gagner pour remporter la compétition) est considérée. Une équipe remportant l’épreuve a un indicateur égal à 100. Cet indicateur permet d’écarter les problèmes liés à la variation du nombre de matchs durant les différentes coupes du monde.

Ensuite, le nombre de matchs gagnés par la sélection lors de la coupe du monde est pris en compte. Cet indicateur permet de distinguer les équipes qui arrivent loin dans la compétition en gagnant peu de matchs (matchs nuls avec tirs au but par exemple) de celles qui remportent l’ensemble de leurs matchs.

Enfin, le nombre total de buts marqués dans la compétition est considéré pour rendre compte de l’efficacité offensive de l’équipe.

Variables de contrôle

Afin de contrôler les performances de l’équipe nationale du Brésil, il est nécessaire de contrôler le niveau de performance des adversaires. En effet, la victoire 5-2 de l’équipe du Brésil de 2002 sur l’équipe de joueurs amateurs du Costa Rica est difficilement comparable à celle affichant 2-1 face à l’Angleterre lors de la même coupe du monde. Au final, il pourrait être possible d’imputer la victoire en coupe du monde à un parcours plus facile compte tenu des adversaires rencontrés qu’à une configuration particulière de l’équipe. Pour contrôler le niveau des équipes rencontrées, le classement des sélections nationales réalisé par la FIFA n’a pu être utilisé compte tenu de sa création relativement récente[3].

Un indicateur a par conséquent été construit afin de permettre de contrôler le niveau moyen des équipes rencontrées lors de l’ensemble des coupes du monde étudié. Cet indicateur est construit à travers le rapport entre le nombre de matchs joués par l’adversaire en coupe du monde à l’instant t et le nombre total de matchs qu’une équipe peut avoir joué en coupe du monde à l’instant t. Lors de la coupe du monde 2002, une équipe ayant joué tous les matchs possibles de toutes les coupes du monde précédentes aurait pu disputer 97 matchs. Avant son match contre le Brésil lors de cette coupe du monde 2002, l’Angleterre en avait disputé 45. La valeur de la variable de contrôle est donc de 45/ 97 = 0,47 pour l’Angleterre. Avant son match contre le Brésil lors de cette même coupe du monde 2002, la Turquie avait disputé trois matchs en coupe du monde. La valeur de la variable de contrôle est alors de 3/ 97 = 0,03 pour la Turquie. Cet indicateur permet de classer théoriquement les équipes de football entre elles. En faisant la moyenne des indicateurs des équipes rencontrées par le Brésil lors d’une coupe du monde, il est ensuite possible de comparer la difficulté des parcours entre coupes du monde pour la sélection brésilienne.

Analyse des données

Une analyse en composante principale (ACP) est réalisée afin de déterminer le positionnement de chaque sélection de football du Brésil en termes de niveau et de diversité d’expérience. Dans un premier temps, l’ACP fournit les axes retenus à partir des trois variables concernant le niveau d’expérience et les trois variables concernant la diversité en termes d’expérience. Dans un second temps, les scores factoriels obtenus pour chacune des équipes du Brésil nous permet de positionner les équipes sur une carte. Enfin, dans un troisième temps, nous proposons d’étudier les différences de performance selon le positionnement affiché sur la carte, par le biais de tests de comparaisons de moyenne (ANOVA).

La carte obtenue à partir de l’ACP permet de visualiser les différentes configurations caractéristiques de l’équipe de football du Brésil à l’occasion des différentes coupes du monde. La comparaison des résultats offre alors l’opportunité de conclure sur l’éventuelle existence de configurations plus performantes que d’autres.

Résultats

L’analyse à composantes principales (ACP) est articulée autour des six variables retenues pour mesurer l’accumulation et la diversité d’expérience des équipes étudiées. La matrice de corrélation (tableau 1) indique qu’un certain nombre de variables s’avère bien corrélé entre elles. Il est par conséquent possible de réaliser une ACP qui regroupe plusieurs variables dans une même composante. De plus, le test de sphéricité de Bartlett est significatif (p < 0,000) et le test de Kaiser-Meyer-Olkin est supérieur à 0,6 (0,666).

