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Nous ne nous cacherons pas que, à l’instar de ses consoeurs universitaires, Meta connaît des difficultés de fonctionnement, et des retards de publication fréquents. Nos collaborateurs, en dehors des Presses de l’Université de Montréal, sont des étudiants qui subissent eux aussi les aléas du marché du travail et de la situation économique et sociale d’aujourd’hui. Nous ne leur en tenons pas rigueur, au contraire, nous les remercions de leur dévouement. Responsables des limites de fonctionnement sont également nos auteurs, qui ont bien du mal à appliquer la feuille de style de la revue, ce qui entraîne des corrections à répétition. Bref, divers sont les facteurs qui font que certains numéros tardent plus que d’habitude. Nous nous en excusons. Afin de remédier à une partie des problèmes, nous allons, entre autres, procéder à une révision en profondeur de la feuille de style en vue d’en faciliter l’application. Auteurs, évaluateurs et collaborateurs en seront fort aise, n’en doutons pas.
Mais les numéros se suivent et ne se ressemblent pas. Après un numéro spécial très en retard, voici un numéro régulier des plus intéressants avec cinq articles en français, quatre en anglais et un en espagnol. Il s’ouvre sur une étude détaillée – les auteurs disent « outillée » – de l’évaluation de la qualité en traduction juridique. C’est grâce au calcul du ratio de la précision de l’information traduite normalisé (PITN) et à celui de la distance euclidienne normalisée (DEN) que les auteurs analysent un corpus de près de 13 millions de mots contenus dans l’ensemble des lois codifiées du Québec en anglais. Ils concluent que la traduction des textes de loi du Québec répond tout à fait aux normes professionnelles. L’analyse confirme le rôle de la redondance et de l’ellipse, ainsi que celui des interférences et des contraintes phraséologiques, qui mènent à l’abandon de la norme de l’isomorphisme du contenu informationnel des traductions. L’article suivant traite également de traduction juridique. Il aborde l’anisomorphisme culturel ou asymétrie culturelle, et la variation linguistique dans trois sociétés : la française, l’espagnole et la chilienne. L’étude de cas se réfère au concept de la personne mise en cause, exprimé en français comme « prévenu », « accusé », « personne mise en accusation ou en examen ». L’article présente un état de la question révélateur et procède à une analyse contrastive rigoureuse. Les auteurs, Éric Poirier et Jean-Hugues Roy, Québécois, dans le premier cas et Jorge Valdenebro Sánchez, Espagnol, dans le second, illustrent combien la problématique de la traduction juridique demeure d’actualité.
Le travail suivant concerne le multilinguisme à l’écran. La diversité linguistique qui s’exprime à l’écran est souvent homogénéisée au détriment de l’introduction de nouveaux sens liés à la liminalité dans les cultures cibles. L’auteure, Charlotte Bosseaux, présente une étude de cas sur la série télévisée américaine Jane The Virgin dans laquelle la capacité de comprendre et de parler l’espagnol fait partie intégrante de l’identité des personnages et de leurs relations. La comparaison des versions françaises et espagnoles indique une homogénéisation et suscite une réflexion quant à la performance de la traduction.
Xiaorui Wang, elle aussi, abonde dans le sens de l’intervention délibérée du traducteur, mais cette fois pour promouvoir le changement social. Cette étude examine l’activisme du traducteur Yan Fu qui cherche à s’opposer à l’impérialisme étranger en Chine à la fin de la dynastie des Qing. Les concepts de résistance et d’engagement de Tymoczko sont utilisés comme catégories descriptives pour l’analyse empirique. Yan Fu résiste à l’impérialisme étranger en critiquant l’agression étrangère et les privilèges impériaux ; il manifeste son engagement en révélant la crise nationale, en inspirant le patriotisme et en appelant à l’action. L’article examine les manifestations linguistiques et textuelles de l’intervention activiste de Yan Fu.
