Dans cette exploration détaillée de l’activité traductive en France en 1936, le lecteur est invité, après avoir été mis en condition par une introduction, à une découverte en trois étapes, définies selon la dimension politique saillante des contextes. Il parcourra ainsi les sections « Une Europe en crise : quelles perspectives pour la traduction ? », « Le ressourcement des formes et genres littéraires par la traduction » et « Ouvertures culturelles extra-européennes ». L’introduction, rédigée par les deux directeurs de l’ouvrage, Bernard Banoun et Michaela Enderle-Ristori, est en réalité une contribution à part entière extrêmement riche. Elle permet une triple mise en contexte. Tout d’abord, elle précise l’orientation générale de l’ouvrage, notamment en explicitant les filiations que nous venons de mentionner. Ensuite, elle rappelle le contexte politique et littéraire de l’époque. Enfin, elle offre un premier panorama bibliométrique de la production traductive. La première section, « Une Europe en crise : quelles perspectives pour la traduction ? », s’intéresse aux « traductions venues de pays dont la situation politique était alors brûlante : Allemagne, Espagne, Italie, URSS » (p. 26). C’est également, avec six contributions, la section la plus importante de l’ouvrage. Elle s’ouvre par un article intitulé « “Une urbanité cannibale”. Walter Benjamin, L’Oeuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique : version de 1936 ». Dans ce texte, Robert Kahn s’intéresse à la traduction de L’Oeuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique effectuée par Walter Benjamin lui-même, en collaboration avec Pierre Klossowski. Plus particulièrement, il explore trois aspects : premièrement, les relations entre Benjamin et l’équipe éditoriale, qui se sont révélées houleuses, la revue à laquelle l’essai était destiné poussant à une dépolitisation du texte ; deuxièmement, les relations entre Benjamin et Klossowski, qui, elles, étaient sereines ; troisièmement, la traduction en tant que telle. La deuxième contribution, « Réseaux rouges et filets bruns. Traductions et traducteurs de l’allemand en 1936 », de Michaela Enderle-Ristori, est une étude bibliométrique recensant les traductions d’ouvrages allemands. L’analyse proposée a pour point de départ une polémique lancée en 1934 dans les milieux littéraires français : on se demandait alors si les ouvrages traduits de l’allemand étaient représentatifs de l’âme allemande ou si les auteurs traduits étaient ceux promus par le régime nazi. L’étude montre que c’est dans les écrits relevant des sciences sociales plutôt que dans les oeuvres littéraires que résidaient les enjeux idéologiques. Michaela Enderle-Ristori clôt son article en dressant le portrait de trois traducteurs aux allégeances politiques très variées. Dans son article « “Il faut faire à Heine une place exceptionnelle…” Réception et traduction des oeuvres de Heinrich Heine par les militants et sympathisants communistes », Claire Placial invite quant à elle le lecteur à s’interroger sur la quasi-absence de traductions de Heine, alors même qu’Aragon avait lancé un appel à traduire l’écrivain allemand en 1936. Pour la chercheuse, ce désintérêt pour Heine s’explique principalement de deux manières : premièrement, en 1936, la préférence est accordée à des auteurs allemands contemporains ; deuxièmement, un article d’Anatole Lounatcharski paru la même année critique Heine, l’accusant d’avoir une compréhension erronée du marxisme. Il faudra attendre encore quelques années avant que Heine ne soit (re)traduit. Dans le quatrième article, « Les fronts de la pensée et le sang de la culture. L’Espagne de 1936 en guerre et en traduction », de Carole Fillière, le lecteur tourne son regard vers l’Espagne. La guerre civile espagnole et les réactions qu’elle a pu susciter en France sont ici au coeur de la réflexion. Carole Fillière remarque que, dans un premier temps, l’élan de solidarité des milieux intellectuels français envers les républicains espagnols se …
Parties annexes
Bibliographie
- Banoun, Bernard, Poulin, Isabelle et Chevrel, Yves, dir. (2019) : Histoire des traductions en langue française. XXe siècle. Lagrasse : Verdier.
- Chevrel, Yves, Cointre, Annie et Tran-Gervat, Yen-Maï, dir. (2014) : Histoire des traductions en langue française. XVIIe et XVIIIe siècles (1610-1815). Lagrasse : Verdier.
- Chevrel, Yves, D’hulst, Lieven et Lombez, Christine, dir. (2012) : Histoire des traductions en langue française. XIXe siècle (1815-1914). Lagrasse : Verdier.
- Duché, Véronique, dir. (2015) : Histoire des traductions en langue française. XVe et XVIe siècles. Lagrasse : Verdier.
- Humbert-Mougin, Sylvie, Arnoux-Farnoux, Lucile et Chevrel, Yves, dir. (2015) : L’Appel de l’étranger. Traduire en langue française en 1886 (Belgique, France, Québec, Suisse). Tours : Presses Universitaires François-Rabelais.
- Lombez, Christine, dir. (2012) : Traduire en langue française en 1830. Arras : Artois Presses Université.
- Lombez, Christine, dir. (2018) : 1943 en traduction dans l’espace européen. Atlantide. 8.