Tableau 1

Matrice des corrélations

Matrice des corrélations

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L’ACP fournit un modèle à deux composantes expliquant plus de 69,5 % de la variance totale. La qualité de la représentation de l’ensemble des variables est supérieure à 0,5 (voir annexe I). Le tableau 2 renseigne la définition des composantes à partir des six variables au coeur de cette étude.

Tableau 2

Matrice des composantes après rotation Varimax

Matrice des composantes après rotation Varimax

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La composante 1 représente le niveau d’expérience global des équipes en regroupant l’ensemble des variables concernant le niveau d’expérience (âge, nombre de sélections et nombre de matchs joués en coupe du monde). Quant à la composante 2, elle reflète la diversité en termes d’expérience des équipes de football (diversité en termes d’âge, de nombre de sélections et de nombre de matchs joués en coupe du monde).

Répartition des équipes en fonction des configurations types

La figure 3 organise l’ensemble des sélections définies par l’année de la coupe du monde autour de deux axes, à savoir les deux composantes déterminées par l’ACP.

Figure 3

Répartition des différentes sélections de football brésiliennes en fonction de l’accumulation et de la diversité d’expérience

Répartition des différentes sélections de football brésiliennes en fonction de l’accumulation et de la diversité d’expérience

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A l’instar de la typologie théorique décrite précédemment (figure 1), l’ACP réalisée permet de montrer que l’équipe nationale du Brésil a présenté différentes configurations au niveau de l’expérience pour son équipe nationale de football en fonction des différentes coupes du monde.

Tout d’abord, il est possible de constater que la configuration correspondant aux « experts » (cas 4), c’est-à-dire une équipe composée exclusivement de joueurs très expérimentés, n’a jamais été mise en place pour une coupe du monde. Bien que l’expérience soit nécessaire pour une compétition telle que la coupe du monde de football, il ne semble pas envisageable pour les différents sélectionneurs de l’équipe nationale du Brésil de constituer une équipe autour de joueurs exclusivement expérimentés tant en termes d’âge que de nombre de sélections ou que de matchs joués en coupe du monde. De plus, composer une telle équipe s’avère être une tâche très difficile dans la mesure où très peu de joueurs dotés d’une telle expérience ont la capacité de jouer l’intégralité d’une coupe du monde.

La configuration « débutants encadrés » (cas 1), c’est-à-dire des équipes avec un niveau d’expérience plutôt faible mais comprenant un certain nombre de joueurs expérimentés, a été choisie à l’occasion de huit coupes du monde (coupe du monde 1958, 1962, 1966, 1970, 1974, 1978, 1986 et 2002).

La configuration « experts formateurs » (cas 2), c’est-à-dire les équipes disposant d’une expérience globale élevée mais dont certains joueurs présentent une très faible expérience ou « en formation », a été choisie à l’occasion de trois coupes du monde (équipes de 1998, 2006 et 2010).

La configuration « débutants » (cas 3), c’est-à-dire les équipes essentiellement composée de joueurs sans expérience au niveau international, a été choisie à l’occasion de quatre coupes du monde (1954, 1982, 1990 et 1994).

L’examen de la répartition des configurations des équipes permet de constater une préférence de l’encadrement pour des équipes avec un niveau d’expérience plutôt faible (cas 1 et 2). En effet, 80 % des sélections (12 sélections sur 15) se trouvent dans le cas où l’expérience cumulée est plutôt faible. Par ailleurs, les cinq sélections ayant remporté la coupe du monde (1958, 1962, 1970, 1994 et 2002) présentaient cette configuration. Il semble donc que l’expérience cumulée ne soit pas une caractéristique particulièrement valorisée, et par conséquent, recherchée pour une équipe de football.

Toutefois, les différentes configurations en termes de diversité offrent d’autres alternatives. En effet, 73,3 % des sélections (11 sélections sur 15) affichent une forte diversité en expérience. Le principal enjeu consiste à savoir s’il est préférable de tendre vers une homogénéité ou au contraire, vers une hétérogénéité en termes d’expérience pour atteindre une plus grande performance de l’équipe.