La transition est forte mais éloquente. Federica Vezzani réalise une étude de cas comparative bilingue en oncologie. L’auteure vise à cerner le potentiel connotatif du vocabulaire médical à partir de l’exemple représentatif des paires de termes seno/mammella et sein/mamelle, en italien et en français. L’étude porte en particulier sur des textes médicaux spécialisés ou vulgarisés relevant du domaine de l’oncologie. Au-delà des trop évidentes ressemblances interlangues, se manifestent au contraire des connotations bien différentes dont doit tenir compte le processus de traduction.
Le travail suivant se réfère également aux choix de traduction, mais en fonction cette fois du type de texte. Les auteures, Xueying Li et Yi Jing, s’appuient sur la typologie de texte de la linguistique fonctionnelle systémique pour examiner quatre types de textes différents : l’explication, le rapport, le partage et la recommandation. Les résultats montrent que des décalages mineurs se produisent fréquemment dans la traduction des textes d’explication et de rapport, alors que les décalages majeurs (tels que la suppression d’une relation logique) sont fréquents dans le partage et la recommandation. Le choix de traduction est ainsi justifié en référence aux particularités linguistiques de chaque type de texte.
La revue Meta figure au centre de l’article suivant. Les auteurs, Anne-Marie Gagné et Patrick Drouin, observent la néologie de forme en traductologie dans la revue entre 1966 et 2019. Ce travail suit une démarche endogène qui se limite à exploiter le corpus étudié sans faire appel à des ressources externes. Quant à l’examen des néologismes, il est réalisé suivant une méthodologie mixte où des données qualitatives (candidats termes) et quantitatives (nombre d’occurrences) obtenues par traitement automatique ont été analysées qualitativement (validation du statut de terme) et quantitativement (calculs des fréquences et différence de fréquences). La rigueur de l’analyse permet de révéler la richesse de l’innovation terminologique présentée dans les pages de Meta, pendant la période étudiée.
De la traductologie, on passe à la traduction de la poésie en tant que transfert littéraire d’une langue périphérique à une langue hyper-centrale. Ivana Hostová observe les traductions anglaises de 2500 poèmes slovaques. L’analyse quantitative permet d’identifier le type de traducteurs, les poètes traduits et l’internationalisation des livres qui résultent de ces projets. S’appuyant ensuite sur la théorie des champs de Pierre Bourdieu et sur la théorie de l’acteur-réseau (ANT) de Bruno Latour, l’auteure retrace les réseaux d’acteurs qui sous-tendent les projets de traduction des oeuvres de deux poètes dont les positions dans le champ littéraire slovaque divergent : Mila Haugová et Milan Richter.
Pour sa part, Félicia Dumas nous expose la problématique des traductions et retraductions des prières chrétiennes-orthodoxes aux XXe et XXIe siècles en langue française. Elle se penche sur 6 livres de prières dont elle compare les traductions et retraductions à partir du grec, du russe et de l’anglais. Elle conclut de son analyse que ces nouveaux textes ont comme objectif principal le bon déroulement de la pratique rituelle, de la vie de prière des fidèles, et sont donc sous-tendus par une nécessité pastorale intrinsèque. Ces traductions se construisent moins à travers des retraductions successives et davantage par l’intermédiaire d’un réseau d’intertextualité.
Le numéro se termine sur une étude d’un domaine spécifique du vocabulaire technique latin de la philosophie. Ana Gómez Rabal utilise pour cette étude, deux traductions partielles du Timée de Platon, l’une de Cicéron (106-43 av. J.-C.), l’autre du néoplatonicien Calcidius (IVe-Ve siècle). Ce travail permet d’analyser la même question philosophique dans deux contextes différents, d’observer comment elle est exprimée différemment dans les usages lexicaux de la même langue, le latin, mais de deux époques différentes, de deux temps différents. L’auteure envisage les objectifs supposés des deux traducteurs mais s’attarde au travail de traduction du Timée d’un point de vue lexical. Comme toujours des recensions ferment le numéro.
Bonne lecture !