Mot de la rédaction

Les sciences de gestion et la question de la libertéManagement Sciences and the Issue of FreedomLas ciencias de gestión y la cuestión de la libertad[Notice]

  • Yves-Marie Abraham,
  • Alain-Charles Martinet et
  • Cyrille Sardais

…plus d’informations

  • Yves-Marie Abraham
    HEC Montréal

  • Alain-Charles Martinet
    Université Jean-Moulin Lyon3, EURISTIK, 69355 Lyon Cedex 08, France
    martinet@univ-lyon3.fr

  • Cyrille Sardais
    HEC Montréal, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) H3T 2A7

Quelle drôle d’idée, dira-t-on, d’amener sur le terrain des sciences de gestion la question de la liberté ! Pourtant, force est bien d’admettre que l’objet de ces sciences – la gestion d’entreprise – est indissociable de cette question. Gérer ou administrer, c’est essentiellement décider, rappelait Herbert Simon. Or décider, n’est-ce pas d’abord exercer sa liberté et, par conséquent, se considérer comme responsable de ses actes ? Mais, gérer ou administrer, c’est aussi tenter de se faire obéir par d’autres êtres humains, comme le soulignait également Herbert Simon. Outre la question de la liberté du dirigeant, se pose donc aussi la question de la liberté du dirigé, au moins dans un monde qui a fait de la liberté l’une de ses valeurs fondamentales, avec l’idée d’égalité. Malgré cela, la notion de « liberté » est généralement absente des débats en sciences de gestion. Comment alors interpréter cette absence ? On peut se demander dans quelle mesure, l’idée de liberté, que celle-ci soit envisagée comme une qualité propre à certaines actions humaines ou comme un droit et une exigence politique fondamentale, n’est pas profondément contradictoire avec le projet des sciences de gestion. En d’autres termes, ces sciences ne seraient-elles pas fondamentalement liberticides ? D’une part, et bien qu’elles aient fait de la décision l’un de leurs objets privilégiés, l’insistance portée par les sciences de gestion sur les notions de « contrainte » (culturelle, organisationnelle…), de « réalité » (économique, technique…), de « logique » (financière, institutionnelle…) ne vient-elle pas réduire, voire anéantir l’idée qu’une action humaine libre soit possible ? Plus généralement, les sciences sociales, sur lesquelles s’appuient les sciences de gestion, n’ont-elle pas besoin de rejeter l’idée de liberté pour se fonder comme science ? D’autre part, et bien qu’elles tendent aujourd’hui à conclure à la nécessité, pour améliorer les performances de l’entreprise, d’accorder toujours davantage d’« autonomie », donc de liberté, aux « dirigés », ces sciences peuvent-elles valoriser la liberté des membres de l’entreprise sans en arriver à remettre en cause l’entreprise elle-même, dont l’un des fondements reste, selon Ronald Coase, la relation « maître-serviteur » ? En somme, il se pourrait bien que l’idée de liberté soit inacceptable pour les sciences de gestion, alors même que la gestion en tant qu’activité pose la question de la liberté et, pour une part au moins, présuppose la liberté du gestionnaire, comme le rappelait Schumpeter. Sur la base de ces réflexions, qui ont fait l’objet d’un premier colloque à HEC Montréal les 9 et 10 juin 2007, nous avons invité nos collègues chercheurs, au cours de l’hiver 2008, à proposer des articles de nature épistémologique, théorique, empirique ou méthodologique, apportant des éléments de réponse aux deux séries de questions suivantes : Parmi les manuscrits reçus en réponse à cet appel, nous en avons retenu finalement sept, sélectionnés selon les procédures habituelles de la revue Management international. Ces contributions peuvent être regroupées en deux catégories. Les trois premiers articles de ce numéro thématique ont en commun de proposer une réponse plutôt nuancée aux deux séries de questions précédentes; réponse que l’on pourrait synthétiser ainsi : 1) il y a bien tension entre l’idée de liberté et le projet d’une science de gestion, mais pas incompatibilité; 2) il est possible de concevoir une science de gestion respectueuse de l’idée de liberté, sans remise en cause fondamentale de la discipline, à condition cependant de poser au départ que la liberté humaine est nécessairement relative. L’article de Catherine Lebrun et Richard Déry, « Dialectique de la liberté en sciences de gestion : contrainte et habilitation par la technique », est exemplaire de ce type …

Parties annexes