Après ces premiers résultats descriptifs, nous proposons de mettre en relation chacune des configurations avec les indicateurs de performance afin de pouvoir conclure sur une éventuelle existence d’une configuration type plus ou moins optimale.

Configurations types et performance

Chaque configuration présentée par l’équipe de football de Brésil (figure 3) a été reliée aux trois indicateurs de performance retenus (tableau 3). La variable de contrôle a été examinée afin d’écarter un lien entre la configuration choisie et le niveau de performance du fait du niveau des adversaires rencontrés. Enfin, nous avons réalisé une ANOVA afin de conclure sur une éventuelle différence en termes de performance selon les configurations. Le test F n’est pas significatif pour la variable de contrôle (F = 1,974; sig = 0,146). Les différences de moyennes au niveau des performances ne sont donc pas imputables à une différence de niveau éventuelle entre les équipes rencontrées.

Tableau 3

Indicateurs de performance en fonction des configurations

Indicateurs de performance en fonction des configurations

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Le tableau 3 montre que le groupe des « débutants encadrés » (cas 1) est celui qui obtient la performance la plus élevée que ce soit au niveau du parcours réalisé dans la coupe du monde, au niveau du nombre de matchs gagnés ou encore au niveau du nombre de buts marqués. Ensuite, c’est le groupe des « experts formateurs » (cas 2) qui obtient une performance inférieure à celle des « débutants encadrés » mais supérieure à celle des « débutants » sur l’ensemble des indicateurs de performance. Enfin, le groupe des « débutants » (cas 3) obtient une performance inférieure aux deux autres groupes sur l’ensemble de ces facteurs. La réalisation des tests nous permet de conclure sur la réalité statistique des différences de moyenne constatées entre les groupes pour chacun des niveaux de performance. Le test F est significatif pour les trois variables de performance : parcours (F=9,416; sig=0,000), nombre de buts marqués (F=4,132; sig=0,09) et nombre de matchs gagnés (F=4,486; sig=0,014).

L’analyse des performances des différentes équipes permet de fournir des résultats complémentaires quant à l’importance de l’expérience dans le groupe. Il apparaît bien que l’accumulation d’expérience ne semble pas être un déterminant de la performance. Les sélections présentant une forte accumulation d’expérience (1998, 2006 et 2010) ne génèrent pas les performances les plus élevées. Compte tenu de la dimension physique associée à l’activité d’un joueur de football, les caractéristiques physiologiques et l’état de forme global de l’individu deviennent des facteurs explicatifs incontournables à ce type d’analyse. Dans ce contexte sportif, il est normal d’avoir une relation négative entre l’expérience accumulée (en particulier l’âge moyen) de l’équipe et le niveau de performance global. Dans cette optique, M. Blatter, président de la FIFA, a relevé lors de la coupe du monde de 2010 que le Ghana avec 11 de ces 23 joueurs ou l’Allemagne avec 9 de 23 joueurs âgés de moins de 23 ans étaient des « exemples positifs si on compare avec la France, qui n’avait aucun joueur de moins de 23 ans dans le groupe des 23, et l’Italie qui n’en avait qu’un seul mais qui n’a pas joué ». Ce lien négatif entre l’âge et la performance physique spécifique à l’activité sportive rappelle les limites de la généralisation de ce résultat à un contexte de travail dans lequel l’activité physique ne s’avère pas être essentielle.

Mais plus que l’accumulation de l’expérience, c’est la diversité qui semble être la variable prépondérante. En effet, les configurations présentant une forte diversité (cas 1 et 2) obtiennent une performance plus élevée que la configuration homogène en termes d’expérience (cas 3). En dépit de l’importance de la dimension physique, il est nécessaire que le groupe comprenne un certain nombre d’éléments présentant une expérience plus élevée que les autres.

