Les rapports entre le droit et son langage sont des plus intimes. C’est cette symbiose qui est au coeur de la jurilinguistique. Le contact quotidien entre le français et l’anglais, et la cohabitation de la common law et du droit civil facilitent un « extraordinaire processus d’échange jurilinguistique au Canada » (p. XIV). Cette dualité linguistique et juridique, source de richesse et d’inspiration, peut aussi soulever des difficultés. Ces difficultés sont relevées dans cette publication à la fois savante et ludique. Quelque 240 entrées y sont présentées « selon un schéma classique : position du problème, avec terme en contexte dans une ou plusieurs citations ; présentation étymologique et historique du terme ; analyse notionnelle et linguistique du terme. Une brève conclusion présente, à l’occasion, des recommandations. Le terme ou l’expression présentés sont le plus souvent assortis de considérations historiques, philologiques, voire littéraires ou anecdotiques » (p. XIX). Suivant la terminologie utilisée dans ce texte, on peut proposer le classement suivant des difficultés répertoriées : Ce classement comprend des catégories qui ne sont pas exclusives les unes des autres. Un seul terme (par exemple confession) peut être qualifié d’anglicisme et d’archaïsme. Plaider coupable, lui, est soupçonné d’anglicisme et de solécisme. Contributoire a toutes les apparences d’un calque, mais une faute contributoire constituerait-elle plutôt un anglicisme sémantique ? On se rend compte que certains phénomènes linguistiques peuvent être appréhendés à partir de plusieurs perspectives. Contentons-nous ici d’examiner la première source de difficultés, à savoir les anglicismes. Des ouvrages d’Estienne au xvie siècle, écrits pour contrer l’italomanie, en passant par le cri d’alarme sonné par Étiemble en 1959 relativement à « l’invasion » de mots anglais, jusqu’aux polémiques soulevées de nos jours par le « francricain », la langue française a toujours tenté de se protéger des influences étrangères. Les anglicismes sont ciblés davantage dans ce combat linguistique. On fait un accueil chaleureux pourtant aux vocables issus du latin et du grec (ceux-ci sont très nombreux) et d’autres langues. Pourquoi ce mépris des mots venus d’outre-Manche ? Il est évident que la langue française est une affaire d’État et que la politique se cache derrière ces tentatives de critiquer l’entrée ou l’influence de l’anglais. Il faut se souvenir aussi que l’étendue du phénomène est souvent exagérée – le dictionnaire des anglicismes repère quelque 2700 termes (ou 1500 termes une fois les termes vieillis retranchés) ne représentant qu’une proportion très faible du vocabulaire de la langue française (soit 2,5 %). Lorsqu’on fait le bilan de l’anglicisation du français, il convient aussi de se rappeler que « l’influence que l’anglais a subie, dès les premiers stades de son développement, de la part du français est infiniment plus grande que celle qui s’est exercée dans l’autre sens » (Boggards 2008 : 10). Les origines françaises se retrouvent dans plus d’un tiers des mots anglais. Cette relativisation du problème doit s’accompagner pourtant d’une mise en garde : la menace posée par les anglicismes « est beaucoup plus “grave” en français du Canada » qu’en français hexagonal (Meney 1994 : 930). Les linguistes ont recours à l’« euphémisme plaisant » qu’est « l’emprunt » pour désigner tous ces mots que les langues du monde prennent à l’une d’entre elles, tout en n’ayant pas la moindre intention de les lui rendre (Walters 1997 : 10). Paradoxalement, en introduisant la common law sur le sol canadien, la conquête et le traité de Paris de 1763 ont permis à plusieurs expressions anciennement empruntées du français de renouer avec leur langue d’origine. On fait une distinction entre les emprunts qui comblent une lacune et ceux qui sont inutiles. …
Parties annexes
Bibliographie
- Boggards, Paul (2008) : On ne parle pas français. Bruxelles : De Boeck Duculot.
- Cornu, Gérard (2005) : Vocabulaire juridique. Paris : Presses universitaires de France.
- Darbelnet, Jean (1976) :Le français en contact avec l’anglais en Amérique du Nord, Québec :PUL.
- Étiemble, René (1964) : Parlez-vous franglais ? Paris : Gallimard.
- Kasirer, Nicolas (1998) : Le real estate existe-t-il en droit ? Revue générale de droit. 29(4) :465-482.
- Meney, Lionel (1994) : Pour une typologie des anglicismes en français. The French Review. 67(6) :930-943.
- Ost, François (2005) : La querelle des dictionnaires. À qui appartient la langue ? Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique. 7(12) :315-375.
- Walter, Henriette (1997) : L’aventure des mots français venus d’ailleurs. Paris : Robert Laffont.