Compte rendu de lecture

Recension de l’ouvrage de James Boyle, The Public Domain – Enclosing the Commons of the Minds, Yale University Press, 2008[Notice]

  • Pascal Corbel

Le choix de l’ouvrage de James Boyle dans le cadre d’un numéro thématique sur le management stratégique de la propriété intellectuelle peut paraître curieux. Il s’agit en effet d’un ouvrage écrit par un collègue spécialiste de droit. Or, n’est-ce pas justement parce que ce domaine technique a été laissé aux juristes et à quelques économistes spécialisés que les enjeux stratégiques de la PI ont longtemps été largement laissés de côté par les chercheurs universitaires ? Pourtant un tel ouvrage s’avère réellement stimulant dans le cadre d’une réflexion sur le management stratégique de la propriété intellectuelle (désormais PI). Il développe en effet une approche critique des politiques actuelles en matière de PI, notamment aux Etats-Unis. Selon l’auteur, elles conduisent à réduire le domaine public (ce qui est librement utilisable car non couvert par des droits de la propriété intellectuelle en vigueur) à un point tel qu’il devient contreproductif pour le motif même qui a conduit à créer ces droits : favoriser l’innovation. Il commence par rappeler la logique (volontairement idéalisée) qui a conduit à la création de ces droits. Il s’agit pour l’essentiel de permettre le fonctionnement du marché dans des domaines comme la culture (le droit d’auteur) ou l’innovation (le brevet) dans lesquels seule une intervention directe de l’Etat permettrait de compenser le caractère largement « non rival » de biens comme un livre ou un médicament (une fois diffusé, il peut être reproduit à très faible coût). La marque, quant-à-elle, permet d’économiser du temps au consommateur en lui procurant un ensemble d’informations sur le produit, ce qui constitue une incitation pour les entreprises à augmenter la qualité de leurs produits. Mais l’extension progressive de ces droits finit par réduire le domaine public et risque donc d’aller à l’encontre du but recherché. Par exemple, l’extension du copyright aux Etats-Unis d’une durée de 28 ans à 70 ans après la mort de l’auteur rend difficile l’utilisation de toute une partie des oeuvres du vingtième siècle, dont on a pourtant souvent du mal à identifier les ayant-droits, sans que les avantages en termes d’incitations soient importants. Il rappelle que ces droits sont des droits socialement construits dans une conception utilitariste et non des droits naturels (même si le cas du droit d’auteur français est plus nuancé). Il s’agit d’un mal nécessaire qu’il convient donc de limiter au minimum nécessaire pour obtenir les bénéfices attendus. Autrement dit, à mesure que ces droits deviennent plus importants dans la vie économique, il devient aussi plus important d’en contrôler la portée : « The variegated and evolving limitations on intellectual property are as important as the rights they constrain, curtail, and define. The holes matter as much as the cheese. » (p.69) Il compare le mouvement actuel de renforcement des droits de la propriété intellectuelle à celui des « enclosures » de l’Angleterre du XVIIIe siècle mais rappelle que les « communs » concernés ont des propriétés bien différentes des zones de pâturage : les biens informationnels sont non rivaux au sens où l’entendent les économistes (leur utilisation par un individu ne gêne pas l’utilisation par d’autres) et sont composés de fragments d’information créés par d’autres. Une autre différence fondamentale auquel doit faire face le droit de la PI par rapport au moment où il a été mis en place est que d’un ensemble de règles qui n’intéressaient que les industriels et dont le but était de s’assurer que la concurrence n’était pas déloyale, il a fini par intégrer la sphère privée. Les possibilités pour les individus d’enregistrer et de diffuser des oeuvres protégées (avec les photocopieurs et les magnétoscopes, puis les réseaux informatiques) …

Parties annexes