Au final, la configuration idéale semble être une équipe relativement jeune avec des membres peu expérimentés mais comprenant tout de même un petit nombre de joueurs plus expérimentés, capables de partager leur expérience avec le reste du groupe. L’équipe de 1986, par exemple, est composée de joueurs inexpérimentés mais compte également dans ses rangs Zico ayant déjà disputé onze matchs en deux coupes du monde. Il en est de même avec l’équipe de 2002 encadrée par des joueurs comme Ronaldo et Cafu le capitaine, ayant également disputé deux coupes du monde chacun. Dans ce cas, les équipes présentent des joueurs jeunes possédant des caractéristiques physiques permettant d’assurer un niveau de jeu élevé tout en bénéficiant de la plus grande expérience de quelques joueurs. Quatre des cinq sélections ayant remporté la coupe du monde (1958, 1962, 1970, 1994) se trouvent dans cette configuration. Le cas de la sélection de 1962 est particulièrement intéressant. Il est composé de huit joueurs ayant participé à la coupe du monde de 1958. Il pourrait dès lors sembler plus approprié de retrouver cette équipe dans la catégorie des « experts » formateurs plutôt que dans celle des « débutants » encadrés. Mais cette situation provient des caractéristiques particulièrement atypiques de la sélection de 1958. En effet, l’âge moyen des joueurs brésiliens est de 26 ans, lors de cette coupe du monde de 1958 alors qu’elle est en moyenne de 29 ans pour les autres équipes brésiliennes de coupes du monde. La présence d’un joueur de 17 ans dénommé Pelé en est l’une des raisons. La sélection de 1962 constitue bien une version plus aguerrie au niveau de l’expérience de celle de 1958 mais les joueurs restent encore, en moyenne, moins expérimentés (au niveau de l’âge et du nombre de sélections notamment).

Le Brésil n’ayant jamais mis en place une équipe constituée exclusivement de joueurs expérimentés (cas 4), il est impossible de conclure sur la performance éventuelle d’une telle configuration.

Conclusion et discussion

L’objectif de cette recherche est d’étudier l’impact de l’expérience professionnelle des individus sur la performance du groupe et ceci, sous une double perspective : le niveau d’expérience accumulée par chacun des individus et la diversité, c’est-à-dire les différences de niveau d’expérience entre les individus. Ainsi, cette étude contribue au débat déjà avancé sur la composition des équipes, en distinguant trois dimensions de l’expérience individuelle : l’âge, l’expérience au sein de l’organisation et l’expérience propre à une fonction.

Nos analyses des équipes de football du Brésil ayant participé à la coupe du monde nous ont permis de dégager trois configurations types en fonction du niveau d’accumulation et de la diversité en expérience individuelle. La distribution des différentes équipes de football selon ces configurations types souligne le peu d’intérêt porté aux équipes « expertes » : lors de cette compétition, aucune de ces équipes ne fut exclusivement composée de joueurs fortement expérimentés. Même en supposant l’intégration de quelques débutants, l’accumulation d’expérience ne semble pas être un facteur particulièrement favorable pour un groupe de travail tel qu’une équipe de football. En effet, d’après nos analyses, à niveau de diversité égal, une équipe de débutants est plus performante qu’une équipe d’experts.

Conscient de la spécificité de notre cadre d’étude, doit-on pour autant considérer la validité de ces résultats comme strictement limitée au cas de la compétition sportive ? Si le niveau de performance de ces équipes peut s’expliquer en partie par les conditions physiques des joueurs, de nombreux contextes organisationnels sollicitent directement ou indirectement ces mêmes capacités individuelles. En d’autres termes, les salariés doivent disposer d’un capital santé à la hauteur des exigences organisationnelles afin de contribuer à la performance de leur équipe. Tel est le cas des professions nécessitant un fort investissement physique (les sapeurs-pompiers ou certaines unités militaires par exemple) ou encore les professions reconnues pour leur rythme de travail soutenu (secteur de l’hôtellerie- restauration par exemple). Néanmoins, le faible niveau d’expérience d’une équipe ne se limite pas seulement à la fraîcheur physique de ses membres. Il peut aussi être recherché pour développer la flexibilité, la réactivité, la créativité, ou encore l’innovation collective. Dans ce cas, l’âge mais aussi les années d’expérience au sein d’une même organisation ou sur une même fonction peuvent être perçus comme un frein à la performance de l’équipe (Guthrie et Datta, 1997). A titre d’exemples, certaines activités du secteur audit-conseil sont particulièrement dépendantes d’équipes récemment diplômées. Bien que s’intéressant à des publics distincts, les secteurs français de la restauration rapide et de la publicité illustrent encore l’intérêt porté aux équipes globalement peu expérimentées.

