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Cardinal, Linda et Larocque, François, dir. (2017) : La Constitution bilingue du Canada : un projet inachevé. Prisme. Québec : Presses de l’Université Laval, 319 p.[Notice]

  • Catherine Zekri

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  • Catherine Zekri
    École nationale d’administration publique, Montréal, Canada

Il est inédit que la traduction se trouve au coeur d’une impasse constitutionnelle. L’ouvrage collectif La Constitution bilingue du Canada : un projet inachevé, d’un intérêt remarquable pour plusieurs disciplines : traduction, sociolinguistique, science politique, droit constitutionnel, entre autres, éclaire sous plusieurs angles le très important (et épineux) dossier de la traduction de la Constitution canadienne et secoue la poussière qui s’y est déposée par couches successives. Comment un pays démocratique officiellement bilingue et doté d’une vigoureuse industrie de la traduction, stimulée en partie par le bilinguisme institutionnel de sa fonction publique fédérale, peut-il ne pas disposer d’une version française officielle de ses textes constitutionnels ? C’est pourtant la situation invraisemblable dans laquelle se trouve toujours empêtré le Canada en 2019. Quels en sont les enjeux juridiques, politiques, identitaires ? Pourquoi, comment les textes constitutionnels du Canada ont-ils pu échapper à la traduction ? En quoi consistent ces textes fondateurs ? Quelle en est l’importance ? Et surtout, comment remédier à cette défaillance lourde de conséquences alors que les provinces se sentent peu concernées ? Sans être exhaustif, cet ouvrage éclaire ces questions sous plusieurs angles. Sous la direction de Linda Cardinal et de François Larocque, désireux d’éperonner le débat, douze « témoins privilégiés des négociations constitutionnelles des années 1980 » (p. 2) appréhendent l’unilinguisme paradoxal de la loi suprême du Canada. D’horizons variés, ces auteurs offrent tantôt un éclairage historique ou politique, tantôt un récit critique des efforts déployés ou des défaillances politiques qui ont paralysé ce projet. D’autres auteurs encore font état des tenants et aboutissants législatifs et des obstacles récurrents, qu’il faudra un jour surmonter s’il est souhaité d’honorer la Constitution canadienne. Cet ouvrage opère ainsi un retour sur les défis théoriques, politiques, législatifs et identitaires, mais aussi traductionnels que pose la bilinguisation des textes constitutionnels afin d’achever le rapatriement constitutionnel du Canada, mais aussi sur des pistes de solution (pour la plupart déjà empruntées en vain). Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on veut dire par traduction ; d’éventuels glissements sémantiques préoccupent au plus haut point les parties prenantes et la Constitution repose sur un siècle et demi de jurisprudence de tradition britannique. L’ouvrage, publié opportunément l’année des 150 ans de la Loi constitutionnelle de 1867, se déroule en quatre temps : une introduction donnant le ton aux trois parties qu’elle annonce. Dans le premier temps, L. Cardinal et F. Larocque exposent la situation, son contexte et ses enjeux, en soulignant l’embarras dans lequel se trouve figée la Constitution bilingue inachevée. Ils rappellent que, malgré l’enchâssement du caractère officiel du français et de l’anglais dans la Loi constitutionnelle de 1982, qui, en vertu de l’article 55, exige que soit élaborée et adoptée « dans les meilleurs délais » (p. 1) la version française des textes constitutionnels, le gouvernement canadien n’avait pas encore procédé 35 ans plus tard. Ils soulignent l’absence de volonté politique et l’incohérence constitutionnelle à laquelle donne lieu l’unilinguisme de la plupart des textes constitutionnels, y compris la fondatrice Loi constitutionnelle de 1867. Dans un second temps, la deuxième partie réunit trois chapitres qui procurent une mise en contexte étayée. Le premier chapitre, par Sébastien Grammond, retrace les origines historiques du bilinguisme législatif au Canada. L’auteur en tire le constat que la traduction française de la loi est très tôt devenue un acquis et que, au-delà de l’égalité de statut des langues revendiqué par l’élite politique francophone dans les années 1840-1850, c’est l’égalité des peuples qui était recherchée. Dès l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867 à Londres, pièce maîtresse de la Constitution canadienne antérieure à 1982, adoptée en anglais seulement, des traductions officieuses …