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Ce numéro régulier présente deux caractéristiques qui le distinguent quelque peu des autres. Tout d’abord, il est majoritairement en anglais, chose qui ne s’était plus produite depuis un certain temps étant donné la contribution massive d’auteurs hispanophones et notre campagne en faveur de la production en français. L’entrevue publiée est, elle aussi, en anglais, en dissonance avec l’objectif initial de création de la rubrique ; les trois premières étaient en français et les prochaines le seront vraisemblablement de nouveau. Donc, petite entorse. Par ailleurs, on renoue avec deux travaux sur les aspects professionnels du marché des industries de la langue, en particulier de la traduction, ainsi qu’avec des questions terminologiques ponctuelles.

Le premier article porte sur la bande dessinée chinoise et sa traduction anglaise, mais apporte un nouvel éclairage sur ce domaine ; il a en effet pour objectif d’analyser la traduction des bandes dessinées à partir de la perspective de l’éco-traductologie. L’analyse en profondeur met l’accent sur trois aspects éco-traductologiques : d’abord la connaissance et l’expérience professionnelles nécessaires pour traiter ce genre de texte de manière appropriée ; ensuite la construction des écosystème cible et source, ainsi que l’effet produit par chacun ; finalement, l’harmonie et l’interaction avec lesquelles est construit l’écosystème cible.

À partir d’un corpus constitué par les débats du Parlement européen, le deuxième article rend compte d’une étude sur la traduction en français et en anglais des exclamatifs anglais what et français quel. Il s’agit donc d’une étude traductologique sur corpus qui vise à contribuer au débat sur la définition des exclamatifs indirects et à leur utilisation en parallèle dans les deux langues. L’étude explore la manière dont ces constructions chargées de sens sont traduites dans la pratique, en particulier les éléments modificateurs de degré et performatifs associés.

L’article suivant traite une question terminologique d’actualité, celle de l’absence de traduction lexicalisée en français des lexèmes minstrel et blackface. Il recense leurs définitions lexicographiques en langue et en discours, en vue ensuite d’étudier l’historicité de ces termes, pour contextualiser, en diachronie, leur usage. L’auteure procède alors à une étude de cas comparative dans le domaine cinématographique, qui débouche sur une réflexion sociolinguistique des enjeux de traduction des termes racialisés de l’anglo-américain au français.

L’autotraduction collaborative, sujet relativement peu étudié, fait l’objet du quatrième article, à propos du cas de Romain Gary. La pratique d’engager un traducteur professionnel pour produire une traduction initiale d’un texte entier, destinée par la suite à être révisée, voire réécrite, par l’auteur, étudiée à l’aide d’une critique génétique, révèle qu’une extension inductive de la notion de processus traductif peut mener à distinguer entre l’extension littérale et l’extension métaphorique de la terminologie traductologique dans le domaine littéraire. L’autotraduction collaborative devient une pratique théorisable pertinente au sein de multiples paradigmes traductologiques.

Viennent ensuite les deux articles relatifs aux aspects professionnels du marché des industries de la langue. Le premier part du fait qu’on ne sait pas grand-chose des professionnels, des professions et de l’industrie du langage du droit au Canada. L’auteure a donc mené une enquête qui dévoile les caractéristiques des professionnels qui jonglent au quotidien avec le langage du droit au Canada ; de leurs activités professionnelles ; et de l’industrie dans laquelle ils évoluent. L’analyse qualitative et empirique fournit un portrait des multiples réalités du langage du droit au Canada, ainsi que de ses enjeux actuels et à venir. Le deuxième article examine le contexte professionnel de la traduction de documents officiels personnels en Australie selon le regard des traducteurs professionnels, des agences de traduction et des institutions. Les auteurs ont mené trois enquêtes sur la qualité, l’intégrité et l’authenticité de la traduction officielle de documents personnels, auprès de ces trois principales parties prenantes. Ils mettent en évidence les limites des évaluations effectuées.

L’auteur de l’étude suivante s’intéresse au phénomène de la répétition. À partir d’un corpus de dix films espagnols et dix italiens, il compare le nombre, la fréquence d’utilisation par minute et la proportion d’utilisation globale des différents types de répétitions, et souligne les différences entre les films originaux et doublés des deux cultures. Il a évalué si ces différences peuvent être corroborées dans l’interaction sociale des deux pays.

Pour répondre à la question de savoir si les interprètes tentent d’optimiser les énoncés, le travail suivant propose d’appliquer la théorie de la pertinence comme outil conceptuel et méthodologique permettant de comprendre le besoin ou la volonté des interprètes d’améliorer la pertinence des énoncés pour leur public. L’article s’appuie sur des données recueillies dans le cadre d’un projet plus vaste à partir des 56 restitutions de 28 interprètes professionnels de deux textes originaux de locuteurs non-L1 et leurs versions révisées.

L’antépénultième article vise à déconstruire et analyser les procédures qui ont sous-tendu l’organisation de l’anthologie latino-américaine Fiesta in November publiée en 1942 dans le cadre d’un projet de traduction subventionné par le Département d’État des États-Unis. Il examine des documents officiels et la correspondance non publiée de l’une des deux compilatrices, afin d’explorer des thèmes tels que ceux de patronage, de manipulation, de censure et de politiques. L’auteure démontre ainsi l’existence de pratiques multiformes d’un éditeur et d’un groupe de traducteurs.

L’avant-dernier travail est une étude de cas dans le contexte de la dictature franquiste. L’auteure traite des traductions et des oeuvres originales de la narratrice, essayiste et journaliste catalane Teresa Pàmies. Une grande partie de ses oeuvres originales devenues des best-sellers ont souffert des « normes » de la censure franquiste en raison des titres choisis, des éditeurs qui les proposaient, ou du parcours de militante marxiste de sa traductrice. Quant aux traductions, la censure les autorisait après de nombreuses démarches, rapports et « révisions » expurgatoires, et ceci même au-delà de la fin de la dictature.

Quant au dernier article, il aborde un sujet peu travaillé jusqu’ici : les citations des médias sociaux en langue étrangère, intégrées dans les textes d’actualités. Les auteures examinent les stratégies utilisées par les journalistes-traducteurs pour insérer des citations en anglais issues de médias sociaux dans des textes en norvégien et en espagnol. La question qui se pose est l’opportunité de traduire ou non ces citations. Les auteures concluent que la maîtrise supposée de la langue source ne joue pas dans le choix des décisions des journalistes-traducteurs.

Pour clore ce numéro, une entrevue de V. Ramaswamy, traducteur des voix marginalisées des Dalits au Bengale. Il traduit notamment Subimal Mishra, le puissant poète qui parle au nom des marginalisés ; Manoranjan Byapari, auteur bengali qui a défendu la cause des Dalits ; Adhir Biswas, scénariste et éditeur d’une maison d’édition qui publie les écrits d’auteurs peu reconnus ; l’écrivain bangladais Shahidul Zahir dont la voix et le zèle révolutionnaires se répercutent dans le monde littéraire du Bangladesh. Le traducteur parle des écrits qu’il choisit de traduire afin de porter la voix Dalit au-delà de l’arène du Bengale et avoue que la traduction est aussi une source de guérison personnelle.

Bonne lecture !