Par ailleurs, si notre analyse relativise l’intérêt de l’accumulation d’expérience, la performance d’équipes débutantes repose sur la présence d’un certain nombre d’individus expérimentés permettant à l’ensemble du groupe de profiter de cette expérience. En effet, cette étude nous porte à considérer cette forme de diversité comme un facteur de succès de l’équipe. Ainsi, les conclusions de cette recherche nous rappellent les bienfaits des transferts de savoir intergénérationnels au sein d’un groupe de travail mais pas seulement. La proximité établie entre les individus aux niveaux d’expérience variés permet un transfert de connaissances, de compétences ou de savoir –faire qui va au-delà de ceux directement liés à l’âge des membres de l’équipe. En effet, les plus expérimentés peuvent guider les moins expérimentés en partageant leur apprentissage lié au nombre d’années passées au sein d’un groupe de travail ou sur une fonction.

Encore une fois, nous pouvons penser que ces considérations dépassent le cadre spécifique à notre étude. Les nombreux travaux liés au mentoring mettent en évidence l’influence des relations interpersonnelles sur les résultats individuels ou collectifs au sein de l’organisation (Gentry et al., 2008; Ragins et al., 2000, Ragins et al., 1997). Les relations de mentoring au sein d’un groupe sont définies comme les relations affectant plusieurs protégés à différents mentors au sein d’une même équipe (P-Sontag et al., 2007, Williams et al., 2009) Les réseaux d’échanges issus des interactions entre membres de l’équipe favorisent l’efficacité du mentoring et ainsi, le succès organisationnel de ces équipes (Williams et al., 2009). Ainsi, les collègues au sein d’une équipe semblent être plus disposés à développer cette relation que ne le seraient des mentors formels et hiérarchiques (Kram et Isabella, 1985; Raabe et Beehr, 2003).

Enfin, en ce qui concerne plus précisément la dimension collective de l’expérience au sein de l’équipe, la présence des membres expérimentés permet d’accroître l’expérience du groupe bien au-delà d’une accumulation simple des expériences individuelles. En effet, à l’instar des recherches débutées il y a près de 50 ans (Mann, 1959), notre recherche appréhende avant tout l’expérience globale (quel que soit le type d’expérience) comme l’addition des expériences individuelles. Toutefois, les résultats obtenus laissent penser que le lien seul et direct entre l’expérience en tant que caractéristique individuelle et la performance est réducteur. Il est alors possible de s’interroger sur la façon dont se construit une expérience de groupe à partir de l’expérience individuelle de quelques individus. Pour faire écho au modèle Input-Process-Output (IPO) (McGrath, 1964), cette recherche nous invite à considérer la contribution d’autres variables d’influence dans la définition des inputs puis dans leur transformation en outputs. Une telle perspective pourrait ainsi intégrer l’expérience des joueurs et des encadrants faisant partie de la délégation mais ne jouant pas sur le terrain (et par conséquent non prise en compte dans cette étude) ou encore le rôle et l’influence du sélectionneur. De même, l’approfondissement de cette recherche pourrait donner lieu à la réalisation d’étude structurelle afin de comprendre comment les propriétés du groupe influencent les processus d’interaction (Murnighan et Conlon, 1991; Salancik, 1995; Earley et Mosakowski, 2000; Lin et al., 2005). Il est en effet possible de retrouver dans ces équipes des sous-groupes (appartenance à une même génération, mêmes origines, même club, etc.) pouvant faciliter ou, au contraire, rendre plus difficile le transfert d’expérience du niveau individuel au niveau collectif.