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Traducción & Paratraducción I. Líneas de investigación est le premier titre d’une série de volumes publiés grâce au financement du Programme doctoral international T&P de l’Université de Vigo dans la collection « Studien zur Romanischen Sprachwissenschaft und Interkulturellen Kommunikation » [« Études sur la linguistique romane et la communication interculturelle »] des éditions Peter Lang, dirigée par Gerd Wotjak, José Juan Batista Rodríguez et Dolores García-Padrón. Cet ouvrage collectif comporte quinze chapitres et vise à justifier la pertinence de la notion de paratraduction et à sensibiliser à la diversité de ses champs d’application dans le domaine de la traduction et de l’interprétation.

Le terme paratraduction forgé par José Yuste Frías ouvre de nouvelles perspectives théoriques, didactiques et professionnelles en établissant un lien entre théorie et pratique de la traduction et de l’interprétation. Ce terme a donné lieu à la fondation du Groupe de recherche Traduction & Paratraduction (T&P) à l’Université de Vigo en 2005. La notion de paratexte du théoricien français Gérard Genette est à l’origine du terme traductologique de paratraduction qui préconise, d’une part, la prise en compte des dispositifs paratextuels du texte de départ pour en permettre la compréhension indispensable dans tout processus de traduction ou d’interprétation de qualité et, d’autre part, la participation active du traducteur-interprète à la production des paratextes du texte d’arrivée. Cet ouvrage a donc pour ambition de remédier à une conception de la traduction conçue uniquement et exclusivement comme un transfert entre langues et cultures, en nous invitant à réfléchir sur ce qui se passe dans les marges, en marge et au seuil de la traduction. En paratraduction, la marge comporte à la fois les éléments verbaux et non verbaux (visuels, sonores, voire olfactifs) qui se trouvent autour du texte (soit le péritexte selon Genette 1987) et en dehors du texte (soit l’épitexte) et qui contribuent à construire le sens tant du texte de départ que du texte d’arrivée en accord avec les normes, les croyances et les valeurs de deux sociétés données, celle de départ et celle d’arrivée. La paratraduction redécouvre l’espace liminal où se trouve le traducteur, entre le texte de départ et le texte d’arrivée, pour y (re)construire les différents types de relations transtextuelles entre ces deux textes grâce à leurs paratextes respectifs. La perspective paratraductologique implique ainsi une pratique de la pensée du seuil dans une gymnastique de l’« entre » qui s’impose à chaque démarche stratégique du processus traductif (p. 57-60). En somme, la paratraduction s’occupe de tout ce qui n’avait pas encore été considéré comme de la traduction au sens strict mais qui, en réalité, en assure la réception : la paratextualité. La révolution numérique ne fait que consolider la pertinence de cette perspective paratraductive dans une traductologie plus proche des pratiques intersémiotiques quotidiennes de la communication transculturelle du xxie siècle où s’estompent les frontières aussi bien entre texte et paratexte qu’entre péritexte et épitexte (p. 37-38).

Le volume s’ouvre sur un chapitre introductif signé par les directeurs. Il revient sur le contexte dans lequel la notion de paratraduction a été forgée, sur sa portée heuristique et sur les divers axes de recherche du Groupe T&P et du Programme doctoral international en Traduction & Paratraduction : Philosophie et traduction, Image et traduction, Littérature et traduction, Linguistique et traduction, Mémoire et traduction, Migration et traduction ; Métissage, identité et traduction, Anthropologie et traduction, Écran et traduction, et, finalement, Secteurs stratégiques de la traduction. La grande capacité de travail dont fait preuve le Groupe T&P se distingue notamment par la production de publications audiovisuelles dans trois émissions Web-TV : Zig-Zag, Exit et Pilules T&P[1]. Dans le deuxième chapitre, José Yuste Frías apporte des précisions importantes sur l’origine genettienne de la notion de paratraduction et propose une mise au point théorique visant à lui redonner sa profondeur critique. Le chercheur principal du Groupe T&P démontre à maintes reprises qu’il y a beaucoup plus qu’une simple affinité entre traduction et paratextualité. Il rappelle que l’acte de traduire implique toujours la création d’une marge. Celle-ci déclenche l’expérience du seuil dont la prise de conscience suppose des implications sociologiques, culturelles, politiques, éthiques et idéologiques. La nouveauté théorique de la notion de paratraduction dans les Études de Traduction se trouve dans l’acceptation, une bonne fois pour toutes, d’une pensée liminaire qui puisse permettre la mise en oeuvre réelle d’une éthique du seuil applicable dans toutes les pratiques de traduction et d’interprétation professionnelles afin qu’elles puissent agir comme forces transformatrices de la réalité (p. 59). La notion de paratraduction met ces implications en relief lorsqu’elle est dûment appliquée aux trois niveaux méthodologiques mentionnés par l’auteur : le niveau empirique (paratraductif), le niveau sociologique (protraductif) et le niveau discursif (métatraductif). L’auteur développera ces trois niveaux d’application de la notion de paratraduction en détail dans le deuxième volume de cette nouvelle série T&P chez Peter Lang. Le dernier chapitre du livre est aussi signé par José Yuste Frías. Il y propose une bibliographie de près de 300 références dans 17 langues. Ces publications scientifiques patiemment compilées par l’auteur au cours de ces dernières années nous permettent d’aller plus loin dans l’exploration de la notion de paratraduction et son application pratique dans l’exercice professionnel de la traduction et de l’interprétation.

Les douze autres chapitres de ce premier volume témoignent de la diversité des champs d’application de la notion de paratraduction et invitent aussi bien à une lecture in extenso qu’à une lecture sélective, selon les centres d’intérêt de chacun.

Quatre chapitres, le troisième, le dixième, le treizième et le quatorzième, se situent plutôt dans le domaine de la traduction littéraire et de l’édition. Dans « Paratraducción : la traducción hecha realidade », Xoán Manuel Garrido Vilariño montre comment la traduction professionnelle de l’oeuvre canonique de Primo Levi Se questo è un uomo est une entreprise collective à laquelle participent tous les agents paratraducteurs. Ana Luna Alonso s’intéresse aux itinéraires alternatifs empruntés par des traductions d’oeuvres d’autrices galiciennes pour être publiées au-delà des frontières espagnoles dans « Itinerarios paratraductivos » tandis que Áurea Fernández Rodríguez adopte une approche sociologique pour aborder le déficit de reconnaissance des traductrices littéraires en Espagne par rapport à leurs homologues masculins dans « Reconocimiento de la mujer traductora en el campo de la profesión en España ». Enfin, « La traducción del Manifesto Comunista al catalán, euskera y gallego : un breve recorrido paratraductológico » de Robert Neal Baxter propose une analyse de 35 traductions du Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels en catalan, en basque et en galicien, réalisées de 1930 à nos jours. L’auteur en conclut qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions, même si la plupart d’entre elles s’adressent aux travailleurs et constituent un outil de lutte politique à l’instar de l’original.

Le paratexte essentiellement iconique ou visuel fait l’objet de trois chapitres. Dans le sixième intitulé « Mirar y crear imágenes para los Estudios de Traducción », Anxo Fernández-Ocampo conçoit une économie visuelle issue des études de traduction et présente le concept de phototraduction défini par son doctorant Agustin González Fernández. Le huitième chapitre de Ramón Méndez González concerne les paratextes promotionnels des localisations de jeux vidéo et se concentre plus particulièrement sur les jaquettes dans « La carátula de los videojuegos : modificaciones paratextuales según las necesidades de la cultura meta ». L’auteur y souligne l’importance primordiale de savoir lire et interpréter l’image pour traduire, surtout lorsqu’il s’agit de jeux vidéo, où une bonne localisation des paratextes de ces produits multimédias peut faire la différence entre le succès et l’échec des ventes. Le neuvième chapitre, « Los peritextos icónicos en Die Männer mit dem rosa Winkel y su paratraducción en Europa a partir de la década de los 70 » de Christina Holgado-Sáez, propose une analyse critique des illustrations des traductions du récit autobiographique de Heinz Heger sur les homosexuels dans les camps de concentration nazis.

Trois chapitres sont consacrés à l’interprétation au sens de traduction orale à diverses époques. Dans « La parainterpretación en el ámbito sanitario », Emmanuel Claude Bourgoin Vergondy propose une application méthodologique de la notion de paratraduction à l’interprétation professionnelle en milieu social. Celle-ci s’inscrit dans un contexte multimodal maximal qui fait intervenir les cinq sens en combinant la modalité orale – prosodie, qualité de voix, ton – et la modalité visuelle – non seulement les gestes en interaction, mais aussi une diversité de dimensions corporelles telles que les mimiques faciales et les regards, le corps tout entier et les attitudes proxémiques inhérentes à la communication orale – voire l’odeur, le goût et le toucher. Tous ces éléments paratextuels doivent être simultanément intégrés par l’interprète dans la production et la régulation du sens. Óscar Ferreiro Vásquez nous emmène à l’époque coloniale au Pérou, où il se penche sur un procès intenté à un interprète dans « El paraintérprete en la Real Audiencia de La Plata de Los Charcas del virreinato del Perú (1569–1575) » tandis que Xoán Montero Domínguez analyse le rôle paratraductif de l’interprète de films muets au début du xxe siècle dans « Funciones paratraductivas del intérprete explicador de películas ».

On peut sans doute classer dans l’axe de recherche linguistique et traduction du Groupe T&P la contribution de Iolanda Galanes Santos « Variación conceptual y paratraducción en la neología terminológica : eufemiso y disfemismo ». Elle applique la perspective de la paratraduction à la néologie née de la crise économique mondiale qui a débuté aux États-Unis au début de ce siècle en se fondant sur un vaste corpus emprunté à la presse française et espagnole.

Enfin, Alba Quintairos-Soliño souligne l’importance de la capacité à relever et à interpréter les symboles qui constituent l’identité japonaise pour les transmettre à un public occidental dans le douzième chapitre intitulé « Cuando el símbolo se malinterpreta : paratraducir Japón al margen de dinámicas orientalistas ».

À l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, où de plus en plus d’agences de traduction, naturellement en quête de rentabilité, tendent à proposer des services de traduction automatique combinée avec la post-édition, qui vident irrémédiablement la traduction de sa dimension paratextuelle, l’ensemble des contributions de ce volume s’accordent sur le fait que les éléments paratextuels verbaux et non verbaux sont indissociables de tout processus de traduction ou d’interprétation digne de ce nom. Il va sans dire que cette recension ne rend que partiellement justice à la richesse de cet ouvrage et ne saurait donc justifier une économie de sa lecture.